Que signifient les réparations de la France aux Harkis et de l’Ouganda à la RDC?

Le 10 février, France 24 et d’autres médias internationaux annonçaient coup pour coup deux décisions de réparations, l’une politique, adoptée par le parlement français, l’autre suite à une action menée devant la Cour Internationale de Justice par la République Démocratique du Congo. La première vise les Harkis, ces Algériens supplétifs de l’armée française qui furent “abandonnés” par la France. L’Ouganda a lui été poursuivi devant la CIJ pour l’occupation et le pillage de la province orientale de la RDC il y a plus de 20 ans.

 

La question de la responsabilité de la France dans le sort des Harkis est l’objet de controverses et polémiques depuis des décennies. Pour approfondir cette question, nous renvoyons à quelques billets de blogs consacrés précisément à cette thématique: https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/011021/les-harkis-i-la-responsabilite-de-salan-challe-et-consorts-0 et ici : https://blogs.mediapart.fr/henri-pouillot/blog/220921/les-harkis-ces-victimes-du-colonialisme-instrumentalises-par-le-macronisme

Tout d’abord, qui sont les Harkis ? Ne représentant pas un groupe homogène, il s’agit selon Ruscio et Manceron de « multiples catégories de ruraux algériens utilisés par l’armée française durant la guerre d’Algérie comme auxiliaires dans diverses tâches pour contrôler les populations autochtones et combattre les indépendantistes. »1 Ils représenteraient à l’heure actuelle une communauté de plusieurs centaines de milliers de personnes en France.

Sur quoi porte la reconnaissance et la réparation aux Harkis?

Utilisés par la France pendant la guerre d’Algérie, ils furent ensuite abandonnées par le gouvernement français. Plus de 40.000 harkis, accompagnés souvent de leurs femmes et enfants, sont évacués en France par l’armée. 40.000 autres y parviennent par des filières clandestines. Au total, entre 80.000 et 90.000 personnes se réfugient en France entre 1962 et 1965. Arrivés en France, les Harkis sont internés dans des camps d’internement militaires. En 1975, ces camps ferment définitivement. Les harkis et leurs familles sont alors envoyés dans les hameaux de forestage.

En août 2001 à Paris, une plainte pour “crimes contre l’humanité” avait été déposée mais n’avait pas abouti. Plus récemment, des associations de Harkis demandaient au président qu’une “loi de reconnaissance de l’abandon des Harkis” soit votée d’ici “la fin de l’année” 2021. Ils demandaient également une revalorisation des indemnisations existantes. Après avoir présenté ses excuses en septembre 2021, le chef de l’État français avait annoncé un projet de loi de reconnaissance et de réparations.

Le texte voté au parlement il y a quelques jours reconnaît “les conditions indignes de l’accueil” réservé aux 90 000 harkis et à leurs familles qui ont fui l’Algérie après l’indépendance et ouvre ainsi un droit à réparation pour les harkis qui ont transité dans des camps et hameaux de forestage entre 1962 et 1975. Le projet de loi prévoit une “réparation” sous forme de compensations financières avec une somme forfaitaire de 2 000 à 15 000 euros. Le nombre de bénéficiaires potentiels est estimé à 50 000 par le gouvernement, pour un coût global de 302 millions d’euros sur environ six ans.

Le président français se voit accusé de récupération électorale par plusieurs de ses adversaires politiques. Les Harkis sont connus pour former un électorat traditionnellement tourné vers l’extrême droite et la droite. La commémoration du soixantième anniversaire du cessez-le-feu du 19 mars 1962 (Accords d’Evian, fin de la guerre d’Algérie) précédera de trois semaines le premier tour de la présidentielle. Emmanuel Macron sera-t-il aussi «volontaire» pour initier des reconnaissances et des réparations envers des parties moins porteuses électoralement ? Pour ne citer qu’un exemple, on ne sait pas où en sont les réparations envers les personnes victimes des essais nucléaires opérés par l’armée française en Algérie de 1960 à 1966 malgré la loi Morin de 2010 qui prévoit une procédure d’indemnisation… 2

Des réparations, une question très politique

Nous reviendrons dans d’autres articles sur la question globale des réparations dans le cadre des relations Nord-Sud. Elle concerne des cas très différents mais le contexte politique joue un rôle très important.

Car en effet, une affaire toute autre concerne la condamnation de l’Ouganda par la Cour Internationale de Justice (CIJ) pour avoir envahi l’est de la République démocratique du Congo durant la guerre de 1998 à 2003. Mais comme l’indique Said Bouamama dans l’interview qu’il nous a accordé, on peut retenir de ces deux décisions que la justice peut procéder à des réparations économiques pour des crimes récents mais aussi plus anciens.

