Mobilisation contre le Pass sanitaire: enjeux d’une lutte opposée à une société de contrôle

En France, les manifestations contre le pass sanitaire s’enchaînent. Dans Planète Malade, Michel Collon a analysé la gravité de la pandémie et a exploré différentes pistes pour lutter contre. Le dispositif mis en place par Emmanuel Macron n’y répond pas. La mobilisation contre le pass sanitaire révèle ainsi les failles de la gestion de la crise sanitaire en France. Difficile de faire croire qu’elle est limitée à quelques « complotistes » et autres « antivax » mal informés. Caducité juridique, ségrégation sociale, menaces pour l’État de droit, mise en pratique inconcevable… Matthieu Bogosavlijevich analyse ce qui coince avec ce fameux pass sanitaire. (IGA)


 

En ce troisième samedi de manifestation contre l’extension du pass sanitaire aux actes de la vie quotidienne, une chose est sûre : la mobilisation ne faiblit pas, elle se renforce.

Ces rassemblements et manifestations ont pour objet la dénonciation d’un dispositif privatif de liberté entraînant une ségrégation d’une partie de la population de la majeure partie des lieux publics.

Les classes populaires étant encore davantage ségréguées ; en effet le taux de vaccination parmi les classes les plus défavorisées y est plus faible et de ce fait l’engagement contre le pass sanitaire y est encore plus fort.

Or ce que certains appellent une incitation renforcée à la vaccination relève plus d’un pari électoral : celui de l’opposition entre vaccinés et non-vaccinés qui permet de légitimer pour des motifs sanitaires l’exclusion de la société d’une partie substantielle de la population, celle qui n’est d’aucun intérêt pour Emmanuel Macron.

Que l’on ne s’y trompe pas, l’introduction du pass sanitaire n’introduit pas une seule rupture d’égalité entre deux catégories de citoyens, les vaccinés et les non-vaccinés :le contrôle permanent qu’introduit le « pass » s’adresse bien à l’ensemble de la population.

Il s’agit d’un changement de paradigme « au pays des droits de l’Homme », où le contrôle devient la règle, la liberté l’exception ;avec en prime un nouveau degré de servitude volontaire.

Si ledit pass est condamné à cesser d’exister selon ses créateurs en même temps que la pandémie prendra fin, de nombreux exemples de dispositifs juridiques d’exception ont vu leur existence se pérenniser et leur domaine s’étendre [ tel que le Fichier national des empreintes génétiques, ou encore l’état d’urgence] ce qui n’est pas de bon augure.

Dès lors seule une large mobilisation du plus grand nombre d’acteurs possible est en mesure de mettre un terme à cette parenthèse noire pour les libertés publiques.

Et si ce n’est pas sur le parlement réduit à n’être qu’une simple chambre d’enregistrement qu’il faudra compter, l’essor de la mobilisation populaire est gage d’espoir

 

Plus de deux cents rassemblements et manifestations dans toute la France pour contrer le projet de loi d’extension du pass sanitaire

Une mobilisation sous-évaluée qui croît de samedi en samedi

Plus de 4 000 personnes[1] manifestaient à Chambéry dans les rues du centre-ville le samedi 24 juillet 2021, au moins tout autant ce samedi 31 juillet[2] contre l’extension du pass sanitaire au son de « liberté, liberté » ou encore :«  le pass sanitaire : on n’en veut pas, l’État autoritaire: on n’en veut pas ».

C’est donc bien dans le cadre de l’adoption du projet de loi étendant l’application du pass sanitaire aux actes de la vie quotidienne qu’ont lieu en France plus de deux cents manifestations et rassemblements, dont le nombre de participants est en forte hausse de samedi en samedi, et ce alors même que les mobilisations se tiennent en pleine période de vacances estivales.

Qu’il s’agisse de Paris, Lyon, Marseille ou de plus petites villes, la dynamique est la même de partout, les manifestations drainent de plus en plus de personnes. Quant aux chiffres avancés par le ministère de l’Intérieur, nul doute qu’il est largement sous-évalué ; il suffit pour s’en rendre compte de voir sur différents canaux internet des vidéos émanant de drones filmant les différentes mobilisations [ à Paris notamment] que le nombre de manifestants est largement supérieur à celui donné par la place Beauvau et repris sans trop d’esprit critique par les médias dominants.

Le pass sanitaire, enjeu de lutte

Il convient en amont de préciser ce qu’est le pass sanitaire, ce précieux sésame totalement macronien, du nom au contenu.

Une partie du nom est issu d’un anglicisme, pass, de manière à le rendre plus « cool » et ainsi rester dans la continuité de ce à quoi nous sommes habitués avec la république en marche et ses fameux slogans « disruptifs » tels que « choose France ». L’usage de cet anglicisme permet ainsi d’atténuer la dimension de passeport audit pass. Au demeurant, en Italie la démarche est sensiblement la même, le pass sanitaire de l’autre côté des Alpes est dénommé « green pass », à l’heure où la communication compte plus que tout autre domaine, on ne peut imaginer que cet aspect n’ait pas été mûrement réfléchi.

Si par son apparence le pass sanitaire est fidèle aux préceptes de LREM, grâce à un nom « cool » accompagné d’une utilisation « fun » grâce au QR code à flasher avec son téléphone, son contenu est lui aussi totalement macronien. Il accentue les divisions dans la société française entre vaccinés et non-vaccinés, entre utilisateurs et personnes refusant d’utiliser le pass sanitaire et surtout marque une nette rupture d’égalité entre les citoyens. Si hier Emmanuel Macron triait la population entre«  les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien » c’est désormais en fonction du statut vaccinal et l’acceptation de le justifier que s’opère le tri.

Initialement prévue pour les seuls rassemblements de plus de 1000 personnes et les parcs d’attractions, puis étendue uniquement aux discothèques, son application vient de s’étendre aux actes de la vie quotidienne alors même que tous les dirigeants politiques dont les premiers d’entre eux, Emmanuel Macron ou Olivier Véran, juraient qu’il ne concernerait jamais les actes de la vie quotidienne.

Le pass sanitaire consiste en la présentation, numérique (via l’application TousAntiCovid) ou papier, d’une preuve sanitaire, parmi les trois suivantes : la vaccination, la preuve d’un test pcr négatif de moins de 48 heures ou encore le résultat d’un test RT-PCR positif attestant du rétablissement du Covid-19, datant d’au moins 11 jours et de moins de 6 mois[3].

