Guerre en Ukraine : bientôt la paix ?

Les pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie sont en cours et on voit les signes d’une possible percée. L’Europe a tout intérêt à ce que ce conflit prenne fin rapidement, ce qui n’est manifestement pas le cas des États-Unis. La logique de la paix prévaudra-t-elle ? Analyse de Marc Vandepitte

 

Une percée est possible

Au milieu de la terrible violence de la guerre, certains signes laissent entrevoir une possible percée dans les négociations de paix entre l’Ukraine et la Russie. Selon le Financial Times, de grands progrès ont été réalisés dans les pourparlers et un plan de paix en 15 points a été élaboré par les deux parties.

En échange d’un cessez-le-feu et du retrait des troupes russes, l’Ukraine adopterait un statut de neutralité, renoncerait à son ambition d’adhérer à l’OTAN et n’autoriserait pas de bases militaires étrangères sur son territoire.

Kiev conserverait son armée, mais interdirait certains groupes (lire : les milices néo-nazies). Il modifierait également le nom des rues portant le nom des collaborateurs ukrainiens qui ont combattu avec les nazis contre l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale.

La Russie, pour sa part, atténuerait sa demande à l’Ukraine de faire du russe la deuxième langue officielle du pays, à condition que Kiev annule les lois restreignant l’utilisation de cette langue.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a clairement indiqué qu’il souhaitait la paix. Dans un message public, il a indiqué qu’il ne s’attend pas à ce que son pays rejoigne l’OTAN dans un avenir proche, ce qui constitue directement l’une des principales exigences de Moscou : “Depuis des années, nous entendons dire que la porte était censée être ouverte [pour l’adhésion à l’OTAN], mais maintenant on nous dit que nous ne pouvons pas y entrer. Et c’est vrai, et il faut le reconnaître.”

Il reste d’importants points de friction. Par exemple, le statut de la neutralité est toujours en discussion. L’Ukraine rejette le modèle suédois ou autrichien et souhaite des garanties de sécurité solides contre les menaces futures.

Autre pomme de discorde : la reconnaissance de l’annexion de la Crimée en 2014 et de l’indépendance des deux républiques séparatistes dans la région frontalière orientale du Donbass. L’Ukraine refuse de le faire, mais est prête à traiter cette question séparément.

Les trouble-fête

“Les parties sont proches d’un accord sur les questions fondamentales”, a déclaré le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu. Dans l’ensemble, il s’agit de nouvelles encourageantes, mais malheureusement, tout le monde n’est pas favorable à cette évolution.

Selon de nombreux observateurs, les États-Unis jouent un rôle crucial dans les coulisses de ces négociations. Et il est très douteux que Washington recherche une solution négociée rapide. Il en va de même pour le gouvernement britannique.

“Les États-Unis mettent un frein aux espoirs d’une solution diplomatique en Ukraine”, a titré le Financial Times ce week-end. Antony Blinken, secrétaire d’État US sur les pourparlers de paix : “La diplomatie exige que les deux parties soient de bonne foi pour une désescalade, et je ne vois aucun signe à ce stade que Poutine soit prêt à s’arrêter.”

La déclaration de M. Blinken est intervenue le lendemain de l’annonce par le président Biden d’un nouveau paquet d’aide militaire à l’Ukraine, comprenant des systèmes antiaériens, des armes antichars et des drones armés.

Hillary Clinton, l’ancienne secrétaire d’État, opte pour une guerre de longue durée et caresse l’idée de transformer l’Ukraine en un nouvel Afghanistan pour la Russie.

Liz Truss, la ministre britannique des affaires étrangères, pense dans le même sens. Selon elle, le conflit en Ukraine pourrait durer “un certain nombre d’années” et “nous devons nous préparer à un parcours de très longue haleine”.

Logiques de guerre

Deux logiques sont ici diamétralement opposées. Vous avez la logique qui joue entièrement la carte de la guerre. L’ennemi doit être traité aussi durement que possible et affaibli autant que faire se peut. Cela signifie envoyer des armes de plus en plus puissantes, stationner des troupes et des missiles dans les pays voisins, imposer des sanctions plus sévères et tenir une rhétorique tranchante (« Poutine est un criminel de guerre »).

C’est aussi dans cette logique que depuis la dissolution du Pacte de Varsovie et malgré des promesses claires, l’OTAN s’est systématiquement élargie vers l’Est, laissant la Russie se sentir coincée.

Les conséquences de cette logique sont triples. Tout d’abord, un conflit prolongé et intense sera ressenti de manière très aiguë sur le plan économique. Les prix de l’énergie et des denrées alimentaires vont s’envoler. Une inflation élevée entraînera une hausse des taux d’intérêt. Cette situation est non seulement préjudiciable à la croissance économique, mais compte tenu de la montagne de dettes résultant de la crise Corona, elle pourrait conduire à une grave crise de la dette.

