3 questions à Saïd Bouamama sur les réparations aux Harkis et de l’Ouganda à la RDC

Il y a quelques jours, les médias internationaux annonçaient deux décisions de réparations, de la France envers les Harkis et de l’Ouganda envers la RDC. Que signifient ces deux décisions au regard de l’Histoire et du droit international? Elles relèvent de contextes très différents. Mais peut-on en tirer des leçons pour les demandes de réparations et la reconnaissance des crimes commis pendant la période de l’esclavage et la colonisation ? Said Bouamama nous répond.

 

Quelle est votre réaction à ces deux décisions officialisées il y a quelques jours quant à des réparations1 pour les harkis et de l’Ouganda envers la RDC?

Ces deux décisions officielles établissent et reconnaissent une nouvelle fois un lien entre « justice » et « réparation » sur des questions historiques, collectives et concernant une responsabilité d’État. La dimension historique souligne que le temps n’efface pas le droit à la réparation des victimes d’un préjudice. La décision concernant l’Ouganda porte sur des faits datant de deux décennies et celle portant sur les « harkis » datant de 60 ans. Concernant ces derniers, l’ancienneté des faits est suffisamment longue pour ne pas s’adresser essentiellement aux victimes directes des faits, mais pour s’étendre aux descendants de ces victimes. C’est le caractère durable du préjudice non seulement sur les victimes, mais aussi sur leurs descendants qui est ainsi reconnu. L’enjeu est de taille en ce qui concerne les réparations des crimes liés à l’esclavage et à la colonisation dont les effets destructeurs s’étendent sur la longue durée et sur de nombreuses générations. Il y a en quelque sorte une dimension systémique du préjudice collectif ayant pour effet que les générations actuelles continuent de subir des impacts négatifs des violences vécues par leurs ascendants sur plusieurs générations. C’est cette dimension qui est reconnue légalement par le projet de loi français. 

La dimension collective [les deux décisions concernant soit un peuple entier, soit un groupe social de plusieurs dizaines de milliers de personnes] conforte le fait que la « réparation du préjudice » n’est pas un principe de justice limité aux conflits interindividuels. Trop souvent en effet le débat sur les crimes esclavagistes et coloniaux se heurte à l’affirmation que le principe de réparation est impossible pour les préjudices collectifs [en raison de l’ampleur que prendraient ces réparations, de leurs non-calculabilités scientifiques, de l’incertitude pour déterminer les victimes réelles, etc.] avec comme conclusion que les réparations sont posées comme ne pouvant être que symboliques et morales. C’est cette limitation au symbolique qui vole en éclat du fait de ces deux décisions. 

Enfin, les deux décisions concernent des faits imputables à des États. La question de la responsabilité en ce qui concerne la réparation des crimes esclavagistes et coloniaux est encore trop souvent évacuée au prétexte d’une impossibilité à déterminer les responsables précis de ces crimes [les négriers, les acheteurs, les vendeurs locaux, l’État, etc. pour les esclaves ; les colons, les troupes militaires, l’État pour la colonisation]. Ce qui est ici reconnu, c’est la responsabilité de l’État comme dépositaire de l’autorité pendant la période où se sont déroulés les crimes. Non-prescriptibilité, reconnaissance du caractère transgénérationnel du préjudice et responsabilité de l’État constituent trois principes qui conduisent à la nécessité d’une reconnaissance des crimes esclavagistes et coloniaux, mais également climatiques, ainsi que ceux de la politique économique, etc. Ils doivent, selon moi, servir d’appuis dans de nombreuses autres situations comme les réparations de la Belgique envers la RDC, de la France envers l’Algérie ou le Cameroun, etc. 

 

Ces deux informations ont-elles un lien selon vous?

Les deux décisions sont de nature différente, l’une relève de la justice et l’autre de la sphère politique. Elles renvoient également à deux sphères du droit, national pour l’une et internationale pour l’autre. Elles correspondent enfin à des agendas également spécifiques, nationaux et électoraux pour l’une et de légitimation d’une instance internationale décrédibilisée pour l’autre. Il n’y a donc pas de liens directs entre ces deux décisions. Toutefois les luttes pour les réparations qui ont marqué ces dernières décennies constituent un soubassement commun qui n’a pas été sans effets sur ces décisions.

 

Ces deux infos ne laissent-elles pas penser qu’il peut y avoir des réparations Nord-Nord ou Sud-Sud, mais pas facilement Nord-Sud?

Le principe du standard unique est au cœur de la notion de Justice. C’est l’existence d’un double standard par exemple qui a conduit à la décrédibilisation de la Cour Pénal International. Celle-ci se caractérise en effet par la prédominance des dossiers africains et des condamnations de chefs d’État africains et la quasi-absence des autres. Le fait que la décision concerne un conflit Sud-Sud peut laisser craindre à la mise en place du même double standard. Les première et seconde guerres mondiales ont donné lieu à des réparations Nord-Nord. La décision de la CIJ concernant l’Ouganda inaugure des réparations Sud-Sud. Il reste cependant que les crimes les plus anciens, les plus destructeurs en termes d’ampleur et d’inscription dans la longue durée, les plus porteurs d’effets systémiques, etc., concernent les violences du Nord sur les peuples du Sud et ne donnent toujours pas lieu à l’application du principe de réparation. Nous ne sommes pas encore sortis du double standard.

 

Source: Investig’Action

Note:

1On parle de réparations pour les crimes internationaux les plus graves : crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Dans ce cadre, les formes de réparations sont multiples: restitutions, reconnaissances et compensations économiques.

 

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