Son extension à la plupart des actes de la vie quotidienne entraîne une levée de boucliers [principalement populaire] qui se traduit par des mobilisations, dont le nombre de participants pourrait encore s’amplifier cette semaine si la mobilisation croît comme elle a crû en l’espace de trois semaines.

Ce pass sanitaire qui dans un premier temps était circonscrit aux seuls événements rassemblant plus de mille personnes ainsi qu’aux discothèques voit désormais son champ d’application largement élargi de façon à s’appliquer aux bars et restaurants, piscines, cinémas, théâtres et spectacles recevant plus de cinquante personnes, hôpitaux et ephad ou encore pour les transports dits longs : train, bus, avion[4].

 

Rupture d’égalité entre les citoyens vaccinés et non-vaccinés

Si la rupture d’égalité entre les citoyens vaccinés et les citoyens non-vaccinés est flagrante, elle ne se limite pas à cette seule opposition.

Cette rupture d’égalité concerne aussi les personnes vaccinées éprises de liberté qui refusent par conviction de devoir présenter leur certificat via une fiche papier ou l’application pour entrer dans un des lieux qui le nécessitent.

En effet, lors des mobilisations qui ont eu lieu dans toute la France le quatorze juillet ainsi que les trois samedis qui ont suivi, de nombreuses personnes étaient vaccinées.

En outre, les sondages, quoique moyennement crédibles, montrent qu’au moins plus d’un tiers de la population soutient les manifestations anti-pass sanitaire et ce alors même que plus de quarante millions de Français sont déjà des primo-vaccinés.

Ce qui démontre que le débat autour de l’extension du pass sanitaire n’oppose pas vaccinés contre non-vaccinés, mais plutôt des personnes sensibilisées aux questions de libertés publiques face à d’autres qui le sont moins.

Cela prouve aussi que la stratégie de division entre vaccinés et non-vaccinés voulue par Emmanuel Macron ne fonctionne pas sur tous.

Revenons sur les nombreuses libertés et les droits fondamentaux protégés par la Constitution, par le bloc de constitutionnalité [qui inclut notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ] et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, bafoués par l’extension du pass sanitaire :

Liberté de commerce et d’industrie [ à valeur constitutionnelle], liberté de circulation,  droit au respect de la vie privée et familiale [art 8 de la CESDH] , liberté de réunion [art 11 de la CESDH] , interdiction de la discrimination [art 14 de la CESDH], principe de précaution de la santé [ à valeur constitutionnelle].

Encore une fois, si la liste n’est pas exhaustive, on peut dire de manière certaine que l’on assiste à une rupture d’égalité nette entre les citoyens en fonction de leur statut vaccinal, ou idéologique [ refus de se soumettre à un contrôle permanent].

Il ne fait aucun doute de l’existence d’une disproportion entre les moyens employés pour « lutter » contre l’épidémie [via l’extension du pass sanitaire] et les restrictions de libertés.

Ceci dit, le Conseil constitutionnel aura-t-il le courage de censurer ces mesures ?

Le Premier ministre Jean Castex a appelé personnellement le président dudit conseil afin de s’assurer qu’il y aura bien la présence des neuf juges pour statuer de la constitutionnalité du pass, afin que le conseil statue le plus vite possible[5].

Qu’un Premier ministre appelle le président du Conseil constitutionnel, l’enjoigne à statuer dans un certain délai et avec une certaine composition de juges ne rassure pas quant à l’indépendance dudit conseil et des interférences qui existent entre lui et le pouvoir exécutif.

 

Une ségrégation des classes populaires

Les décisions prises par la majorité d’étendre le pass sanitaire aux activités quotidiennes impactent prioritairement les classes populaires, dont une part non négligeable n’est pas vaccinée. Or le sentiment de défiance à l’égard du pouvoir explique en partie cette différence de part vaccinale entre les classes populaires et les classes supérieures. Et ce ne sont pas les médias dominants qui contribueront à rétablir la confiance entre le pouvoir [dont ils font partie] et les classes populaires.

La ségrégation introduite par l’extension du pass sanitaire touche en premier lieu les classes populaires

La défenseure des droits s’alerte que « La carte des plus faibles vaccinations recoupe celle de la pauvreté, de la fracture numérique, de l’accès aux services publics. Les nouvelles mesures comportent ainsi le risque d’être à la fois plus dures pour les publics précaires et d’engendrer ou accroître de nouvelles inégalités ».

Or ce n’est pas anodin si l’annonce du président de la République s’est faite le douze juillet, car à cette date les classes les plus favorisées étaient déjà fortement vaccinées. Les mesures qu’il prenait n’auraient donc qu’un impact très limité sur son électorat.

Les classes sociales qui ont le plus voté pour Emmanuel Macron au premier comme au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017 sont celles qui disposent du plus grand capital économique, culturel et social. Or ces classes sociales affichent un taux de vaccination très élevé.

Le président de la République française n’a donc pas pris de grands risques en étendant le pass sanitaire aux activités de la vie quotidienne, son vivier de voix n’en ressentira pas les effets, ou de manière très limitée. Alors que les personnes mises sur le banc de la société, considérées comme des personnes issues de classes moyennes et populaires et qui ne font pas partie de son électorat, elles, peuvent être exclues de la cité, avoir du ressentiment à son égard et même se mobiliser, cela ne porte pas à conséquence, ils ne lui seront d’aucune utilité.

On peut en somme dire que ce pass sanitaire n’est que la continuité des petites phrases ô combien clivantes et prononcée avec dédain par le monarque présidentiel dont la plus fameuse : «Une gare, c’est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien  » ; au moins à partir d’août, il aura réussi à débarrasser les gares des gens qui ne sont rien, ils n’auront plus le droit d’y entrer[6].

Une défiance des classes populaires à l’égard des recommandations sanitaires

Or, si une partie de la population se braque, la moins aisée, celle qui subit le plus les affres de la mondialisation, les réformes néolibérales qui lui durcissent son existence, ceci n’a rien d’anodin.

En effet, les classes populaires, que l’on voudrait réduire à des ignares, ont déduit une chose essentielle de leur expérience : si gouvernement, médias, industriels et éditocrates vous disent de faire une chose, c’est par nature qu’elle leur est profitable et qu’elle nuira aux plus pauvres [réforme des retraites, de l’assurance chômage, les lois travail, les délocalisations, les mensonges de guerre].

