Les protestations de masse qui se multiplient sont-elles capables d’affronter le capitalisme mondial?

“Le capitalisme s’efforce de prospérer au détriment des masses laborieuses qui n’en peuvent plus des souffrances et des privations”. William I. Robinson dresse un constat implacable de nos sociétés post-covid. Crise sanitaire instrumentalisée pour réprimer les mouvements sociaux. Mais la révolte gagne du terrain. Reste à unir les forces pour dégager des alternatives émancipatrices. (IGA)


 

Le monde est entré dans une époque d’escalade de la lutte des classes et de protestations des masses populaires alors même que l’économie mondiale vacille au bord de la récession et que la tension internationale atteint son point culminant à la suite de l’invasion russe en Ukraine. La révolte a débuté dans la foulée de   la débâcle financière mondiale de 2008 qui a mis fin à deux décennies de “boom de la mondialisation.” Des insurrections populaires ont éclaté à la suite de la pandémie et, même si ces mouvements connaissent des hauts et des bas, rien ne laisse présager leur épuisement. Au cours des premiers mois de 2022, des grèves massives de travailleurs et des manifestations syndicales ont ébranlé des industries et des pays partout dans le monde.

Dans le même temps, les troubles intérieurs et les conflits politiques s’étendent. Avec la croissance exponentielle des inégalités et la multiplication des difficultés et privations de masse, le capitalisme semble sortir de la pandémie dans une nouvelle phase dangereuse, mettant le monde en péril et même au bord e la guerre civile.  

Au cours des deux ans qui ont précédé l’épidémie de COVID-19, plus de 100 mouvements de protestations anti-gouvernementaux majeurs ont ébranlé le monde, aussi bien dans des pays riches que dans des pays pauvres, renversant une trentaine de gouvernements ou de dirigeants et déclenchant une escalade de violence d’état contre les protestataires. Du Chili au Liban, de l’Irak à l’Inde, de la France aux Etats-Unis d’Amérique, de Haiti au Nigeria et de l’Afrique du Sud à la Colombie, les luttes populaires ont parfois donné l’impression d’être de nature anticapitaliste (même si dans d’autres cas elles étaient inspirées par des sentiments d’extrême-droite). Les lutes anticapitalistes ont réuni des étudiants, des ouvriers et souvent des travailleurs migrants, des paysans, des communautés indigènes, des antiracistes, des prisonniers et des militants contre l’incarcération de masse, des activistes en faveur de la démocratie et contre la corruption, des autonomistes ou indépendantistes, des adversaires de l’austérité et des environnementalistes, entre autres.

Toutefois, le “printemps mondial” de 2017-2019 n’a constitué que le sommet de la vague d’insurrections populaires qui s’est propagée à la suite de la débâcle financière de 2008— un véritable tsunami de rébellion prolétarienne tel qu’on n’en avait pas vu depuis des décennies. Les soulèvements de masse qui ont suivi la grande récession, parmi lesquels le mouvement  Occupy Wall Street (qui a pris naissance aux Etats-Unis d’Amérique et fait des émules dans des dizaines de pays), le printemps arabe et le mouvement des travailleurs grecs, ont captivé l’imagination des populations partout dans le monde. Certaines de ces luttes ont subi des revers et des défaites, mais si la révolte globale a fluctué tout au long des années 2010, elle ne s’est pas éteinte pour autant et a même connu un rebond en 2017.

Le confinement lié à la pandémie a chassé les protestataires des rues au début de 2020. Mais le répit a été de courte durée, car dans les semaines qui ont suivi la fin du confinement, les manifestants sont revenus en force malgré la quarantaine et les dangers liés aux rassemblements publics. Outre ces mobilisations, les protestations contre le meurtre de George Floyd par la police en mai 2020 ont déclenché un soulèvement antiraciste qui a rassemblée près de 25 millions de manifestants, surtout des jeunes, dans les rues de centaines villes à travers tout le pays, ce qui constitue la plus grande protestation de masse de l’histoire des Etats-Unis d’Amérique. Nombre de ces manifestants appelaient à désarmer la police — et à investir dans toute une série de services sociaux.

