Oubliez les « pillages ». Le vrai vol, c’est le capitalisme

Après le meurtre de George Floyd par un policier à Minneapolis, des émeutes ont embrasé les États-Unis. Des scènes de pillage ont appelé des condamnations fermes, notamment celle du président Donald Trump qui menace d’abattre les fauteurs de troubles. L’écrivain William C. Anderson rappelle que ces discussions sur les pillages reviennent à chaque émeute, occultant les enjeux fondamentaux comme le racisme structurel, le pillage organisé de Wall Street ou encore l’accès aux soins de santé et au logement. (IGA)


Ce matin, le président des États-Unis a menacé de meurtre ordonné par l’État ceux qui commettaient des « pillages », mettant à nu la façon dont la suprématie blanche, le capitalisme et l’État travaillent ensemble pour réprimer violemment les personnes qui défendent la vie des Noirs.

Mais cet accès de colère de Trump n’est pas la seule réponse ouvertement raciste que nous devrions interroger. Nous devons également réfléchir à la manière dont les conservateurs et les libéraux ont réagi aux soulèvements de Minneapolis en condamnant le « pillage ».

Les manifestants, à Minneapolis et dans tout le pays, protestent contre un lynchage et la violence de l’État. Comment devrions-nous réagir à un lynchage ? Notre objectif devrait-il être simplement de le faire connaître, dans l’espoir que cette publicité entraîne sa condamnation et empêche de futurs lynchages ? Cette logique est imparfaite, notamment parce que les lynchages se nourrissent de la présence de spectateurs. Pour les suprémacistes blancs, l’acte de tuer est aussi un acte de fraternité et une occasion d’endoctrinement.

Nous contenter de diffuser des images de meurtres racistes et demander à l’État de cesser de nous tuer ne va pas les arrêter. (En fait, s’il est important de faire connaître l’existence de ces meurtres, la diffusion de telles images galvanise aussi, parfois, les adeptes de la suprématie blanche.)

Ainsi, certains parmi ceux qui s’opposent aux meurtres racistes semblent trouver suffisant de regarder des vidéos, attendre le moment de voter et participer à des marches de protestation. Mais pour d’autres, une intervention plus importante est nécessaire. Le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis fait suite aux meurtres d’Ahmaud Arbery à Brunswick, en Géorgie, et de Breonna Taylor à Louisville, dans le Kentucky. Ces meurtres ont été commis par des policiers, en service ou retraités. On peut le comprendre, l’indignation va croissant.

Nous devons nous attendre à des soulèvements. Nous devons nous attendre à des dégâts matériels, car les gens se soulèvent contre les systèmes racistes complices de la violence raciste. Beaucoup de participants à ces révoltes ont décidé que le respect de la propriété privée ne vaut pas plus que le respect de la vie des Noirs. Nous sommes conscients que la loi ne respecte pas la vie des Noirs, et que donc on ne peut compter sur la loi pour les protéger ou leur accorder un respect qu’ils ne méritent pas. Ainsi, alors que les manifestants sont accusés de « pillage » et d’ « émeutes » à Minneapolis ou ailleurs, il est temps que nous réfléchissions au vol systématique de l’Amérique noire.

Une fois de plus, les entreprises américaines s’en sont tirées avec des quantités d’argent astronomiques en 2020. Sans que personne exige qu’elles rendent des comptes, il y a eu peu ou pas d’opposition à leur vol monumental. On leur a remis des milliers de milliards [de dollars]. Les politiciens qui servent l’élite des entreprises — et qui craignent de paraître opposés à un accord profitant largement à Wall Street — ont fait passer cette décision. Bien sûr, beaucoup de personnes vulnérables ont été laissées pour compte. Il n’y a eu aucun changement après la crise de la dette non réglée de 2008, qui a maltraité les gens dans le monde entier avec les privations que nous connaissons sous le nom d’austérité. Les coupes dans les prestations sociales se sont abattues sur la population qui ne se laissait pas décourager, tandis que les riches ne cessaient de s’enrichir.

Aujourd’hui, les manifestations qui éclatent dans tout le pays en réponse à la brutalité policière annoncent ce qui va suivre. Les gens vont probablement prendre, casser et se battre parce que leurs conditions de vie restent misérables. Cela ne devrait pas nous surprendre. Néanmoins, le « pillage » pratiqué par les opprimés fera toujours l’objet de condamnations plus sévères que le vol structurel qui existe depuis longtemps sous le capitalisme.