Or dans une situation de pandémie, ce défaut de confiance à l’égard des dirigeants amène une frange non négligeable de la population à douter de ce qui est dit, exigé.

Comme le rappelle un journaliste du Média, Théophile Kouamouo, si une partie de la population française ne se fait pas vacciner, ce n’est pas par défiance vis-à-vis de la science, mais par défiance à l’égard d’un gouvernement qui a tant menti.

Dans un de ses éditos[7], il fait un parallèle intéressant entre le terrible développement du VIH entre la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix dans des pays d’Afrique de l’Ouest francophone. Il rappelle que plus les journaux et les télévisions appelaient la population à se protéger, plus une partie de celle-ci faisait le contraire. Pourquoi ? Car comme ici aujourd’hui, la défiance du peuple à l’égard du pouvoir [et de son parti unique], des médias qui lui étaient inféodés, était grande[8].

S’il existe aujourd’hui une telle défiance à l’endroit des vaccins, c’est donc surtout à cause d’une crise de confiance entre le peuple et les gouvernants, gouvernants devant être entendus dans une large acception.

Par défiance à l’égard des grandes entreprises qui recherchent avant toute chose le profit, les entreprises pharmaceutiques ne faisant pas exception.

Par défiance vis-à-vis des médias dominants qui lors des invasions guerrières des forces américaines et européennes ont menti et fabriqué le consentement de la population aux guerres pour des raisons purement mercantiles.

Par défiance des gouvernements, médias et grandes entreprises qui des décennies durant ont tout fait pour imposer des réformes antisociales que le peuple ne voulait pas.

C’est en somme cette défiance à l’égard des puissants qui ont toujours tenté et très souvent réussi à imposer leur volonté qui amène à douter de la parole publique.

Or la traduction de cette défiance aujourd’hui amène une partie de la population à se dire « s’ils disent que la vaccination est la solution, c’est que la vaccination est le problème ».

Et ce n’est pas la pléthore d’acteurs néoconservateurs qui entrent dans la course à l’échalote pour savoir qui aura le commentaire le plus acerbe contre les opposants à la vaccination obligatoire  comme BHL, Kouchner, Romain Goupil ou Christian Estrosi pour ne citer qu’eux qui convaincra les réticents.

Ce n’est pas non plus l’accord secret exonérant en partie la responsabilité des fabricants de vaccins conclu entre ces derniers et la Commission européenne qui le fera.

En effet, les contrats signés entre la Commission européenne et les entreprises telles que Pfizer ou Moderna demeurent secrets. On ne connaît donc pas à quelle hauteur se ferait ce partage de responsabilité si des affections graves ou moins graves surgissaient chez des personnes vaccinées. Serait-il encore question d’une privatisation des gains  et d’une mutualisation des pertes ? Il fait assez peu de doutes là-dessus.

Michèle Rivasi, député européenne de la Drôme, fait partie des parlementaires européens qui avaient tenté de prendre connaissance de ces fameux contrats. Son acharnement avait fini par payer.

Mais si elle s’était vu proposer des contrats, ils étaient expurgés via du blanco. L’accès auxdits documents lui était autorisé à condition qu’elle n’ait pas de téléphone portable sur elle et qu’elle  reste au maximum quarante-cinq minutes pour consulter soixante-sept pages[9].  Qu’est-ce qui peut justifier tant de précautions et ce refus de transparence?

D’autres questionnements irriguent une frange réfractaire de la population à la vaccination dont les raisons de la présence des seuls vaccins américains et européens sur le territoire européen.

Il existe aussi des interrogations quant à la stratégie vaccinale. Pourquoi vouloir vacciner une population jeune, très peu à risque alors que durant la totalité de la crise sanitaire, le principe de précaution prévalait [précisément lorsque les confinements à répétition ont été instaurés]?

Ce principe n’est désormais plus sollicité au point qu’une personne se prévalant de celui-ci puisse être considérée comme déraisonnable au mieux dangereuse, bête ou complotiste au pire.

Au regard d’une récente étude américaine du centre de contrôle et de prévention des maladies, depuis l’arrivée du variant delta, les personnes vaccinées transmettraient tout autant le virus que les personnes qui ne le sont pas[10].

Il devient de ce fait risqué [si l’étude vient à être confirmée par d’autres] de vouloir continuer à vacciner les mineurs alors même que le risque qu’ils meurent du coronavirus est infinitésimal[11] et que l’incitation à la vaccination ne repose que sur le risque qu’ils transmettent le virus.

Par ailleurs il sera difficile de maintenir la vaccination obligatoire des soignants alors même que celle-ci repose sur le risque que les non-vaccinés font peser aux personnes vulnérables[12]. Ce sont bien ces mêmes personnes qui ont été pointées du doigt par ministres et présidents comme responsables de nouveaux foyers épidémiques dans les ephad. Comment passer de « héros à salauds » en s’appuyant sur des critères mensongers.

Restaurer la confiance publique est une priorité, cependant le chemin n’a jamais été aussi long qu’il ne l’est aujourd’hui.

S’il existait une forte relation de confiance entre les citoyens et les dirigeants, s’il existait une entreprise pharmaceutique publique non soumise aux lois du marché, il est fort à parier qu’une partie non négligeable des personnes non vaccinées serait plus encline à se faire injecter la solution.

Reste qu’il est plus facile pour les puissants de qualifier les réfractaires d’idiots, d’irresponsables ou d’égoïstes que de changer le type d’économie et le mode de gouvernance.

Le manque de pluralité dans les médias

S’il existe à l’égard d’une institution un fort sentiment de défiance en France, c’est bien à l’encontre des médias. Plus de deux tiers des Français estiment que les journalistes ne sont pas indépendants du pouvoir, qu’il soit financier ou gouvernemental[13]. Dès lors, comment pouvoir adhérer aux recommandations sanitaires [parfois contradictoires] qui y sont dispensées ?

Ce qui suscite en outre de la défiance c’est le manque de pluralité. La crise sanitaire ne fait pas exception.

Si certains s’alarment de l’absence de pluralité de points de vue tant sur les chaînes et radios du service public que sur les chaînes privées, qu’ils trouvent que les fameux experts qui y interviennent si régulièrement ne débattent pas des enjeux de libertés publiques mis à mal par l’introduction du pass sanitaire, mais uniquement des modalités de sa mise en œuvre et font mine de s’écharper sur des mesures de forme alors que sur le fond ils sont tous d’accord, qu’ils se rassurent, ils ne se trompent pas.

