Moines sectaires et Rohingya attaqués: l’ombre du Myanmar au Sri-Lanka?

Dans une banlieue de Colombo au Sri Lanka, un centre de réfugiés abritant un groupe de Rohingya a été attaqué par une foule guidée par un moine bouddhiste. Mais les informations sur ce récent incident soulèvent plusieurs interrogations. D’un côté, on a voulu coller l’image de « terroriste » aux réfugiés rohingya. De l’autre, on voyait dans une vidéo des hommes, des femmes et des enfants à la fois pauvres et effrayés. Notamment des nourrissons escortés hors de leur maison par la police. Ça ne collait pas…

 

Ces événements ont eu lieu un mois après l’attaque d’un groupe terroriste appelé l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan[1] (ARSA). Ce groupe avait visé des postes de police et une base militaire dans l’État de Rakhine au Myanmar, provoquant une répression sécuritaire contre la communauté. Mais les Rohingya ciblés au Sri Lanka ne correspondaient guère à l’image de militants radicalisés que le moine cherchait à projeter sur eux.

 

C’est le 26 septembre que ce groupe emmené par un moine bouddhiste a pris d’assaut le centre de réfugiés au Sri Lanka, brisant les fenêtres et détruisant les meubles à l’intérieur. Mais les 31 réfugiés étaient présents depuis le mois d’avril, sous la protection de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). L’attaque a donc eu lieu cinq mois plus tard, après les violences au Myanmar qui ont provoqué un exode de réfugiés vers le Bangladesh et d’autres pays voisins. Akmeemana Dayarathana, un moine à la tête d’un groupe radical appelé Sinhale Jathika Balamuluwa (« Force nationale cinghalaise ») a été arrêté à la suite de cette affaire, puis libéré sous caution.

 

On notera que dans ses allocutions aux médias, le moine en question a affirmé que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU avait donné l’asile aux Rohingya. Actuellement, la plupart des Sri-lankais savent que c’est le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et non le Conseil des droits de l’homme (HCDH) qui s’occupe des réfugiés. Le HCDH est cependant l’agence la plus controversée, ayant adopté une résolution impopulaire contre le Sri Lanka en 2015.

 

La rhétorique du moine ultranationaliste n’est pas très différente de celle du Bodu Bala Sena ou BBS (« Force Bouddhiste »), un autre groupe de moines accusé d’être à l’origine de la violence antimusulmane dans la ville côtière d’Aluthgama en juin 2014. Bien qu’ils restent en marge du paysage politique et ne soient pas représentatifs de la majorité bouddhiste sri-lankaise, ces groupes semblent se battre pour la même part de gâteau politique. Il est possible que BBS ait perdu du terrain au profit des partisans de Dayarathana. S’il existe des bienfaiteurs cachés, on peut se demander s’ils ont décidé de miser sur un autre cheval.

 

Les comptes des réseaux sociaux associés au moine arrêté ont affiché des bannières représentant la dirigeante du Myanmar, Aung San Suu Kyi. Ils expriment leur solidarité avec le leadership du Myanmar « au nom des bouddhistes du monde entier ». Ashin Virathu est un moine bouddhiste radical du Myanmar. Il est lié aux tensions entre bouddhistes et musulmans qui ont débouché sur des violences en 2012. Virathu a établi des liens avec BBS lorsqu’il s’est rendu au Sri Lanka en 2014. Prenant la parole lors d’un Congrès du BBS à Colombo, Virathu aurait déclaré à l’assistance qu’il fallait « travailler ensemble pour défendre notre religion commune ».

 

 

Au Myanmar, on a pu voir poindre d’autres tentatives d’attiser les conflits sectaires. Avec notamment ces informations sur des hindous attaqués. Les victimes avaient d’abord désigné l’armée du Myanmar et des bouddhistes de Rakhine comme auteurs de l’agression, avant de changer de position et d’accuser les musulmans :  

 

« Au début, ils [les réfugiés hindous qui ont fui] ont blâmé les agents de l’armée du Myanmar ou les bouddhistes de Rakhine voire une combinaison des deux. Puis ils ont changé de ton la semaine suivante ou dix jours plus tard, disant que les Rohingya et l’Armée du Salut Arabe des Rohingya d’Arakane (ARSA) étaient ces hommes en cagoules et vêtus de noir qui attaquaient et assassinaient des hindous dans des villages comme Fakirabazar. » (PK Balachandran — « Mystère sur le meurtre d’hindous au Myanmar » Daily Mirror, 03.10.17)

 

Alors que les problèmes de la communauté rohingya se propagent au Myanmar depuis des années, leur ciblage au Sri Lanka soulève des préoccupations quant à savoir s’il existe des forces à l’œuvre qui cherchent à répandre les flammes à l’échelle nationale et régionale. Bien qu’ils vivent au Myanmar depuis des générations, les Rohingya se voient refuser la citoyenneté, ce qui en fait une communauté « apatride » et donc une cible facile. Il y a un manque de clarté concernant les origines du groupe terroriste relativement nouveau, l’ARSA, qui a organisé des attaques sur des postes de sécurité. Son chef ne semble pas être un insurgé « d’origine locale ». Plusieurs rapports le relient à l’Arabie Saoudite et au Pakistan. Par ailleurs, le mystère plane toujours sur les responsables des incendies des villages de l’État de Rakhine. Selon certaines sources, ce sont les terroristes. D’autres accusent les militaires.

