Trois questions à Saïd Bouamama sur le Rassemblement National qui se dit antisystème

À la veille des élections présidentielles en France, Marine Le Pen occupe la deuxième place dans les sondages. Son Rassemblement National se présente comme un parti antisystème et surfe sur le mécontentement grandissant des Français. Mais si on y regarde de plus près…

 

Jean-Marie Le Pen était un grand défenseur des thèses néolibérales chères à Reagan et Thatcher. Mais comme dans d’autres mouvements d’extrême droite en Europe, un virage a manifestement été amorcé avec Marien Le Pen à la tête du Rassemblement National. On trouve ainsi dans son programme des mesures sociales telles que l’âge de la retraite à 60 ans sous certaines conditions, le retrait de la Loi Travail, l’augmentation des effectifs dans les hôpitaux publics ou encore le refus des traités de libre-échange. Qu’est-ce qui explique ce changement d’orientation ?

Ça s’explique par la stratégie de prise de pouvoir du Rassemblement National. Après avoir grignoté des voix parmi les classes populaires, le RN a compris que la question sociale était un obstacle pour s’implanter de manière plus large. Il a donc opéré un changement pour conquérir l’électorat. Mais si nous observons de plus près l’analyse économique développée par le RN, on constate que ce changement n’est que d’apparence. Par exemple, rien dans son programme n’est annoncé pour nationaliser un certain nombre de grands services publics qui ont été privatisés ou qui sont en grande difficulté. Le RN ne s’attaque pas non plus à l’agro-industrie alors qu’il prétend défendre les agriculteurs. Et il ne remet même plus en cause l’appartenance à l’Union européenne. Le RN émet ainsi des promesses sans s’attaquer aux fondements de l’ordre néolibéral.

Le RN se présente pourtant comme un parti antisystème. Durant des dizaines d’années, on a vu se succéder des partis de droite ou de gauche qui ont finalement appliqué les mêmes politiques, creusant toujours plus les inégalités sociales. Macron devait “dynamiter” le système avec son nouveau mouvement, mais il a finalement poursuivi les mêmes politiques néolibérales. Le RN est-il vraiment un parti différent?

Pour comprendre le discours antisystème du RN, il faut prendre en compte la crise de légitimité du gouvernement français. Aujourd’hui, la très grande majorité de la population ne croit plus aux propositions qui lui sont faites. Elle considère qu’il y a un système social, économique et politique qui va contre ses intérêts. C’est pour coller à ce détachement de la population française que beaucoup adoptent un discours antisystème. Il n’y a pas que le RN. Aujourd’hui, pratiquement tout le monde adopte ce type de discours. Même Macron! Il se présente comme celui qui va venir bousculer si pas transformer le système. Mais ce discours qui se généralise masque le fait qu’on ne s’attaque pas aux fondamentaux, à savoir le pouvoir des grandes multinationales.

Le RN aussi se présente comme un mouvement en dehors des partis traditionnels. Mais il faut regarder de près les propositions économiques de Marine Le Pen. Il y a quelques mesures phares qui sont mises en avant comme l’âge de la retraite. Mais pour tout le reste, elle maintient les fondamentaux des politiques d’austérité. C’est comme dans un supermarché. On a quelques produits pour achalander le client, mais derrière, on a la marchandise habituelle des néolibéraux.

Le pouvoir d’achat, l’accès aux soins de santé et l’environnement composent le trio de tête des préoccupations des Français. Mais le RN, et encore plus Zemmour, reste focalisé sur l’immigration et l’islamisme. Et ces thèmes animent toujours les débats. Pourquoi?

C’est une caractéristique de ces dernières décennies et plus particulièrement de ces présidentielles. Nous avons toute une série d’études qui mettent en évidence les préoccupations premières des Français. Elles tournent autour de la paupérisation croissante et de la qualité des services publics. Mais ce ne sont pas les thèmes qui sont mis au premier plan. Nous avons des débats sur l’immigration qui servent en fait d’écran de fumée et qui alimentent une surenchère entre les partis qui partagent une même logique. D’ailleurs, sur l’immigration, Le Pen n’est pas en rupture avec Macron. Elle considère qu’il est sur la bonne voie, mais qu’il ne va pas assez loin. Pourtant, les études le démontrent, quand on demande ouvertement aux Français leurs principales préoccupations sans leur proposer de liste, l’immigration n’apparait pas comme une priorité.

On a donc construit médiatiquement un problème. Le but est non seulement de produire un écran de fumée, mais aussi d’unir ce qui devrait être divisé et de diviser ce qui devrait être uni. On veut unir le travailleur blanc à son patron et diviser les travailleurs entre eux sur base de la couleur et de l’origine. On cherche ainsi à remplacer la frontière sociale par une frontière ethnique. Ceux qui y ont intérêt, ce sont ceux qui veulent masque la frontière entre les classes sociales. C’est-à-dire ceux qui s’enrichissent de plus en plus pendant que les autres s’appauvrissent de plus en plus.

 

Source: Investig’Action

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