Soutenu par les États-Unis, le TPLF relance la guerre dans le nord de l’Éthiopie

Rejetant les négociations de paix menées par l’Union africaine, le TPLF a appelé à une intervention occidentale en Éthiopie avant de reprendre la guerre le 24 août. La trêve de cinq mois passée avec le gouvernement fédéral éthiopien a ainsi été rompue, quelques semaines après que des envoyés des États-Unis et de l’Union européenne aient visité la base du TPLF.


Enrôlés sous la menace par le Front populaire de libération du Tigré (TPLF), des jeunes de l’État du Tigré, situé à l’extrême nord de l’Éthiopie, poursuivent l’attaque du district de Raya Kobo dans l’État voisin d’Amhara. Cela fait six jours que le TPLF a relancé la guerre civile.

Selon un communiqué du 27 août du gouvernement éthiopien, les troupes fédérales se sont retirées de la ville de Kobo et ont pris des positions défensives dans sa périphérie afin d’éviter des pertes civiles massives dans les combats urbains. Tout en laissant la porte ouverte à des négociations sous l’égide de l’Union africaine (UA), le gouvernement fédéral éthiopien a toutefois déclaré qu’il serait “contraint de remplir son devoir légal, moral et historique” si le TPLF ne s’arrêtait pas.

En novembre 2020, le TPLF avait déclenché une guerre civile en attaquant une base de l’armée fédérale à Mekele, la capitale du Tigré. La trêve humanitaire qui avait été conclue il y a cinq mois s’est effondrée le 24 août, après que le TPLF ait lancé cette attaque sur Raya Kobo.

L’autoroute A2 – un axe essentiel reliant la capitale éthiopienne Addis-Abeba et Mekele – traverse ce district stratégique d’Amharan, situé au nord-est de la zone de Wollo Nord, à la frontière du Tigré au nord et de l’Afar à l’est.

Les civils d’Amhara et d’Afar ont déjà subi des massacres, des viols, la faim et la maladie avec le pillage et la destruction des entrepôts de nourriture et des installations médicales, lorsque le TPLF a envahi le Tigré au milieu de l’année dernière.

La percée du TPLF vers le sud a commencé peu après que le gouvernement ait déclaré un cessez-le-feu unilatéral et retiré les troupes fédérales du Tigré le 29 juin 2021, afin d’éviter que les combats ne perturbent la saison agricole. L’insécurité alimentaire dans la région avait déjà atteint des niveaux d’urgence.

Au cours des mois suivants, le TPLF a volé des centaines de camions du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies qui transportaient de l’aide alimentaire vers le Tigré. Et en s’appuyant sur des forces conscrites, il a rapidement progressé vers l’Amhara et l’Afar. En août de la même année, Raya Kobo était tombé aux mains du TPLF. Dans la seule ville de Kobo et ses environs, le TPLF aurait tué plus de 600 civils en septembre.

Avançant plus au sud le long de l’A2, le TPLF a capturé plusieurs autres villes amhariques et s’est approché à moins de 200 kilomètres de la capitale Addis Abeba à la fin de l’année. À l’est, dans l’Afar, le TPLF est descendu jusqu’à Chifra, à seulement 50 km du district de Mille, où il avait l’intention de s’emparer de l’autoroute critique reliant la capitale de l’Éthiopie enclavée au port du voisin Djibouti. Toutefois, si l’utilisation de vagues humaines avait permis aux offensives du TPLF d’engranger une progression rapide, elle avait également épuisé ses forces qui avaient alors subi de lourdes pertes.

Le retournement de situation a commencé en décembre, lorsque les forces combinées des troupes fédérales et des milices régionales d’Afar et d’Amhara ont repoussé le TPLF. Le TPLF s’était alors déployé loin au sud de sa base du Tigré. Tout au long de son périple, le mouvement rebelle s’était attiré les foudres de la population civile en commettant des massacres, des pillages et des viols. Au début de l’année 2022, le TPLF avait été repoussé dans le Tigré et y était encerclé.