 

De son côté, Tony Cartalucci a souligné que « les militants rohingya soutenus par l’Arabie saoudite ne représentent pas plus tous les Rohingyas que l’État islamique ne représente tous les sunnites. » Il affirme que le mouvement de Suu Kyi, la violence anti-Rohingya et les « retours de flamme » qui portent des « marques étrangères » créent une situation qui « met en péril non seulement la majorité du peuple du Myanmar — tant les bouddhistes que les Rohingya — qui veut vivre en paix, mais aussi la région entière… »

 

Certains affirment que les violences ciblant les Rohingya devaient nécessairement provoquer une réaction violente. Mais Cartalucci soutient que les insurrections armées ne surgissent pas spontanément. « Des actes de violence isolés et l’apparition de gangs organisés avec une capacité très limitée sont possibles, mais la violence que décrit le Wall Street Journal n’est pas simplement une “réaction”, c’est un activisme à motivation politique financé par l’étranger qui opère sous la couverture d’une “réaction”, a-t-il écrit dans un article. “Le régime marionnette qui préside actuellement le Myanmar – créé et perpétué par l’argent et le soutien US – est intentionnellement opposé à un militantisme financé et organisé par l’allié le plus proche des Etats-Unis au Moyen-Orient, à savoir l’Arabie saoudite.

 

D’un point de vue géopolitique, il est intéressant de noter que la Chine a des intérêts substantiels au Myanmar, tout comme au Sri Lanka. Cartalucci attire l’attention sur le fait que l’État de Rakhine est le point de départ de l’un des projets chinois de la Nouvelle Route de la Soie, reliant le port de Sittwe situé à Rakhine à l’infrastructure conduisant à Kunming, en Chine. » Non seulement la violence dans l’État de Rakhine menace les intérêts chinois, mais elle contribue également à préparer l’implication militaire directe des États-Unis – soit sous la forme d’une « aide contre le terrorisme », comme on leur offre aux Philippines pour lutter contre les militants de l’État islamique appuyés par les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, soit sous la forme d’une « intervention humanitaire. Dans les deux cas, le résultat sera des effectifs militaires US stationnés dans une nation aux frontières de la Chine en Asie du Sud-Est. C’est ce que les décideurs étasuniens ont cherché à faire depuis des décennies. », dit-il.

 

Des appels pour intervenir au Myanmar ont été lancés sur base de la R2P (« responsabilité de protéger ») — le concept sous-tend les interventions dirigées par les États-Unis se déroulant déjà au Sri Lanka, à travers une résolution du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Ramesh Thakur, un ardent défenseur de la R2P, a déclaré dans un article que l’ASEAN et l’ONU portent la responsabilité de protéger « tout le peuple du Myanmar » et que l’affaire doit être déférée à la Cour pénale internationale si des enquêtes indépendantes et impartiales ne sont pas ouvertes.

 

Dans l’American Herald Tribune, Gearóid Ó Colmáin écrit : « L’objectif stratégique de l’impérialisme occidental en Asie est d’exploiter ces tensions en attisant la haine sectaire — un choc des civilisations huntingtonien, qui sert de prétexte à des opérations “antiterroristes” et à des interventions “humanitaires” menées par les États-Unis et leurs alliés. Les tensions grandissantes entre les bouddhistes et les musulmans fournissent aux États-Unis le prétexte dont ils ont besoin pour contrer la montée en puissance de la Chine. C’est seulement dans ce contexte que l’on peut commencer à comprendre l’intérêt que porte à présent l’impérialisme pour sa nouvelle cause humanitaire, les Rohingya. »

 

Peu de gens savaient jusqu’à maintenant que des Rohingya avaient trouvé refuge au Sri Lanka. Jusqu’à ce que leur centre d’abri soit la cible d’une attaque. Cet horrible incident semblerait ajouter aux inquiétudes des experts pour qui les tensions religieuses croissantes dans la région ne sont ni isolées ni le fruit du hasard.

 

Note:

[1] Autre nom de l’État de Rakhine, au Myanmar, où les Rohingya sont victimes de violence (NDLR).

 

SOURCE: Investig’Action

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