L’assassinat du chef d’Al-Qaïda, Ayman al Zawahiri, ne vas pas rendre nos vies plus sures

Joe Biden a annoncé que le chef d’Al-Qaïda, Ayman al Zawahiri, avait été tué par une frappe de drone dans la nuit de samedi à dimanche à Kaboul. Dans son allocution, le président des États-Unis a ajouté que “justice était rendue” et que nous serons “plus en sécurité maintenant”. Vraiment? (IGA)


 

Il faut lui reconnaître, le président Joe Biden n’a pas fanfaronné lors de sa conférence de presse annonçant que la CIA venait de tuer le chef d’Al-Qaïda, Ayman al Zawahiri. Mais il a émis l’affirmation douteuse que cet assassinat nous a en quelque sorte “rendus plus en sécurité”.

En réalité, cet assassinat ne mettra pas fin à la guerre contre le terrorisme, et il est peu probable qu’il nous rende plus en sécurité. D’ailleurs, entretemps, l’administration Biden et d’autres hauts responsables US ont pris des mesures qui la menacent, notre sécurité.

Les États-Unis continuent de dépenser des milliards de dollars pour armer l’Ukraine contre la Russie, alors que de nombreux experts du monde entier expliquent ouvertement que la guerre augmente le risque d’un échange nucléaire entre les deux plus grands États nucléaires du monde.

Un autre problème est que Biden a pris la parole au moment où la troisième plus importante responsable politique US – et deuxième en ligne de succession à la présidence – la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, était sur le point d’atterrir à Taïwan. C’est une provocation délibérée contre la Chine dans ce qui ressemble fort à l’abandon de la politique de longue date de Washington de ne reconnaître qu’une seule Chine. Une guerre froide de plus en plus tendue entre Washington et Pékin pourrait être sur le point de se réchauffer rapidement.

Un autre problème encore: quelques heures seulement avant d’annoncer l’assassinat d’al Zawahiri depuis son beau jardin, Biden a pratiquement promis d’abandonner son effort pourtant tardif et en demi-teinte de revenir à l’accord sur le nucléaire iranien que Donald Trump avait déchiré en 2018. Au lieu de cela, Biden a imposé de nouvelles sanctions interdisant la vente de pétrole et de produits pétrochimiques iraniens pour accroître la pression sur Téhéran. Les sondages montrent que 56 % des personnes à travers les États-Unis soutiennent l’accord nucléaire. Et malgré l’opposition formelle d’Israël depuis le début, même les plus hauts responsables de l’armée et des services de renseignement israéliens ont reconnu qu’il serait plus sûr de revenir à l’accord plutôt que de continuer à le rejeter, puisque la poursuite des sanctions US entraînera la poursuit du programme nucléaire iranien.

Un autre problème est que, malgré les débats animés par les experts sur la question de savoir si l’assassinat d’Al Zawahiri représente la “vraie fin” de la guerre mondiale contre le terrorisme menée par Washington, cette guerre se poursuit bel et bien. Le retrait des soldats US d’Afghanistan l’année dernière a marqué la fin des déploiements de troupes à grande échelle qui ont caractérisé la majeure partie de cette guerre contre le terrorisme pendant plus de 20 ans. Mais si la guerre a été modifiée sur le plan stratégique, elle n’est pas terminée. Les forces spéciales US sont déployées publiquement en Syrie, en Somalie, au Niger et ailleurs. Officieusement, des commandos de la CIA opèrent aussi dans la capitale ukrainienne de Kiev.  Les frappes aériennes et par drones se poursuivent “au-delà de l’horizon”. La guerre contre le terrorisme – la guerre éternelle – n’est pas encore terminée.

Pendant ce temps, Washington doit composer avec 140 millions de pauvres aux États-Unis et des milliards d’autres à travers le monde. Tous sont confrontés à une planète dévastée par les inondations et les incendies, à une pandémie mondiale, à une inflation galopante, à une montée du militarisme et à des flux de réfugiés dans le monde entier.

Le Congrès semble enfin avancer sur un ensemble de programmes relatifs aux soins de santé et au climat, financés par une augmentation des impôts sur les riches et les grandes entreprises. Mais il s’agit d’une version réduite à la portion congrue du projet de loi “Build Back Better” qui aurait pu faire bouger les choses. La nouvelle version ne fait rien pour élargir l’accès aux logements abordables, aux services de garde d’enfants ou aux soins pour les personnes âgées. Il n’y a pas non plus de mesures visant à réduire les dépenses militaires inflationnistes qui représentent aujourd’hui 52 cents de chaque dollar dépensé par le fédéral.

Biden a invoqué la sécurité, la sûreté et la justice comme tribut à la mort d’Al Zawahiri.

Mais quoi que les Américains puissent penser de cet assassinat survenu au cœur de la capitale afghane, à 11.000 kilomètres de chez nous, la sécurité et la sûreté ne sont guère susceptibles de figurer en tête de liste. Le président Biden nous a par ailleurs assuré que “les gens du monde entier n’ont plus à craindre le tueur vicieux et déterminé”.  Mais lorsque la plupart des gens dans le monde pensent au “tueur vicieux et déterminé” qu’ils redoutent, Ayman al Zawahiri ne figure probablement pas en tête de liste non plus.

Les paroles de Biden auraient eu plus de poids s’il avait annoncé un cessez-le-feu en Ukraine, afin que les tueries s’arrêtent et que la menace de famine due à la guerre disparaisse dans le monde. Il aurait pu aussi proclamer que les instructions pour la production des vaccins Covid-19 seraient désormais accessibles au public, de sorte que l’apartheid mondial en matière de vaccins puisse être relégué dans le passé.  Il aurait pu également annoncer une nouvelle solution aux inondations, à la chaleur et à la faim dues au changement climatique, afin que des dizaines de millions de réfugiés et d’autres personnes déplacées puissent commencer à rentrer chez eux.

Le président Biden nous a dit que “la justice a été rendue”. Mais pour les travailleurs pauvres qui ont vu leur salaire diminuer sous l’effet de l’inflation alors que les actions de leurs entreprises s’envolaient et que leurs PDG empochaient des salaires de plusieurs millions de dollars, la justice semble encore très loin. Et il est peu probable que l’assassinat d’Al Zawahiri change la donne.

L’éternelle guerre contre les terroristes ne nous a pas rendus plus en sécurité. Elle n’a pas refroidi un monde surchauffé ni sauvé des millions de personnes des pandémies et des déplacements forcés.  L’assassinat d’un chef terroriste prouve seulement que les États-Unis sont prêts à assumer de nouvelles guerres froides contre des concurrents économiques ou nucléaires, des guerres froides qui menacent de dégénérer rapidement en conflit direct – même si les frappes aériennes et les attaques de drones se poursuivent.

Enfin, il faut noter que nous n’avons toujours pas vu de preuves confirmant qu’il n’y a pas eu de victimes civiles dans la frappe qui a tué al Zawahiri. Rappelez-vous l’attaque de drone d’août 2021 à Kaboul. Elle n’avait tué “que deux terroristes de Daesh”. Or, il s’était avéré que la frappe n’avait visé qu’un travailleur humanitaire transportant de l’eau. Elle l’avait tué lui, mais aussi neuf autres membres de sa famille, dont sept enfants.

 

Source originale: Common Dreams

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

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