Trois questions à Lucile Daumas sur le journaliste Omar Radi, emprisonné au Maroc

Omar Radi et Julian Assange, même combat? À certains égards, le sort du journaliste marocain rejoint celui du fondateur de Wikileaks. Critiques du pouvoir, tous deux croupissent sous les verrous, sont accusés d’espionnage et ont été flanqués d’une affaire de viol. Lucile Daumas a passé plus de 45 ans de sa vie au Maroc. Elle a participé à la publication de plusieurs ouvrages collectifs et publié de nombreux articles concernant la vie économique et sociale du pays. Elle participe au Comité  de soutien à Omar Radi. Elle nous répond sur l’affaire Omar Radi   et ce qu’elle révèle sur les entraves à l’information indépendante.

 

Peux-tu nous expliquer ce qu’on reproche à Omar Radi?

Omar Radi est un journaliste de 34 ans qui a des démêlés avec la justice depuis deux ans. Ce qu’on sait moins, c’est que ces ennuis avec la police ont démarré depuis 2011, dans le cadre  du mouvement du 20 février. Il est journaliste, mais aussi militant, un double statut qui dérange. Il est harcelé par la police depuis ce moment-là à travers de nombreuses convocations et plusieurs interdictions de presse. Chaque fois qu’il était recruté dans un organe de presse, il y avait un coup de fil pour dire de le virer.

Il s’est retrouvé sans travail pendant de longues années. Il a fait des petits boulots, par exemple comme fixeur pour des journalistes arrivés de l’étranger. Un autre job, qui lui a valu d’ailleurs un des chefs d’accusation, était de faire des bilans pour des sociétés qui voulaient investir au Maroc et voulaient savoir si l’entreprise ciblée était correcte ou pas. Il a fait des tas de petits boulots et il venait à peine de récupérer sa carte de presse lorsqu’il a été arrêté.

Les ennuis plus directs on démarré en avril 2019 quand il a été convoqué à la police judiciaire et finalement inculpé puis jugé pour une histoire abracadabrante d’un tweet qui critiquait les peines contre les militants du mouvement du Rif, cette mobilisation qui avait lieu depuis 2017.

Il faut préciser qu’il a été arrêté juste après un voyage en Algérie. Là-bas, il avait reçu un prix de journaliste d’investigation. Il avait fait des interviews et était intervenu dans un colloque parlant de ses enquêtes du moment, sur les accaparements de terre au Maroc. De toute évidence, c’est la sensibilité de ce dossier qui a poussé la police à s’intéresser plus à ce qu’il faisait. 

Pour cette histoire du tweet contre les peines des militants du Rif, il avait été relâché. Mais il y a eu une grosse campagne à ce moment-là, il a été jugé en liberté provisoire puis il a eu une peine d’emprisonnement avec sursis.

C’était en 2019, mais tout a repris en juin 2020, avec une série de 13 convocations auprès de la police judiciaire, entre juin et juillet, autour de plusieurs axes. Il aurait reçu des financements de l’étranger et fait de l’espionnage. Ça concerne le travail avec les entreprises évoquées précédemment, or c’est quelque chose de courant pour un journaliste économique. Ensuite, une des accusations concernait une bourse reçue de la part de la fondation suisse Bertha pour mener à bien investigations.

L’acharnement a continué à la suite de cette série de convocations. Omar Radi a finalement été inculpé pour atteinte à la sécurité de l’État. C’est ce qu’on utilise souvent contre les journalistes. Dans son cas précisément, il s’agit d’une « inculpation pour financement de l’étranger et espionnage ». On lui a aussi reproché d’avoir des contacts avec quelqu’un de l’ambassade des Pays-Bas à Rabat. Ce qui est vrai, mais c’était dans le cadre d’affaires culturelles. Cette personne a d’ailleurs remis des documents qui auraient pu servir à la défense d’Omar Radi. Mais le tribunal n’a pas voulu utiliser cette pièce à conviction ni inviter cette personne à témoigner.

Il s’est produit fin juillet une autre accusation, par une collègue de travail au sein du journal Le desk, qui a dénoncé Omar Radi pour viol et atteinte à la pudeur. Ce qui est bizarre, c’est que ce chef d’accusation a été retenu et qu’il a été joint à l’autre dossier. Dans le premier dossier, c’est l’État marocain qui est le plaignant. Et là, on joint une affaire de droit commun avec le même tribunal et le même juge sur une question de viol et atteinte à la pudeur.