Les débats médiatiques peuvent se résumer par des prises de position à haute teneur irrévérencieuse comme « il aurait fallu décaler l’entrée en vigueur du pass au 15 août »

Cette regrettable unanimité de point de vue a été analysée par deux fins connaisseurs des médias que sont Edward Hermann et Noam Chomsky et elle n’est pas réservée au pass sanitaire.

L’enseignement qu’ils ont tiré de ces experts médiatiques prompts à intervenir peu importe le sujet et qui sonne toujours aussi juste aujourd’hui est qu’ils « argumentent le consensus ».

Dès lors, rien n’est à attendre des chaînes de radios et télévisions dites dominantes, si ce n’est de la déception.

Pourtant, les médias de service public ont une obligation de pluralité, qu’ils ont tendance à oublier et à surtout ne pas respecter[14].

Il convient de préciser que si le constat et sensiblement le même dans les médias privés, il est décevant de constater l’apparition du nom de Michèle Rivasi dans la rubrique « le mur des cons » du Canard Enchaîné alors même que son tweet dénonçant une nouvelle forme d’apartheid sonne juste.

 

Changement de paradigme au pays des droits de l’homme où le contrôle devient la règle, la liberté l’exception

Un changement de paradigme concernant à la fois  les vaccinés et les non-vaccinés

Il est bien question d’un changement de paradigme, puisque jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale un gouvernement n’eut pris de lois ségréguant de la sorte une partie substantielle de la population, non pas comme il est dit pour un unique refus vaccinal, mais aussi pour un refus de se soumettre à la présentation d’un QR code à l’entrée de quasi tous les lieux de société. C’est en somme condamner à la mort sociale et professionnelle quiconque refusera de présenter ce pass sanitaire, l’ostraciser et le rendre coupable de son refus d’adhérer à une société de surveillance généralisée.

Outre les libertés  précitées mises à rude épreuve notamment par la rupture d’égalité entre les citoyens acceptant de se soumettre à ce contrôle et ceux le refusant se pose un autre problème : celui de la banalisation du contrôle dans une société dite démocratique.

Il est effectivement question d’un changement de paradigme puisqu’en France le contrôle d’identité fait l’objet d’un encadrement strict : l’identité ne peut être contrôlée que dans les cas suivants :

    • Dans un but préventif afin de prévenir la survenue de troubles à l’ordre public
    • Dans un contexte de suspicion de commission d’infraction
    • Sur réquisition du procureur dans un laps et un espace déterminé
    • À cela s’ajoutent les contrôles frontaliers, dits Schengen.

Il convient de noter que le contrôle d’identité reste l’exception, la norme étant la liberté et l’un de ses corollaires l’anonymat.

Désormais il faudra être en mesure de décliner son identité cinq à dix fois par jour voire plus, ce qui contrevient complètement à la conception d’une société démocratique.

– « Nous ne sommes pas de la police », cette rengaine commence à faire son petit bonhomme de chemin parmi les restaurateurs, serveurs, hôteliers, contrôleurs SNCF, certains ajoutent « ni de la médecine du travail ». Outre le temps que nécessite le contrôle d’un pass sanitaire, c’est surtout la méthode qui est rejetée.

Comme le rappelle la défenseure des droits Claire Hédon dans un avis passé largement inaperçu : le fait que des personnes privées soient : « chargées de contrôler la situation sanitaire des individus, et donc leur identité, [remet] en cause des principes de liberté de circulation et d’anonymat pourtant longtemps considérés comme constitutifs du pacte républicain ».

Elle rappelle aussi dans cet avis que si tant est qu’il y ait un pass sanitaire, faut-il encore que : « Ce contrôle [relève] des autorités publiques, compte tenu des risques inhérents à l’exercice d’un tel pouvoir »[15].

Ce qui est en passe de ne plus être un risque, mais une réalité fait de notre société une société de contrôle permanent où il devient nécessaire de prouver son état de santé de manière répétée et ceci, sera permis par la collaboration d’une pléthore d’acteurs non étatiques. Chaque personne devient alors le contrôleur de l’autre, et peut ainsi lui refuser l’accès à un lieu pour son simple refus de participer à cette société de contrôle permanent.

Comme le rappelle David Guyon avocat au barreau de Montpellier, quand la liberté devient conditionnelle, on ne peut plus parler de liberté. Or en l’espèce la liberté est bien conditionnée à la présentation d’un certificat.

Quid des effets de la surveillance de masse sur la population ?

« L’histoire montre que la simple existence d’un système de surveillance de masse, quelle que soit l’utilisation qu’on en fait, suffit en soi à étouffer toute dissidence. Un corps social qui a conscience d’être constamment observé devient vite obéissant et craintif »[16].

Cette citation issue du livre relatant l’histoire d’Edward Snowden par Glenn Greenwald[17] permet au mieux de rendre compte des motivations des manifestants contre le pass sanitaire : le refus d’une surveillance globale qui tendrait à faire du peuple français une meute dépolitisée, amorphe et capable d’aller de renoncement en renoncement.

Au-delà de l’aspect démobilisateur induit par le sentiment de surveillance se pose la question des données.

Or les mises en garde répétées de Julian Assange ou d’Edward Snowden sur la question n’ont pas l’air d’avoir servi à tout le monde.

Julian Assange écrivait déjà dans un de ses livres en 2013 qu’il n’était plus le temps d’écrire des manifestes, car il était trop tard pour cela, son livre était un « cri d’alarme ».

Il y a déjà huit ans, son cri d’alarme était relatif à la dystopie vers laquelle se « précipitait » le monde. Il prévoyait et à juste titre « qu’à moins d’un changement de cap, la civilisation mondiale sera devenue d’ici à quelques années une dystopie de surveillance postmoderne, à laquelle seuls les plus habiles auront une chance de se soustraire ». Le moyen permettant cette surveillance postmoderne étant internet, « le meilleur de nos outils d’émancipation [qui] est devenu le plus redoutable des auxiliaires du totalitarisme qu’on n’ait jamais connu »[18].

En l’occurrence, comment ne pas voir le pass sanitaire en un instrument supplémentaire de surveillance de masse. À ceci près que celui-ci introduit une forme de servitude volontaire, où chaque citoyen accepte de reléguer une partie de ses libertés, ce qui est nouveau, puisque jusqu’à présent cette surveillance se faisait à l’insu des citoyens.

