Quel avenir pour la gauche paraguayenne ?

Par deux fois en avril et mai 2018 la presse française s’est intéressée, rapidement, il faut le préciser, à un petit pays d’Amérique du sud : le Paraguay. Les élections générales, présidentielles et législatives, du 22 avril sont venues nous rappeler que les fantômes de la dictature rôdent toujours et sont prêts à resurgir quand les forces démocratiques et sociales ne parviennent plus à convaincre les électeurs des couches populaires qu’elles défendront un projet de progrès humain. Toutefois, au regard des résultats, la coalition de centre gauche a fait un score tout à fait honorable, avec 42,72% des suffrages. On peut pourtant se demander si cette gauche composite sera en capacité, et aura la possibilité, de construire un projet politique pour les prochaines élections, dans cinq ans, véritable alternative au gouvernement ultra conservateur qui vient d’être élu.

 

La gauche paraguayenne

 

Les partis de gauche au Paraguay ont eu leur histoire perturbée par la longue dictature du Général Stroessner (1954-1989) qui a interdit toute opposition en éliminant physiquement ou en contraignant à l’exil ses dirigeants, ses militants et ses sympathisants. La « révolution de 1989 » qui a démis le dictateur fut une révolution de palais : les militaires, dont les intérêts étaient liés au secteur économique, souhaitaient ouvrir le Paraguay au marché international libéral dans le contexte du début de la mondialisation. La démocratie était un élément incontournable pour entrer dans le concert des Nations.

Tous les partis furent légalisés. Pourtant le Partido Colorado gouvernera jusqu’en 2008 avec l’aide du Partido Liberal et de nouveau en 2018, avec l’élection de Mario Abdo Benitez, fils du secrétaire du dictateur Stroessner.

L’opposition au Partido Colorado s’est structurée dans les dernières années du régime dictatorial mais en intégrant l’idée d’une démocratie limitée à sa définition politique, pouvant inclure les adversaires politiques pourvu qu’ils acceptent l’organisation d’élections libres. Pendant la période de transition, partis au pouvoir et opposition utilisèrent les structures légales du régime antérieur, cependant qu’un mouvement d’éducation populaire se mettait en place pour construire un cadre démocratique (projet Sakä, consortium d’ONGs).

L’opposition s’organisa à la fin des années 90 et au début des années 2000 à partir des organisations paysannes qui protestaient lors de la crise du coton. Le modèle d’agriculture industrielle du soja pour l’exportation paupérisait le monde rural et avaient des répercutions sur l’ensemble de la société. Des coalitions se formèrent en 2002, et tentèrent d’entrer dans le jeu politique. La Federación Nacional Campesina (FNC) et la Mesa Coordinadora Nacional de Organizaciones Campesinas (MCNOC) s’unirent avec d’autres organisations pour s’opposer à des projets de privatisation ; le Congreso Democrático del Pueblo (CDP) présenta des revendications et obtint satisfaction sur certains points.

Certaines de ces organisations firent alliance pour soutenir la candidature de Fernando Lugo en 2008. Pourtant elles participèrent aux élections en rang dispersé, et le Congreso appela même à l’abstention.

Après l’élection de Fernando Lugo, les organisations sociales et les partis politiques de centre-gauche construisirent une coalition de soutien au gouvernement et participèrent directement au pouvoir exécutif. Entre 2008 et 2011 un clivage gauche-droite apparaissait, qui n’existait pas jusqu’alors, comme nous l’avons souligné antérieurement. Deux modèles sociaux-économiques s’affrontèrent et trouvèrent leur expression au niveau politique. Cette mutation se fit dans le contexte du socialisme bolivarien au Venezuela qui entraîna l’apparition de gouvernements progressistes dans plusieurs pays sud-américains.

Pourtant Fernando Lugo n’avait pas été élu sur un projet socialiste, ni avec une coalition de gauche mais bien avec le vote citoyen anti Partido Colorado et le vote libéral (Partido Liberal Radical Auténtico). Cependant Fernando Lugo fut un des membres de ce socialisme bolivarien ; il appuya la formation d’une plate-forme socialiste – le Frente Guasu – formé de 19 partis et mouvements. Mais le Paraguay n’ayant pas un parti socialiste fort, la destitution de Fernando Lugo provoqua la chute de cette gauche composite qui n’avait de pouvoir qu’au niveau exécutif et non au niveau législatif.

Une période de reconstruction s’ouvrait de nouveau, ou plutôt de construction d’une gauche capable de s’imposer dans des élections générales avec un projet socialiste non dissimulé.

 

La nouvelle gauche paraguayenne existe-t-elle ?

 

Comme en 2002, un mouvement social et politique unitaire de la gauche s’est réuni en congrès (Congreso Unitario Del Pueblo), avec pour mot d’ordre « contre la privatisation, et pour la justice, la terre et le travail » selon les termes de Perla Alvarez de la Coordination Nationale des Femmes Travailleuses, Rurales et Indigènes (CONAMURI). La plate-forme comprend le Frente Guasu et diverses organisations paysannes, ouvrières, étudiantes. Mais seul le Frente Guasu envisageait d’avoir des candidats aux élections générales de 2018.

