Pamela Anderson: “Les gilets jaunes protestent parce que les riches continuent à détruire la planète et que ce sont les pauvres qui paient”

Alors que les caméras étaient rivées sur les vitrines cassées des Champs-Elysées, Pamela Anderson créait le buzz sur Internet en pointant la violence structurelle de Macron et des élites mondiales. Le Jacobin Magazine a eu la bonne idée d’interviewer l’icône d’Alerte Malibu en compagnie du philosophe Srećko Horvat. Ensemble, ils abordent la crise en Europe, le changement climatique, l’extrême-droite italienne, Jeremy Corbyn ou encore Julian Assange. (IGA)


On a assisté ces dernières semaines à un choc frontal des élites françaises. L’augmentation par le président Macron des taxes sur les carburants a suscité une vague de protestations avec blocage des routes un peu partout dans le pays et de violents affrontements avec la police à Paris. Le mouvement des « gilets jaunes », ainsi nommé d’après la couleur de leur veste distinctive, a imposé une marche arrière humiliante au président libéral qui a été contraint d’abandonner ces taxes et à relever le salaire minimum (1).

Ces protestations ont donné la voix à une partie de la société française trop souvent ignorée. Mais alors que de nombreux médias n’ont montré que du mépris pour les personnes concernées, ce mouvement a trouvé un porte-parole en Pamela Anderson. L’ancienne star d’« Alerte à Malibu » et modèle de « Playboy » s’était déjà exprimée auparavant au sujet de nombreuses causes, de la défense des droits des animaux avec PETA à la protection de l’environnement et à l’aide aux victimes haïtiennes du tremblement de terre. Elle est maintenant devenue un soutien convaincu de la révolte contre l’austérité.

Dans ses tweets et ses blogs, Anderson a mis l’accent sur l’ampleur croissante de ces protestations, les qualifiant de batailles contre « les politiques représentées par Macron » et des 99 % de ceux qui sont écœurés par l’inégalité, non seulement en France, mais partout dans le monde. Elle a également répondu aux violences des protestataires en tweetant : « Je n’aime pas la violence… Mais qu’est-ce que la violence de ces gens et des voitures de luxe en flamme face à la violence structurelle des élites françaises et mondiales ? »

Exprimant son intérêt pour les soubresauts politiques qui agitent le continent, elle a aussi apporté son soutien au leader de la gauche travailliste britannique, Jeremy Corbyn tout en critiquant âprement le ministre de l’Intérieur italien d’extrême droite, Matteo Salvini, pour son agenda raciste.

Dans cet interview avec David Broder du « Jacobin Magazine », Anderson et le philosophe Srecko Horvat débattent des mouvements de protestation en France, de la crise en Europe et de l’activisme personnel d’Anderson.


David Broder :    Les protestations des « gilets jaunes » ont déclenché un flot de critiques de la part des médias et des élites politiques. Mais vos propres commentaires sont plutôt en leur faveur, faisant observer que cette révolte « couve depuis quelques années ». Que représentent pour vous ces protestations ? Répondent-elles à un climat social que vous percevez plus généralement en France où vous avez vécu ?

Pamela Anderson :    Mes commentaires ont d’abord été déclenchés par les images de violence. Tout le monde était sidéré. Pourquoi ? Et pourquoi est-ce apparu de façon aussi surprenante ? Qu’y a-t-il derrière cette violence ? Je voulais comprendre. Je sais qu’il n’est pas facile de me prendre telle que je suis. Je secoue les choses de manière peu conventionnelle et continuerai à le faire ainsi.

Quelques jours après le début des protestations en France, je voyageais à Milan. Là, je découvre que M. Salvini déclare à la presse que « Macron est un problème pour les Français ». Mais je ne vois pas les choses de la même manière. Je pense qu’il s’agit d’un problème européen tout comme la xénophobie croissante en Italie est un problème européen et pas italien.

Juste avant que je n’arrive en Italie, le grand chef italien Vittorio Castellani venait d’être invité à ne plus utiliser de « recettes étrangères » dans ses shows télévisés. J’adore la nourriture italienne. Mais que serait la cuisine italienne — ou n’importe quelle autre — sans « influences étrangères » ? Je suis persuadée que M. Salvini adore aussi « la cuisine étrangère ». Bon, cela nous éloigne des « gilets jaunes »…

Srecko Horvat : Mais c’est une excellente approche du problème qui a commencé en 2009 avec la campagne de Silvio Berlusconi contre la nourriture « non italienne » en Italie, c’est une démarche continue vers une « normalisation » — la lente et progressive introduction de mesures ou même de lois qui ensuite sembleront « normales. 

