La guerre d’Ukraine presse l’Union européenne et les États-Unis à obtenir un accord sur l’Iran

La confrontation entre les États-Unis et la Russie sur l’expansion de l’OTAN et la situation en Ukraine feront-elles dérailler les négociations sur le nucléaire iranien à Vienne ?

Apparemment, la question de l’Iran a été quelque peu écartée du centre de l’attention mondiale ces derniers temps. Mais ce n’est qu’une question de point de vue. Manifestement, les États-Unis tiennent à faire savoir à Moscou et à Téhéran qu’ils continueront à dialoguer avec la Russie sur des questions “fondamentales” pour leurs “intérêts de sécurité nationale”, comme l’accord sur le nucléaire iranien.

Comme l’a déclaré le porte-parole du département d’État, Ned Price, ce week-end, “le fait que la Russie ait maintenant envahi l’Ukraine ne doit pas donner à l’Iran le feu vert pour développer une arme nucléaire.” Les déclarations de Price faisaient suite à l’appel que le président iranien Ebrahim Raisi avait passé au  président russe Vladimir Poutine la veille. Il aurait dit au dirigeant russe que “l’expansion de l’OTAN à l’est est source de tension”, soulignant que la poursuite de l’expansion de l’alliance vers l’est constituerait une menace sérieuse pour la stabilité et la sécurité des pays indépendants dans différentes régions.

M. Raisi a ensuite apporté son soutien à la Russie en déclarant : “J’espère que ce qui se passe est dans l’intérêt des nations de la région.” Selon le compte-rendu russe, M. Poutine a parlé des “difficultés à parvenir à un accord au Moyen-Orient”.

Concernant les négociations sur le nucléaire en tant que telles, M. Poutine a souligné l’importance de poursuivre les consultations entre la Russie et l’Iran. La position russe est très favorable à l’Iran, mais Moscou s’est montrée disposée, dans un esprit constructif, à jouer un rôle de médiateur en l’absence de tout contact direct entre les parties iranienne et étasunienne lors des pourparlers de Vienne. Washington sait qu’il est opportun de tirer parti de l’influence de Moscou à Téhéran.

De son côté, Moscou est bien consciente de la primauté que Téhéran attache à son autonomie stratégique et, deuxièmement, qu’il s’agit d’une question de sécurité nationale cruciale pour l’Iran. Et les négociateurs n’y ont de toute façon pas beaucoup de marge de manœuvre.

Il existe un sentiment d’urgence palpable à Washington pour conclure un accord à Vienne, alors que les centrifugeuses avancées des installations nucléaires iraniennes réduisent de jour en jour le délai avant le point de non-retour. Ce week-end, le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale iranien, Ali Shamkhani, s’est entretenu avec le conseiller à la sécurité nationale du Royaume-Uni, Stephen Lovegrove. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amirabdollahian, a quant à lui reçu un appel du chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell.

Certaines des parties occidentales participant aux discussions avec l’Iran ont déclaré que les négociations prendraient fin cette semaine. Pour citer le négociateur en chef français Philippe Errera, “Nous continuerons jusqu’à ce que nous parvenions à un accord ou nous annoncerons l’échec des négociations la semaine prochaine.” En d’autres termes, il semble que les parties soient très proches d’un accord, mais rien n’est définitif tant que tout n’est pas réglé.

Le ministère iranien des Affaires étrangères a déclaré lundi que “97 à 98 %” d’un projet d’accord était prêt, mais qu’il restait trois points clés sur lesquels l’Occident n’était pas d’accord. Apparemment, les points de friction incluent la demande de l’Iran pour lever davantage de sanctions US que Washington est prêt à accepter. Il y a notamment parmi ces sanctions, et cela pourrait bien être un point de rupture, la désignation du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC), qui relève du Guide suprême, comme organisation terroriste par l’administration Trump.

De fait, l’IRGC a une influence considérable sur l’économie, les forces armées et les services de renseignement iraniens. Et ses commandants occupent des postes de haut rang dans le gouvernement du président Raisi.