Cet appel en faveur de l’extension d’un filet de protection sociale a constitué un défi direct au capitalisme néolibéral, qui canalise les dollars de l’Etat au détriment des classes travailleuses et des programmes sociaux,  en faveur du maintien de l’ordre, de la “défense,” et des subventions aux entreprises.  De plus, les protestataires de Black Lives Matter ont susctié des actions de solidarité à travers le monde tout au long de l’année 2020.

Le centre de recherche Pew a mené des enquêtes d’opinion aux Etats-Unis d’Amérique pour sonder les sentiments des personnes interrogées à l’égard du capitalisme et du socialisme (bien que ce que les gens entendent par capitalisme et socialisme ne soit pas très clair). Selon le sondage de 2019, plus de 42 % des Etasuniens interrogés avaient une opinion favorable du socialisme, même si le sondage n’a pas ventilé les résultats selon les catégories d’âge. En 2018, un sondage Gallup avait pour sa part révélé que 51 % des 18-29 ans avaient une opinion favorable du socialisme. Dans une perspective historique, un autre sondage Gallup avait trouvé en 1942 que l’appui au socialisme n’atteignait alors que 25 % dans l’ensemble de la population étasunienne, à comparer aux 43 % relevés en 2019.

Plus révélateur encore, un récent sondage a montré que le soutien au socialisme avait progressé de près de 10 % parmi la jeunesse en 2020, en pleine pandémie. Ce sondage a révélé que 60 % de la génération du millénaire et 57 % de la génération Z étaient en faveur d’un “changement complet de notre système économique pour l’éloigner du capitalisme.” Sur le plan mondial, une enquête  d’opinion de 2020 a montré que la majorité des gens interrogés dans le monde (56 %) estimaient que le capitalisme faisait plus de mal que de bien. Au niveau national, toujours selon cette enquête, c’est en Thailande et en Inde (avec respectivement 75 % et 74 %) que la méfiance à l’égard du capitalisme était la plus élevée, la France suivant de près avec 69 %. Des majorités rejetaient le capitalisme dans de nombreux pas d’Asie, d’Europe, du Golfe, d’Afrique et d’Amérique latine. En réalité, il n’y a qu’en Australie, au Canada, aux Etats-Unis d’Amérique, en Corée du Sud, à Hong-Kong et au Japon que la majorité de la population était en désaccord avec l’affirmation selon laquelle le capitalisme faisait actuellement plus de mal que de bien.  

Les masses populaires ont exprimé ce sentiment anticapitaliste sous la forme d’une escalade de protestations pendant la pandémie elle-même. Une radicalisation palpable s’est manifestée parmi les ouvriers et les plus pauvres, tandis qu’un sens accru de la solidarité, apparu à l’intérieur des frontières et au-delà,  s’est intensifié tout au long de la pandémie. Aux Etats-Unis, par exemple, pas moins de 1 000 grèves ont éclaté dans tout le pays au cours des six premiers mois de l’épidémie. Les travailleurs manifestaient pour exiger la sécurité.  Dans le même temps, les locataires faisaient la grève des loyers, les militants en faveur de la justice pour les migrants assiégeaient les centres d’internement, les mouvements contre l’incarcération exigeaient la libération de détenus, les travailleurs de l’automobile, de la restauration rapide et de la transformation de viande entamaient des grèves sauvages pour contraindre des fabriques à fermer, des sans-abris occupaient des logements vides et des travailleurs de la santé de première ligne exigeaient les équipements de protection dont ils avaient besoin pour faire leur travail en toute sécurité. Dans la plupart des cas, ces grèves sauvages étaient spontanées et pas organisées par les syndicats.

