La motricité mutilée: hygiène et motricité

Ecologue du mouvement, Carlos Perez poursuit sa série d’articles consacrée à l’écomotricité. Focus ici sur l’hygiène de notre corps malmenée par un rythme de production infernal et un esprit de compétition qui s’impose dans toutes les sphères de notre vie. Véritable bijou d’ingénierie, notre corps est capable de se “réparer” pratiquement tout seul. Encore faut-il lui en laisser la possibilité…


Le lien entre l’hygiène et la santé est évident depuis des millénaires. Le terme hygiène vient d’ailleurs du grec, hygieinon. Il signifie « santé ». D’après le Larousse, l’hygiène est l’ensemble des principes, des pratiques individuelles ou collectives visant à la conservation de la santé, au fonctionnement normal de l’organisme. L’Organisation mondiale de la Santé ajoute que l’hygiène ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité, mais correspond aussi à un état complet de bien-être physique, mental et social, comme le relève le Dr. Raphaël Perez.

 

L’hygiénisme est quant à lui un courant de pensée apparu au milieu du XIXe siècle. Il défend l’idée qu’une amélioration des conditions de vie des hommes entraîne une amélioration de leur santé. Cela, pour toutes les catégories sociales confondues.

 

Un hygiénisme progressiste s’est ainsi développé, reposant sur trois piliers : l’hygiène publique avec la salubrité et l’insalubrité ; l’hygiène physique, motrice et psychologique ; et enfin, l’hygiène alimentaire. Les frontières de ces trois courants de pensée ne sont évidemment pas hermétiques. Elles sont même plutôt poreuses. Il y a une corrélation étroite entre ces trois paramètres issus d’une même logique déterminée par la prévention, le bien-être et la santé. Ce courant de pensée a pénétré tous les secteurs et continue à influencer la pensée de nombreux mouvements aujourd’hui. On peut penser au mouvement écologique, à l’écosocial et au durable, aux coopératives et autres circuits courts, à la permaculture, au commerce équitable ou au mouvement altermondialiste, aux comités de sécurité et d’hygiène dans les entreprises, à la médecine du travail, aux pédagogies actives, ouvertes et nouvelles, au revenu universel… En fait, tous les domaines de la vie de l’homme sont pénétrés par le courant hygiéniste progressiste en opposition à la pression que pose cette croissance indéfinie imposée à la fois à l’homme et la planète.

 

Malgré les avancées notables de ce mouvement juste revendiquant le progrès social dans tous les secteurs, la question n’est toujours pas tranchée. La compétition et la croissance restent le fer de lance de notre société, le corps de l’homme et notre planète restant otages d’une politique destructrice.

 

Destruction de l’être humain

 

Le chemin est encore long pour amorcer une décroissance et la pensée hygiéniste progressiste a toujours un rôle important à jouer. À travers une mosaïque d’associations, ce mouvement doit continuellement se réinventer pour élever les consciences et faire baisser la pression sur l’homme et la planète. L’hygiénisme progressiste doit ainsi poser inlassablement les bonnes questions.

Il faut le dire et le redire : les mêmes causes continuent toujours à produire les mêmes symptômes négatifs sur l’homme comme sur l’environnement. Mais le cerveau et le corps doivent-ils s’adapter au rythme imposé par le système ? Ou est-ce au contraire au système de s’adapter au rythme du cerveau et du corps ?

 

Toute notre vie, nous allons essayer de nous adapter à un rythme, une tension et une intensité motrice imposés de l’extérieur. Nous adapter à un cadre politique, social et économique dominant, à des normes qui pourtant provoquent des désordres psychologiques, physiologiques, voire biologiques et irréparables. Ce modèle imposé ne prend pas en considération l’être vivant, l’humain et ses capacités réelles d’adaptation ou même les limites d’un rythme soutenable pour l’homme.

 

Dans l’éducation, l’entreprise ou le sport, la compétition est devenue la règle. Les capacités physiques, nerveuses et motrices sont en permanence mises à rude épreuve.

Cette surstimulation génère des épuisements et des fatigues chroniques avec comme corolaire une acidification, une rigidification et des inflammations qui aboutissent souvent à une érosion des minéraux et un dessèchement des tissus. Ce mécanisme dégénératif affaiblit l’ensemble musculo-squelettique et prédispose à des déchirures, claquages, tendinites, entorses ou encore rhumatismes. Cela provoque une dévitalisation générale voire des maladies beaucoup plus lourdes.

 

L’être « autoréparant »

 

La bonne nouvelle, c’est que le corps est « autoréparant ». Il a intégré en lui les capacités de sa propre réparation. Exemple : quand vous vous coupez et que la plaie saigne, le corps achemine des plaquettes sanguines et tout le nécessaire vers la plaie pour colmater la blessure. Une plaie vasculaire entraîne immédiatement une réaction des défenses de l’organisme, visant à lutter contre le saignement, l’hémostase.