Les craintes de Julian Assange sont à mettre en lumière avec les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de masse mise en place par les acteurs du renseignement américain au détriment de la population étasunienne notamment, celle-ci ciblait de manière indifférenciée l’ensemble des citoyens américains en pleine contradiction avec le quatrième amendement.

Or en l’espèce pour le pass sanitaire ce n’est pas son objet [le contrôle de la pandémie] qui prémunira les citoyens qui l’utilisent d’une dérive. Il suffit d’effectuer un retour en arrière de moins d’un an pour se convaincre des dévoiements de certains objets connectés, dont le compteur Linky est un exemple frappant.

Des précédents alarmants de dévoiement d’objets connectés

Ce compteur qui permet de rendre compte en temps réel de la consommation d’électricité des administrés français voit son déploiement ralenti par une vague de résistance de personnes refusant d’avoir un mouchard chez soi.

Il s’avère que les risques dénoncés par certains se sont réalisés durant la pandémie. En effet les craintes afférentes au compteur communicant étaient liées aux données du compteur et ses possibles exploitations.

Imaginez en temps de guerre, de fascisme [pourquoi pas de pandémie] où une partie de la population est marginalisée pour ses idées ou son appartenance à un groupe, se doit de se cacher, comme il se fut le cas durant la Deuxième Guerre mondiale.

La communication du compteur électrique permet d’emblée de démontrer en temps réel un changement anormal de consommation synonyme que des personnes aient investi une demeure inhabitée ou peuplée de peu de personnes.

Une fois n’est pas coutume, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que les risques se réalisent.

Pourtant les arguments avancés par des associations et collectifs de citoyens avaient été démontés par les habituels experts politiques et médiatiques qui garantissaient eux que les données seraient et resteraient secrètes, et ne pourraient faire l’objet d’un autre usage que celui pour lequel est destiné le compteur.

En l’espèce durant le premier confinement, Christian Estrosi, maire de Nice et acharné défenseur de la reconnaissance faciale avait demandé à ENEDIS le distributeur d’électricité de surveiller ( dénoncer) les résidences de vacances qui seraient tout à coup occupées, de façon à pouvoir sanctionner les personnes n’ayant pas respecté le confinement[19].

Si Enedis n’a pas donné suite à la sommation de Christian Estrosi, il n’échappe à personne que s’il avait été au pouvoir, la société d’électricité aurait difficilement pu refuser d’accéder à sa requête.

Des risques majeurs de pérennisation du pass sanitaire dans le temps ?

Est-ce irréaliste que de croire que le pass sanitaire puisse se pérenniser?

Le pass sanitaire n’étant annoncé comme un dispositif circonscrit dans le temps et uniquement destiné à contrôler l’état de vaccination ou de non-contamination au virus dans un contexte de crise sanitaire.

Est-ce crédible ?

Les dangereux précédents d’extension/pérennisation de mesures d’exception

On constate que l’élargissement du pass sanitaire à un grand nombre d’activités du quotidien pouvait être prévisible et risque de pouvoir soit s’étendre à d’autres domaines encore non concernés [ oui, oui, difficile à croire, mais il en reste encore ] soit être destiné à durer dans le temps contrairement à ce qui est aujourd’hui avancé.

Petit retour des mesures liberticides désormais pleinement inscrites dans le droit et dans les mœurs.

Une technique bien connue consiste à pérenniser, élargir le spectre d’une mesure ayant fait consensus à d’autres domaines, non initialement prévue.

Le Fichier national d’empreintes génétiques est un cas d’école d’extension d’une mesure de contrôle ciblée aux seuls criminels sexuels étendue à la quasi-totalité des délits et crimes

De nombreux exemples pullulent en matière d’extension de mesures liberticides. En effet la technique reste peu ou prou à chaque fois la même, un événement à forte teneur émotionnelle permet de faire adhérer la population à certaines mesures attentatoires aux libertés individuelles, mais ce dans une sphère circonscrite au seul cadre dudit événement. Puis, une fois entrée par la fenêtre, la mesure liberticide s’étend à un spectre beaucoup plus large, et ce sans entraîner une forte levée de boucliers, le temps ayant permis à la population de s’accoutumer à la mesure, son extension fait alors peu de bruit.

Prenons l’exemple du fichier national des empreintes génétiques. Crée en 1998 par une loi relative à la répression des infractions de nature sexuelle dans le contexte de l’affaire du tueur en série Guy Georges[20], la création de ce fichier faisait naturellement consensus en ce qu’il permettait de pouvoir confondre violeurs et tueurs. Cependant ce fichage qui ne concernait au départ que les crimes sexuels a été étendu progressivement à des infractions qui n’étaient en rien de nature sexuelle tels que les délits de vol ou encore de dégradation[21].

Ledit fichier semble désormais si bien introduit dans le spectre juridique français qu’une personne refusant de s’y soumettre peut être condamnée pour ce refus, et ce même si elle est relaxée de l’infraction pour laquelle elle était poursuivie.

En l’espèce une personne interpellée lors du mouvement des gilets jaunes, suspectée d’avoir dégradé un commissariat, a refusé de se soumettre au FNAEG a été poursuivie pour la dégradation du commissariat, mais aussi pour son refus de se soumettre au FNAEG.

Ceci étant, cette dernière a été relaxée par la cour d’appel pour l’infraction relative à la dégradation du commissariat, ce qui logiquement aurait du faire tomber l’infraction de refus de se soumettre au FNAEG. Pourtant si la personne a été acquittée de l’infraction principale qui conduisait à son inscription au FNAEG, elle a été condamnée pour ne pas s’être soumise audit fichier.

On peut donc être condamné pour avoir refusé de donner ses empreintes génétiques pour une infraction dont on n’est pas coupable. Décision certes ubuesque, mais avalisée par la Cour de cassation[22].

Outre l’extension du FNAEG aux délits mineurs on peut  recenser notamment la transcription dans le droit commun des mesures d’exceptions d’état d’urgence censées ne durer que de manière provisoire.

En effet la loi antiterroriste votée définitivement le premier novembre 2017 permet ainsi de faire entrer dans le droit commun la plupart des dispositions incluses dans celles de l’État d’urgence.