Si je me souviens bien, c’était déjà Vittorio Castellani qui déclarait il y a une dizaine d’années qu’il n’existait pas de « cuisine italienne authentique », les tomates venant du Pérou et les spaghettis de Chine. Dès lors, sans influences étrangères, la « cuisine italienne » aurait une tout autre saveur. En affirmant que Salvini aime probablement la « cuisine étrangère », on soulève le vrai problème.

Macron s’adressant aux « gilets jaunes » depuis son salon doré, entouré de décorations de la même couleur, souligne la rupture entre les élites politiques et le peuple. Il y a un terrible cynisme des classes dirigeantes. Dans le cas de la France, il devient évident que prévaut l’esprit universel du « cheval perché » (comme Hegel voyait Napoléon, Jurgens Habermas voit Macron) et cet esprit n’est rien d’autre que celui du roi de Jacques Lacan qui devient fou en croyant qu’il est le roi.

Qu’un ministre du gouvernement du parti de Macron tentant d’illustrer la fracture entre les classes laborieuses et l’élite politique en vienne à se plaindre du coût d’un dîner en ville à Paris « à 200 euros sans les boissons » donne la mesure du fossé entre les élites et le peuple.

Les « gilets jaunes » croient, et ils ont raison, que Macron ne vit pas dans le « monde réel ». En même temps, on a pu voir ces derniers jours, comme si cela venait d’une réalité alternative inspirée par les situationnistes, un graffiti disant simplement « Pamela Anderson présidente ».

DB :   Les responsables du gouvernement français et certain médias affirment que les protestataires méconnaissent les exigences de la protection environnementale. De la part d’une personne réellement sensible à l’environnement, croyez-vous que les demandes des « gilets jaunes » soient compatibles avec un agenda vert ?

PA :   Je ne pense pas que les plus pauvres devraient payer pour le changement climatique. Pourtant ce sont eux qui paient le prix fort. Certains disent que les protestataires en France manifestent pour pouvoir continuer à polluer la planète. C’est faux. Ils protestent parce que les riches continuent à détruire la planète et que ce sont les pauvres qui paient.

En 2013, après le terrible tremblement de terre, je suis allée à Haïti pour distribuer de l’aide. J’ai visité un hôpital pour enfants et un camp de réfugiés. Là encore, les pauvres payaient le prix fort. Depuis lors, de nombreux projets fondateurs ont été entrepris, ils montrent bien ce que devrait être une transition verte.

Les protestations en France ont commencé lorsque le président Macron a annoncé une augmentation des taxes sur le carbone et la pollution de l’air. Cette taxe était censée réunir les fonds  pour le budget de l’État et aussi pour motiver les gens à acheter des véhicules à énergies alternatives. Macron voudrait interdire les véhicules diesel à partir de 2040. Pourtant l’État français a encouragé pendant de nombreuses années sa population à acheter des véhicules diesel.

Ainsi, en 2016, 62 % des voitures en France fonctionnaient au diesel de même que 95 % des vans et des camions. Il n’est dès lors pas étonnant que beaucoup de Français considèrent cette nouvelle politique comme une trahison.

Se procurer une nouvelle voiture n’est sans doute pas un gros problème pour Macron ou ses ministres. Mais c’est très dur pour tous ceux qui ont des fins de mois difficiles. Beaucoup de petits salaires ne sauront se rendre à leur travail particulièrement là où il n’y a pas de transports publics. Et beaucoup de vieux et retraités n’auront plus accès aux commerces, ni à leur médecin.

SH :   Il en va de même en Allemagne. C’est bien que beaucoup de villes allemandes interdisent la circulation de voitures au diesel. Mais savez-vous alors où elles vont être exportées ? La plupart du temps, elles partent dans les Balkans et en Europe de l’Est. Et on ne peut pas le leur reprocher, parce que c’est moins cher et qu’ils ont déjà des conditions de vie précaires. Ainsi, comme toujours en régime capitaliste, il n’y a pas seulement des clivages internes au sein des sociétés d’Europe occidentale entre les métropoles opulentes et les campagnes — ou banlieues pauvres —, il y a aussi un clivage entre le centre et la périphérie de l’Union européenne.

Sur base des analyses de l’air respiré, ceux qui vivent dans la région d’Europe d’où je viens respirent beaucoup plus de particules fines d’air toxiques que ceux qui vivent en Europe occidentale. Si vous observez la carte, vous verrez que l’Allemagne, la France, la Belgique, le Portugal, l’Espagne et une partie du Royaume-Uni respirent un air de meilleure qualité que la Croatie, la Hongrie, la Roumanie, la Serbie, la Bulgarie et la Pologne.

