Il y a 43 ans à Liévin, des mineurs de la fosse 3 victimes d’un coup de grisou

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Bataille de la mémoire autour d’une catastrophe. Ce mercredi 27 décembre 2017, le 43e anniversaire de la catastrophe de Liévin (décembre 1974, 42 morts) fera l’objet de deux cérémonies parallèles.

A l’heure où Laurent Duporge, le maire PS de Liévin vantera le « courage » et le « sens du sacrifice » (sic !) des mineurs héroïsés, le Comité d’initiative pour l’érection d’un mémorial en hommage aux victimes du capitalisme rendra hommage aux mineurs « envoyés à la mort » par les Houillères coupables de privilégier le rendement à la sécurité (1).

Philosophe, Bruno Mattéi était le correspondant dans le Nord du quotidien Libération à l’époque de la catastrophe. Il revient sur la notion de « mythologie du mineur ». Imaginé par le patronat des Mines, ce mode de valorisation du travail visait à faire accepter à cette corporation ses propres conditions d’exploitation.

 

Comment vous êtes-vous intéressé à la condition du mineur ?

 

Au début des années 1970, mes engagements « militants » aux côtés notamment de Serge July, le patron de la Gauche prolétarienne du Nord, ont coïncidé avec mon arrivée comme professeur de philosophie à Douai. J’ai découvert la condition du mineur, son exploitation séculaire par les compagnies minières d’abord, puis par l’Etat via la nationalisation des mines.

La mort au travail, emblématisée par les catastrophes minières, condense toute cette exploitation des corps et des esprits, puisqu’on a de tout temps considéré qu’il était somme toute « normal » de mourir au travail.

La fameuse « fatalité » inhérente au métier ; ce discours qu’on débite comme une antienne après chaque accident ou catastrophe… La condition pour que ce discours d’exploitation et d’aliénation fonctionne, est la « mythologie du mineur ».

 

Qu’entendez-vous par ce concept ?

 

La « mythologie du mineur », c’est l’ensemble des dispositifs (récits, discours, productions littéraire, artistique et politique, sans oublier les institutions spécifiques qui ont couvert et pris en charge la vie du mineur de la naissance à la mort) conçus afin d’empêcher le mineur d’exister et de penser sa vie pour s’envisager un autre sort.

 

En quoi consistait-elle ?

 

Cette mythologie a consisté à faire des mineurs des héros du travail. Une avant-garde exemplaire pour toute la classe ouvrière, à l’occasion notamment des catastrophes où tout le monde allait répétant que les mineurs se sont « sacrifiés » pour la cause nationale de la houille, ce « pain » de l’industrie. Tout comme les soldats de la Grande Guerre s’étaient sacrifiés pour la patrie. Et on ajoutait que les mineurs aimaient tellement leur travail que ce sacrifice leur était comme naturel.

Mais la réalité était toute différente. Seulement, ni les patrons des Compagnies, ni les élus politiques (quels que soient leurs bords), ni paradoxalement les syndicats n’ont donné la parole aux mineurs pour mettre en cause cette mythologie meurtrière.

Quelques fois, les mineurs l’ont prise, à l’occasion de lourdes catastrophes en particulier. Mais tout cela a été vite recouvert, rendu inaudible. Les mineurs ont été considérés non comme des êtres humains à part entière, mais comme de la « chair » à profit.

 

Photo : Bruno Mattéi  

 

Vous y avez consacré un ouvrage ?

 

En effet, j’ai retracé la généalogie, l’histoire, les différentes modalités et contenus de cette « mythologisation » de l’ouvrier mineur dans un livre de philosophie politique et morale (2).

Un ouvrage qui reprenait douze ans d’études, d’archives, d’enquêtes et de rencontres avec les mineurs, au plus près de ce qu’ils ont vécu ou dit. Loin de toutes les « belles » images (mais en réalité « fleurs vénéneuses ») qu’on leur a fait endosser.

 

En quoi aujourd’hui contestez-vous la nature de la commémoration officielle ?

 

Traditionnellement la commémoration officielle de cette catastrophe donne lieu, avec quelques variantes, à la reprise bien rodée des thèmes de la vieille mythologie. On y verse de traditionnelles larmes de crocodiles sur ces braves mineurs qui se sont sacrifiés et qui doivent rester un exemple pour tout un chacun.

Or cette commémoration devrait être l’occasion d’une prise de conscience des conditions qui ont amené à ce piège mortel dans lequel une population ouvrière et ses descendants se sont trouvés, bien malgré eux, enlisés. C’est comme si, au nom d’une fétide rhétorique émotionnelle, on faisait mourir une deuxième fois les mineurs et avec eux tout un territoire !

 

Propos recueillis par Jacques KMIECIAK

 

Notes :

(1) Rendez-vous est donné à 10h 30, rue des Six-Sillons à Liévin. La cérémonie officielle débutera pour sa part à 11h 30. La Ville y a invité l’écrivain et journaliste Sorj Chalandon, qui traite du sujet dans son dernier roman (Le Jour d’avant aux Editions Grasset).

(2) « Rebelle, rebelle ! Révoltes et mythes du mineur 1830 – 1946 », de Bruno Mattéi. Edition Champ Vallon, 1987.

 

A Saint-Amé : bientôt, un mémorial en hommage aux victimes du capitalisme ?

 

Dans les jours qui suivent la catastrophe, les militants maoïstes du Parti communiste révolutionnaire marxiste-léniniste (PCR-ml) mettent en place une commission populaire d’enquête en vue d’en déterminer les causes.

Le 22 mars 1975 au cinéma L’Apollo de Lens, est organisé un Tribunal populaire qui recense les responsabilités des Houillères dans ce drame. Il sera précédé d’une manifestation dans les rues de Liévin et de l’apposition, à l’entrée de la fosse 3 (Saint-Amé), d’une plaque en hommage aux « 42 mineurs envoyés à la mort ».

Jacques Lacaze, président du Tribunal populaire de mars 1975, Sorj Chalandon, et Christian Champiré, maire PCF de Grenay lors d’une conférence

En décembre 1975, lors du 1er anniversaire, un monument reprenant les noms des victimes est dressé à proximité. C’est à cet endroit que le Comité d’initiative pour l’érection d’un mémorial en hommage aux victimes du capitalisme rendra, ce mercredi 27 décembre un hommage aux victimes. L’occasion pour ses militants de présenter leur projet financé par voie de souscription.

La vocation de ce mémorial « sera de pointer les responsabilités de la bourgeoisie et de l’Etat capitaliste » dans les accidents du travail et la propagation des maladies professionnelles. Pour le Comité d’initiative, ce n’est pas la « fatalité » trop souvent évoquée, mais bien « l’organisation du travail, les rythmes, conditions et horaires de travail propres au système capitaliste » qui provoquent la souffrance et la mort au travail. Et derrière « le système du capital, ce sont des hommes et des femmes qui décident les cadences infernales, la gestion par le stress, la production en sous-effectif, la mise sous pression des salariés ».

Pour en finir avec logique mortifère, « il faut d’abord la dénoncer. D’où l’idée de s’appuyer sur un lieu d’histoire connu (Saint-Amé, site de la dernière grande catastrophe minière du XXe siècle) ».

Pour en savoir plus : http://auxvictimesducapitalisme.fr/site/

 

Source : Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.