Quid de ces mesures ? Elles permettent à l’autorité administrative [qui dépend directement du ministère de l’Intérieur] de disposer de prérogatives extraordinaires telles que la possibilité d’engager des « visites domiciliaires», qui correspondent dans les faits à des perquisitions, initiative normalement réservée à l’institution judiciaire[23], de mettre en place des assignations à résidence, mais aussi d’élargir la collecte de renseignements grâce à la collecte de données et leur traitement[24].

Ces mesures qui n’étaient par définition que des mesures d’exception ont été transcrites dans le droit commun, saupoudrées de quelques légers garde-fous pour faire bonne figure, mais ont tout de même été transposées.

Dès lors quelle assurance y a-t-il que le pass sanitaire ne devienne pas une mesure pérenne dans le temps ?

La parole politique ne pourra aucunement être prise comme garantie eu égard aux nombreuses déclarations mensongères quant à l’élargissement du pass sanitaire émanant du ministre de la Santé Olivier Véran, du Premier ministre Jean Castex, du président de la République Emmanuel Macron pour ne citer qu’eux.

Or si le pass sanitaire était amené à durer, il pourrait entrer dans les mœurs que, pour sortir il faille avoir ce précieux sésame. Il pourrait aussi être ressorti lors de n’importe quelle occasion le « justifiant ».


Sur quels contres-pouvoirs s’appuyer ?

Le pass sanitaire risque s’il ne rencontre pas de forts contre-pouvoirs de se pérenniser ou d’être ressorti lors de n’importe quelle autre situation. Or ce n’est pas sur le parlement tel qu’il est composé actuellement qu’il faudra compter, n’étant qu’une simple chambre d’enregistrement, mais plutôt sur une partie de la population avide de libertés dont les mouvements ont tendance à être de plus en plus durement réprimés.

Le Parlement, une chambre d’enregistrement

Si sporadiquement certains députés pourtant proches idéologiquement du parti présidentiel se détachent par leurs prises de position et leurs votes dans l’hémicycle contre de l’instauration du pass sanitaire -on pourra citer notamment les députés LREM Pacôme Rupin et ex LREM Aurélien Taché – on ne pourra pas parler de fronde. Ces exceptions ne doivent pas faire oublier une donnée essentielle qui perdure depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, le groupe majoritaire LREM lui est totalement dévoué.

En l’espèce le groupe macroniste en votant le projet de loi tel quel a contribué à faire de l’Assemblée nationale une nouvelle fois une simple chambre d’enregistrement de projets de loi[25].

Parmi les groupes d’oppositions au Palais Bourbon si l’on note à la France Insoumise [dont le groupe parlementaire est quasi vacciné en intégralité] une opposition franche au pass sanitaire, les autres groupes d’opposition ]PS, LR, RN] se sont moins alarmés contre l’instauration dudit pass,  mais ont néanmoins en majorité votés contre[26]. Cependant la présence de seuls six socialistes sur un total de vingt-six lors du dernier vote de dimanche soir alarme ; n’est-ce pas une manière habile de ne pas prendre position, tout en contribuant quand même à l’extension du pass sans s’en voir attribuer la responsabilité, n’y d’être taxé d’irresponsable[27].

La stratégie du groupe Les Républicains est compliquée à suivre. S’ils ont voté contre à l’Assemblée nationale, il n’en est pas de même au Sénat. En effet le palais du Luxembourg dominé par le groupe majoritaire LR – considéré par certains comme d’opposition – vient de voter l’instauration du fameux pass ce dimanche vingt-cinq juillet 2021.

Manque de cohérence ou simulacre d’opposition ?

Le groupe LR a réussi l’exploit de se dédire en moins de vingt-quatre heures, en se targuant de ne pas vouloir voter le projet de loi en l’état, notamment en voulant ne pas imposer de pass concernant les terrasses de restaurants et bars, il n’en sera finalement rien. L’unique avancée dont se glorifie le sénat [ s’agit-il réellement d’une avancée?] et d’avoir réussi à ne pas imposer le licenciement des soignants ne souhaitant pas se faire vacciner.

Cependant il y a un mais, ces mêmes soignants qui étaient applaudis en plein confinement en 2020, s’ils ne sont pas vaccinés ne seront pas licenciés certes, mais suspendus, et ce sans traitement. N’est-ce pas encore plus pervers ?

Quant aux écologistes, peu présents à l’Assemblée nationale et au sénat, l’accueil réservé au tweet de l’une des leurs,  Michèle Rivasi, qui comparait le pass sanitaire à une forme d’apartheid a été pour le moins glacial, glacial serait même un euphémisme.

Ce n’est donc pas non plus auprès de ces derniers qu’il faut aller chercher une quelconque défense des libertés publiques mises en péril par le gouvernement.

Répression des manifestations : un nouveau cadre du maintien de l’ordre bien plus répressif mis en place lors du mouvement des gilets jaunes

Si l’opposition des acteurs institutionnels est décevante, tel n’est pas le cas de l’opposition des acteurs populaires.

Assistons-nous à une sorte de retour des gilets jaunes sur la forme, mais avec un fond sensiblement différent ?

Il convient de voir que ces manifestations mobilisent une pléthore d’acteurs, souvent plus jeunes que lors des manifestations habituelles.

Il est question de liberté, or cette quête de liberté n’est pas forcément la bienvenue sur tout le territoire.

Parmi les manifestants des soignants, des familles, beaucoup de jeunes, et des moins jeunes se mobilisent de partout en France.

La réponse apportée par le pouvoir diffère en fonction des villes. Si nombre de rassemblements et manifestations ont lieu dans un cadre pacifique, d’autres [notamment à Lyon et Paris] sont émaillés d’incidents dont la cause principale est la façon de maintenir l’ordre par la puissance publique,  le principal but étant de créer la peur, dissuader le maximum de personnes de revenir manifester et ainsi pouvoir marginaliser les personnes les plus courageuses en les assimilant à de dangereux radicaux.

En effet, le rassemblement qui avait lieu de manière très pacifique sur la place Jean Macé dans le septième arrondissement de Lyon le dix-sept juillet s’est soldé en l’espace de trente minutes par un gazage en règle de l’ensemble de la foule présente [qui comptait entre autres des enfants et des personnes âgées] rendant l’air irrespirable, et ce alors même qu’aucune violence n’était à mettre à l’actif des personnes rassemblées. S’en est suivi la formation d’une nasse, empêchant un grand nombre de personnes de partir.