La COVID-19 a donc été l’éclair précédant l’orage. Les protestations ont repris quelques semaines seulement après l’imposition généralisée des confinements,” a relevé la Fondation Carnegie. “En avril [2020] déjà, le nombre de protestations nouvelles a atteint un niveau élevé, avec une nouvelle manifestation antigouvernementale importante tous les quatre jours .” Et les protestations de masse n’ont pas faibli en 2021, attisées, selon les propres termes de la Fondation, par un contexte politique de plus en plus autoritaire et une “insécurité économique croissante” qui ont “porté la frustration générale à son point d’ébullition.” Elle a souligné que de nombreux pays qui n’en avaient pas connu auparavant avaient enregistré des manifestations cette année-là. Par la suite, avec l’exacerbation de la lutte des classes, les quatre premiers mois de 2022 ont vu une explosion de grèves ouvrières massives au sein de nombre d’industries et de pays dans le monde

Les effets dévastateurs de la mondialisation capitaliste

Dans leur diversité, nombre de ces luttes avaient — et ont encore — un dénominateur commun sous-jacent: l’agressivité d’un  capitalisme mondial en crise  qui vise à se perpétuer au détriment de masses laborieuses qui n’en peuvent plus des souffrances et des privations. Les pays capitalistes font face à des crises de légitimité après des décennies de difficultés et de casse sociale engendrées par le néoliberalisme et aggravées par l’incapacité de ces Etats à gérer la pandémie de COVID et l’effondrement économique qui en résulte. L’ampleur de la polarisation de la richesse et du pouvoir, ainsi que des privations et de la misère parmi la majorité des pauvres de la planète dépassait déjà l’entendement avant l’épidémie.  

En 2018, 17 conglomérats financiers mondiaux géraient collectivement à eux seuls 41,1 billions de dollars US, soit plus de la moitié du produit national brut de la planète entière. Cette même année, 1 % des plus riches de l’humanité, constitué par 36 millions de millionaires et 2 400 milliardaires contrôlaient plus de la moitié de la richesse mondiale, alors que les 80 % les plus pauvres — près de 6 milliards d’êtres humains — devaient se contenter de 5 % seulement de cette richesse.d’humains

Sur le plan mondial, 50 % de la population vit avec moins de 2,50 dollars étasuniens par jour et 80 % avec moins de 10 dollars. Un habitant sur trois de notre planète souffre d’une forme ou d’une autre de malnutrition, près d’un milliard d’êtres humains va se coucher tous les soirs la faim au ventre et deux autres milliards connaissent l’insécurité alimentaire.  Les réfugiés qui fuient la guerre, les crises climatiques, la répression politique et l’effondrement économique se comptent déjà par centaines de millions, alors que le tissu social se déchire et que des collectivités entières s’écroulent dans les régions périphériques. La pandémie puis les répercussions de l’intervention russe en Ukraine ont encore aggravé la situation.

L’organisme de développement international Oxfam a indiqué dans un rapport publié en janvier dernier que pendant les deux premières années de la pandémie de COVID-19 les dix personnes les plus riches du monde avaient vu leur fortune plus que doubler, passant de 700 à 1 500 milliards de dollars étasuniens, tandis que 99 % de l’humanité a vu ses revenus fondre et que 160 millions de gens sont tombés dans la pauvreté. Le Programme alimentaire Mondial (PAM) a  averti en mai que “les perspectives d’une insécurité alimentaire mondiale aigüe en 2022 devraient être encore pires qu’en  2021,” année qui, selon le PAM, “a battu tous les records.” La guerre en Ukraine “devrait assombrir encore les prévisions déjà graves en matière d’insécurité alimentaire pour 2022, compte tenu des répercussions mondiales du conflit sur les approvisionnements et les prix des denrées alimentaires, de l’énergie et des engrais.”.

