« Corona, la faute aux Chinois. » Un Trump téméraire et la chute d’une superpuissance

Tandis les États-Unis croulent sous les morts du coronavirus et que des émeutes éclatent dans des dizaines de villes, Trump tente d’attirer l’attention de tous sur la Chine. La rhétorique s’intensifie, tout comme l’agression économique et le roulement des biceps militaires. L’issue d’une telle stratégie est incertaine.


L’abominable approche de la crise corona

Le premier cas de coronavirus aux États-Unis a été diagnostiqué à la mi-janvier. Une semaine plus tôt, le directeur du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies avait été contacté par son homologue chinois au sujet de l’apparition d’une forme inconnue de pneumonie. Le 20 janvier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a averti que le virus pouvait également se transmettre d’une personne à l’autre. Il était déjà clair à l’époque que si le virus se propageait, il pourrait également prendre des proportions épidémiques aux États-Unis. Les informations en provenance de la Chine et d’autres pays asiatiques étaient alarmantes.

Pourtant, Washington n’a pas pris cette menace au sérieux. Le 10 février, Donald Trump a proclamé sur un ton désinvolte que le virus disparaîtrait de lui-même lorsque les températures monteraient.

Ce n’est que lorsque les marchés financiers ont plongé, le 12 mars, qu’on a commencé à se réveiller. Certains États ont interdit les événements de masse, fermé les écoles ou imposé des règles de distanciation sociale (social distancing). D’autres États ont autorisé la tenue de grands rassemblements, comme le Spring Break à Miami ou des événements sportifs très fréquentés.

Le 22 mars, un lockdown a été décrété pour un tiers de la population américaine. Il y avait à ce moment-là déjà plus de 25 000 contaminations confirmées. À titre de comparaison, en Chine, cela s’est produit après 548 contaminations et, en Belgique, après 559 contaminations. Pendant toute la période qui a précédé, il n’y a eu pratiquement aucun dépistage. De précieuses semaines ont été perdues, alors qu’elles auraient pu permettre de dépister et mettre en quarantaine les personnes infectées, et ainsi de tuer l’épidémie dans l’œuf.

Les marchés boursiers passent avant la santé

Pourquoi la réaction a-t-elle été aussi lente ? Jusqu’au dernier moment, Donald Trump s’est acharné à sauvegarder les intérêts des grands groupes financiers, le cas échéant, au détriment de la prévention et de la protection de la population. C’est pourquoi il a tenu à éviter autant et aussi longtemps que possible les mesures telles que la distanciation sociale, sans parler de l’imposition d’un lockdown. Il a opposé une résistance farouche aux gouverneurs des États qui ont pris de telles mesures : « Nous ne pouvons pas laisser le remède être pire que le problème lui-même. » En tempêtant de la sorte, Donald Trump a dit tout haut ce qu’une bonne partie de l’élite financière pense tout bas, y compris dans notre pays. Dominic Cummings, le conseiller spécial de Boris Johnson, a formulé cette position de la manière la plus éloquente : « Protéger l’économie, et tant pis si cela signifie que des retraités meurent. »

Il y a une deuxième raison à la lenteur de la réaction. Pour des raisons économiques, le gouvernement de Donald Trump a fortement réduit, pour ne pas dire détruit, sa capacité à combattre les épidémies dans son pays. Or, en 2014 déjà, Barack Obama avait averti qu’une pandémie pourrait éclater dans les 5 à 10 prochaines années et que les États-Unis devaient s’y préparer. Donald Trump a fait fi de cet avertissement. En 2018, il a ordonné la fermeture du département du Conseil de sécurité nationale chargé des pandémies. En outre, il a réduit le financement de l’instance chargée du contrôle et de la prévention des maladies aux États-Unis, le Center for Disease Control and Prevention (CDC). C’est ainsi que quelques mois avant le déclenchement de la pandémie, le département du CDC en Chine a été fermé, privant les États-Unis d’informations vitales au moment de l’apparition de l’épidémie. Même lorsque l’épidémie faisait déjà rage, M. Trump a procédé à de nouvelles coupes dans le budget du CDC.

Des soins de santé défaillants

Les États-Unis n’étaient absolument pas préparés face à cette épidémie. Début mars, le pays disposait d’à peine 1 % des masques buccaux dont il aurait besoin pour combattre le virus. Lorsque l’épidémie a éclaté, il y avait aussi une pénurie criante de respirateurs, de kits de test et même de thermomètres.