Ce type de maintien de l’ordre brutal est la conséquence d’une nouvelle doctrine mise en place par Didier Lallement, nommé préfet de Paris en plein épisode des gilets jaunes, dont la technique dite de « nasse » est un des piliers. On en connaît le résultat : vingt-cinq éborgnés, cinq mains arrachées, des centaines de blessés, une mobilisation en berne.

Or on constate que ce changement de type de maintien de l’ordre né durant les gilets jaunes a irrigué d’autres manifestations, le mouvement anti-pass sanitaire ne faisant pas exception.

Même si la technique dite de « nasse » a été jugée au mois de juin illégale par le Conseil d’État[28], elle continue d’être exercée, et ce n’est pas une figure historique de la république en marche, le député Joachim Son-Forget qui dira le contraire.

Effectivement, l’actuel député non inscrit et ancien de LREM a lui-même été nassé lors du rassemblement du samedi vingt-quatre juillet à Paris. Il s’est plaint de la brutalité de la police au point qu’il : « commenc[ait] à les comprendre les gilets jaunes de l’époque »[29].

Il ne faut pas pourtant pas espérer une amélioration de la situation des conditions de manifestations dans certaines grandes villes pour les semaines qui viennent,  la Légion d’honneur décernée à Didier Lallement par le président de la République en ce mois de juillet[30] poussera les préfets les plus zélés et en mal de reconnaissance à œuvrer de la même manière ; et c’est sans doute l’objectif poursuivi par le chef de l’État.

Tout pouvoir qui voudrait encourager un maintien de l’ordre d’une grande fermeté n’agirait pas d’une manière différente.

 

Conclusion

Si l’introduction dans notre société d’un tel dispositif constitue non pas une potentielle mise en danger des libertés, mais une atteinte aux libertés certaine, la révolte s’accentue.

De nombreux points amènent à rester optimiste tant grâce à la pléthore d’acteurs qui s’engage contre le pass sanitaire que dans les décisions juridiques attendues.

On peut noter l’engagement de certains professeurs de droit public [même si pour certains d’entre eux ce sont plus les modalités qui sont remises en question] qui s’alarment des atteintes aux libertés ainsi que de la rupture d’égalité qu’introduit le pass sanitaire. Ces derniers mettent en place conjointement avec des avocats dont fait partie Fabrice di Vizio des recours devant différentes institutions judiciaires et administratives.

On note aussi que comme l’avocat précité d’autres avocats engagés mettent du temps au service de cette cause, on pourra citer notamment David Guyon ou encore dix de ses confrères qui dans une tribune parue sur le Figaro démontrent l’inconstitutionnalité du pass sanitaire[31]. Ceci permet de réhabiliter la profession face à un président du Conseil National des barreaux Jérôme Gavaudan qui tout en critiquant le pass sanitaire [pouvait-il vraiment faire autrement?] ne voit pas en ce dispositif quelque chose de liberticide, puisque selon lui pour être liberticide fallait-il encore qu’il y ait une volonté de porter atteinte aux libertés[32]. Depuis quand faut-il une quelconque intentionnalité pour qualifier une loi de liberticide? Avec sa conception du droit l’infraction d’homicide involontaire n’existerait pas.

Des associations comme la Quadrature du net font des recours et on fait des recours devant le Conseil d’État contre le pass sanitaire, ces derniers ont fait valoir le risque de piratage des données, qui n’a pas convaincu le Conseil d’État dans sa première décision concernant le pass sanitaire  première mouture [lorsqu’il ne concernait que les grands rassemblements]

Il existe une très forte mobilisation, la rue se montre digne, le nombre de participants ne cesse d’augmenter alors même que la saison estivale voudrait que ce ne soit pas le cas. En l’espace de trois samedis consécutifs, le nombre de participants n’a cessé de croître.

Certains syndicats courageux comme Sud Rail ont pris franchement position en disant qu’ils appelaient les cheminots à ne pas vérifier le pass sanitaire[33] contrant ainsi une direction de la SNCF zélée et pressée d’appliquer le projet de loi, se disant elle prête pour des contrôles « massifs dans les trains »[34].

Il y a encore la décision du Conseil constitutionnel qui est attendue [ les espoirs sont limités].

De nombreux cafetiers et restaurateurs, projectionnistes … comptent ne pas mettre en place ce dispositif par conviction.

Une autre forme de mobilisation plus égoïste risque aussi de pointer le bout de son nez. Celles des commerçants en colère dont le chiffre d’affaires aura baissé. On assiste déjà à une baisse de fréquentation des cinémas, allant jusqu’à 90%[35].

Pour tuer dans l’œuf une éventuelle fronde des commerçants, le gouvernement réfléchit à des aides pour les commerces impactés par l’extension du pass sanitaire[36]. Y aura-t-il une révolte de cette catégorie de la population choyée par Emmanuel Macron, exaspérée par la chute de ses recettes ? Rien n’est à exclure.

Ne cédons pas devant l’avancée à pas de géants d’une société de surveillance massive et rappelons-nous que, comme le disait en 2013 Julian Assange « À moins d’un changement de cap, la civilisation mondiale  sera devenue une dystopie de surveillance postmoderne ».

Impulsons ce changement de cap.

 

Source: Investig’Action

Photo: Manifestation à Chambéry, le 24 juillet 2021

Notes:

[1] J’ai moi-même procédé à un décompte du nombre de manifestants, ce chiffre est en outre corroboré par Libération ou Le Dauphiné Libéré.

[2]Le Dauphiné Libéré, « Manifestation anti-pass sanitaire en Savoie : 4 000 personnes ont défilé à Chambéry, 400 à Albertville », Le Dauphiné Libéré, publié le 31/07/21, en ligne, Savoie. Manifestation anti-pass sanitaire en Savoie : 4 000 personnes ont défilé à Chambéry, 400 à Albertville (ledauphine.com) .

[3]Info Coronavirus Covid-19 – « Pass sanitaire » | Gouvernement.fr

[4]Info Coronavirus Covid-19 – « Pass sanitaire » | Gouvernement.fr

[5]Le Canard Enchaîné, « Allô Fabius, c’est Castex », N°5255, paru le 28/07/21, page 2.

[6]Du moins, ils ne pourront plus prendre de TGV.

[7]Le Média, « pass sanitaire: non les manifestants ne sont pas cons », Youtube, publié le le 27/07/21, en ligne, PASS SANITAIRE : NON, LES MANIFESTANTS NE SONT PAS CONS ! – YouTube .