Omar a reconnu l’acte sexuel entre deux majeurs consentants, mais il nie toute implication dans un quelconque harcèlement et encore moins un viol. On l’a mis à ce moment-là en prison, on n’a pas accepté la détention provisoire. Il a été jugé une première fois, le verdict a été rendu le 19 juillet 2021 et il a écopé de 6 ans de prison ferme avec une amende. Actuellement, il est en prison. Lui et sa famille ont fait appel. Aucun de vices de forme n’a été mis sur le tapis, et les mêmes abus continuent: il y a des refus de témoignages, des refus de documents qui peuvent le disculper, tous les éléments qui permettaient à la défense d’étayer sa plaidoirie… Finalement, le verdict a été prononcé il y a un mois à peu près, le 3 mars 2022, confirmant la sentence du premier procès, à savoir 6 ans de prison ferme. Il n’a jamais été relâché depuis, il a été en situation d’isolement total.

Quelles sont les similitudes entre cette affaire et l’acharnement dont est victime Julian Assange?

Il n’y a pas de signe égal, c’est évident, l’ impact du travail d’Assange et celui d’Omar ne sont pas comparables. En revanche, il y a des points communs.

Tout d’abord, le fait de faire appel à des inculpations de droit commun d’ordre sexuel pour essayer de faire tomber un journaliste et faire en sorte qu’on ne le soutienne pas. En effet, qui voudrait défendre un violeur?

Deuxièmement, il y a la volonté absolue que les affaires ne sortent pas: la corruption et tous ces actes délictueux que peut commettre un gouvernement ne doivent pas être connus du grand public. On assiste à une offensive très forte contre le journalisme d’investigation. Cette offensive ne s’est pas arrêtée à Omar, certains sont en exil, d’autres sont encore au Maroc où il y a des procès contre d’autres journalistes et contre des membres de l’association marocaine des journalistes d’investigation. Cette forme de journalisme fait très peur. Dans le cas de Julian Assange, l’idée est la même. Avec toutes les fuites qu’il y a pu avoir, il faut que le gars ait la trouille de continuer son travail.

Où en est Omar Radi et que peut-on faire pour le soutenir?

Actuellement, il est seul. Auparavant, il était en prison à Casablanca, là où habite sa famille, en même temps que Soulaiman Raissouni. C’est un éditorialiste, il fait du journalisme d’opinion, et il a aussi été condamné pour une affaire de mœurs, sans qu’on parle d’atteinte à la sûreté de l’État.

Omar Radi et Soulaiman Raissouni ne se voyaient pas, ils étaient en isolement tous les deux. Mais Omar vient d’être transféré à la prison de Tiflet, près de Rabat. C’est clairement une façon de l’isoler de sa famille, de l’éloigner. Sa famille est inquiète parce qu’il est atteint la maladie de Crohn qui demande un suivi médical. Ses proches avaient réussi avec de nombreuses difficultés à faire en sorte qu’il soit suivi par médecin à Casablanca. Mais actuellement, nous sommes inquiets parce qu’à Tiflet, c’est peu probable qu’il puisse être bien suivi. Omar n’est plus à l’isolement, mais ils sont entassés à cinq prisonniers dans une toute petite cellule, ce qui n’est pas très confortable.

Sur le plan judiciaire, Omar et sa défense ont porté l’affaire devant la Cour de cassation. Il y a eu beaucoup de vices de forme qui font que dans une procédure normale, une cour de cassation devrait casser le procès. Mais le Maroc n’est pas un pays normal au niveau de l’indépendance de la justice.  

On arrête maintenant aussi des militants qui avaient montré leur solidarité avec Omar et Soulaiman. Un jeune homme a pris deux ans de prison pour des manifestations soutien à Omar. Il y a des manœuvres pour intimider toute personne susceptible de le soutenir!  Il n’est peut-être plus à l’isolement, mais tout est compliqué. Par exemple on l’empêche de recevoir son courrier.

Il y a des comités de soutien au Maroc, en France, en Belgique: Free Koulchi[1] ( qui signifie Liberez les tous!). Ces derniers jours, le comité de France a lancé une campagne pour qu’on lui écrive des lettres. Il faut essayer de rompre cette barrière, c’est bien de relayer un maximum. C’est une idée parmi d’autres, il y a eu aussi des manifestations à Paris, à Bruxelles, à Strasbourg. D’ailleurs quelque chose se prépare auprès du Parlement Strasbourg. Les comités de soutien prennent des initiatives pour élargir la mobilisation.

Un point important selon moi, c’est déjà que la presse en parle. Au début, Omar avait reçu un peu soutien des journalistes en général, mais aussi des journalistes marocains. Actuellement, on les entend plus beaucoup. Le fait de publier des articles, de ressortir l’affaire pour qu’on ne l’oublie pas, c’est déjà très important!

 

Source: Investig’Action

Note:

[1] http://cadtm.org/Liberez-Omar-Radi-et-tous-les-journalistes-emprisonnes-au-Maroc

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