Cependant, le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed, sous une énorme pression internationale, a ordonné aux troupes de monter la garde à la frontière du Tigré et de ne pas entrer dans l’État. En mars 2022, le gouvernement a déclaré unilatéralement une trêve humanitaire pour permettre l’acheminement pacifique de l’aide dont le Tigré a tant besoin. Le TPLF a suivi. Malgré des affrontements occasionnels, la trêve a largement tenu sur le terrain au cours des cinq derniers mois. Pendant cette période, le haut représentant de l’Union africaine (UA) pour la Corne de l’Afrique, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, a fait des allers-retours entre Addis-Abeba et Mekele pour préparer les négociations de paix.

Puis, le 2 août, l’envoyé spécial étasunien pour la Corne de l’Afrique, Mike Hammer, la chargée d’affaires US en Éthiopie, Tracey Jacobson, et l’envoyée de l’Union européenne (UE), Annette Weber, ainsi que d’autres diplomates occidentaux, se sont rendus à Mekele et ont rencontré les dirigeants du TPLF. Peu après cette visite, critiquée par le gouvernement éthiopien, le TPLF a commencé à se mobiliser à nouveau pour la guerre.

Un protégé des États-Unis et de l’Union européenne

Deux jours avant de reprendre la guerre en lançant l’attaque sur Raya Kobo le 24 août, le TPLF avait contesté la crédibilité de l’UA et avait appelé à une intervention occidentale à travers une tribune parue dans l’African Report du 22 août. Publié à l’origine sous la signature du président du TPLF, Debretsion Gebremichael, puis sous celle du porte-parole Getachew Reda, ce texte condamne d’abord l’UA pour avoir prétendu “qu’il y a un espoir de percée diplomatique imminente concernant les pourparlers de paix”.

Le texte condamne aussi l’UA pour avoir salué l’adhésion du régime d’Abiy à un processus de paix mené par l’UA” et pour avoir appelé “le TPLF à faire de même”. Le texte poursuit en disant que “le régime d’Abiy a clairement indiqué qu’il n’était prêt à participer qu’à une initiative de paix menée par l’UA. Le régime Abiy recule devant la possibilité que l’Occident démocratique prenne part directement ou indirectement au processus de médiation.”

Critiquant le “blocage persistant” du gouvernement fédéral contre la visite des émissaires US et européens au Tigré “jusqu’à récemment”, l’article affirme que cela “reflète la crainte [du gouvernement éthiopien] d’être contraint de donner une chance à la paix.” En ne permettant pas aux États-Unis et à leurs alliés de jouer un rôle de médiateur dans le processus de paix, le “régime d’Abiy n’a pris aucune mesure pratique pour démontrer un engagement sincère en faveur de la paix”, affirme l’article.

“Malgré l’inefficacité de la Commission de l’UA (…) à faire avancer le processus de paix, le reste de la communauté internationale reste réticent à intervenir en raison d’un engagement bien intentionné, mais inapproprié envers l’idée selon laquelle il faut des “solutions africaines pour les problèmes africains””, a déclaré le TPLF.

Le gouvernement éthiopien “a exploité cette sensibilité compréhensible… en rejetant sans ménagement les propositions de paix non africaines comme une forme de “néocolonialisme””, affirme l’article. Il mettait également en garde “la communauté internationale” contre ce qu’il considérait comme un “subterfuge panafricain”.

En appelant à une intervention de l’Occident, le TPLF a “finalement révélé la vérité sur lui-même – qu’il est un protégé de forces extérieures, principalement des États-Unis et de l’UE”, a déclaré l’ancien diplomate et historien éthiopien Mohamed Hassan à Peoples Dispatch.

Avec le soutien des États-Unis, le TPLF a dirigé l’Éthiopie de manière autoritaire pendant près de trois décennies à partir de 1991, date à laquelle tous les partis politiques extérieurs à la coalition au pouvoir qu’il dirigeait ont été interdits. Il n’y avait pas de place pour une presse libre. Au cours de cette période, l’Éthiopie s’était désintégrée en une fédération faillite d’États régionaux organisés de manière ethnique, chacun disposant de ses propres milices.

En 2018, de massives manifestations pro-démocratiques ont chassé le TPLF du pouvoir central et l’ont réduit à une force régionale dirigeant le seul Tigré. Abiy Ahmed s’est imposé à ce moment-là comme un Premier ministre progressiste avec la vision d’un nationalisme éthiopien inclusif transcendant les divisions ethniques.

