Trump, Biden et la fable des secrets US

Des documents top secret datant de la présidence de Barack Obama ont été découverts par le ministère de la Justice dans la maison que possède Joe Biden à Wilmington. Mais la probabilité que le scandale éclate au visage du vice-président de l’époque – et actuel président en exercice – est plutôt faible.

En effet, Joe Biden a passé 46 ans dans les coulisses du pouvoir à Washington, et il est suffisamment habile pour manipuler le système politique étasunien.

La manière dont il a été investi candidat démocrate pour l’élection présidentielle de 2016 est un témoignage éloquent de ses talents de manipulateur. Une campagne est d’ores et déjà en cours pour minimiser la gravité de la découverte de documents classifiés dans sa maison du Delaware et dans un bureau de Washington qu’il a précédemment utilisé.

Sur la base des maigres détails disponibles sur cette affaire, le magazine The Atlantic, véritable porte-drapeau de l’administration actuelle, a déjà conclu que “seul le parallèle le plus superficiel peut être établi entre la possession de ces documents par Biden et la conduite de [Donald] Trump concernant les documents détenus à Mar-a-Lago.

De même, dans un commentaire ingénieux, un chercheur en études de gouvernance à la Brookings Institution (qui est connectée l’establishment US), Benjamin Wittes, a écrit dans Lawfare : “Pour l’instant, tout ce que nous savons vraiment, c’est qu’une quantité relativement faible de matériel classifié de l’ère Obama a été trouvée où elle n’était pas censée être à trois occasions et dans trois endroits associés à la période comprise entre la vice-présidence de Biden et sa présidence… Mais ce n’est pas pour autant que cela pourrait devenir une affaire criminelle. En fait, c’est une affaire criminelle qui semble des moins prometteuses…. Et quant au parallèle avec l’enquête sur Mar-a-Lago ? Parfois, les illusions d’optique ne sont que des illusions d’optique“.

Il est clair que ces spin doctors détournent sciemment l’attention de ce qui saute aux yeux, à savoir la nature intrinsèque du crime. L’objectif est d’absoudre Biden, tout en poursuivant la crucifixion de Trump au passage.

Il n’y a pas beaucoup de curiosité sur ce que contiennent réellement ces documents. Selon des sources qui ont fuité à CNN et dans le New York Times, la première série de dix documents classifiés découverts en novembre dans un placard fermé à clé du think-tank Penn Biden Center à Washington comprenait des notes de réunion sur l’Ukraine. Elles datent de l’époque où Biden était vice-président. Mais c’est un sujet de grande actualité.

En matière de politique étrangère et de sécurité, le président Obama était un novice. De son côté, avant l’élection d’Obama, Biden a officié comme sénateur pendant 36 ans. Il a siégé durant la plupart de ce temps au sein de la commission des Affaires étrangères, soit en tant président de la commission, soit comme membre de l’opposition. C’est donc sans surprise qu’Obama a confié à Biden un portefeuille ministériel comprenant l’Amérique latine, l’Afghanistan, l’Irak ou encore l’Ukraine. Un portefeuille qui exigeait un talent pour les manœuvres politiques plutôt que pour les compétences diplomatiques. Ce dont Biden se délectait.

On a beaucoup parlé du rôle de Victoria Nuland, sous-secrétaire d’État du gouvernement actuel, dans le coup d’État et le changement de régime en Ukraine en 2014. Mais son mentor à l’époque n’était autre que Biden. Il a joué un rôle de premier plan dans la transition de Kiev vers un nouveau régime résolument hostile à la Russie.

Entre 2014 et 2016, soit pendant deux années complètes, Biden s’est frotté à la corruption et à la vénalité de la politique ukrainienne comme un poisson dans l’eau. Des allégations sont apparues de temps à autre – selon lesquelles il exerçait une immense influence sur la nouvelle élite de Kiev qui dépendait bien sûr fortement du mécénat US, ce qui aurait permis aux membres de sa famille de réaliser de plantureux gains financiers.

Un reportage de NBC en mai de l’année dernière notait déjà que “si les républicains prennent le contrôle du Congrès, comme cela semble probable, ils utiliseront leur pouvoir d’assignation pour essayer de trouver et de mettre en évidence toute connexion financière entre le père et le fils.”

