3 questions à Sushovan Dhar sur la catastrophe ferroviaire en Inde

L’ accident de train qui s’est produit le 2 juin dans l’État d’Odisha, dans l’est du pays, est le plus meurtrier en Inde depuis plus d’un quart de siècle. Nous avons interviewé Sushovan Dhar, syndicaliste indien. Comme ce fut le cas en Grèce lors de la catastrophe qui a eu lieu récemment, le premier ministre Indien Modi a rejeté la responsabilité sur le personnel des chemins de fer local. Mais quelle est la responsabilité du pouvoir exécutif ?

SD: L’horrible accident de train survenu le 2 juin à Balasore, en Odisha, qui a fait plus de 280 morts et 1 175 blessés, révèle une catastrophe programmée, logique, due à une successions de négligences totale, à de graves défaillances du système et à son inefficacité. Une première enquête interne menée par les chemins de fer indiens a révélé que l’accident ferroviaire survenu vendredi à Odisha était probablement dû à une défaillance du système de signalisation. Toutefois, des responsables du conseil des chemins de fer avaient déjà mis en garde auparavant contre de “graves lacunes dans le système” et exprimé des inquiétudes quant à la défaillance de l’enclenchement de mesures de sécurité en février. Ces responsables avaient même demandé que des mesures immédiates soient prises.

Pire, suite à un autre incident récent, les autorités ont déclaré qu’il était possible que le système d’enclenchement présente de graves lacunes. Une de ces lacunes permettait même à un chef de gare de ne pas pouvoir suivre l’itinéraire emprunté par un train. Il s’agit là d’une similitude alarmante avec ce qui semble s’être passé lors de l’accident ferroviaire d’Odisha, qui, rappelons-le, a coûté la vie à près de 300 personnes.

Un rapport gouvernemental, plus ancien, sur la sécurité ferroviaire de l’année 2019 – 2020 a révélé que les déraillements étaient responsables de 70% des accidents ferroviaires, contre 68% l’année précédente. (Les incendies et les collisions de trains viennent ensuite, respectivement responsables de 14% et 8% du total des accidents). Le rapport dénombre 40 déraillements impliquant 33 trains de passagers et sept trains de marchandises au cours de l’année considérée. Sur ce total, 17 déraillements ont été causés par des “défauts” de la voie – ce qui peut inclure des fractures et des affaissements de la voie. Sous le gouvernement actuel, dirigé par le premier ministre Narendra Modi, des milliards ont été dépensés pour mettre à niveau et moderniser les chemins de fer, y compris un plan d’électrification à 100 % des chemins de fer d’ici 2024. Il y a officiellement l’objectif d’atteindre le zéro accident d’ici à 2030 Les compagnies sont sur le point d’installer un système anti-collision, qui permet aux trains de freiner automatiquement, mais pour l’instant, il n’est opérationnel que sur 2 % du réseau.

Récemment, des fonds records ont été alloués à l’amélioration des infrastructures et de la sécurité.

Mais cela concerne principalement le train électrique à grande vitesse Vande Bharat (ce qui signifie « salut à l’Inde ») inspiré des trains à grande vitesse japonais, les gares et les infrastructures qui lui sont liées. C’est l’un des projets phares de M. Modi.

Selon les experts, alors que l’accent a été mis sur des projets brillants de modernisation, la sécurité reste le principal problème des chemins de fer indiens. Un nombre croissant de trains a été mis sur les rails pour répondre à la demande, mais la main-d’œuvre n’a pas augmenté au même rythme. Cela a entraîné une plus grande pression sur le personnel et davantage d’erreurs humaines. De plus, la mise en place de mesures de sécurité a été lente.

Les maigres ressources des chemins de fer sont régulièrement détournées de la sécurité au profit du projet de train à grande vitesse qui seront empruntés par une poignée d’Indiens. Toute l’attention est concentrée sur les séances de photos pour l’inauguration des trains Vande Bharat. Cet horrible accident était une catastrophe prévisible.

 

Quel est le traitement médiatique en Inde? Parlent-ils des causes de l’accident?

SD: Les médias ont bien entendu fait grand bruit, car un accident d’une telle ampleur ne pouvait être dissimulé. Cependant, la principale tentative a été de sauver le régime actuel et de rejeter la responsabilité sur les fonctionnaires des chemins de fer. Très peu de rapports pointent du doigt la négligence systématique de la sécurité ferroviaire, les tentatives de privatisation des chemins de fer, la réduction du nombre de trains pour les gens ordinaires et d’autres problèmes qui affligent les chemins de fer indiens.

Cependant, les médias ne disent absolument rien sur l’approche grossièrement déséquilibrée du gouvernement, qui a supprimé l’exercice consistant à présenter chaque année un budget ferroviaire distinct, ce qui permettait auparavant de diffuser de nombreuses informations sur la santé générale des chemins de fer. Il ne disent rien non plus sur les nominations successives des ministres des chemins de fer qui n’ont aucune compréhension des réalités du terrain ni aucune envie de les évaluer.

 

Comment s’organisent les syndicats et mouvements de gauche face à cette situation ?

SD: L’accident et la dégradation systématique des chemins de fer indiens ont suscité de nombreuses protestations dans le pays. L’importance disproportionnée accordée par le gouvernement Modi aux trains clinquants Vande Bharat, aux projets de réaménagement des gares par le biais de la privatisation et à l’achat de voitures modernes a conduit à une “négligence désastreuse” des besoins urgents des chemins de fer en matière de modernisation des voies, de la signalisation et de l’infrastructure.

Cette situation doit être mise en évidence et portée à la connaissance du public. Les cris et les gémissements des parents et des proches de ceux qui ont souffert de cet accident doivent parvenir aux oreilles de tous les Indiens. Des actions en justice peuvent être engagées, mais le système judiciaire est dans un état déplorable à l’heure actuelle, avec des juges de la Cour suprême qui agissent en tant que porte-parole du gouvernement au lieu de rendre la justice.

Le poids collectif des syndicats est à un niveau historiquement bas en ce moment. Les syndicats n’ont pas été en mesure d’opposer une résistance efficace aux tentatives du gouvernement de les contourner et de promulguer des codes du travail hostiles aux travailleurs dans le pays. Comme je l’ai écrit ailleurs, la grande majorité des travailleurs indiens sont contraints de travailler dans de terribles conditions d’insécurité, les accidents du travail étant monnaie courante plutôt que l’exception. Le mouvement ouvrier indien doit se réinventer pour faire face aux défis que lui lancent les classes dirigeantes.

 

Source : https://www.investigaction.net/fr/3-questions-a-sushovan-dhar-sur-la-catastrophe-ferroviaire-en-inde/

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