 

Tout notre organisme est capable de cette prouesse. Si on lui en laisse la possibilité, chaque organe et chaque partie du corps se renouvellent régulièrement et complètement. Quelques exemples : la peau se renouvelle complètement tous les 28 jours, les cellules des papilles de la langue se renouvellent tous les 10 jours et les cellules de l’odorat ou de la prostate tous les 3 mois, le foie se refait complètement tous les 500 jours…

 

Ce processus de réparation est permanent. Notre système de reconstitution interne joue également le rôle d’éboueur de notre corps. La lymphe, que les anciens appelaient système humoral, est un système d’une ingénierie incroyable qui booste notre système immunitaire. Elle a également pour mission d’éliminer et de transporter les toxines vers nos émonctoires naturels que sont les poumons, la peau, les intestins et les reins.

 

Pour que cette magie naturelle qui est en nous puisse opérer, il faut absolument éviter la toxémie, éviter de congestionner ou de sursaturer notre corps. Et il faut impérativement respecter deux règles. Tout d’abord, la loi de l’homéostasie: « Tout système laissé à lui-même en l’absence de perturbation extérieure revient spontanément au bout d’un certain temps à son état d’équilibre (qui est un état de pleine santé, ceci au travers de multiples processus régulateurs. Pour l’humain cela veut dire que le corps humain, si on cesse de le perturber, revient spontanément à l’état de pleine santé au travers de processus (que l’on a pris l’habitude d’appeler symptômes et qui sont en réalité des processus régulateurs, c’est-à-dire nécessaires au retour à la pleine santé). C’est donc cela qui nous permet de dire avec assurance que c’est le corps lui-même qui se répare à partir du moment où on cesse de l’empêcher de se réparer. »

 

La deuxième règle est la loi d’Hormèse : un effet bénéfique résulte de l’exposition de l’organisme à une faible dose d’éléments stressants. Autrement dit, ce qui ne dépasse pas ta capacité d’adaptation te renforce. Pour compléter la définition: “Cette loi désigne ainsi une réponse de stimulation des défenses biologiques, généralement favorable, à des expositions de faibles doses de toxines ou d’autres agents générateurs de stress. À cause de ce mécanisme, un agent toxique peut avoir un effet opposé suivant que la dose reçue est faible ou forte.

 

Cette pensée hygiéniste avait déjà cours au  19e siècle, comme le pointe Gerhard Rudolph:  “J’étais quelque peu surpris de retrouver une idée analogue chez Jules Rochard (1819-1896) dans son « Traité d’hygiène sociale » (1888). Il écrit notamment : « L’équilibre fonctionnel qui constitue la santé peut se maintenir par deux méthodes diamétralement opposées : l’une consiste à éviter tout ce qui peut y apporter du trouble ; l’autre à s’accoutumer graduellement aux impressions nuisibles, pour arriver à ne plus les sentir. La première est la méthode des précautions ; la seconde est celle de l’endurcissement. » Les termes sont interchangeables. En mettant précaution pour protection et endurcissement pour stimulation, on obtiendra un schéma tout à fait équivalent. »

 

Notre Système

 

Le problème est que pressions, charges, performances, tensions, échéances, intensités et dépassement de soi constituent la règle d’or de notre système. Cela dépasse largement nos capacités de récupération et d’adaptation. Le bilan bio-pyscho-social est négatif, il pèse comme une terrible charge sur nos épaules. Dans un système de croissance, de compétition et de productivité infinie, la règle d’homéostasie et la loi d’Hormèse ne sont malheureusement jamais respectées.

 

Toujours plus fort, plus vite et plus haut. La fameuse maxime du père Didon pour les Jeux olympiques, renouvelée par le baron de Coubertin, s’est généralisée à tous les secteurs pour devenir l’étendard d’un système. On nous impose une charge qui n’a plus rien à voir avec notre propre biorythme. L’obligation de toujours performer et d’être en compétition est devenue une règle. C’est valable dans tous les secteurs, même dans nos différents modes d’expression artistique et culturelle. Dans le sport aussi pour nos plus jeunes. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg : ‘Selon l’UNICEF (un organisme de l’ONU dédié à l’enfance), 40 % des enfants de 6 à 18 ans ressentent une souffrance psychologique. Récemment, une psychologue, Béatrice Millêtre, a également publié un livre qui alerte les parents sur l’augmentation du risque que les enfants « craquent » à cause du stress : c’est ce qu’on appelle un « burn-out’.

 

À force de vouloir courir toujours plus vite, de vouloir sauter toujours plus haut et de vouloir être toujours plus forts, bref, à force de vouloir toujours produire plus, nous avons perdu de vue notre propre rythme biologique et le respect de notre réceptacle naturel, notre corps.