L’une des premières choses que les républicains ont faites ce mois-ci après avoir pris le contrôle de la Chambre des représentants a été de lancer une enquête officielle sur les allégations visant Hunter Biden, le fils du président.

Cependant, la culture politique étasunienne pue le cynisme, l’hypocrisie et la langue de bois. On peut exclure, sans trop prendre de risques, qu’aucun camp du clivage politique US, à savoir les démocrates et les républicains, se souciera vraiment de faire toute la lumière sur le changement de régime de 2014 en Ukraine – changement ayant conduit à une séquence d’événements poussant la situation jusqu’au bord d’une guerre mondiale.

Le paradoxe est le suivant : si tant est que Biden ou Trump ait commis un crime, ce n’est pas tant dans la compromission de secrets d’Etat que pour le contenu même des documents en question. Et les véritables victimes de ce crime sont d’une part la population ukrainienne qui a subi d’immenses souffrances, et d’autre part le peuple étasunien qui ignore tout le mal que la politique étrangère US a infligé à une autre nation infortunée.

Les secrets enfouis dans ces documents sont probablement bien connus de la communauté mondiale, en particulier des Européens qui étaient en fait complices du crime – et des Russes, bien sûr, qui étaient des témoins muets. Mais c’est le peuple des États-Unis qui a été trompé sur les intentions de la classe politique, les fauteurs de guerre, le complexe militaro-industriel, etc.

C’est pourquoi le contenu de ces documents ne semble pas attiser une grande curiosité. En tout cas, la guerre par procuration des États-Unis contre la Russie bénéficie d’un consensus bipartisan et se poursuivra indépendamment de ce contretemps. Elle continuera à faire plonger les Européens dans les champs de bataille de l’Ukraine, jusqu’à ce que les objectifs soient atteints. Et elle ne ternira pas la relation symbiotique entre Biden et Zelensky.

Cependant, aux yeux de l’opinion US, Trump et Biden semblent avoir mal géré des secrets gouvernementaux. A présent, un avocat spécial cherche à établir leur faute. Tump est coupable, car en vertu du Presidential Record Act, les dossiers de la Maison-Blanche sont censés aller aux archives nationales en fin de mandature et le règlement exige qu’ils soient stockés en toute sécurité.

Le crime de Biden est sans doute encore plus grave. Après tout, le président a le pouvoir de déclassifier des documents. Mais Biden ne l’était même pas lorsqu’il a déplacé les documents de la Maison-Blanche vers son garage privé.

On peut soutenir que Trump n’a pas été pleinement coopératif. Mais dans le cas de Biden, la première découverte remonte au mois de novembre, quelques jours avant les élections de mi-mandat. Or, elle n’a été rendue publique qu’en janvier. Ce qui soulève des questions embarrassantes pour le président sur la transparence et laisse craindre une tentative de dissimulation.

De plus, Biden a accusé Trump d’être “totalement irresponsable”. Mais sa propre excuse aujourd’hui est qu’il a été “surpris” par la présence de documents sensibles dans son ancien bureau. Il était visiblement sur la défensive en expliquant que la deuxième trouvaille, à côté de sa Corvette adorée, se trouvait dans “un garage fermé à clé. OK ? Donc ce n’est pas comme s’ils trainaient dans la rue.”

Ces deux hommes tournent autour des 80 ans. L’un d’eux pourrait bien être le prochain président des Etats-Unis. Mais aucun n’est convaincant. Alors qu’ils lancent leur campagne respective pour l’élection de novembre 2024, cette affaire de documents classifiés pourrait se révéler un casse-tête politique permanent pour chacun d’eux.

Auteur à succès de livres sur la politique US et analyste des plus respecté du pays, Larry Sabato résume ainsi dans les colonnes du Guardian : « Dans l’opinion publique, beaucoup vont maintenant se dire : « Eh bien, que la peste soit de vos deux maisons. Vous êtes tous deux coupables. Honte à vous deux. C’est terminé. »

 

Source originale: People Dispatch

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

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