Quand Biden faisait tomber un protégé de Carter pour une affaire de documents classifiés

Embarrassante l’affaire des documents classifiés retrouvés chez le président Biden? The Intercept nous rappelle une histoire particulièrement cocasse. Lorsqu’il était jeune sénateur, le faucon de Washington s’est associé aux républicains pour faire tomber un protégé du président Carter censé remettre la CIA sur le droit chemin. À l’origine de la manœuvre, une affaire de … documents classifiés! (IGA)


Le président Joe Biden et ses partisans ont cherché à minimiser l’importance de la découverte de documents classifiés au Penn Biden Center for Diplomacy and Global Engagement, un think tank où Biden disposait d’un bureau. On pense que ces documents datent de l’époque où il était vice-président sous Barack Obama. Mais une autre série de documents classifiés ont ensuite été retrouvés dans le garage personnel de Biden, dans sa maison du Delaware. Le procureur général Merrick Garland a nommé un avocat spécial pour enquêter sur cette affaire.

L’ancien président Donald Trump et ses partisans ont défendu le fait qu’il avait transféré des documents classifiés dans son complexe hôtelier de Mar-a-Lago en affirmant que le président avait le pouvoir de déclassifier les documents en question. À l’heure actuelle, cette affaire fait également l’objet d’une enquête fédérale.

C’est un secret à peine caché à Washington D.C : pendant des décennies, des politiciens de haut rang ont contourné voire enfreint les règles relatives aux documents classifiés – dans certains cas pour des usages apparemment bénins comme la rédaction de mémoires. Sandy Berger, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Bill Clinton, a volé des documents aux Archives nationales en 2003 en les glissant dans ses vêtements, puis a détruit certains documents classifiés. Il a prétendu vouloir examiner ces documents pour préparer son témoignage devant la Commission du 11 septembre. Le général David Petraeus a été contraint de démissionner de son poste de directeur de la CIA en 2012 après qu’il eut été révélé qu’il avait manipulé de manière inappropriée des documents classifiés. Il en avait notamment emporté chez lui et les avait partagés avec sa biographe avec laquelle il entretenait une liaison.

Dans certains cas, des accusations criminelles ont été portées. Berger a ainsi été condamné à une amende de 50.000 dollars par un juge fédéral et il a perdu son habilitation de sécurité [procédure permettant à une personne d’avoir accès à des informations protégées, NDLR]. Petraeus a quant à lui été condamné à deux ans de prison avec sursis assortis d’une amende de 100.000 dollars. En règle générale cependant, il est rare qu’une personnalité très en vue soit confrontée à des poursuites criminelles significatives pour de tels actes. Évidemment, la règle ne vaut pas pour les lanceurs d’alerte tels que Reality Winner, Jeffrey Sterling, Terry Albury et Daniel Hale. Ils ont été agressivement poursuivis en vertu de l’Espionage Act et condamnés à de longues peines de prison.

Les révélations sur le stockage illicite de documents classifiés sont particulièrement embarrassantes pour le président Biden. Surtout si l’on tient compte des assauts répétés des démocrates contre Trump pour les documents classifiés conservés à Mar-a-Lago. Mais il y a une affaire encore plus marquante sur le passé de Biden qui mérite d’être rappelée.

Les événements se sont déroulés lors de présidence de Jimmy Carter. Joe Biden était alors une étoile montante du Sénat US, et membre de la toute nouvelle commission du renseignement qui avait été créée en réponse aux dérives de la mandature Nixon. Le démocrate Biden s’est associé aux républicains de cette commission pour empêcher qu’un personnage critique envers la CIA ne devienne directeur de l’agence de renseignements. L’une des raisons évoquées ? Ted Sorensen, le candidat en question, avait admis avoir emporté des documents classifiés pour préparer une biographie de son vieil ami, John F. Kennedy. Sorensen avait par ailleurs pris la défense de Daniel Ellsberg, le lanceur d’alerte à l’origine des Pentagon Papers. Biden était même allé jusqu’à suggérer que Sorensen pourrait faire l’objet de poursuites en vertu de l’Espionage Act.