Outre l’ouverture de l’espace politique à l’intérieur du pays et l’autorisation de la liberté de la presse, les réformes d’Abiy Ahmed se sont étendues à la politique étrangère. En signant un accord de paix avec l’Érythrée peu après son accession au poste de Premier ministre, il a mis fin à un conflit de plusieurs décennies avec le voisin du nord que le TPLF avait désigné – et continue à considérer – comme une nation ennemie. Ahmed a reçu le prix Nobel de la paix pour cet accord.

Cet accord a par ailleurs été suivi d’un autre, tripartite, dans lequel l’Éthiopie, l’Érythrée et la Somalie ont déclaré que le conflit entre les trois États avait été résolu et que leurs relations étaient entrées dans une nouvelle phase fondée sur la coopération.

Une telle “résolution de l’antagonisme entre les États et les peuples africains n’est pas appréciée par les États-Unis et l’Union européenne. Ils trouvent que c’est un très mauvais exemple, car, à long terme, cela pourrait affaiblir et finalement faire s’effondrer l’OTAN de l’Afrique, à savoir le Commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM)”, a soutenu Hassan dans une interview accordée à Peoples Dispatch en novembre de l’année dernière.

Au moment de ces événements, le gouvernement de Donald Trump aux États-Unis, de manière habituellement aberrante, décidait de se désengager de l’Afrique, ignorant les menaces qui pesaient sur les intérêts de l’impérialisme US. Mais avec le gouvernement Biden, l’ancien establishment de la politique étrangère a marqué son grand retour. Après avoir remporté les élections et avant même de retourner à la Maison-Blanche, l’establishment conduit par Biden a poussé le TPLF à déclencher cette guerre en novembre 2020, accuse Mohamed Hassan.

Toutes les manœuvres diplomatiques de l’administration Biden visent depuis lors à dépeindre le gouvernement fédéral éthiopien, qui mène une guerre défensive, comme l’agresseur. Les États-Unis ont également annoncé plusieurs sanctions contre l’Éthiopie.

La jeunesse tigréenne de moins en moins disposée à servir la guerre du TPLF contre l’Éthiopie

Malgré le soutien extérieur, le TPLF perd de plus en plus d’autorité au Tigré même, affirme Hassan. “Il y a des protestations contre le TPLF partout dans le Tigré, en particulier dans les régions du nord. Il y a maintenant des partis politiques au Tigré qui s’opposent à l’hégémonie du TPLF”, a-t-il déclaré.

Dans un discours adressé aux habitants de Mekele à la mi-août, deux semaines à peine après la visite des émissaires occidentaux, le président du TPLF, Debretsion Gebremichael, n’a laissé apparaître aucune confiance politique ou militaire lorsqu’il a menacé : “Le Tigré ne sera que pour ceux qui sont armés et qui se battent. Ceux qui sont capables de se battre, mais ne veulent pas se battre n’auront pas de place au Tigré. À l’avenir, il leur manquera quelque chose. Ils n’auront pas les mêmes droits que ceux qui ont rejoint les combats. Nous travaillons sur cette réglementation.”

Une telle menace, alors que la pratique de la conscription, y compris celle des enfants soldats, est déjà en place, reflète un refus croissant de la jeunesse tigréenne de servir la guerre du TPLF.

Après avoir interrogé 15.000 combattants tigréens qui se sont rendus ou ont été capturés dans un camp à Chifra, dans l’Afar, en mars et avril de cette année, Ann Fitz-Gerald, directrice de la Balsillie School of International Affairs, a écrit dans son document de recherche :

“Les seules alternatives au recrutement… étaient d’être condamnées à une amende, de ‘voir le malheur arriver à leur famille’ et de voir les membres de leur famille, quel que soit leur âge, être emprisonnés”. Une combattante a justifié sa décision de s’enrôler par son désir de protéger son frère, qui avait besoin d’un traitement médical ; un autre sujet qui avait de jeunes enfants a décrit comment les forces spéciales l’attendaient sur son lieu de travail le lendemain après avoir exprimé le souhait de ne pas rejoindre les forces en raison de ses jeunes enfants et de sa femme malade. Lorsqu’il a essayé de fuir les membres paramilitaires, on lui a tiré dessus et il n’a eu d’autre choix que de se rendre et de rejoindre les troupes.”