[8]On ne peut exclure aussi l’influence des recommandations de l’Église.

[9]Elodie Guéguen, « Achats européens des vaccins : un secret très bien gardé » France Inter, publié le 19/02/21, consulté le 27/07/21, en ligne, Achats européens des vaccins : un secret très bien gardé (franceinter.fr) .

[10]Afp, «  La guerre a changé : les vaccinés transmettraient autant le variant delta que les autres », La voix du nord, publié le 30/07/21, modifié le 31/07/21, en ligne, «La guerre a changé»: les vaccinés transmettraient autant le variant Delta que les autres (lavoixdunord.fr) .

[11]Quinze mineurs sont morts en France depuis le début de l’épidémie de coronavirus en France. Emma Donada, « Combien de moins de 18 ans sans comorbidité sont morts du Covid-19 ? », Libération, publié le 2/07/21, en ligne,Combien de moins de 18 ans sans comorbidité sont morts du Covid-19 ? – Libération (liberation.fr) .

[12]Une nouvelle foi s si cette étude se confirme.

[13]Aude Carasco, « Baromètre médias : pourquoi 4 Français sur 10 boudent l’information », Lz Croix, publié le 15/01/20, en ligne, Baromètre médias : pourquoi 4 Français sur 10 boudent l’information (la-croix.com)

[14]Protéger le pluralisme politique – CSA – Conseil supérieur de l’audiovisuel.

[15]Défenseure des droits, « Extension du pass sanitaire:les 10 points d’alerte de la défenseure des droits, publié le 20/07/21, en ligne, Extension du passe sanitaire : les 10 points d’alerte de la Défenseure des droits | Défenseur des Droits (defenseurdesdroits.fr) .

[16]Glenn Greenwald, Nulle part où se cacher. L’affaire Snowden par celui qui l’a dévoilée au monde, JC Lattès, 2014, p.16.

[17]Journaliste et avocat défenseur des libertés publiques        . C’est lui qu’Edward Snowden avait sollicité pour révéler le scandale de la surveillance de masse mise en place par la NSA.

[18]Julian Assange, Menace sur nos libertés, Robert Laffont, Paris, 2013, p.7.

[19]Emma Donada, « Le compteur Linky est-il utilisé pour surveiller les résidences secondaires pendant le confinement ? », Libération, publié le 16/04/20, consulté le 28/07/20, en ligne, Le compteur Linky est-il utilisé pour surveiller les résidences secondaires pendant le confinement ? – Libération (liberation.fr).

[20]« 1998 La création du FNAEG et du service central de préservation des prélèvements biologiques », gendarmerie.interieur.gouv.fr

[21]Art 706-55 du code de procédure pénale.

[22]Décision de la cour de cassation : Cass crim 28 oct.2020 n°19-85.812  

[23]France Info, « La loi antiterrorisme entre en vigueur ce 1er novembre (francetvinfo.fr) », publié le 01/11/17, consulté le 26/07/21, en ligne.

[24]Jeanne Sulzer, « Deux ans de mise en œuvre de la loi SILT – Rapport 2019 », Antiterrorisme, droits et libertés, publié le 6/11/19, consulté le 26/07/21, en ligne,

Deux ans de mise en oeuvre de la loi SILT – Rapport 2019 – Antiterrorisme, droits et Libertés (antiterrorisme-droits-libertes.org).

[25]Analyse du scrutin n° 3943 – Troisième séance du 22/07/2021 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

[26]Analyse du scrutin n° 3943 – Troisième séance du 22/07/2021 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

[27]Analyse du scrutin n° 3949 – Première séance du 25/07/2021 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

[28]Le Monde avec AFP, « Le Conseil d’Etat juge illégal le recours à la « technique des nasses » par les forces de l’ordre lors des manifestations », Le Monde, publié le 10/06/21, en ligne, Le Conseil d’Etat juge illégal le recours à la « technique des nasses » par les forces de l’ordre lors des manifestations (lemonde.fr) .

[29]Blast, « PASSE SANITAIRE : LA MOBILISATION TOUJOURS PLUS FORTE », Youtube, publié le 25/07/21, en ligne, [6.50′-7.30], PASSE SANITAIRE : LA MOBILISATION TOUJOURS PLUS FORTE – YouTube .

[30]Ludovic Séré, « Légion d’honneur : apparemment, l’action de Didier Lallement serait «noble» », Libération, publié le 14/07/21, en ligne,

Légion d’honneur : apparemment, l’action de Didier Lallement serait «noble» – Libération (liberation.fr) .

[31]Tribune collective, « Passe sanitaire : »Pourquoi le projet de loi anti-Covid heurte de manière disproportionnée nombre de libertés fondamentales » », Le Figaro, publié le 01/08/21, en ligne, Passe sanitaire : «Pourquoi le projet de loi anti-Covid heurte de manière disproportionnée nombre de libertés fondamentales» (lefigaro.fr).

[32]Sud Radio, « Jérôme Gavaudan – Passe sanitaire : « cette discrimination est de fait très grave » », Youtube, publié le 29/09/21, en ligne, [0,30′-2′], https://www.youtube.com/watch?v=Ifg8TqS9UG0 .

[33]20 minutes avec AFP, « Pass sanitaire : SUD-Rail appelle les cheminots à ne pas contrôler », 20 minutes.fr, publié le 26/07/21, en ligne, Pass sanitaire : SUD-Rail appelle les cheminots à ne pas contrôler (20minutes.fr)

[34]Sarah Lemoine, « Pass sanitaire : la SNCF se dit prête à des contrôles massifs à partir du 9 août, dans les gares et à bord des trains », France Info, publié le 30/07/21, en ligne, Pass sanitaire : la SNCF se dit prête à des contrôles massifs à partir du 9 août, dans les gares et à bord des trains (francetvinfo.fr)

[35]Remi Brancato, « Avec le pass sanitaire, la fréquentation des cinémas en forte baisse », France Inter, publié le 26/07/21, en ligne, Avec le pass sanitaire, la fréquentation des cinémas en forte baisse (franceinter.fr)

[36]Jean Gabriel Bourgeois et Maud Descamps, « Pass sanitaire : comment le gouvernement va-t-il contrer la baisse de fréquentation des commerces ? », Europe 1, publié le 29/07/21, en ligne, Pass sanitaire : comment le gouvernement va-t-il contrer la baisse de fréquentation des commerces ? (europe1.fr)

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