D’après les révélations de Seymour Hersh, les Européens veulent la paix en Ukraine, pas Biden

Selon les sources du journaliste d’investigation de renommée mondiale Seymour Hersh, la poursuite de la guerre en Ukraine est avant tout un projet du président américain Joe Biden, qui n’est toutefois pas complètement informé par son administration.

Comme l’écrivait récemment Marc Vandepitte, les divulgations précédentes de Seymour Hersh indiquaient que l’Ukraine a acheté du diesel directement à la Russie. C’est aussi lui qui a révélé que les États-Unis étaient à l’origine de l’explosion du gazoduc Nord Stream.

Son nouvel article est assez court mais il en dit long sur ses sources au sein des services de renseignement étasuniens. A la lecture de cette enquête, il semble que les objectifs poursuivis par les dirigeants soient bien éloignés de la petite musique entendue dans la grande majorité des médias occidentaux, d’un soutien sans failles à Volodymyr Zelensky: plusieurs pays européens souhaiteraient favoriser une résolution du conflit alors que Biden – qui serait donc informé de manière erronée et incomplète – ne serait pas du même avis. Le sort personnel de Volodymyr Zelensky semble également être un point de désaccord important.

La paix pour stopper les réfugiés ukrainiens?

Seymour Hersh affirme que les voisins de l’Ukraine poussent Zelensky à faire la paix, alors que la guerre cause la migration de millions de personnes vers l’Europe. Nous avons interrogé Bruno Drweski, historien, politologue et maître de conférence à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales. Selon lui, il faut nuancer, même si cela rejoint en partie ses informations et analyses. « La ligne de clivage ne me semble pas uniquement entre pays mais à l’intérieur des groupes et classes dirigeantes de chaque pays, et les rapports des services secrets, des institutions militaires, des think tanks, des industriels militaires ou civils se contredisent sans doute et les dirigeants politiques servent une orientation, ou, au mieux, ils sont des arbitres entre intérêts divergents » nous confie-t-il.
Le Washington Post publiait il y a peu des documents secrets des services de renseignement étasuniens révélant les pressions de Volodymyr Zelensky pour exécuter une série de frappes de missiles sur la Russie, sans forcément avoir l’aval de Joe Biden. Bruno Drweski fait remarquer que Zelensky « ne prenait sans doute pas ses décisions seuls, mais il est le relai de cercles influents à Washington et Bruxelles ».

Un pilote dans l’avion?

Hersh compare le massacre de Bakhmout à celui de Verdun, il se questionne « sur les responsables de la guerre actuelle à Moscou, Kiev et Washington qui n’auraient pas montré d’intérêt pour des pourparlers de cessez-le-feu temporaires qui pourraient servir de prélude à quelque chose de durable. Actuellement, on ne parle que de la possibilité d’une offensive à la fin du printemps ou en été par l’une des deux parties ». Mais pour Bruno Drweski, « en février-mars 2022, il semblerait que Zelensky était prêt à conclure la paix et que les Russes l’étaient aussi. Ensuite, il s’est passé quelque chose (comme des pressions de l’extrême droite peut-être mais relayant que intérêts parmi les puissances?) et Zelensky est devenu un va-t-en guerre.

Même les Européens de l’Est veulent la paix

Cependant, comme le rapporte Seymour Hersh, se basant sur des déclarations d’agents de renseignement US, « quelque chose d’autre est en préparation à l’instigation de représentants gouvernementaux à différents niveaux en Pologne, Hongrie, Lituanie, Estonie, Tchécoslovaquie et Lettonie ». Ces pays sont tous des alliés de l’Ukraine et des ennemis déclarés de Vladimir Poutine.
Sur le rôle de la Pologne, Bruno Drweski nous fait remarquer, qu’il « semble ambigu car elle semble pousser à un appui total à l’Ukraine et la question est de savoir si les dirigeants polonais ont des objectifs cachés en Ukraine. Mais aussi, il faudrait savoir dans quelle mesure ils les associent avec des intérêts influents aux USA car il est difficile d’imaginer que les dirigeants polonais fassent quoique ce soit sans chercher un appui à Washington. »
Ce groupe a silencieusement poussé Zelensky à trouver un moyen de mettre fin à la guerre – en démissionnant s’il le faut – et d’entreprendre la reconstruction de son pays. Pour le journaliste étasunien, « Zelensky ne se laisse pas démonter mais il commence à perdre le soutien particulier de ses voisins ».

L’un des moteurs des discussions européennes silencieuses avec Zelensky serait les millions d’Ukrainiens qui ont fui la guerre et franchi les frontières du pays pour s’enregistrer dans les pays voisins dans le cadre d’un accord de protection temporaire de l’UE, qui comprend des droits de séjour, l’accès au marché du travail, au logement, à l’aide sociale et aux soins médicaux. Hersh estime ce nombre de réfugiés à cinq millions. Peut être plus pour Bruno Drweski.