Des centaines de millions, voire des milliards de gens ont été déplacés dans les pays du Sud ces dernières décennies par les politiques néolibérales,  l’épuration sociale et la violence organisée, comme dans le cas de “la guerre contre la drogue” et de la “guerre contre le terrorisme,” qui ont toutes deux servi d’instruments de déplacement de masse ainsi que de restructuration violente et d’intégration de pays et de régions dans la nouvelle économie mondiale.  Les déplacés s’agglutinent dans des mégacités qui sont devenues le point de depart de protestations de masse.

Le Bureau international du Travail a fait savoir que 1,53 milliard de travailleurs du monde entier occupaient des emplois  “vulnérables” en 2009, ce qui représentait plus de 50 % de la main-d’œuvre mondiale, et qu’en 2018 la majorité des 3,5 milliards de travailleurs de la planète “étaient privés de bien-être matériel, de sécurité économique, d’égalité des chances et de perspective de développement humain.”

A l’heure où la numérisation entraîne de nouvelles restructurations sur le plan mondial, elle promet de renforcer la précarisation des travailleurs qui ont un emploi et de gonfler les rangs de ceux qui sont exclus du marché du travail, alors même que la crise climatique va entraîner des pénuries d’eau et de nourriture, déplacer des centaines de millions de gens supplémentaires et accroître l’exposition aux catastrophes naturelles.

Cette crise sociale est explosive. Elle alimente les protestations de masse des opprimés et pousse les groupes dirigeants à déployer une police mondiale encore plus omniprésente afin de contenir la rébellion des classes laborieuses et populaires. Alors que la guerre civile mondiale couve dans le monde post-pandémie, le tissu social se défait. La crise engendre des tensions politiques énormes qui doivent être gérées par les groupes dirigeants dans le contexte de la désintégration sociétale et de l’effondrement politique qui frappent de nombreux pays. Elle exacerbe les conflits géopolitiques au moment où les Etats cherchent à externaliser les tensions sociales et politiques, et elle accélère la destruction de l’ordre international instauré à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ce qui accroît le risque d’une confrontation militaire, comme en témoigne le conflit ukrainien.

Répression pandémique et état policier mondial

La COVID-19 a été à certains égards une bénédiction déguisée pour la classe dirigeante. L’épidémie a momentanément chassé les protestataires des rues et a donné aux Etats capitalistes un répit leur permettant de rassembler leurs forces de répression et de les déployer contre les populations rétives. La vague de répression et de brutalité déchaînée par ces Etats contre leurs propres citoyens ne peut tout simplement pas s’expliquer par le souci d’assurer leur sécurité. Bien au contraire, la pandémie a servi d’écran de fumée opportun pour réprimer la révolte mondiale.    

Le cas de l’Inde est à cet égard révélateur. Près de 150 millions de travailleurs s’y sont mis en grève en 2019. S’en sont suivis des mois de protestation contre les changements proposés à une loi sur la nationalité susceptible de discriminer les musulmans, ainsi qu’une deuxième grève générale en 2020 qui a rassemblé 250 millions d’ouvriers et de paysans — la plus grande mobilisation de l’histoire de l’humanité. Le couvre-feu pandémique imposé par le gouvernement a opportunément permis de couper court au soulèvement populaire. Lorsque le gouvernement s’est mis à imposer de stricts confinements locaux sous prétexte de propagation du virus, il a ciblé les quartiers protestataires. Dans ces zones, d’imposantes forces de police ont confiné les résidents pendant des semaines.  Le gouvernement a aussi contraint des dizaines de millions de travailleurs migrants à regagner leurs villages d’origine pour y être confinés, leur faisant subir au passage une répression d’Etat impitoyable, assortie de cas de déshumanisation extrême, de morts en détention et d’arrestations de masse (tout cela pendant que Mukesh Ambani, l’homme le plus riche de l’Inde, accroissait sa fortune de 12 millions de dollars chaque heure qu’a duré la pandémie.).