De plus, les flux commerciaux avec la Russie cesseront et les dépenses d’armement vont augmenter. Une guerre prolongée provoque également une incertitude sur les marchés, ce qui nuit au climat d’investissement. En tout état de cause, l’Europe devrait connaître un sérieux ralentissement de sa croissance en raison de la guerre en Ukraine.

Deuxièmement, un conflit violent et prolongé entraînera un flux de réfugiés important et durable. Cela exercera une pression sur le marché du logement, l’éducation, la sécurité sociale, etc. L’extrême-droite a su tirer un avantage politique de la vague de réfugiés venue de Syrie en 2015. Si ce conflit s’éternise et que l’Europe occidentale doit accueillir des millions de réfugiés pendant une longue période, les extrémistes de droite pourront en tirer encore plus de profit cette fois-ci.

Le tiers moqueur

Ces deux effets se font particulièrement sentir en Europe et beaucoup moins aux États-Unis. L’économie américaine s’est redressée plus rapidement que l’Europe après la crise du coronavirus. En raison des mesures de relance, l’économie y est même aux prises avec une surchauffe, ce qui rend la hausse des taux d’intérêt plus que bienvenue.

Les États-Unis profitent même économiquement de cette guerre. Ils pourront fournir leur coûteux gaz de schiste à l’Europe pour remplacer le gaz russe, moins cher. Les dizaines de milliards que l’Allemagne et d’autres pays européens dépenseront en armement iront pour une grande partie dans les tiroirs-caisses de l’industrie de guerre américaine.

Une troisième conséquence de la logique de guerre est que les États-Unis auront une emprise encore plus grande sur l’Europe par le biais de l’OTAN. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a été ligotée dans une camisole de force (militaire) entièrement contrôlée par les États-Unis par le biais de l’OTAN. « Pour rester la puissance mondiale dominante, les Etats-Unis doivent se servir de l’Union européenne et de l’OTAN pour asseoir leur hégémonie en Europe. », commente l’économiste Christian Saint-Etienne.

Depuis la chute de l’URSS et la dissolution du Pacte de Varsovie, de nombreuses voix se sont élevées en Europe en faveur d’une plus grande autonomie géopolitique et militaire, sans le moindre résultat.

Avec cette guerre, l’OTAN fixe plus que jamais le cap géopolitique en Europe. Il n’est plus question d’une stratégie distincte et autonome [1]. L’Allemagne, qui est traditionnellement une amoureuse transie de l’OTAN, de tradition pacifiste et ayant le plus à perdre de ce conflit, s’est maintenant complètement retournée.

Ce conflit touche d’abord l’Europe et fragilise le continent. Dans cette guerre, les États-Unis sont le tiers moqueur. La présence de Biden au sommet européen du 24 mars doit également être vue dans cette optique. La question est de savoir s’il cherche la paix ou s’il va attiser la guerre.

Donner une chance à la paix

Quoi qu’il en soit, une autre logique s’impose, une logique qui mette fin à la surenchère militaire, une logique qui s’engage en faveur du dialogue et une logique qui vise une architecture de sécurité durable.

À court terme, une diplomatie de paix active est nécessaire. Plus vite la guerre s’arrêtera, mieux ce sera. Afin de donner toutes les chances aux pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie, nous devons nous abstenir d’attiser davantage la guerre en envoyant des armes ou des troupes, en étendant les sanctions ou en utilisant une rhétorique guerrière inutile.

Il faudrait également envisager d’offrir à Poutine un « pont d’or » depuis l’Ukraine. La fin de la guerre doit être rendue aussi attrayante que possible. Pour le moment, il n’y a que la menace d’une violence accrue de la guerre et des sanctions. L’inverse est également possible et c’est désormais plus souhaitable. Par exemple, un cessez-le-feu et un retrait d’Ukraine pourraient être liés à l’assouplissement des sanctions économiques.

Ce conflit n’est pas tombé de nulle part. La structure sécuritaire sur le continent européen est déséquilibrée et instable. Les États-Unis considèrent toujours l’Eurasie comme l’échiquier sur lequel se livre la lutte pour la suprématie mondiale.

À long terme, l’Europe a donc besoin d’une nouvelle architecture de sécurité. Il s’agit d’une architecture qui lui appartient et qui n’est pas dictée ou imposée de l’extérieur. Il s’agit également d’une architecture qui se concentre sur la sécurité des pays concernés et qui n’est pas dictée par des objectifs géopolitiques.

La stabilité ne peut être atteinte que si tous les pays concernés se sentent en sûreté, si des accords sont conclus en matière d’armement et si de solides garanties de sécurité sont convenues.

Pour établir une telle architecture de sécurité, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est la mieux placée. Dans le passé, l’OSCE a plus que prouvé sa valeur.

 

Source originale: De Wereld Morgen

Traduit du néerlandais par Anne Meert pour Investig’Action

 

Note :

(1) La nouvelle force d’intervention européenne qui a été annoncée et baptisée ‘rapid-deployment-capacity’, en est une bonne illustration. Il s’agit d’à peine 5.000 soldats et elle ne serait pleinement opérationnelle qu’en 2030.

 

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