La gauche paraguayenne se reconstruisit donc sur les mouvements populaires de protestation et sur le dénigrement du président conservateur Horacio Cartes du Partido Colorado au pouvoir après la destitution de Fernando Lugo. En avril 2017 Horacio Cartes essaya de faire modifier la constitution pour pouvoir se représenter. Le parlement fut assailli par des manifestants du Partido Liberal qui y mirent le feu et le président renonça à se représenter. Les deux partis conservateurs Partido Colorado et Partido Liberal luttaient pour le même pouvoir ; la droite était donc divisée. La gauche pouvait représenter une alternative dans ce contexte mais elle avait, elle aussi, une culture politique oligarchique. En effet, Fernando Lugo a déclaré vouloir être candidat ce qui a engendré des divergences au sein de la gauche.

Au lieu de profiter de la crise de la classe dominante, et de s’allier le Frente Guasu, Avanza País s’allia chacun avec une frange de la droite. La Federación Nacional Campesina n’a pas voulu participer au jeu electoraliste, disant que le peuple avait d’autres problèmes à résoudre. Selon Raúl Zibechi, droite et gauche ont la même culture politique au Paraguay.

Pour la préparation des élections de 2018, une alliance de centre gauche, GANAR, s’est constituée regroupant le Parti Libéral (PLRA), le Frente Guasu et Avanzar, plus quelques autres petites organisations. L’objectif affiché était d’en finir avec le « stroessnisme » . C’est donc une alliance pragmatique. Il s’agissait de construire un co-gouvernement sur un programme en huit points : Justice, Environnement, Santé, Éducation et Culture, Justice devant l’impôt, Souveraineté hydro-électrique, Peuples indigènes et État de droit. Le programme prévoyait un ensemble de réformes constitutionnelles.

Le candidat choisit par l’alliance GANAR a de quoi surprendre. Efrain Alegre a été de ceux qui ont voté pour la destitution de Lugo, il a été candidat du Partido Liberal Radical Auténtico (PLRA) à la présidence en 2013 contre le Partido Colorado dans une alliance Paraguay Alegre. C’est un professionnel de la politique, ayant très peu excercé son métier d’avocat. C’est un catholique anti-avortement, dont les positions sociétales s’opposent à certaines organisations de l’alliance.

Aux élections du 22 avril 2018 le Partido Colorado l’a emporté d’assez peu (46,49%) et Efraín Alegre (42,72%) a dénoncé la fraude électorale. Pour la deuxième fois en peu de temps, le Paraguay a fait parler de lui dans les médias occidentaux en reconnaissant, dans le sillage des Etats-Unis, Jérusalem comme capitale d’Israël. Le ton était donné.

 

Une autre gauche

 

La gauche traditionnelle, celle qui prend naissance à la fin du XIXe siècle, socialiste, communiste et libertaire, a très peu existé au Paraguay, la guerre du Chaco (1930-1935) et les longues périodes de dictature d’extrême droite qui lui font suite, les ont laminés.

Le Paraguay a accédé à la démocratie en 1989, au moment de la chute des régimes communistes dans les républiques soviétiques et d’Europe de l’Est. Le socialisme cubain, relayé par le socialisme bolivarien du Venezuela, aurait pu servir de modèle pour le gouvernement de Fernando Lugo mais les structures de l’Etat national fasciste et la pression des Etats-Unis ont empêché qu’ait lieu une révolution sociale.

Cela ne signifie pas l’absence de toute opposition, car si l’opposition parlementaire n’existe pas, en revanche une opposition de certains secteurs de la société s’organise : les paysans, les femmes et les indigènes. La difficulté est que ces organisations, très présentes dans les luttes sur certains thèmes et sur des fronts bien précis, n’ont pas de représentation politique. C’est une gauche qui ne revendique pas le pouvoir. Elle est l’expression d’un peuple en lutte pour une autre société, basée sur le respect de l’environnement, l’égalité et la justice sociale.

Ces organisations s’appuient sur une vision du monde héritée des racines indigènes Guaraní : protection des ressources naturelles, santé basée sur la phytothérapie, rejet du profit, agriculture respectueuse de l’environnement, la terre aux paysans.

On peut remarquer que cette nouvelle gauche, loin d’être passéiste, s’inscrit dans une prise de conscience de l’urgence de changer de modèle de développement par les populations des états occidentaux. Les partis de gauche, n’ayant pas de projet basé sur le progrès humain, se situant toujours dans la perspective du progrès technologique dans un système capitaliste, sont incapables de mettre en œuvre le modèle défendu par des organisations dont les membres (paysans, femmes et indigènes) sont hors des sphères du pouvoir économique.

 

Christine Gillard, chercheuse Criccal Paris 3

 

Sources : 
Fregosi, Renée, le Paraguay au XXe siècle, L’harmattan, 1997
Martinez Escobar, Fernando, Revista paraguay desde les ciencias sociales, n°2, 2003
Zibechi, Raul, Paraguay. Cuando la derecha y la izquierda son simétricos. 24/04/2017 Rel-UITA.org
www.abc.com.py/…/el-futuro-de-la-izquierda-paraguaya-426489…
www.contagioradio.com/izquierda-paraguaya-lanza-movimiento-unitario
https://www.elespectador.com/…/quien-es-quien-en-las elecciones
https://www.laizquierdadiario.com/Paraguay

Cet article est extrait du Journal de Notre Amérique

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.