L’idée règne que ce sont les responsables des crises, plutôt que leurs victimes, qui méritent notre sympathie lorsque leurs profits diminuent. Après la mort aux États-Unis d’au moins 100 000 personnes — parmi lesquels les Noirs, les autochtones et les Latinos étaient surreprésentés — à cause d’une pandémie impitoyable, les médias continuent à répandre cette insanité. Les entreprises qui ne paient pas un salaire décent à leurs employés et qui profitent de la flambée des prix en pleine catastrophe ne méritent pas la pitié. Pour ceux d’entre nous qui sont encore plus précaires, manquer un chèque de salaire peut signifier l’expulsion, l’emprisonnement ou la faim. Ces circonstances sont de plus en plus fréquentes, car le chômage atteint des niveaux jamais vus depuis la Grande Dépression. Au moins 40 millions de personnes dans ce pays sont sans travail. Et les gens dans le besoin sont de facto volés par les riches.

En perdant leur emploi, ils se font également voler les soins de santé — une faille qui va les tuer ainsi que les membres de leur famille. On leur vole aussi un endroit sûr où pouvoir vivre à l’abri de la violence de l’État et respirer de l’air pur. Les gens ont souvent vu l’argent de leurs impôts être utilisé ailleurs alors qu’on leur disait qu’il reviendrait aux travailleurs. Mais il ne revient jamais. Pour l’Amérique noire, il y a plus qu’assez de lits dans les prisons, mais pas assez dans les hôpitaux. C’est le lot d’une population écrasée de façon disproportionnée par l’oppression institutionnelle. Alors, évidemment, sans véritables infrastructures, ou trop peu pour protéger les personnes que le gouvernement a longtemps négligées et abandonnées, il y aura des soulèvements et les gens prendront les choses en main. Ils prendront [ce qu’on leur doit] à cause de ce qui leur a été enlevé : la sécurité, le logement, l’éducation, la nourriture et même leur droit de vote. Évidemment, les manifestants sont privés du droit d’exprimer leur colère.

Cette discussion sur le « pillage » revient sans cesse. Lors de pratiquement tous les soulèvements noirs qui ont eu lieu et qui ont façonné ce pays au siècle dernier, le récit est resté le même. Les attaques des adeptes de la suprématie blanche contre la communauté noire ont été qualifiées d’« émeutes raciales », et l’autodéfense des manifestants noirs a été présentée comme une violence insensée. Les gens se plaignent de la destruction des biens parce qu’ils ont accepté l’idée que tout cela a été causé par un nouvel acte répréhensible venant s’ajouter à toute la violence suprémaciste blanche. Mais voler parce qu’on a été saigné à blanc par un système qui vous a rendu jetable n’est pas identique aux meurtres racistes rituels de Noirs par des suprémacistes blancs. Des décennies de « pillage » de magasins pendant les soulèvements ne pourront jamais atteindre le niveau de ce que Wall Street a pillé à travers les crises financières qu’elle a créées.

Ils sont certainement conscients de leurs crimes. Les capitalistes des fonds spéculatifs qui amassent des sommes infinies au moyen de caisses noires et de manipulations financières ont de nombreuses possibilités d’échapper à leurs responsabilités. Alors que l’armée américaine se prépare à des « troubles civils » et achète du matériel anti-émeute, il est clair qu’elle sait que tous les gens n’accepteront pas la cruauté. Dans un pays qui n’a jamais surmonté sa guerre civile et qui s’est battu pour que la classe des riches ne renonce pas aux bénéfices de l’esclavage, la défense des riches est une tradition. C’est intentionnellement que ceux-là mêmes qui ont créé la crise actuelle et en tirent actuellement profit gèrent mal de nombreux autres aspects de notre existence.

Ceux qui s’intéressent aux luttes de libération ne devraient pas condamner les prétendues « émeutes » et « actes de pillage » des manifestants. Nous devrions plutôt faire tout notre possible pour libérer les manifestants emprisonnés au Minnesota et partout ailleurs où il y a des soulèvements. Le vol dont nous devrions nous préoccuper est celui perpétré par un système qui crée le désespoir, où les personnes dans le besoin doivent s’emparer de ce qui devrait être un droit garanti. Le capitalisme encourage le vol de haut en bas. En écrivant sur la révolution haïtienne, le grand écrivain C.L.R. James a dit un jour : « Les riches ne sont vaincus que lorsqu’ils courent pour sauver leur vie. » Cela a certainement été le cas à maintes reprises tout au long de l’histoire des Noirs : les gens ont franchi des obstacles insurmontables pour remporter des victoires. Comment répondre à la question : « Que faisons-nous en réponse à un lynchage ? » Nous devons faire en sorte que le système qui a permis cela court pour sa vie.

 

William C. Anderson est un écrivain indépendant. Son travail a été publié par The Guardian, Truthout, MTV et Pitchfork, entre autres. Il est le co-auteur de As Black as Resistance (AK Press 2018).

 

Source orginale: Truth Out

Traduit par Diane Gilliard pour Investig’Action

 

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