La Biélorussie et l’affaire Navalny jettent de l’ombre sur les relations entre l’Europe et la Russie

Les manifestations à Minsk et l’empoisonnement controversé de Navlany vont-ils raviver les tensions entre l’Europe et la Russie? C’est en tout cas le souhait de Washington qui veut faire capoter le projet gazier Nord Stream 2. C’est également la volonté de certains pays d’Europe de l’Est qui aspirent à isoler la Russie. Mais tous les Européens n’ont pas intérêt à imposer de nouvelles sanctions à Moscou… (IGA)


Le 6 septembre, le ministre russe de la Défense, Sergueï Shoigu, a révélé sur la télévision publique que la surveillance aérienne par les jets de l’OTAN aux frontières russes avait augmenté de 30% en août par rapport à l’année précédente. Avec un fait nouveau: la surveillance n’est plus seulement assurée par des avions-espions, on observe également des vols d’entraînement réguliers durant lesquels des frappes de missiles sont également simulées.

Shoigu a aussi déclaré que l’OTAN prévoyait de redéployer prochainement un autre contingent militaire US en Pologne au prétexte de devoir au plus vite “contenir stratégiquement” la Russie. Il a ajouté que les avions étasuniens et britanniques étaient également actifs dans la région de la mer Noire, aux frontières sud de la Russie.

Cela arrive alors que deux autres points d’inflexion sont apparus au cours des 4 dernières semaines – les troubles en Biélorussie après l’élection présidentielle du 9 août et, deuxièmement, l’étrange empoisonnement du militant politique russe Alexei Navalny.

Apparemment, ces événements ne sont pas liés les uns aux autres, mais ils annoncent une recrudescence de la pression occidentale sur la Russie. Au Bélarus, les troubles liés à l’élection du président Alexander Lukashenko ne montrent aucun signe de ralentissement, des médias occidentaux alimentant les manifestations et agissant pratiquement comme des agents provocateurs.

La Russie la joue cool. Bien qu’elle y ait des intérêts légitimes, Moscou est ouverte à l’idée d’une transformation démocratique de la Biélorussie, mais dans le cadre d’un processus politique ordonné avec des fondements constitutionnels. L’atout de Moscou est que la Biélorussie est fortement dépendante des subventions économiques russes, en particulier pour l’approvisionnement énergétique.

Alors que les économies occidentales sont dans le marasme à des degrés divers, ni l’UE ni les États-Unis ne souhaitent remplacer la Russie en tant que bienfaiteur de la Biélorussie. Par conséquent, une entente tacite entre la Russie et l’Occident sur les «lignes rouges» à ne pas franchir pourrait aider. La partie russe espérait apparemment discuter de ces «lignes rouges» avec le secrétaire d’État adjoint US, Stephen Biegun, en visite à Moscou le 24 août pour des consultations. Mais ce dernier n’y était pas préparé. Cela ne pouvait être qu’une tactique dilatoire.

Plus tard, Biegun a publiquement exprimé un fort soutien aux manifestants de Minsk et a mis la Russie en garde contre une intervention directe en Biélorussie. Washington serait ravi si un changement de régime se produisait en Biélorussie. Très certainement, il existe aussi un degré élevé de coordination entre les États-Unis et les trois pays de la région qui s’ingèrent activement en Biélorussie: la Pologne, la Lituanie et l’Ukraine.

L’approche de Moscou dans ces circonstances consistera à promouvoir une intégration plus profonde de la Biélorussie avec la Russie dans le cadre du pacte d’État de l’Union de 1998. Ainsi, Moscou et Minsk se seraient mis d’accord sur la reprise des approvisionnements énergétiques de la Russie vers la Biélorussie, ce qui était un problème majeur dans leurs relations. Les questions de sécurité devraient figurer en tête de l’ordre du jour lors des prochains pourparlers entre Loukachenko et Poutine à Moscou. Les ministres de la Défense préparent une feuille de route, qui pourrait inclure des installations militaires russes en Biélorussie.

Il ne fait aucun doute que les manifestations ont affaibli politiquement Loukachenko. Ce dernier n’est plus en mesure de jouer la carte occidentale contre la Russie. Il n’a peut-être guère le choix en ce qui concerne les conditions du Kremlin. Mais les tentatives russes d’imposer des conditions qui seraient inacceptables pour l’opinion publique en Biélorussie sont également vouées à l’échec.

