Trois questions à Jean-Pierre Page sur le congrès de la CGT

Le mouvement social bat son plein en France, organisé contre la réforme des retraites qu’Emmanuel Macron cherche à imposer coûte que coûte. Dans cette période agitée, la CGT tenait un congrès important la semaine passée avec le départ de Philippe Martinez qui était en fin de mandat.

 
Pourquoi Philippe Martinez a été désavoué ?
 
Les délégués du 53e congrès de la CGT ont majoritairement voté contre le rapport d’activité qui est censé sanctionner trois années d’activités de la direction de la CGT. Pour la première fois en 127 ans, les délégués ont majoritairement voté contre, c’est un événement sans précédent à fortiori dans cette période de luttes intenses.  Les raisons en sont simples. Elles touchent à la stratégie de lutte avec une absence de volonté politique de la part de Philippe Martinez de confédéraliser les luttes afin de construire un rapport de forces pour gagner. L’expérience démontre qu’ avec des journées “saute mouton” c’est-à-dire sans lendemain, avec une politique d’ alliances privilégiant les accords eurocompatibles avec les syndicats réformistes et de partenariat avec le patronat, on ne débouche que sur des reculs. Par ailleurs, pendant toutes ces années Philippe Martinez a fait preuve d’un dirigisme inacceptable et d’un alignement sur la CFDT au détriment de notre indépendance. Cette orientation a coûté très cher à la CGT qui est devenue la seconde confédération syndicale.
 
Comment expliquez-vous une telle évolution ?
 
Principalement parce que la qualité de la vie démocratique de la CGT a beaucoup régressé . La professionnalisation de la vie syndicale, la bureaucratie se sont beaucoup développées sur le mode syndical européen. Un fossé s’est creusé entre une confédération vivant sur elle-même et pour elle-même et le reste des structures professionnelles et interprofessionnelles encourageant ainsi le repli sur soi. La CGT a vu ses ressources financières dépendre au niveau de 70% d’institutions y compris européennes. Et puis surtout la dépolitisation a fait des ravages. Après avoir purgé nos statuts de toute référence par exemple à la “socialisation des moyens de production et d’échange “, la CGT a perdu sa boussole qui était l’éradication du capitalisme et l ‘émancipation des travailleurs.
 
Que pensez-vous des choix pour la nouvelle direction et que peut-on souhaiter pour l’avenir de la CGT ?
 
Sur les réseaux sociaux, un grand nombre de commentaires de personnes de la CGT consiste à dire que “tout va bien” avec l’élection de Sophie Binet, une femme, une jeune, une cadre. Et même si elle a été au PS – une erreur de jeunesse sans doute – tout va bien, ça baigne. Comme si Sophie Binet, avec les positions qui sont les siennes, allait régler la crise de la CGT. Elle est dans la direction depuis longtemps ainsi que dans l’UGICT qui par ailleurs est le repère des réformistes dans la CGT. Balayer les causes profondes d’une crise sous le tapis et se rassurer à bon compte ne réglera rien. Après l’intermède Lepaon puis Martinez, l’objectif de la nouvelle direction de la CGT demeure celui de relancer après plus de 20 ans de défaites la stratégie de syndicalisme rassemblé de Viannet, Thibault entre autre avec la CFDT et la CES en Europe.
 
Pour consolider le courant réformiste eurocompatible dans le mouvement syndical, le choix du congrès s’est donc porté in extremis et dans les conditions d’un chaos sans précédent sur Sophie Binet. Les solutions politiciennes de la gauche plurielle ne peuvent correspondre aux exigences d’un combat de classe que les travailleurs devront mener de toute façon. C’est comme toujours à travers  la pratique que la clarification se fera. Le congrès a aussi mis en évidence un potentiel militant indiscutable de jeunes dirigeants clairvoyants. Ce sont ceux-là et nul autre qui permettront à la CGT de retrouver les couleurs rouges qui sont les siennes.
 
Ensuite, il faut souhaiter à la CGT que ses syndicats se réapproprient leur confédération, qu’ils deviennent vraiment les décideurs et les acteurs, ce qui permettra de redonner ainsi du sens à la démocratie ouvrière. La période intense de lutte de classes que nous connaissons actuellement est une opportunité permettant de clarifier le contenu, les enjeux et le rôle de chacun. Le congrès de la CGT démontre que sa base demeure lucide et combative avec un rajeunissement possible, cela ouvre bien des perspectives.
 
 
Photo: Robin Delobel
 
 
 
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