Aux Etats-Unis d’Amérique, une vague de mobilisations ouvrières ayant pris naissance avant même l’épidémie de COVID-19, avec en particulier un certain nombre de grèves massives d’enseignants en  2018 et 2019,  a explosé durant la pandémie en raison de conditions de travail lamentables et insalubres dans les écoles.

Le spectaculaire mouvement Black Lives Matter a été réprimé en 2020 avec une violence particulière. Craignant de perdre le contrôle de la situation, les groupes dirigeants ont laissé se déchaîner l’appareil répressif d’Etat contre des manifestants pour la plupart pacifiques, au prix d’au moins 14 morts, de centaines de blessés et de près de 20 000 arrestations. (J’ai moi-même participé à l’une de ces manifestations de protestation dans la ville de Los Angeles, où je réside, et j’y ai vu des forces de police militarisées et des unités de la garde nationale  utiliser des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes, des pistolets incapacitants, des balles en caoutchouc et des matraques contre les manifestants.)

Les gouvernements du monde entier ont centralisé les mesures contre la pandémie et nombre d’entre eux ont déclaré l’Etat d’urgence, ce qui revenait en fait à imposer ce que d’aucuns ont appelé “la loi martiale médicale.” Une telle coordination centralisée était peut-être nécessaire pour affronter la crise sanitaire, mais la centralisation des pouvoirs d’urgence dans des Etats capitalistes autoritaires a servi à déployer des forces policières et militaires, à censurer toute critique des gouvernements, à contenir le mécontentement, à renforcer la surveillance et à imposer un contrôle social répressif — c’est-à-dire à faire progresser l’Etat policier global. Pays après pays, les pouvoirs d’urgence ont été utilisés pour interdire des manifestations de manière sélective sous prétexte qu’elles favoriseraient la propagation de la COVID-19, pour harceler les dissidents, censurer les journalistes et transformer les groupes minoritaires en boucs émissaires.  Au moins 158 gouvernements ont imposé des restrictions en matière de manifestation.

Dans de nombreux pays, les gouvernements ont exigé des citoyens qu’ils portent sur eux des documents attestant leur “droit” de se trouver hors de chez eux pendant le confinement. L’idée semble avoir surtout été d’habituer les populations à présenter des documents sur demande et à demander la permission d’exister dans l’espace public.  Aux Philippines, l’autoritaire président Rodrigo Duterte a donné l’ordre de tirer pour tuer quiconque refuserait de se plier au confinement à domicile, tandis que son gouvernement accélérait sa campagne d’exécutions extra-judiciaires tuant de milliers de criminels supposés. En Amérique latine, selon Amnesty International, certains gouvernements ont eu recours à des tactiques arbitraires, punitives et répressive pour faire respecter les mesures de quarantaine et faire taire la protestation populaire. “Ajoutées aux problèmes structurels ainsi qu’aux fossés économiques et sociaux datant d’avant la pandémie, ces mesures ne font que contribuer à perpétuer les inégalités et la discrimination à travers le continent.” De telles répressions se sont multipliées dans le monde. Comme je l’explique en détails dans mon nouveau livreGlobal Civil War: Capitalism-Post Pandemic, (Guerre civile mondiale-le capitalisme postpandémique), l’un après l’autre les Etats capitalistes ont pris prétexte de la pandémie  pour réprimer la révolte mondiale, pour renforcer les systèmes de surveillance de masse et de contrôle social, ainsi que pour adopter une législation d’urgence qui leur donne des pouvoirs exorbitants de répression des mouvements de protestation qui allaient croissant à la veille de la pandémie.