Pendant les mois d’hiver, la pollution critique de l’air devient la nouvelle norme à Sofia ou à Sarajevo. Ainsi, alors que l’Europe occidentale tend vers une transition verte, les économies des pays d’Europe orientale restent lourdement dépendantes de leurs réserves de charbon.

Simultanément, en dépit de la « transition énergétique », l’Allemagne continue à dépendre massivement des énergies fossiles. Sur base de tout cela, la réponse à nos problèmes ne peut être une transition verte nationale, mais un New Deal vert européen comme défendu par DIEM25. En fait, nous avons besoin d’un New Deal Vert planétaire.

DB  :  Dans un avis récent, vous défendiez l’idée d’un « Lexit » : un Brexit conçu pour protéger les gens ordinaires. Vous souteniez aussi l’appel de Jeremy Corbyn pour des élections générales plutôt qu’un nouveau referendum sur le Brexit. Que pensez-vous que puisse faire Corbyn ?

PA :   Une réforme fondamentale de l’Union européenne s’impose. L’Europe mérite une bien meilleure forme de coopération organisée. Je soutiendrais toute tentative du Royaume-Uni pour créer une alternative européenne. Se retrancher derrière un nationalisme étroit n’est pas une alternative. La seule voie vers la liberté se trouve dans le combat des moins favorisés, travailleurs étrangers inclus.

La transaction proposée par Theresa May n’offre pas cette alternative. Pour blaguer, j’ai affirmé que j’aurais négocié de meilleures conditions que ce texte. En effet, après avoir négocié des contrats à Hollywood pendant des décennies, j’aurais pu bien mieux confronter M. Michel Barnier (le négociateur européen de l’accord).

Avez-vous vu Theresa May incapable de sortir de sa voiture alors que Merkel l’attend à l’extérieur ? C’est la meilleure métaphore du Brexit. Dans ce cas, la solution ne se trouve pas dans un second referendum, mais dans des élections générales. Et j’espère que Jeremy Corbyn sera le prochain Premier ministre.

SH :   C’est une bonne question de se demander ce que Corbyn sera capable de faire. À mon avis, la réponse ne se trouve pas dans un retrait nationaliste, mais dans une coopération étroite du Labour avec les autres progressistes européens.

Ce sera intéressant de voir comment le Labour réagira aux résultats des prochaines élections européennes de mai  2019 (élections qui n’auront pas lieu en Grande Bretagne puisque ce pays devrait quitter l’UE fin mars). Mais il devrait y jouer un rôle important et devrait mener campagne pour montrer à quel point ces élections sont essentielles pour la Grande-Bretagne comme pour l’Europe.

À moins que la crise européenne qui n’est pas seulement intérieure, mais concerne aussi sa politique extérieure ne soit résolue, je crains qu’elle ne s’aggrave plus encore. Dès lors, plus que d’un simple « Lexit », nous aurons besoin de plus encore de politique transnationale plutôt que de simple politique internationale. Nous devons aller au-delà de l’État nation.

DB  :  Le Brexit comme les « gilets jaunes » ont permis à des personnes qui ne tiennent pas habituellement le haut de l’affiche de se faire entendre. Mais en dépit de l’ancien activisme notoire de Pamela, certains médias ont paru surpris qu’elle s’exprime sur ces sujets. Qu’en pensez-vous ?

SH  :  Je suis juste étonné que cela surprenne tout le monde. Depuis des années, elle a été active sur de multiples terrains. Bien sûr, je comprends que beaucoup de monde fasse toujours le lien entre Pamela et « Alerte à Malibu » ou Playboy et s’étonne qu’elle ait des opinions sur le Brexit ou les gilets jaunes. Mais c’est tout le piquant de l’événement.

Si « Alerte à Malibu », un show TV observé chaque semaine par 1,1 milliard de personnes dans 148 pays, a donné à Pamela une audience qui lui permette de se faire entendre non seulement pour commenter, mais aussi pour intervenir dans le triste paysage politique actuel, nous devrions nous en réjouir.

Je me souviens encore comment en 1990, pendant la guerre en Yougoslavie, ma sœur et moi, enfants d’un pays qui partait en lambeaux sous nos yeux, regardions « Alerte à Malibu » comme seule échappée vers un futur possible et tant désiré.