Comme l’a rapporté The Intercept précédemment, Biden a mené une campagne agressive pour le président Carter. Mais il a avoué plus tard qu’il n’avait jamais été un grand fan du célèbre président relativement progressiste. Lorsque Carter a nommé Sorensen au poste de directeur de la CIA, l’establishment de la sécurité nationale à Washington était furieux. Sorensen n’avait pas d’expérience en politique étrangère et n’avait pas sa place dans le monde des opérations secrètes. Carter avait déclaré qu’il voulait un outsider pour ce poste de la CIA, faisant écho à sa promesse de réduire à la fois le pouvoir et le budget de l’agence.

La nomination de Sorensen est intervenue après une campagne au cours de laquelle Carter avait promis de faire la guerre au “secret excessif” de l’agence. Il s’était engagé à dénoncer et punir les agents de la CIA qui enfreignaient la loi. “Nous ne devons plus jamais cacher l’évolution de notre politique étrangère au Congrès et au peuple américain“, avait déclaré Carter. “Ils ne doivent plus jamais être trompés“. Carter n’a finalement pas réussi à réaliser nombre de ses promesses concernant la CIA. Mais le simple fait qu’il avait formulé de telles déclarations avait suscité de graves inquiétudes au sein de l’agence et chez de nombreux législateurs républicains. Ce conflit a éclaté au grand jour lors du processus de nomination de Sorensen.

Biden a assuré à Sorensen qu’il l’aiderait à traverser la procédure. Selon les souvenirs de Sorensen, Biden lui avait fait croire qu’il avait le soutien ” enthousiaste ” du sénateur, affirmant qu’il était ” la meilleure nomination que Carter ait faite.”

Cependant, lorsque Sorensen a été attaqué par les républicains, Biden a changé de position et a fait tout son possible pour déterrer un épisode du passé de Sorensen qui servirait de pièce maîtresse contre sa nomination. En effet, Sorensen avait fait une déclaration sous serment dans l’affaire Ellsberg. Il avait ainsi reconnu que de nombreux fonctionnaires de Washington, dont lui-même, emportaient des documents classifiés chez eux pour les examiner et que certains divulguaient souvent des documents bien plus sensibles à la presse sans encourir de poursuites.

Cette déclaration sous serment n’a jamais été déposée au tribunal. Biden a déclaré qu’il avait appris son existence par un collègue républicain. Il a estimé que les républicains de la commission chercheraient à l’utiliser pour discréditer Sorensen. Biden a alors demandé à son personnel d’éplucher les documents et les livres de Sorensen pour trouver cette déclaration sous serment non déposée. Un assistant qui avait participé à l’affaire des Pentagon Papers a fini par la dénicher. Cette découverte, combinée à d’autres soucis, notamment les allégations selon lesquelles Sorensen était un pacifiste qui avait évité le service militaire pendant la guerre de Corée, a mis en péril la nomination. “C’était comme être pris dans les phares d’un camion”, a déclaré Sorensen, décrivant la campagne contre lui comme un effort où “de nombreux petits ruisseaux sales ont coulé ensemble pour en faire un grand”.

Après avoir découvert le fameux document, Biden a déclaré lors d’un appel téléphonique avec Carter: “Je pense que nous avons des problèmes. Je pense que ça va être difficile.” Alors qu’il devenait évident que la nomination était condamnée, Carter a offert une défense peu inspirée des déclarations de Sorensen sur les documents classifiés avec une communication publique disant qu’il serait “très malheureux” que la reconnaissance franche d’une pratique courante doive “priver l’administration et le pays de ses talents et services”, selon un rapport de presse.

Lors de l’audition pour la nomination de Sorensen, Biden s’en est pris au candidat. ” Très honnêtement, il m’est difficile de savoir si M. Sorensen ne pourrait pas être inculpé ou même condamné en vertu des lois sur l’espionnage”, a déclaré Biden, se demandant “si M. Sorensen a intentionnellement profité des ambiguïtés de la loi ou s’il a négligemment ignoré la loi “. Jules Witcover, biographe de Biden, écrira plus tard : ” À la suite de ces plaintes et d’autres contre Sorensen, et sous la pression en coulisses de Carter, l’ancien rédacteur des discours de JFK a accepté que sa nomination soit retirée. ” Sorensen a ensuite déclaré qu’ “au royaume de l’hypocrisie politique, Biden mériterait le prix de l’hypocrisie politique.”

 

Source originale: The Intercept

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

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