Trois questions à Yiorgos Vassalos sur la catastrophe ferroviaire en Grèce

Près de 60 morts suite à un accident de train en Grèce! Cette catastrophe révèle les dégâts causés par les privatisations et l’affaiblissement de l’État. Si les médias et responsables politiques préfèrent parler d’erreur humaine, revenir sur le contexte économique et politique des dernières années permet de comprendre cette catastrophe. Interview en trois questions avec Yiorgos Vassalos, enseignant d’études européennes à Science Po Lille.

 Une erreur humaine vraiment ? N’est-ce pas insultant de dire cela sachant les mesures de destruction des services publics imposées ces dernières années en Grèce?

Pour qu’une tragédie pareille arrive, il y a forcement une erreur humaine quelque part. Ce qui importe pourtant ce sont les conditions dans lesquelles cette erreur se produit.

L’OSE, société nationale grecque des chemins de fer, a commencé à être découpée en morceaux en 2005 quand on a séparé la gestion du réseau des transports. C’est la même année qu’Infrabel a été créée en Belgique afin d’appliquer le deuxième paquet ferroviaire de l’UE. Comme condition au « sauvetage » de la Grèce à partir de 2010, l’UE a imposé la poursuite du découpage et la privatisation des parties les plus rentables. TrainOse, la société des transports ferroviaires a été transférée au fonds de privatisation en 2013. Sa vente n’a été conclue qu’après le bras de fer de 2015 entre l’UE et le gouvernement Syriza à la fin duquel la BCE a fermé les banques grecques jusqu’à ce que le Parlement grec approuve la continuation du programme de « sauvetage » avec un pas accéléré sur les privatisations. TrainOse a été finalement vendu à TrenItalia en 2017.

En parallèle, l’autre grand paramètre des programmes de sauvetages a été l’affaiblissement du secteur public : entre 2010 et 2018 environ 180 000 personnes ont été licenciées de ceci.

Le résultat est un système ferroviaire composé des 6-7 entreprises différentes, privées et publiques, qui se coordonnent mal quand elles ne concurrencent pas. La Grèce est peut-être le seul pays européen n’ayant pas un système d’immobilisation automatique des trains. Le programme GSM-R, une sorte de GPS pour les trains, n’y fonctionne pas. La sécurité est assurée exclusivement à travers la communication orale entre les chefs des différentes gares. L’accident est survenu à 20km de Larissa, la gare la plus fréquentée du pays qui se trouve exactement au milieu des deux plus grandes villes, Athènes et Thessalonique. Depuis trois-quatre ans, il y a un seul chef de gare pour gérer toute la circulation oralement. Avant il y a en avait deux dans chaque service plus deux derrière, au système de téléguidage. A titre de comparaison, en Belgique, en dehors du système automatique, nous avons trois niveaux de supervision humaine. Les enregistrements de communications du chef de gare en question au moment de l’accident ont été publiés. A ce moment précis, il avait quatre trains à gérer à cause des retards. Il a oublié de faire rechanger une voie après le passage extraordinaire d’un train commercial. Il a été arrêté et sera jugé pour homicide involontaire. Mais est-il possible que la sécurité de tant des passagers dépende de l’attention infaillible d’une seule personne ?

Il y avait une époque où l’OSE avait 13 000 employés. Aujourd’hui elle se limite à la gestion du réseau et elle occupe à peine 700 postes alors que selon son organigramme elle devrait en avoir 2 500. Le manque de personnel est la principale raison du non fonctionnement système de téléguidage et d’immobilisation automatique à Larissa. Il devrait y a voir 11 employés par service qui n’existent tout simplement pas. L’autre raison est qu’Alstom n’a pas complété sa convention pour installer ce système.

 Peut-on imputer une responsabilité à la Troïka (Commission européenne-BCE- FMI) ?

Nous avons pour le moment 57 morts confirmés sans avoir encore clarifié le sort de tous les passagers. Il s’agit d’un des quatre accidents les plus meurtriers en Europe depuis 1998 y compris la désastre d’Eschede en Allemagne avec 101 morts.
Il est clair que si l’Union européenne n’avait pas tant insisté sur les licenciements de masse du secteur public et sur la privatisation à tout prix, il y aurait beaucoup moins de chances qu’un tel accident arrive.