Si une réaction ferme de la part des gouvernements pouvait peut-être se justifier d’un point de vue de santé publique, il est apparu à l’évidence que la “nouvelle normalité” du monde à peine sorti de la pandémie s’apparenterait encore davantage à un Etat policier global, avec une surveillance de masse permanente et un nouveau régime biopolitique dans lequel les Etats pourraient invoquer la “santé publique” pour contenir la révolte mondiale. Les Etats ont eu recours à ce que le spécialiste en relations internationales Kees van der Pijl a qualifié “d’urgence biopolitique” pour normaliser encore davantage et institutionnaliser la surveillance d’Etat et les mesures de contrôle répressives d’une manière rappelant les suites des attaques de 2001.  Au lendemain de ces attaques, 140 pays avaient adopté des lois “antiterroristes” draconiennes qui légalisaient souvent la répression des mouvements sociaux et des dissidents politiques. Ces lois sont restées en vigueur longtemps après les événements de 2001.

Des pandémies de violence politique

Dans un récent rapport, la Lloyd’s de Londres, un conglomérat de l’assurance et de la finance, a averti que “les cas de contagion de la violence politique” deviennent de plus en plus fréquents et risquent de prendre la forme d’une véritable  “pandémie”. Ce rapport a permis de mettre en évidence des “souches multi-résistantes” de violence politique, parmi lesquelles la Lloyd’s a identifié les mouvements “anti-impérialistes”, les mouvements “indépendantistes”,  les mouvements sociaux qui aspirent à chasser une “force occupante,” “les mouvements en faveur de réformes qui protestent contre des gouvernements nationaux” et “les insurrections armées” inspirées par le “marxisme” et “l’islamisme.”

Face à cette “violence politique” les Etats s’en remettent aux grandes entreprises. Selon un rapport de 2016 intitulé Global Riot Control System Market , 2016-2020 (Marché mondial des systèmes anti-émeutes, 2016-2020), établi par un cabinet d’intelligence économique qui compte parmi ses clients des entreprises faisant partie des 500 répertoriées par la revue Fortune, le marché des “systèmes anti-émeutes” va exploser pour atteindre des milliards de dollars ces prochaines années. Ce rapport prévoit “une augmentation dramatique des troubles sociaux à travers le monde.” Historiquement, le militantisme syndical et les manifestations de masse prennent la forme de vagues proportionnées à l’expansion et aux crises du capitalisme, ainsi qu’aux guerres et changements politiques majeurs. Les groupes dirigeants se sont débrouillés pour enrayer le dernier grand cycle de mobilisation mondiale par le bas, dans les années 1960 et au début des années 1970, grâce à la mondialisation capitaliste et à la contre-révolution néolibérale.  Mais cette fois les circonstances sont différentes. Le capitalisme mondial est en train d’atteindre les limites de son expansion, sur fond de catastrophe écologique et de risque de confrontation nucléaire. La crise est sans précédent et existentielle à la fois. En outre, l’économie mondiale et la société sont plus intégrées et interdépendantes que jamais, alors les communications globales connectent les communautés en conflit entre elles par-delà les frontières et à l’échelle planétaire.

A défaut de renverser le système, la seule issue à la crise sociale pour l’écrasante majorité de l’humanité serait d’inverser l’accroissement des inégalités par une redistribution radicale des richesses et du pouvoir au profit au profit des moins nantis, ainsi que par des mesures environnementales draconiennes. Le défi pour les luttes d’émancipation consiste à transformer la révolte de masse en une projet capable de contester le pouvoir du capital mondial et de réaliser cette redistribution radicale. Jusqu’à présent la révolte mondiale s’est propagée de manière inégale et se trouve confrontée à de nombreux problèmes tels que la fragmentation, la récupération par la culture capitaliste et le manque général de cohérence de l’idéologie de gauche, sans oublier l’absence de perspective d’un projet de transformation allant au-delà des revendications immédiates. Pour pouvoir lutter efficacement, les différents mouvements individuels doivent trouver le moyen de fusionner dans le cadre d’un projet d’émancipation plus vaste et de mettre au point des stratégies créatrices permettant de le faire avancer.   

 

Source originale: Truth Out

Traduit de l’anglais par Philippe Stroot pour Investig’Action

Photo: Fred Murphy (CC)

 

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