Le malaise va beaucoup plus loin. Il s’agit en réalité d’un problème structurel, pas attribuable à la seule politique de Donald Trump. Le système de santé aux États-Unis a été complètement privatisé pour faire place à une médecine du profit. Les personnes riches peuvent accéder à d’excellents traitements. En revanche, un cinquième de la population est dépourvu d’assurance maladie ou est inadéquatement assuré. Ces personnes doivent se contenter de soins de qualité inférieure ou n’ont même pas les moyens de se soumettre à des interventions médicales vitales. Quarante millions de personnes ont déjà perdu leur emploi à cause de la crise du coronavirus. La plupart d’entre eux perdent aussi automatiquement leur assurance maladie.

Dans ce pays qui dépense annuellement des centaines de milliards de dollars en armement, les infirmières fabriquent des masques de fortune avec des filtres à café et sont obligées de travailler vêtues de sacs poubelles et de ponchos. Certains hôpitaux sont en proie à une pénurie aiguë de respirateurs et d’équipements de protection pour le personnel médical. Des conditions dignes du tiers-monde donnent parfois lieu à des scènes apocalyptiques. À New York, des hôpitaux de campagne ont été érigés et les nombreux morts ont été inhumés dans une fosse commune.

Perte de prestige embarrassante

Les États-Unis affichaient les pires résultats au niveau mondial avec deux millions d’infections et 112 000 décès. Contrairement à la Chine, les États-Unis n’ont pas réussi à confiner l’épidémie à une seule région. Les épidémiologistes affirment que le nombre de décès aurait pu être dix fois inférieur si le confinement avait été décrété deux semaines auparavant.

Pour un pays qui possède la plus grosse économie et la technologie médicale la plus avancée au monde, on ne peut que parler d’un échec absolu. Le contraste avec l’autre superpuissance est net. Après quelques hésitations au départ, Beijing a maîtrisé l’épidémie assez rapidement et a pu limiter le nombre de victimes de manière très significative. Par habitant, il y a 100 fois plus de morts du coronavirus aux États-Unis qu’en Chine. Impossible pour Washington de sauver la face, les dommages qui en résultent sont incommensurables.

Lorsque le virus Ebola a éclaté en Afrique en 2014, les États-Unis s’imposaient encore comme véritables leaders mondiaux. Ils ont pris les devants et se sont imposés comme chefs de file dans la lutte contre ce dangereux virus. Or aujourd’hui la Maison Blanche a du mal à contrôler le virus dans son propre pays et assiste au spectacle de Beijing offrant aide et conseils à 120 pays.

Martin Wolf, économiste en chef du Financial Times, ne mâche pas ses mots : « Les États-Unis sont en train de perdre toute crédibilité et de passer pour incompétents. »

La Chine comme bouc émissaire

Soucieux de détourner les critiques et de canaliser la colère populaire, les faiseurs d’opinion et les hommes politiques pointent alors leurs viseurs sur la Chine. D’entrée de jeu, Donald Trump a parlé de « virus chinois ». On fait courir des rumeurs selon lesquelles le virus proviendrait d’un laboratoire chinois. La remise en question des chiffres officiels en provenance de Chine devient un thème de prédilection. Selon Trump, la responsabilité de la crise du coronavirus aux États-Unis incombe entièrement à la Chine. Evidemment, sa propre approche n’est nullement mise en cause.

Puisque l’OMS a loué l’approche chinoise elle mérite, de ce fait, d’être sanctionnée. Au moment même où le monde a plus que jamais besoin de l’OMS, Trump retire les États-Unis de cette organisation.

Cette campagne de dénigrement, basée sur des rumeurs et des fausses informations, est adoptée avec empressement dans notre pays par le Vlaams Belang et la N-VA. La Chine, l’OMS et des experts comme Marc Van Ranst, sont mis dans le même sac et désignés comme la source de tous les maux. Des publications d’Alt-Right financées par les États-Unis, comme The Epoch Times, répandent la diffamation sur la Chine en ligne ou via des dépliants distribués gratuitement dans les boîtes aux lettres.

Contrairement à la guerre commerciale, la crise du coronavirus coûte des vies humaines. Si l’on parvient à en rejeter la responsabilité sur la Chine, cela engendrera une énorme haine envers ce pays. Voilà pourquoi cette campagne de diffamation connaît un tel succès aux États-Unis. 58 % des citoyens américains tiennent la Chine pour responsable du déclenchement de l’épidémie dans leur pays, alors que 42 % seulement en attribuent la responsabilité à leur propre gouvernement. Ils pensent même que leur pays a mieux géré la crise du coronavirus que la Chine…

Mais il y a une deuxième raison pour laquelle la Chine est dénigrée. Les États-Unis sont une superpuissance en déclin. Leur domination dans le domaine de la technologie, des industries du futur et de l’armement est de plus en plus menacée par la Chine. Bien décidée à empêcher une telle issue par tous les moyens, Washington s’emploie à contrer l’essor économique et technologique du géant asiatique. En présentant les Chinois sous un mauvais jour, ils préparent l’opinion publique à une guerre commerciale féroce, voire à pire. Aujourd’hui, plus de 80 % des citoyens américains seraient favorables à une guerre commerciale à grande échelle avec la Chine.