 

À l’image de la parodie du pécheur, de Pierre Rabhi, rapportée dans le livre « Demain. Un nouveau Monde en marche », de Cyril Dion :

 

Un pêcheur vient de finir son travail, sa barque est amarrée à côté de lui sur le bord d’une plage, son filet est étendu dessus et lui, il se repose. Passe un homme sérieux, qui regarde la barque :

« Monsieur, vous devriez être en mer à cette heure-ci !

— Pourquoi ?

— Enfin, pour gagner votre vie, vous n’arriverez jamais à rien en restant là à faire la sieste. Elle est à vous, cette barque ?

— Oui

— Oh, mais elle est petite

— Oui, elle est…

— Vous pourriez en avoir une plus grande.

— Et après ?

— Ben, après, vous pêcherez beaucoup plus de poissons !

— Et après ?

— Vous aurez gagné tellement d’argent que vous pourrez acheter un bateau encore plus grand !

— Et après ?

— Vous embaucherez des gens pour faire le travail à votre place…

— Et après ?

— Vous vous reposerez !

— Eh bien, c’est ce que je suis en train de faire. »

 

 

La fable nous montre qu’il faut sortir de ce carcan imposé dans tous les secteurs où trônent la compétition, la performance et la position concurrentielle. Même le sport est encore trop souvent dirigé vers des objectifs externes à l’homme comme le karaté, la boxe ou le football. Avec des calendriers de compétition ou des concepts commerciaux orientés vers la consommation sans grand intérêt pour le bien-être, la santé et les besoins précis de chaque personne.

 

Cette seule vision est mortifère, car elle considère l’homme comme une machine qui doit constamment mériter sa place en améliorant ces capacités de production sur le cadavre du voisin. Ce qui équivaut sans aucun doute à la destruction de l’homme par l’homme et de son environnement aussi. Cette pensée dominante intériorisée dans chacun de nous et dans tous les secteurs vise à détruire l’autre, mais nous détruit aussi physiquement et psychologiquement.

 

Dominer le marché, dominer sa catégorie ou dominer les autres a un coup irréparable pour la santé de l’environnement et celle de l’homme. Faut-il le répéter, l’OMS a recensé plus de 360 millions de dépressifs se droguant aux neuroleptiques dans les pays industrialisés. Nous dépassons allègrement nos capacités d’équilibre et d’adaptation dans une course en avant, sans limites et dans un but totalement stérile.

 

Le corps est le réceptacle de toutes nos tensions, chaque traumatisme s’incruste dans le corps et petit à petit, il peut se verrouiller et devenir notre ennemi. Le corps est ainsi l’image somatique de nos traumatismes. Mais il a également des capacités innées à éliminer ces traumatismes si on lui en donne le temps et la récupération suffisante et qu’on tient compte de l’adaptation nécessaire à ses besoins. Il peut parfaitement échanger ses expériences traumatiques et les remplacer par des expériences positives et imprimer de nouveaux mouvements plus en accord avec ses besoins.

 

Respecter une bonne hygiène nécessite donc de comprendre que si vos tensions sont telles qu’elles intoxiquent et rigidifient tout votre corps, il ne sert à rien d’encore augmenter la tension au risque d’encore accroître le déséquilibre interne de votre corps et celui de votre PH acido-basique. Cela entrainera plus de rigidification et une déminéralisation certaine.

 

Dans une logique de surcharge permanente, votre corps et votre esprit ont plutôt besoin de calme et de récupération. Même s’il est branché ‘winner’, même s’il est constamment en mode de production, votre cerveau, votre corps et leur environnement ont en réalité besoin d’équilibre et d’adaptation pour entrer dans un cycle vertueux. Oser s’autoriser une récupération motrice en prenant soin prioritairement de son identité profonde et permettre à son corps de se régénérer, c’est pratiquement devenu hors sujet, ringard et presque interdit, tous secteurs confondus. Aujourd’hui, les enjeux de la compétition ont cannibalisé et perverti le sens profond du jeu, mais aussi le sens profond du travail et de la formation. On ne produit plus pour vivre, mais on vit pour produire. Au lieu de jouer, de travailler et de nous former, nous devons performer pour augmenter toujours plus nos capacités de production. Il faut oser revendiquer un droit à la vie, à l’image des villes italiennes qui revendiquent le slow food. Baisser le rythme ! Pourquoi ne pas l’appliquer aussi à l’enseignement, l’industrie et certainement au sport. Adopter un rythme basé sur les véritables besoins psychiques, physiologiques et biologiques du vivant. Un rythme moins mortifère qui permet l’équilibre et l’adaptation de l’homme à son environnement.

 

Cette phobie du chronomètre et de la mesure va de toute façon finir par imploser. Une croissance infinie dans un monde fini n’est pas viable. Il faudra tôt ou tard y réfléchir. Pourquoi ne pas préparer le terrain en douceur ?

 

 

Carlos Perez

 

Source: Investig’Action

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