Passer de la confrontation à la coopération entre grandes puissances: les propositions de la Chine pour la paix en Ukraine

Au-delà des calomnies qui accusent la Chine de prendre le parti de la Russie, voire même de lui fournir des armes, nous devons nous pencher sérieusement sur son rôle de pacificateur. Parmi toutes les grandes puissances, la Chine est celle qui a le plus intérêt à un règlement politique juste et durable, explique Jenny Clegg.

 

Le premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie a donné lieu à deux propositions importantes : d’une part, une nouvelle résolution de l’Assemblée générale des Nations unies rédigée par l’Ukraine en consultation avec ses alliés ; d’autre part, le plan de paix en 12 points de la Chine (1).

Toutes deux appellent à un cessez-le-feu et au respect du principe de souveraineté reconnu par l’ONU ; en dehors de ça, les convergences sont limitées.

La résolution des Nations unies exige le retrait immédiat des troupes russes, mais elle n’appelle pas spécifiquement à des pourparlers de paix. Non contraignante, elle a été adoptée par 141 voix, 32 pays s’étant abstenus et 7 ayant voté contre. Comme lors des précédents votes de l’ONU sur l’Ukraine, les grands pays en développement se sont abstenus : l’Inde, la Chine, le Pakistan, le Bangladesh et l’Iran ont été rejoints par Cuba et la plupart des États d’Asie centrale, tandis que près de la moitié des États africains n’ont pas apporté leur soutien.

Le plan de la Chine alerte sur le risque que le conflit devienne incontrôlable, allant jusqu’à l’utilisation d’armes nucléaires et la mise en péril de centrales nucléaires – un élément repris étonnamment parmi la liste des “préoccupations majeures” de l’ONU alors que c’est certainement l’aspect le plus dangereux du conflit auquel l’Ukraine est confrontée. Reconnaissant également que les préoccupations légitimes de tous doivent être prises en compte, le plan chinois appelle les deux parties à “travailler dans la même direction” pour reprendre les pourparlers de paix dès que possible.

Le plan cherche également à mettre fin aux sanctions unilatérales non autorisées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Il exprime ainsi son opposition à l’utilisation de l’économie mondiale comme “outil ou arme à des fins politiques”.

Alors que l’approche unilatérale de la résolution de l’ONU sur l’Ukraine ne peut que contribuer à prolonger la guerre, la proposition de la Chine établit un cadre international pour guider les pourparlers vers un règlement pacifique.

La Chine ne conteste pas le droit international – son plan est tout à fait conforme à celui-ci. Le problème réside dans la manière dont ce droit est appliqué : il appartient aux grandes puissances de coopérer et d’aider les parties en conflit à “ouvrir la porte à un règlement politique”.

Les médias hostiles à la Chine critiquent le plan comme étant vague, voire creux, et non sincère. Il viserait uniquement à projeter l’image de la Chine en tant que puissance pacifique dans le Sud. Les sinophobes considèrent que cette préoccupation pour l’ « image » est une caractéristique raciale exclusivement chinoise. En réalité, si les propositions sont peu détaillées, il n’appartient pas à la Chine, ni d’ailleurs à aucune autre puissance, de formuler des prescriptions concrètes et des solutions préétablies.

Les bellicistes occidentaux tentent à présent de saper la crédibilité de la Chine en tant qu’artisan de la paix. Ils lancent un concert d’accusations bruyantes, mais totalement infondées, selon lesquelles la Chine aurait l’intention de fournir des équipements militaires à la Russie. “Si quelqu’un a des hésitations sur la fourniture d’armes à l’Ukraine, a averti Boris Johnson au Parlement la semaine dernière, il suffit de voir comment la Chine se prépare à armer les Russes. »

La question de la neutralité de la Chine

La Chine ne condamne pas explicitement l’invasion de la Russie, adhérant à l'”amitié sans limites” convenue plus tôt en février 2022 : sa neutralité proclamée peut donc être remise en question.

Cependant, dès le début, la Chine a déclaré très clairement que la situation du conflit en cours n’était “pas ce que nous voulions voir”. Le deuxième jour de l’invasion, certaines restrictions financières ont été imposées et Wang Yi, alors ministre des Affaires étrangères, a téléphoné à ses homologues français, britanniques et européens pour leur expliquer le point de vue de la Chine.

Ses arguments, désormais développés dans la proposition en 12 points, sont les suivants : la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées et protégées ; compte tenu des cinq cycles consécutifs d’expansion de l’OTAN vers l’Est, les exigences légitimes de la Russie en matière de sécurité doivent être correctement prises en compte ; et les crises humanitaires à grande échelle doivent être évitées. La priorité absolue était que toutes les parties fassent preuve de retenue, et Wang Yi a déclaré que la Chine accueillerait favorablement un dialogue direct et des négociations entre la Russie et l’Ukraine dans les plus brefs délais.

Les actions de Poutine ont mis la Chine dans une position délicate, notamment dans ses relations avec l’Europe. La Chine a déployé des efforts considérables pour établir un partenariat avec l’Europe afin de se prémunir contre l’intensification de la guerre économique menée par les États-Unis. Aujourd’hui, les Européens veulent que la Chine prenne position sur cette guerre en Ukraine qui est devenue leur priorité absolue.