La fièvre électorale augmente

Les élections présidentielles auront lieu dans cinq mois. Trump est confronté au pire ralentissement économique et au chômage le plus élevé depuis la Grande Dépression des années 1930. Cela pourrait lui coûter beaucoup de voix. En outre, les électeurs plus âgés lui tournent de plus en plus le dos à cause de son approche désastreuse de la crise du coronavirus. Dans les sondages, Biden se trouve maintenant en tête de 10 %.

Selon Steve Bannon, le partisan de la ligne dure qui a aidé Trump à remporter son élection en 2016, le président doit à nouveau miser à fond sur la Chine s’il veut remporter les élections de novembre: «C’est de cela qu’il s’agira lors des élections de 2020. Non que la pandémie n’ait pas changé l’histoire du monde, mais même avec la pandémie, la Chine est la seule chose qui compte, la seule chose qui fonctionne. » Des rumeurs circulent annonçant le retour du maître stratège Bannon pour sauver Trump de la défaite.

Dans tous les cas, nous pouvons nous attendre à une surenchère entre Biden et Trump au sujet de la Chine. Ils mettront tout en œuvre pour se surpasser dans la rhétorique antichinoise : le coronavirus, Hong Kong, les Ouïghours, le Tibet, le vol intellectuel, la concurrence déloyale, etc. Il y a quelques jours, le ministre des Affaires étrangères Pompeo a donné un avant-goût de cette campagne de haine. Selon lui, le parti communiste chinois veut « détruire les idées occidentales, les démocraties occidentales et les valeurs occidentales » et « mettre en danger les Américains ». C’est du langage de guerre pur et dur.

En route pour une confrontation ?

Ce ne sont pas que des paroles en l’air. L’élite économique des États-Unis cherche à réinitialiser complètement les relations économiques avec la Chine. L’objectif est de construire une sorte de «rideau de fer économique» autour du pays. On cible les secteurs stratégiques pour perturber l’essor technologique de la Chine. Aujourd’hui, Huawei est dans la ligne de mire car cette entreprise est à la pointe du développement de la technologie 5G. La Maison Blanche a récemment pris de nouvelles mesures pour empêcher les entreprises américaines de fournir des puces à Huawei. Ces puces sont des éléments essentiels dans la production des appareils de cette entreprise. D’autres pays subissent des pressions pour faire de même.

Cela bouge également au niveau militaire. Autour de la Chine, les États-Unis comptent plus de trente bases militaires, centres de soutien ou centres de formation (points violets sur la carte). Soixante pour cent de la flotte totale est stationnée dans la région. Cet encerclement militaire est en place depuis des années. En avril de cette année, le Pentagone a publié un nouveau rapport préconisant une militarisation accrue de la région. Le plan consiste à installer des missiles à portée balistique sur ses propres bases militaires ou chez des alliés (flèches rouges). Si ensuite on installe également des missiles de croisière sur des sous-marins (voir la carte), les Etats-Unis pourront toucher la Chine continentale en 15 minutes. Une évolution qui pourrait s’avérer particulièrement dangereuse.

Au mois de mai, Washington a envoyé des navires de guerre dans la mer de Chine méridionale pour soutenir l’exploration pétrolière de la Malaisie dans une zone contestée. Dans d’autres zones contestées, les exercices militaires ont été intensifiés. La marine américaine a également annoncé que l’ensemble de la flotte de sous-marins sera envoyée dans la région en guise d’avertissement à la Chine. Que se passerait-il si des navires de guerre chinois patrouillaient au long des côtes de Miami avec des collègues vénézuéliens, ou si des sous-marins chinois, chargés de missiles de croisière, se déployaient près de villes telles que New York ou Washington ?

Peut-être est-ce là une simple démonstration de force. Mais une provocation militaire ne peut être exclue. Partir en guerre, même s’il s’agit d’une mission limitée, augmente toujours la popularité des présidents sortants. Thatcher en a fait l’expérience avec la guerre des Malouines (1982), Bush junior avec la guerre contre l’Afghanistan (2001) et Sarkozy avec la guerre contre la Libye (2011).

En 1999, le président Clinton a délibérément bombardé l’ambassade de Chine en Yougoslavie. À l’époque, l’économie américaine était en plein essor. Clinton était un personnage modéré et raisonnable. Aujourd’hui nous devons faire face à une élite économique qui se sent acculée et à un président imprévisible. Comme les années 1930 nous l’ont appris, ce n’est pas une bonne combinaison.

 

Source: Investig’Action

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