Le Japon a-t-il rejoint le « grand jeu » dans l’Océan indien ?

Le Japon compte investir dans des infrastructures portuaires et énergétiques au Sri-Lanka. Les deux pays entretiennent de bonnes relations depuis longtemps. Mais Lasanda Kurukulasuriya relève le contexte troublant dans lequel s’inscrit ce projet: les tensions sont de plus en plus fortes dans l’Océan indien entre la Chine d’une part et les Etats-Unis et leurs alliés d’autre part. (IGA)


La récente visite au Sri Lanka du ministre japonais des Affaires étrangères, Taro Kono, a vu la confirmation gouvernementale du premier projet de gaz naturel liquide (LNG). Une déclaration du cabinet du premier ministre Ranil Wickremesinghe a révélé qu’un mémorandum d’accord avec le Japon de construire une usine de régazéification de stocks flottants (FSRU) serait signé dans la troisième semaine de janvier. On apprend que le projet de construire la FSRU et le terminal de LNG constituerait une entreprise commune (joint venture) des administrations portuaires sri-lankaises avec à la fois l’Inde et le Japon. La chaîne publique japonaise NHK World a décrit la visite de Kono comme « faisant partie du plan du gouvernement japonais de promouvoir la coopération pour les projets d’expansion portuaire ».

Le voyage à profil bas de Kono s’est terminé par un tour du port de Colombo, y compris le site du Terminal Est  qui doit encore être parachevé en vertu du projet d’expansion du port de Colombo.  Le média japonais n’a pas hésité à rattacher la visite du port au contexte des préoccupations des Japonais au sujet de l’empreinte maritime croissante de la Chine dans la région. “La Chine accroît son engagement dans le développement portuaire du Sri-Lanka”, a signalé NHK World, ajoutant qu’« avant la visite du port, Kono a déclaré aux reporters que des projets de constructions de ports et autres infrastructures devraient être ouverts à tous les pays. » Ceci n’a pas été retransmis localement parce que la visite du port n’était apparemment pas ouverte aux journalistes locaux, les médias japonais étant seuls présents. La remarque de Kono a souligné les préoccupations du Japon au sujet du rôle majeur de la Chine dans le développement des infrastructures sri-lankaises et particulièrement la construction par les Chinois du port de Hambantota dans le sud.

La visite sri-lankaise de Kono faisait partie d’une tournée qui comprenait le Pakistan et les Maldives – deux Etats dans lesquels la Chine possède d’importants investissements en vertu de son projet « Nouvelle route de la Soie ». Le LNG est tout nouveau au Sri-Lanka en tant que source d’énergie. Ce qui rend le LNG différent de tout autre projet énergétique est qu’un terminal LNG comprendrait des installations d’appontement à l’intérieur d’un port pour les navires-citernes . Le terminal LNG sri-lankais doit se situer à l’intérieur du port de Colombo – un des ports les plus actifs en Asie du Sud et un centre important de transbordement de l’Océan indien. Une fois que le terminal LNG et l’infrastructure FSRU seront en place et opérationnels, des pipelines du port de Colombo transporteront le gaz vers des centrales à double carburant à Kerawalapitiya, à 12 km au nord de Colombo, centrales qui devront être achevées aux alentours de 2021, selon le Dr Suren Batagoda, Secrétaire au Ministère de l’Electricité et de l’Energie.

L’une sera construite en partenariat avec le gouvernement japonais et l’autre en partenariat avec le gouvernement de l’Inde, dit-il. Le concept japonais est de « développer un ordre maritime libre et ouvert dans la région indo-pacifique en  tant que bien public international » a dit Toshihide Ando, Secrétaire de presse adjoint du Ministère japonais des Affaires étrangères lors d’une conférence de presse avec un groupe de journalistes locaux à Colombo. « Il est important que nous ayons une coopération maritime dans cette région », dit-il. Le Japon a montré en diverses occasions de l’intérêt dans le développement de Trincomalee, le port naturel sri-lankais en eaux profondes sur la côte orientale. Lorsqu’on lui a demandé l’état des pourparlers sur cette question, il s’est abstenu de répondre. L’intérêt de plus en plus impatient montré par le Japon et l’Inde pour investir dans le développement des ports de Colombo et Trincomalee est clairement lié aux  préoccupations nées de la concession sri-lankaise récemment finalisée du port de Hambantota à une compagnie chinoise qui détient une participation majoritaire. L’apparente perte de contrôle souverain sur le port, situé stratégiquement près des couloirs majeurs Est-Ouest, a suscité des craintes qu’il puisse devenir une base militaire chinoise, bien que les autorités sri-lankaises assurent le contraire.