Dans le même temps, la Chine a ses propres bonnes raisons de ne pas contrarier la Russie : notamment une frontière commune de 4 300 km, ainsi que certaines expériences passées d’agression russe, lorsque la Chine était une puissance beaucoup plus faible – la guerre russo-japonaise de 1904 qui s’est déroulée sur le sol chinois, et le conflit frontalier sino-soviétique de 1969. Là encore, de nombreux efforts ont été déployés pour rétablir des relations normales en 1989 et, par la suite, pour renforcer le partenariat entre les deux pays.

Par ailleurs, la Chine a une frontière commune avec l’Afghanistan et la Corée du Nord. Si bien qu’elle accorde une grande importance à la coopération avec la Russie qui partage ses préoccupations quant à la déstabilisation des régions d’Asie centrale et d’Asie du Nord-Est.

Il est certain que l’hostilité des États-Unis rapproche les deux parties. La Chine considère aujourd’hui qu’il est urgent de trouver une solution entre la Russie et l’Ukraine, car les États-Unis tentent de reproduire une confrontation similaire dans la région Asie-Pacifique, confrontation qui aurait un impact encore plus important que sur le continent européen.

Toutefois, si la Russie et la Chine s’accordent sur la nécessité d’un monde multipolaire, l’approche de la Chine est très différente. Alors que la Russie s’est sentie obligée de résister par la force à l’expansion de l’OTAN, le mode de pensée chinois – celui de l’ancien stratège Sun Tzu – consiste à l’éviter.

Plutôt que de former un bloc sino-russe, qui ne manquerait pas d’exaspérer davantage les États-Unis, la Chine tente d’éviter la confrontation en misant sur la diplomatie et en cherchant plutôt à ramener les Nations unies au centre des relations internationales.

Le plan de paix montre comment la Chine conçoit son rôle en tant que grande puissance : soutenir les consultations, faciliter les pourparlers de paix et offrir ses bons offices pour la médiation. En tant que proposition sérieuse pour mettre fin au conflit, le plan cherche à rallier le Sud et à gagner l’Europe au moment même où l’OTAN s’oriente vers un conflit direct avec la Russie, menaçant la base même de la coopération internationale et de l’ONU.

Gagner le soutien international en faveur de la paix

La division voulue par les Etats-Unis à travers leur nouvelle guerre froide s’est heurtée à une pierre d’achoppement, les pays du Sud refusant de choisir leur camp. Une année de lobbying n’a guère fait évoluer le nombre d’abstentions à l’ONU.

Pour séduire les pays en développement, Volodymyr Zelensky se pose comme le défenseur du principe fondamental reconnu par l’ONU : la souveraineté. Il appelle ainsi les autres pays à lui fournir des armes.  Mais il oublie un autre principe  de l’ONU : l’engagement à résoudre les conflits par le dialogue. Transformer l’organisation en un champ de bataille opposant “démocraties contre autocraties” fait dangereusement dérailler le fondement de l’ONU, à savoir l’égalité de tous les États, quel que soit leur système politique.

Le plan de la Chine pourrait trouver un plus grand écho dans le Sud. En effet, la Chine prend en compte les intérêts du développement. Elle appelle ainsi à des efforts conjoints pour atténuer les conséquences plus larges du conflit qui, après la crise, sapent la reprise économique mondiale en perturbant l’approvisionnement en énergie, la finance et le commerce des denrées alimentaires.

Dans le même temps, tout en suggérant que l’Europe porte une part de responsabilité dans son incapacité à établir un cadre de sécurité inclusif, la Chine cherche à trouver un terrain d’entente. Elle soutient ainsi les relations entre l’Union européenne et la Russie pour une sécurité indivisible, conformément à l’objectif initial de l’OSCE.

La Chine est la première grande puissance à s’impliquer dans la recherche de la paix ; elle peut exercer une influence considérable sur les deux parties. Jusqu’à la guerre, la Chine était le premier partenaire commercial de l’Ukraine, les relations étaient bonnes.

Zelensky accueille maintenant avec prudence l’implication de la Chine. Il a indiqué qu’il était prêt à rencontrer Xi Jinping. Mais il se peut que le pragmatisme de la Chine ne convienne pas à son envie de punir la Russie – Poutine devrait cependant lui aussi concéder des territoires.

Aucune paix n’est possible tant que les deux parties n’admettent pas que pour obtenir ce qu’elles veulent, elles doivent être prêtes à donner quelque chose en retour. Les mouvements pacifistes et anti-guerre devraient saluer et soutenir l’initiative chinoise et ne pas supposer que la Chine ne fait que participer au jeu de la politique des blocs. Son rôle d’artisan de la paix ne doit pas être sous-estimé. Plus que jamais, la paix mondiale appelle à la solidarité internationale.

 

Source: Morning Star

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

 

Note:

(1) Nous avons gardé la formulation originale reprise un peu partout. Mais voir l’avis de Jacques Baud sur l’appellation “plan de paix chinois”.

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