Le syndicat des cheminots avait débrayé en 2022 pour protester le manque de personnel et la situation dans la sécurité du réseau. Le 7 février 2023, les syndicalistes ont fait une déclaration qui a explicitement alerté contre le risque d’un accident mortel. Personne ne les a écoutés. De même, personne n’a écouté un directeur technique de ErgOse, la société qui s’occupe des travaux d’infrastructure, qui a démissionné l’année dernière en raison du non fonctionnement du téléguidage. Le fait que la Grèce est en ce moment le dernier pays de l’UE en termes de liberté de la presse n’a pas aidé à ce que ces alertes soient entendues. TrainOse, qui s’appelle aujourd’hui Hellenic Trains, a été vendu pour 45 millions et il est à présent subsidié de 50 millions par an. Tout cet argent gaspillé au profit d’une société qui appartient à un autre à l’État italien, pourrait être utilisé pour assurer la sécurité au sein d’une société intégrée et publique.

Hellenic trains, dont un des employés fut aussi arrêté, examine selon certains journalistes, la possibilité d’aller au tribunal contre l’OSE pour demander une indemnisation pour manque à gagner… Pourtant ils savaient très bien que même les feux de circulation ne fonctionnent pas et ils continuaient à rouler sans qu’aucun de leurs clients-passagers ne soient mis au courant, pas plus moi-même qui ait pris ce train plusieurs fois avec mes enfants… C’est ça la privatisation! Le profit avant tout. L’initiative d’Ursula Von der Leyen de mettre les drapeaux européens en berne a té mal accueillie sur les réseaux sociaux par les citoyens grecs. Les mémoires du chantage contre leur décision souveraine, confirmé par référendum, d’en finir avec les programmes de « sauvetage » sont fraiches.

La colère gronde pour la raison supplémentaire que la ministre adjointe à la santé interdit aux familles de voir les corps des défunts. Elles vont les recevoir dans des cercueils fermés. Un mystère semble couvrir le train commercial dont le contenu reste inconnu, malgré son rapport éventuel avec la force de l’explosion qui a tué la plupart des victimes. Partout dans le pays, les étudiants et les lycéens sont à l’initiative d’immenses manifestations que la police essaye en vain de le faire disperser par la violence. Ces manifestations réclament justice et vérité, sans oublier de crier que les vies des gens devraient passer avant les profits.

 

Après une année 2015 très agitée, on entendait plus beaucoup parler de mobilisations en Grèce et on ne parle plus de la dette, est-ce que c’est réglé ce problème de dettes ?

En fin 2022 la dette grecque était à 180% du PIB. Il était à 127% à 2009 avant que la « Troïka » et l’UE n’interviennent avec leur programme de « sauvetage ». Cette opération a finalement consisté à libérer les banques privées de la dette grecque en la transférant au dos des autres contribuables européens toute en la faisant augmenter. Ce qui a été fait est l’exact opposé de qui a été annoncé il y a plus des dix ans, c’est-à-dire que la Troïka allait résoudre le problème de la dette grecque.
La raison pour laquelle on n’entend plus trop parler de la dette est que le Pacte de stabilité est gelé depuis mars 2020 en raison de la pandémie. Quand il sera réactivé en 2024, ce sujet va peut-être revenir à la mode, car onze des vingt pays membres de la zone euro dépassent la limite de 3% de déficit.
Une nouvelle mise en tutelle de la Grèce n’est donc pas à exclure, sauf que cette fois il ne reste plus grande chose à privatiser. Entretemps, les réformes néolibérales continuent comme condition à l’accès au fond européen de relance. Elles sont accompagnées d’un dérive autoritaire sans précèdent qui a été récemment dénoncé à la plénière du Parlement européen par des groupes tels que les Sociaux-démocrates, les Libéraux et les Verts qui ont déploré le fait que la Grèce semble suivre le chemin de la Hongrie et de la Pologne. Je vous propose de voir à travers cet entretien un moyen de casser ce black-out médiatique qui fait presque disparaître ce pays qui faisait régulièrement la une de la presse européenne il y a huit ans.

 

Source: Investig’Action

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