Une autre question épineuse: la demande de l’Iran d’une garantie ferme de Washington qu’un futur gouvernement étasunien ne reviendra pas sur l’accord. L’administration Biden soutient que, d’un point de vue constitutionnel, elle ne peut fournir une telle garantie au nom d’un futur président, car l’accord en question n’est pas un traité devant être ratifié par le Sénat. Or l’Iran appréhende, à juste titre, de voir se reproduire l’expérience amère de Donald Trump en cas de changement de régime à Washington en 2024.[1] 

Troisièmement, l’Iran exige que le dossier de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) concernant les travaux nucléaires de Téhéran soit définitivement clôturé. L’Iran craint que les États-Unis utilisent leur influence auprès de l’organisme de surveillance de l’ONU pour maintenir la question en suspens et ainsi garder un levier de pression.

Cette semaine sera cruciale, car le négociateur iranien est revenu à Vienne lundi après des consultations à Téhéran. Les choses pourraient aller dans les deux sens. Il est peu probable que l’Iran cède sur ses principales exigences, tandis que l’administration Biden ne semble pas avoir le courage de prendre des décisions audacieuses qui pourraient s’avérer coûteuses en politique intérieure.

C’est là que la médiation russe aurait pu être utile. Le fait que les Européens aient frénétiquement tendu la main à Téhéran au cours du week-end montre que leurs lignes de communication avec Moscou ont été rompues. La grande question est la suivante : la crise est-ouest peut-elle faire dérailler les négociations sur l’Iran ? 

Un point essentiel: les États-Unis et les pays européens sous-estiment le fait que pour Téhéran, la levée des sanctions n’est pas seulement une question économique. La particularité de l’Iran, en tant que pays en développement, a toujours été d’avoir une vision à l’échelle du monde, héritage de la révolution de 1979. L’Iran situe l’accord nucléaire dans son calcul stratégique.

L’expérience que l’Iran a avec les puissances occidentales en général et les États-Unis en particulier ne contribue pas non plus à instaurer un climat de confiance. Tout au long des décennies qui ont suivi la révolution, l’Iran a subi des trahisons, des coups de poignard dans le dos et toutes sortes de pressions. Notamment une guerre de huit ans imposée par Saddam Hussein qui, incité par Washington à détruire le régime islamique, a utilisé des armes chimiques fournies par les États-Unis. Dans un rapport déclassifié de 1991, la CIA a modestement estimé que l’Iran avait subi plus de 50.000 victimes de l’utilisation d’armes chimiques par l’Irak. Les estimations actuelles indiquent que plus de 10.000 supplémentaires pourraient avoir péri dans ces attaques. Et les effets à long terme continuent de faire des dégâts.

Comment l’Iran peut-il oublier cela et tant d’autres choses ? Il n’est pas surprenant que l’Iran se soit rangé du côté de la Russie et ait rendu les États-Unis et l’OTAN responsables de la crise actuelle en Ukraine, sachant parfaitement qu’il risquait de s’attirer l’ire des puissances occidentales. Le fait que le chef de la politique étrangère de l’UE, M. Borrell, ait frénétiquement pris contact avec Téhéran au cours du week-end dernier montre que Bruxelles s’inquiète de perdre le rôle actif de médiateur tenu par Moscou dans ce dossier, malgré les fulminations quotidiennes d’Ursula von der Leyen, à la tête de la Commission européenne, contre la Russie et Poutine.

Ce sera un phénomène récurrent dans l’ordre mondial et le système international – que ce soit pour la Corée du Nord, la Syrie ou l’Afghanistan. Pour un grand nombre de pays sur tous les continents, à l’exception peut-être de l’Europe, le démantèlement de l’Union soviétique a été un événement regrettable d’une ampleur colossale. En effet, ces pays ont perdu un grand rempart ou pare-feu qui les protégeait des intimidations occidentales, beaucoup de ces intimidations venant d’anciennes puissances coloniales.

L’Iran a donc un intérêt dans cette lutte titanesque qui se joue en Ukraine, les répercussions mondiales seront considérables pour les décennies à venir. L’inquiétude de l’Iran est dès lors tout à fait compréhensible, au beau milieu de ses négociations avec les puissances européennes et alors que les choses semblent se précipiter cette semaine à Vienne.

 

Source originale: Indian Punchline

Traduit de l’anglais par GL pour Investig’Action

Note:

[1] Pour rappel, Donald Trump avait annulé l’accord que Barack Oabama avait conclu avec l’Iran. (NDT)

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