L’ubérisation et l’auto-entrepreneuriat à la rescousse du sport?

Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres, disait Gramsci. La crise du coronavirus a été une nouvelle occasion de démontrer à quel point ce système est gangrené par de l’incompétence, de la cupidité et de l’égoïsme. La libéralisation et la privatisation accélérées de tous les services sociaux et publics (sport, éducation, culture, soins de santé) sont un crime contre l’homme et contre toute l’humanité. Il aura fallu une crise de plus et un virus dans l’atmosphère pour déstabiliser toute la société et nous rappeler à quel point nous sommes connectés et dépendants les uns des autres et à quel point le sous-financement des services publics est une pure folie. 

Tous ces agents sont sous-payés et surchargés, fruits d’une politique de sous financement accéléré. De plus, dans ce secteur, tous ceux qui sont à bout in fine sont priés d’aller se faire voir chez les indépendants, le privé et l’auto-entrepreneuriat. Les structures, le personnel et le matériel manquent cruellement dans les services sociaux, ce qui n’a pas manqué de nous sauter à la figure comme une bombe lors de cette crise du coronavirus.

« D’importantes inégalités persistent, tant entre les pays européens qu’au sein de ceux-ci en matière d’accès aux soins de santé. Des parties importantes de la population ne reçoivent pas les soins dont elles ont besoin. Voilà les conclusions générales que font les experts de l’European Social Policy Network (ESPN) dans leur dernier rapport sur l’accès aux soins de santé. »[1]

L’alternative qui nous a été vendue comme la panacée du nouveau monde est la privatisation d’absolument tout ce qui est d’utilité collective et publique. Plus récemment, on nous a vendu l’ubérisation, les microsociétés et l’auto-entrepreneuriat voire le volontariat. Selon les bourgeois, mais non moins prédateurs, toutes ces trouvailles économiques devaient pallier efficacement les actions de l’État.

Un service citoyen privé et précarisé doit remplacer à moyen terme un service citoyen d’utilité publique et un salariat de qualité. On voit où ce nivelage vers le bas nous entraîne : pas suffisamment d’infirmières, pas suffisamment de lits, pas suffisamment d’hôpitaux … Bref une catastrophe sanitaire sans précédent en vue. 

Dans le sport, parent pauvre des services sociaux depuis bien longtemps, des chaines “low cost” ont envahi les quartiers avec leurs “park machine” en location, leurs managers low cost et leurs coachs auto-entrepreneurs à qui on a vendu des vessies pour des lanternes. “Vous êtes libres”, “vous êtes votre propre patron”, “vos horaires sont flexibles”, etc. C’est le modèle phare qu’on veut généraliser à tous les services sociaux, un véritable laboratoire économique qui doit prendre le relais et externaliser tous les services au public. Une aventure exceptionnelle qui doit changer votre vie. Le problème c’est qu’on a omis de vous dire comment ce miracle va se produire. « — En moyenne un auto-entrepreneur gagne moins de 10 000 euros / an, dans 90% des cas il gagne moins que le SMIC tandis qu’il enregistre une moyenne de 58h/semaine, 6 jours/7. — ».[2]

Ce qu’on ne vous dit pas, c’est que derrière cette arnaque les donneurs d’ordre sont toujours les mêmes prédateurs : des multinationales qui organisent l’auto-exploitation ou l’auto-esclavage renforcé. Qu’est-ce que l’auto-entrepreneuriat? Le travail à la tâche. C’est ce que faisait le docker du 19e siècle quand il prenait la file pour savoir s’il aurait du travail. Les donneurs d’ordre et les plateformes utilisent ces micro-entrepreneurs sans avoir à les gérer.

Les questions d’horaire de travail, de droit aux congés, de formation, de statut, de chômage sont désormais à la charge du travailleur « indépendant ». Ces monstres du nouveau monde s’approprient des pans entiers des secteurs de services en se dédouanant de toutes responsabilités de couverture et protection sociale des travailleurs. Comprenez, flexibles. Ils peuvent travailler 14 heures par jour et 100 heures par semaine, sans même toucher le SMIC et ils paient tout : leur formation, l’assurance, les accidents, les 25% de commission à la plateforme. À tel point qu’il ne leur reste rien pour leurs congés, leurs arrêts maladie ou leurs retraites. Voilà la bonne affaire du nouveau monde qui vient. Il aura fallu un petit virus pour nous montrer à quel point cette logique de désinvestissement des services sociaux est mortifère.

Dans les low cost du sport, tous ces petits auto-entrepreneurs sans couverture sociale, sans statut et sans liquidité se sont retrouvé les premiers sur la paille à devoir brader le couvre-feu pour survivre avec tous les dangers que cela comporte dans cette période de crise. 

Voilà pourquoi il faut un véritable service public accessible à tous et du personnel compétent et rémunéré pour le faire y compris dans le sport ; c’est la seule alternative juste, saine et équitable pour contrer cette dégradation sociale. 

Ce choc et la doctrine néolibérale peuvent nous entrainer vers la mauvaise direction avec encore plus de privatisation et d’égoïsme. Mais ce choc est également une opportunité de réveil collectif pour renforcer le seul système qui a fait réellement ses preuves ces 40 dernières années : notre système de collaboration sociale et collective, nos statuts, notre sécurité sociale et nos services publics, véritables trésors d’universalité, d’émancipation et de progrès social pour le bien de tous.   

 

Source: Investig’Action

 

Notes:

[1] https://www.solidaire.org/articles/acces-aux-soins-la-belgique-un-des-pires-eleves-en-europe

[2] https://www.pointculture.be/magazine/articles/focus/la-solitude-de-lauto-entrepreneur/

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