Dans le cas d’« Alerte à Malibu », il s’agissait d’une alternative aux « happy nineties » de la fin du « socialisme finissant » alors que nous étions sur la voie du « capitalisme existant ». Oui, bien sûr, Baywatch était plein de requins, de tueurs en séries et de tremblements de terre, mais pour des enfants de Yougoslavie, les boulots de Mitch Buchannon (David Hasselhoff) et de C.J. (Pamela Anderson) comme sauveteurs sur les superbes côtes californiennes étaient l’incarnation de la « fin de l’histoire ».

Bien sûr, comme tous les gosses, nous ne savions pas ce que signifiait « La fin de l’histoire » et nous ne savions pas encore que Pamela avait fait sa première couverture de Playboy en 1989, précisément l’année où Francis Fukuyama publia son premier essai. Nous ne savions pas non plus que la transition postyougoslave du communisme au capitalisme ne transformerait pas ce coin de l’Europe en une nouvelle Californie. Enfin, il en est sans doute peu de ma génération et de bien d’autres générations qui ne regardaient pas Baywatch. Il n’y a pas de culture sans culture populaire.

DB :   Pensez-vous que vous avez le devoir d’utiliser cette plateforme pour évoquer d’autres causes ?

PA :   J’ai entendu beaucoup de ces d’histoires dans les coins les plus reculés du Zimbabwe. Baywatch était regardé dans des tentes entourées d’indigènes. Et dans toutes sortes d’endroits dangereux à travers le monde, y compris en Amérique. Nous n’étions pas conscients d’infiltrer ces lieux à notre manière — oui, avec les rêves d’une belle vie. La plage. La Californie. L’évasion. J’en faisais partie. Cela me donne l’occasion et le privilège d’élever ma voix pour les nombreux objectifs auxquels je crois encore.

Récemment, lorsque Deutsche Welle m’a demandé mon soutien à sa campagne pour le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme des Nations unies, en particulier l’Article 19 sur la liberté d’expression, j’ai parlé de Julian Assange qui est toujours en « détention arbitraire » selon la définition des Nations Unies et qui risque toujours l’extradition vers les Etats-Unis.

J’estime avoir la responsabilité de parler de ces problèmes. En fait, chacun l’a. Sans liberté de parole ni journalisme indépendant, en ce compris WikiLeaks et les lanceurs d’alerte, on ne parviendra jamais à construire un monde meilleur.

DB  :  Vous avez été active dans la campagne pour PETA, comme pour le tremblement de terre à Haïti et vous avez publié quelques interventions politiques récemment. Dans quel type particulier d’activisme vous êtes-vous impliquée récemment ? Quelles revues lisez-vous et quels penseurs ou écrivains vous ont le plus influencée ?

PA :   Je lis des livres, je regarde des films, j’étudie le français, je voyage à travers le monde — un endroit magnifique et mystérieux, mais très préoccupant. Je suis inquiète du changement climatique, de l’extinction des espèces. Je suis toujours active dans le soutien de Sea Shepherd et de l’aide aux réfugiés. Je pense aussi souvent à Julian Assange, surtout à l’approche de Noël, alors qu’il ne peut rejoindre sa famille et ses amis.

Tout se tient. Je me sens de plus en plus concernée par l’Europe, un lieu que j’aime. Quand j’étais en Italie, les jours derniers, juste avant mes commentaires sur le gouvernement Salvini, je lisais « Fascisme éternel » de Umbero Eco de 1995.

Il décrit dans cet ouvrage quatorze caractéristiques générales du fascisme qui pour lui n’était pas un système cohérent. Ainsi, il parle de « Ur-fascism » et de caractéristiques telles que le « culte de la tradition », la « peur de la différence », l’« appel à une classe moyenne frustrée », l’« obsession des conspirations », le « mépris pour le faible », et le « machisme ».

Regardez Trump, Bolsonaro et Salvini, vous y retrouverez ces caractéristiques. Ils sont en train de détruire l’Amazone, l’Arctique et toute la planète « en temps réel ». Nous n’avons pas de planète B.

SH  :  Mis à part ces utopistes blancs libertariens de la Silicone Valley qui devraient pouvoir s’échapper vers la planète Mars, les autres comme nous resteront dans notre actuelle contre-utopie. Je pense que Pamela a raison. Que vous l’appeliez « post-fascisme », comme Enzo Traverso ou « Ur-fascisme » comme Eco, le fascisme ne meurt jamais. Il se tient à un petit pas de « l’Internationale Noire » du vingtième siècle et de la création d’un « axe de la volonté » entre l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche proposé par l’actuel Premier ministre autrichien Sebastian Kurz.