La CIJ, plus haute juridiction de l’ONU, qui siège à La Haye au Pays-Bas, a estimé que l’Ouganda devait verser à la RDC 225 millions de dollars pour les pertes en vie humaines, 40 millions de dollars pour les dommages aux biens et 60 millions de dollars pour les dommages aux ressources naturelles.

En juin 1999, la RDC avait déposé à la CIJ des requêtes introductives d’instance contre l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda “pour des actes d’agression armée commis en violation flagrante de la Charte des Nations unies et de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine”. Seul la requête contre l’Ouganda fut menée jusqu’au bout. Le Rwanda ne reconnut pas la compétence de la cour dans cette affaire.

En 2005, la CIJ avait déjà jugé que l’Ouganda avait violé le droit international en occupant l’Ituri, dans l’est de la RDC, et que des infractions avaient été commises par ses propres troupes et d’autres groupes armés qu’il soutenait. La Cour avait ainsi statué que l’Ouganda devait payer des réparations. Mais l’Ouganda et la RDC n’avaient pas trouvé d’accord, laissant à la CIJ le choix de trancher leur différend. Le site Justice Info fait remarquer que la CIJ ne se penche qu’occasionnellement sur les questions de réparation, « parce que la pratique de la CIJ consiste essentiellement à établir une responsabilité et à laisser aux parties le soin de régler le reste ».3

Un contexte régional différent

Loin des 6 à 10 milliards de dollars réclamés en 2005, que la Cour jugeait appropriée, les 325 millions semblent dérisoires pour plusieurs analystes congolais compte tenu des dégâts infligés4. Comme nous fait remarquer le chercheur Delphin Ntanyoma, « bien que les officiels de la RDC et l’Uganda manifestent un sentiment d’insatisfaction, il me semble qu’il s’agit d’un jugement purement symbolique. Que ce jugement de l’Uganda s’exécute ou pas, je serai de l’avis que d’autres pays qui ont été impliqués soient aussi poursuivis à « titre symbolique ” indépendamment de raisons avancées. Ceci pourra servir de jurisprudence dans l’avenir. Il est aussi important de voir qu’actuellement, l’Uganda et la RDC se rapprochent, font des opérations militaires ensemble pour combattre les groupes terroristes en RDC, ce qui laisse croire que les deux pays et même les autres de la région doivent conjuguer leurs efforts dans la normalisation pour consolider la stabilité régionale. »

Le jugement prononcé pose des leçons utiles pour la reconnaissance des droits dans un sens de réparation: responsabilités individuelles, étatiques, dommages macroéconomiques, crimes environnementaux. Si la réparation imposée à l’Ouganda sous forme de compensations financières est jugée comme symbolique, que dire de l’inaction d’autres pays au passé et implications loin d’être neutres envers la population congolaise et sa vie sociale et économique ?

En Belgique une commission a été créée pour traiter du passé colonial concernant les anciennes colonies belges que sont la RDC, le Rwanda et le Burundi. Si il y a eu des regrets exprimés par le roi à propos des « violences »5 commises par la Belgique au Congo suite à des mobilisations et des « déboulonnages » de statues de Leopold II, des réparations semblent loin d’être à l’ordre du jour. Notons déjà toutes les difficultés pour rendre les restes de Patrice Lumumba et le peu d’action concrète depuis la Commission Lumumba il y a 20 ans.6 La France, où plusieurs plaintes ont été déposées depuis de nombreuses années contre l’État concernant la dette imposée à Haiti, dénie tout droit à des réparations à ses nombreuses anciennes colonies et territoires encore occupés7. De nombreux autres cas sont analysés à reculons ou repoussés continuellement par les anciens pays colonisateurs qui fuient leurs responsabilités comme le montre le cas de l’Allemagne envers les Hereros8 de Namibie.

Delphin Ntanyoma,9 fait remarquer que si « les réparations sont presque symboliques pour le cas Uganda-RDC, rien ne devrait faire oublier que la colonisation a fait beaucoup de dégâts au même titre que les guerres récentes. A l’heure où nous vivons il y a encore des séquelles de la colonisation qui devraient nous interpeller toutes et tous. Pour ce faire, je serai de l’avis que de tels jugements si « symboliques » soient-ils, que la page sombre de toute l’histoire ne doit pas être classée dans les oubliettes pour l’intérêt des uns et pas des autres.  

 

Source: Investig’Action

Notes:

1https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/011021/les-harkis-i-la-responsabilite-de-salan-challe-et-consorts-0

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