En ce qui concerne l’empoisonnement de Navalny, un scénario bien établi semble se répéter. Les accusations occidentales contre la Russie se multiplient du jour au lendemain, fondées sur des hypothèses qui manquent de preuves. Pour ne rien arranger, les agents chimiques neurotoxiques du groupe Novichok sont à la disposition de nombreuses armées, y compris de pays membres de l’OTAN.

La Russie souhaite accéder à Navalny. La demande est en cours d’examen par l’Allemagne. Tout comme la proposition de monter une équipe conjointe pour examiner le cas. Toutefois, l’Allemagne a indiqué avoir déjà entamé des discussions “avec nos partenaires de l’UE et de l’OTAN et discutera bientôt avec les partenaires européens de la réaction à suivre et de ses effets possibles“. Il y a de la menace de sanctions dans l’air.

Cela dit, l’Union européenne et l’OTAN ne peuvent pas prendre de mesures punitives contre la Russie avant qu’une enquête appropriée ne soit menée. L’UE elle-même est un camp divisé. En Allemagne, en France et en Italie, une opinion forte souligne l’importance de maintenir de bonnes relations de travail avec la Russie pour résoudre les problèmes urgents auxquels l’Europe est confrontée. De l’autre côté, une poignée de “nouveaux Européens”, principalement la Pologne et la Lituanie, a hâte de mettre la Russie sur le tapis. Ceux-là sont encouragés par le Royaume-Uni qui a ses propres intérêts à isoler la Russie.

La BBC est ainsi devenue le porte-drapeau des manifestants de Minsk. De toute évidence, le Royaume-Uni exerce une pression sur le Kremlin avec un empressement qui manquait lors d’incidents similaires tels que les meurtres de la journaliste et militante maltaise Daphne Caruana Galizia (2017), du journaliste d’investigation slovaque Jan Kuciak et de son fiancé (2018) ou de Jamal Khashoggi (2018) démembré horriblement au consulat saoudien à Istanbul.

En Occident, certains souhaitent voir Allemagne  punir la Russie en mettant un terme au projet de gazoduc Nord Stream 2. Mais la chancelière Angela Merkel désapprouve un tel lien entre les deux dossiers et devrait insister pour que la Russie mène une enquête approfondie sur l’affaire Navalny. Berlin a promis de répondre sous peu à la demande en instance du bureau du procureur général russe.

Encore une fois, la constitution d’un groupe international de médecins (russes et occidentaux) pour enquêter sur l’affaire, comme le suggère Moscou, apaiserait les tensions. Moscou semble convaincu de n’avoir rien à cacher. Le fait est que Navalny est resté en contact avec des personnes diverses – des extrémistes de droite, des oligarques en concurrence avec le Kremlin et même des agences de renseignement occidentales. Il s’est également fait de nombreux ennemis, grâce à sa croisade anti-corruption. Il se pourrait même qu’il se soit brouillé avec l’un de ses mentors.

L’incertitude repose au-delà. Moscou devra nommer des noms et ensuite enquêter sur cette tentative d’assassinat de Navalny. En Allemagne cependant, les opinions sont partagées quant à savoir si cette affaire la concerne: elle s’est déroulée dans un autre pays et concerne un étranger qui s’est retrouvé amené en Allemagne pour un traitement médical. Surtout, la question clé demeure: dans quelle mesure l’Allemagne et l’UE devraient-elles répondre à ce dossier?

Plus facile à dire qu’à faire. On peut difficilement s’attendre à une coopération entre Russes et Occidentaux sur les manifestations en Biélorussie ou l’empoisonnement controversé de Navalny. Mais ces deux dossiers ne doivent pas nécessairement devenir des points de rupture dans les relations, capables de laisser des dommages permanents.

Une mise en garde doit toutefois être ajoutée: les États-Unis ont une vision à long terme en Biélorussie, avec un œil rivé sur les élections de 2024 en Russie et la fin du mandat de Poutine. De toute évidence, l’issue de l’élection présidentielle US de novembre aura une influence considérable sur la trajectoire future de l’approche étasunienne.

Pendant ce temps, la présence militaire US s’intensifie en Europe de l’Est, si bien que la Pologne et la Lituanie sont encouragées à maintenir la marmite biélorusse sur le feu. On peut également compter sur les États-Unis pour continuer à faire pression sur l’Allemagne afin qu’elle abandonne le projet Nord Stream 2. Washington estime en effet que les relations germano-russes ne seront plus les mêmes une fois que Merkel aura pris sa retraite, l’an prochain.

 

Source originale: Indian Punchline

Traduit de l’anglais par Investig’Action

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