Les combattants qui se sont rendus ont déclaré avoir reçu des soins médicaux et un traitement décent après avoir déposé les armes et “ont confirmé que les soldats de l’ENDF [Forces de Défense nationale éthiopiennes] qui travaillent au centre du bassin de l’Awash mangent dans le même local la même nourriture que les combattants qui ont été capturés ou qui se sont rendus.”

Le TPLF, quant à lui, leur avait “ordonné de se suicider avant d’être capturés”. Ne l’ayant pas fait, ces troupes qui se sont rendues et qui ont été capturées ne peuvent pas retourner au Tigré où leur vie est en danger. Avec un nouveau cycle de recrutement en cours pendant la période de trêve cette année, des milliers de civils tigréens ont fui l’État au cours des derniers mois pour échapper à la conscription. Des centaines d’entre eux ont été arrêtés et détenus par le TPLF.

Néanmoins, le TPLF a réussi à imposer des conscriptions considérables, comme en témoignent les vagues de jeunes qui ont attaqué Raya Kobo. Le poste de police principal de Kobo était le centre où la plupart des combattants du TPLF interrogés par Fitz-Gerald s’étaient rendus après que son attaque de l’année dernière ait été repoussée.

“Le TPLF n’est pas une organisation rationnelle. Ils utilisent des vagues humaines comme chair à canon, envoyant des dizaines de milliers de jeunes Tigréens à la mort sans rien gagner. Ils n’ont aucun égard pour le droit à la vie de la population du Tigré”, a déclaré Hassan.

Le TPLF prive les Tigréens de nourriture

Pas moins de 83 % de la population du Tigré est en situation d’insécurité alimentaire, selon un rapport du PAM publié en janvier de cette année. Plus de 60 % des femmes enceintes ou allaitantes y souffrent de malnutrition et la plupart des gens dépendent de l’aide alimentaire pour survivre.

Dans ces circonstances graves, peu après la reprise de la guerre par le TPLF le 24 août, “l’entrepôt du Programme alimentaire mondial à Mekele, capitale de la région du Tigré, a été pénétré de force par les forces du Tigré, qui ont pris 12 camions-citernes pleins de 570.000 litres de carburant”, a déclaré Stéphane Dujarric, porte-parole principal du Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.

“Des millions de personnes vont mourir de faim si nous n’avons pas de carburant pour livrer la nourriture. C’est OUTRAGEUX et DÉSHONORANT. Nous exigeons le retour de ce carburant MAINTENANT”, a tweeté le directeur exécutif du PAM, David Beasley.

“Ces stocks de denrées alimentaires et de carburant sont censés être utilisés pour apporter une aide humanitaire à la population pacifique du Tigré, qui souffre de différentes calamités d’origine humaine et naturelle”, a déclaré l’ambassadeur russe en Éthiopie, Evgeny Terekhin, le 25 août.

“Je ne peux pas imaginer que quiconque de sensé dans la communauté internationale soutienne de tels actes…. Bien sûr, je comprends que certaines parties vont essayer de s’abstenir de condamner, mais… tout le monde comprendra… ce qui se passe”, a-t-il ajouté.

“Les États-Unis se joignent aux Nations unies pour exprimer leur inquiétude au sujet des 12 camions de carburant qui ont été saisis par le TPLF”, a déclaré le Bureau des affaires africaines du Département d’État américain dans un tweet. “Le carburant est destiné à l’acheminement d’une aide humanitaire essentielle pour sauver des vies & nous condamnons toute action qui prive l’aide humanitaire d’atteindre les Éthiopiens dans le besoin.”

 

Source originale: Peoples Dispatch

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

Photo: En décembre, avec le soutien des milices Amharan et Afar, l’armée fédérale éthiopienne, dirigée par le Premier ministre Abiy Ahmed, avait repris des villes au TPLF, les forçant à se rendre. Photo : Service de communication du gouvernement de la République fédérale démocratique d’Éthiopie

 

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