Redémarrage des écoles : expérience insensée et mortelle

Le spectacle doit continuer. Le plan initial du ministre flamand de l’Enseignement Ben Weyts (N-VA) s’est immédiatement révélé irréalisable. Et ce n’est pas le pire. Le plan crée plus de problèmes qu’il n’en résout et complique une approche à long terme. Mais surtout, il met inutilement en péril des vies humaines. Explications de Carine Dedeygere, enseignante du secondaire.


Les enfants “sûrs”?

Quasi tout le monde aimerait que les enfants retournent à l’école. Mais de nombreux parents sont – à juste titre – inquiets, non seulement pour leurs enfants, mais aussi pour eux-mêmes ou pour les grands-parents résidant chez eux. On essaie de faire taire ces inquiétudes. Les enfants de moins de dix ans ne seraient pas contaminés et donc incapables de transmettre le virus. Cette hypothèse, issue d’une étude islandaise, est de plus en plus répandue dans les médias comme une certitude scientifique.

Elle est pourtant loin de faire l’unanimité. Ainsi la prestigieuse équipe d’intervention COVID-19 de l’Imperial College du Royaume-Uni, est d’avis que les enfants transmettent les infections tout autant que les adultes. C’est au départ de cette hypothèse que les experts ont insisté pour la fermeture rapide des écoles. C’est aussi la raison pour laquelle l’ordre des médecins français s’oppose fermement à la réouverture des écoles primaires de leur pays, annoncée pour le 11 mai.

Une étude allemande portant sur 3 712 patients COVID-19 montre que « les charges virales chez les très jeunes ne diffèrent pas significativement de celles des adultes. .. Les enfants peuvent être aussi contagieux que les adultes. » Une autre étude allemande montre « que les écoles sont d’importantes sources de transmission des infections ». La Grande-Bretagne, a vu une forte augmentation du nombre d’enfants gravement malades, présentant des réactions inflammatoires liées au Covid-19. Les médecins tirent la sonnette d’alarme.

D’autres recherches ont montré que rassembler les gens dans des espaces clos, comme les cafés, les théâtres, les églises, etc. est le meilleur moyen de propager la maladie. La plupart des salles de classe sont des espaces fermés, relativement petits, où 15 personnes seront bientôt invitées à prendre place ensemble.

Les scientifiques honnêtes ne peuvent qu’admettre qu’à l’heure actuelle ils savent très peu de choses sur le coronavirus. Un article de la revue médicale de premier plan The Lancet vient encore de le souligner. Et cela s’applique certainement à la propagation du virus chez les enfants, précisément parce qu’ils en sont si peu malades et par conséquent moins testés et examinés.

Si les enfants sont vraiment tant «à l’abri» du virus qu’on l’affirme, pourquoi leur est-il formellement interdit de rendre visite à leurs grands-parents?

Cobayes

Une de mes collègues a dit qu’elle avait l’impression d’être utilisée comme cobaye. Malheureusement, bien plus qu’un sentiment, c’est la réalité. Précisément parce que nous en savons encore si peu sur ce virus, chaque stratégie de sortie ou d’adaptation constitue une grande expérience. Normalement les expériences se font dans le cadre de laboratoires. Or ici, la population-même constituera le matériel d’essai. Lors d’expériences à haut risque, les candidats sont traités avec la plus grande prudence imaginable. Or ici, ce n’est vraiment pas le cas. Apparemment, les motifs économiques passent avant les risques sanitaires.

Le secteur des soins de santé nous a fait savoir à quel point il est dangereux pour le personnel – mais aussi pour les patients et les personnes âgées – de s’occuper quotidiennement de personnes (potentiellement) infectées. Il en va de même pour l’éducation. La ville de New York a été gravement touchée par la pandémie. Pas moins de 68 enseignants y sont décédés à cause du Covid-19.

L’économie ou la vie

Beaucoup de mes collègues plus âgés sont très inquiets à l’idée de reprendre contact avec les élèves, dont ils savent que beaucoup d’entre eux ne respectent pas les règles de la «distance de sécurité». Il était convenu que le Conseil national de sécurité établirait un profil de risque pour les enseignants. On l’attend encore.