Quel est l’impact de la prise en charge des réfugiés par les pays européens limitrophes, l’aide reçue par l’Union Européenne pour cela est-elle suffisante? « Non ce n’est pas suffisant et cela risque d’être de pire en pire parce que l’UE a de moins en moins de moyens et des Ukrainiens sont venus en Europe sans forcément s’adresser aux institutions. Une bonne partie d’entre eux se trouvent dans conditions de plus en plus précaires. Il y a ceux qui faisaient des navettes ente l’Ukraine et le pays où ils souhaitent s’installer et qui risquent de rester plus longtemps en Europe et se trouver dans une situation plus compliquée. Cette navette est de moins en moins possible » nous fait remarquer Bruno Drweski.

Bien que l’Ukraine ne fasse pas partie de l’UE, elle bénéficie désormais de tous les avantages du pacte de Schengen note Seymour Hersh. Plusieurs États, épuisés par 15 mois de guerre ont réintroduit des formes de contrôle aux frontières, mais la crise régionale des réfugiés ne sera pas résolue tant qu’il n’y aura pas d’accord de paix formel.

Hersh révèle avoir appris que certains officiels d’Europe occidentale et des pays baltes souhaitaient la fin de la guerre entre l’Ukraine et la Russie et que Zelensky devrait « faire demi-tour » et rechercher un accord. Là aussi, ces affirmations semblent peut être surestimées car « la question est de savoir quels dirigeants souhaitent des négociations et lesquels ne le souhaitent pas et quels sont les liens des uns et des autres avec des cercles à Washington » précise Bruno Drweski.

Comment pourrait-on analyser cette « fuite » : une volonté sincère de pousser Zelensky à faire la paix ou une tentative pour faire pression par ricochet sur l’union euro pour obtenir plus de soutien financier? « Je ne pense pas qu’il veuille ou qu’il puisse faire la paix. D’un côté, il a intérêt à ce qu’un maximum d’Ukrainiens viennent dans des pays Occidentaux pour envoyer de l’argent à leurs familles. D’un autre côté, il a besoin aussi de « chair à canons », de soldats disponibles et jeunes parce que dans tous réfugiés il y a des jeunes qui ont fui l’armée. Il y a actuellement un manque de soldats. Et il y a contradiction entre l’envoi d’Ukrainiens à l’Ouest et le besoin de soldats. Il y a les intérêts d’un certain nombre d’oligarques et du complexe militaro industriel au service duquel se met Zelensky. La question démographique est très importante pour l’Ukraine. Le pays est sous peuplé, sa pyramide des âges est catastrophique » nous explique Bruno Drweski.

Zelensky aurait un exil doré en Italie?

« La Hongrie est un acteur important dans cette affaire, tout comme la Pologne et l’Allemagne, et ils travaillent à faire céder Zelensky », a déclaré un responsable américain à Seymour Hersh. Les dirigeants européens ont clairement indiqué que « Zelensky peut garder ce qu’il a » – une villa en Italie et des parts dans des comptes bancaires offshore – « s’il élabore un accord de paix, même s’il doit être payé pour cela, si c’est le seul moyen d’obtenir un accord. »

Jusqu’à présent, selon le fonctionnaire cité par Hersh, « Zelensky aurait refusé les conseils et a ignoré les offres de sommes d’argent importantes destinées à faciliter sa retraite dans une propriété qu’il possède en Italie ». Il poursuit, affirmant qu’il « n’y a aucun soutien au sein de l’administration Biden pour un accord impliquant le départ de Zelensky, et les dirigeants en France et en Angleterre sont « trop engagés » envers Biden pour envisager un tel scénario ». Mais pour Bruno Drweski, il faut aussi se questionner sur quels intérêts représente Biden, « pour quel camp aux USA joue-t-il ? Y a-t-il des divergences dans le gouvernement US? … »

Seymour Hersh nous fait part des conflits et divergences entre européens et le gouvernement des Etats-Unis. Selon lui, l’Europe voudrait un règlement rapide alors que les Etats-Unis souhaiteraient que Zelensky reste au pouvoir. Encore une fois, Bruno Drweski nous explique que la question du maintien ou pas de Zelensky est liée aux conflits entre factions au sein des groupes influents aux USA, en Europe et en Ukraine. Et c’est ce qui reste obscur en ce moment, qui est quoi, et pour qui…

Une zone d’ombre importante persiste, est-ce que le président Biden serait au courant des positions de certains pays européens? Pas sûr! Pour Hersh, « il n’est pas clair si cette compréhension est parvenue jusqu’au bureau ovale. On m’a dit que certaines des meilleures informations de renseignement sur la guerre n’atteignent pas le président, sans que cela soit la faute de ceux qui produisent des évaluations souvent contraires ».

L’analyse détaillée des guerres montre évidemment le rôle de la guerre de l’information pour le grand public mais l’article de Seymour Hersh donne également des éléments sur la guerre des l’information au niveau interne du pouvoir décideur, au sein du soutien principal de l’Ukraine que sont les Etats-Unis. Pour Bruno Drweski, « c’est toujours comme cela, les différents pôles de pouvoir cherchent à atteindre le président et bloquer l’accès aux concurrents. Cet article de Hersch est à cet égard éclairant, mais on ne voit pas bien les liens entre les factions et les intérêts auxquels chacune est lié ».

 

Source : Investig’Action

 

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