Ajoutons-y les avancées technologiques de l’Intelligence Artificielle (AI) vers l’automatisation, de Silicon Valley vers Cambridge Analytica et nous obtenons un cocktail détonnant qui pourrait s’avérer bien pire que le fascisme traditionnel. La combinaison historique qui incarnerait le mieux l’« Ur-Fascisme » serait le guerrier et poète Gabrielle D’Annunzio qui occupa la ville côtière croate de Rijeka. Il y inventa une étrange utopie fasciste ou contre-utopie qui n’était pas juste fasciste (Lénine appela même D’Annunzio le « seul révolutionnaire en Europe »), mais toutes les particularités du fascisme y étaient déjà, l’apport des nouvelles technologies en plus.

Il inventa même les « discours au balcon » (que Mussolini adoptera) et Marconi lui permit même de transmettre au monde un message à partir de son yacht. Il inventa aussi une forme fasciste de « narcocapitalisme ». Avant même que les nazis ne produisent des tonnes de Pervitine, Fiume regorgeait de drogues. Mieux encore, comme le disait Pasolini, la véritable anarchie est l’anarchie du pouvoir.

Grâce au nouvel intérêt porté à D’Annunzio – par exemple la biographie « The Pike » de Lucy Hughes Hallett, la nouvelle de science-fiction « Utopie Pirate » de Bruce Stelling et le travail du réalisateur croate Igor Bezinovic – j’espère que les leçons de cette brève période historique pourront être petit à petit remises à jour.

J’en parlais récemment avec Adam Curtis alors que nous visitions Rijeka, disant comme il était trop simple d’écarter cette folle et délirante période, comme s’il ne s’était agi que d’une manifestation précoce de fascisme. Ce qui rend cette période à la fois terriblement traumatisante et fantastiquement intéressante est que le Fiume de D’Annunzio d’alors ne saurait être décrit comme une dystopie ni une utopie, car il était les deux à la fois.

DB  :  Dans beaucoup de pays, on assiste à une montée de l’extrême droite alors qu’en même temps la gauche se radicalise, perturbant ainsi les vieilles certitudes politiques. Qu’y a-t-il selon vous derrière tout cela ?

SH :   Après avoir parcouru les rues de Paris en flamme, Jerome Roos a publié une superbe analyse expliquant comment les gilets jaunes avaient explosé les vieilles catégories politiques, ce qui présente à la fois des risques et des chances. Il nous rappelle une phrase lucide et appropriée de Saint-Juste qui disait : « L’ordre d’aujourd’hui est le désordre de demain. »

Malheureusement, après tous les « Printemps » dont nous venons d’être témoins, nous devons regarder autour de nous en nous demandant ce qui arrivera si les désordres actuels – toutes ces énergies sauvages et ces potentiels révolutionnaires – ne se métamorphosent pas en nouvel ordre du futur ?

L’ « état d’exception » tel que défini par Carl Schmitt et conceptualisé par Giorgio Agamben, est déjà devenu réalité plutôt qu’une exception à travers l’Europe. Après les protestations contre le G20 à Hambourg, les dirigeants européens ont déjà plaidé pour l’établissement d’un « registre des activistes » pan-européen. Une sorte de Minority Report pour préserver l’ordre. Ou l’anarchie du pouvoir.

PA :   Je suis d’accord avec Srecko. Comme je l’ai dit en parlant des gilets jaunes, la vraie question est de savoir si la désobéissance peut être constructive, ce qui arrive le jour après ; les progressistes en France et partout ailleurs dans le monde, peuvent-ils employer cette énergie à construire des sociétés justes et égalitaires plutôt que la gaspiller en vaines violences ? C’est une sonnette d’alarme.

Je rêve d’un monde où les gens dévoreraient des livres et des œuvres d’art. Nous avons la responsabilité de remplir nos cœurs et nos esprits d’art et de musique plutôt que de Playstations. Les relations humaines dépérissent. Et c’est quand nous oublions comment aimer que nous nous oublions les uns les autres. Battons-nous ensemble et apprenons ensemble.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Pamela Anderson est actrice et activiste.

Srecko Horvat est philosophe et cofondateur de DIEM25. Il a écrit « Poetry from the future » et « What does Europe want ? » (avec Slavoj Zizek)

A PROPOS DES INTERVIEWERS

David Broder est historien du communisme français et italien. Il écrit un ouvrage sur la crise de la démocratie italienne après la guerre froide.

Source originale: Jacobin Magazine

Traduit de l’anglais par Oscar GROSJEAN pour Investig’Action.

Source: Investig’Action

Image: Getty Image

Note:

  1. Plus qu’une marche arrière humiliante, Emmanuel Macron a surtout tenté un effet d’annonce, sans grand succès. (NDLR)

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