Toute la question est de savoir ce qui va prévaloir: sécurité ou argent ? Sur la base de quels arguments l’âge du risque pour le personnel enseignant sera-t-il déterminé? De toute évidence, le gouvernement aurait le moins de coûts et le moins de problèmes d’organisation en fixant l’âge du risque à 65 ans. C’est l’âge de la retraite. Cela permettrait en fait, de ne rien changer du tout..

 Si, par contre, la sécurité prévaut, tous les enseignants de plus de 55 ans appartiennent au groupe à risque. Les chiffres le démontrent clairement.[1] Le risque de décès pour la catégorie des 55 à 60 ans en cas d’infection s’élève à 1,8 %. C’est 9 fois plus que chez les moins de 40 ans et 4 fois moins que chez les plus de 70 ans. Pour les 60 à 65 ans le taux de mortalité en cas d’infection est de 2,95, soit 15 fois plus que les -40 ans et seulement 2,7 fois moins que ceux de plus de 70 ans. En cas d’infection, les hommes meurent 1,65 fois plus que les femmes.

A titre d’information : si vous vous inscrivez comme bénévole à la ville de Malines (ou toute autre ville en Flandre), vous pouvez vous faire assurer, sauf si vous avez plus de 55 ans. Une fois passé ce cap, vous appartenez vraisemblablement à un groupe à risque, pour qui les frais d’assurance sont trop élevés.

Si la sécurité prévaut, il ne fait aucun doute que le groupe d’enseignants les plus âgés devrait être déployé à domicile. Le choix des 55 ans et plus, ou des 65 ans et plus, comme groupe à risque, montrera en tout cas clairement ce qui compte vraiment pour le gouvernement : l’argent ou la vie.

« Insensé, sans aucun rendement »

Pour des raisons économiques, Weyts a entraîné tout le champ éducatif à ouvrir les écoles à tout prix, le plus possible et au plus vite. Très rapidement, ses propositions se sont avérées totalement irréalisables sur le terrain. Une organisation gigantesque est nécessaire pour orienter le redémarrage dans la bonne direction – qui n’est pas vraiment sécurisée, car la «distance de sécurité» ne peut être garantie. Un simple calcul suffit pour voir que les groupes du secondaire qui commenceront d’abord, du 18 mai à la fin juin, bénéficieront d’au maximum 6 jours de classe complète. Pour les autres groupes, il s’agira d’un maximum de quatre jours. En d’autres termes, toute l’organisation doit être chamboulée en un temps record pour seulement 4 ou 6 jours de cours. Ce n’est pas pour rien que mon directeur me dit: « tout à fait insensé, sans aucun rendement ».

Impossible en outre de combiner une telle organisation avec un enseignement à domicile de qualité. Il n’y a tout simplement pas assez de personnel. Dans un tweet, le professeur Jacobs évoque « un besoin ‘d’excellence’ illusoire ». Non seulement illusoire, mais aussi idiot et contre-productif. Il serait vraiment préférable d’utiliser cette période comme période d’essai pour bien préparer la rentrée de septembre, pour établir des plans d’urgence pour les fermetures futures, pour bien accompagner et orienter les étudiants en fin de parcours, et pour accorder une attention particulière aux élèves qui ont des soucis par rapport à l’enseignement à domicile et qui restent sur la touche. Ceci en combinaison avec l’enseignement à domicile, où la plupart des enseignants ont maintenant acquis l’expertise requise.

En Italie et en Espagne, pays dont les chiffres de contamination par habitant sont similaires à ceux de la Belgique, les écoles ne rouvriront pas avant le 1er septembre.

L’humour est très important, surtout en temps de crise. Tout cirque a besoin d’un clown. Mais que penser d’un ministre qui fait des clowneries, ou pire, si le clown devient ministre ?

 

Source: Investig’Action

Note

[1] Les chiffres et le graphique sont basés sur Worldometer, Coronavirus Worldwide Graphs.

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