« Nous voulons nous assurer de développer tous nos ports et que tous ces ports soient utilisés pour une activité commerciale transparente, et qu’ils ne soient disponibles pour aucune activité militaire » a déclaré à Tokyo en avril dernier le Premier ministre Wickremesinghe.

En tant que nation insulaire avec peu de ressources naturelles, le Japon dépend du transport maritime pour obtenir la plupart de ses ressources nécessaires, y compris énergétiques, d’où ses préoccupations relatives à l’accès aux couloirs maritimes. Les intérêts du Japon convergent actuellement avec ceux des Etats-Unis et de l’Inde et, la Chine étant considérée comme l’adversaire commun, une association stratégique plus étroite s’est développée entre les trois. Le Japon participe maintenant aux manœuvres navales avec les Etats-Unis et l’Inde et utilise un type de rhétorique états-unien avec une terminologie telle que  « Indo-Pacifique » pour se référer à l’Océan indien et à l’Océan pacifique, brouillant les limites.

Historiquement, les relations du Japon avec le Sri-Lanka ont toujours été cordiales. Le Japon a toujours été généreux par son aide et est aussi un partenaire majeur en matière de développement. Pendant les années de guerre au Sri-Lanka, le Japon était l’un des quatre co-présidents du processus de paix et lorsque les co-présidents occidentaux ont menacé de couper l’aide, le Japon a rassuré le Sri-Lanka qu’il ne les suivrait pas dans cette voie. Les délégués japonais n’ont jamais manqué de rappeler le discours de l’ex-président du Sri-Lanka J R Jayewardena à la conférence de paix de San Francisco en 1951, quand le Sri-Lanka est venu à la défense du Japon. Alors Ministre des finances, Jayewardena a cité les paroles du Bouddha, disant : « la haine s’arrête non par la haine, mais par l’amour » et n’a demandé qu’aucune réparation ne soit exigée qui porterait atteinte à l’économie du Japon. « Les Japonais se rappellent encore que ce discours a soutenu le retour du Japon dans la société internationale après la Seconde Guerre mondiale » a déclaré le ministre étranger en visite dans un interview écrit paru dans le journal officiel Daily News préalablement à sa visite.

On pourrait dire que la relation du Sri-Lanka avec le Japon a été spéciale, en quelque sorte. Dans cette conjoncture, l’intérêt du Japon à  investir dans le développement des ports sri-lankais devrait normalement être considéré comme un développement souhaitable. Mais avec l’Inde comme partenaire dans la joint-venture proposée, et compte tenu de l’évolution du paysage stratégique, il apparaîtrait plutôt comme enchâssé dans un plus ample projet trilatéral visant à contrer l’influence chinoise. Ceci pourrait signifier un coût dissimulé, en ce sens que le Sri-Lanka risque d’être entraîné dans l’œil du cyclone en cas d’escalade des tensions entre la Chine et les Etats-Unis et/ou l’Inde. Les analystes surveillant le rôle du Japon dans le façonnage de l’architecture de la sécurité régionale reconnaissent ses politiques plus robustes et plus indépendantes, mais aussi des réticences manifestes. « La seule question est : comment le Japon va-t-il utiliser sa puissance navale dans les prochaines décennies ? » écrit Brian Kalandans, une analyse militaire pour Southfront. « Sera-t-elle utilisée dans le but d’assurer son indépendance et des relations paisibles avec ses partenaires régionaux ou avec pour objectif auto-destructeur de rechercher l’hégémonie étasunienne dans la région ? »

Source originale: Daily Mirror (edited by the author for Investig’Action)

Traduit de l’anglais par J.H. pour Investig’Action

Source: Investig’Action

Photo: Rehman A. and Azeez A

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.

Depuis 2004, INVESTIG’ACTION / Comprendre le monde pour le changer