Comment Gaza a détrôné le roi d’Israël

Après 15 années au pouvoir, le Premier ministre Benyamin Netanyahou est finalement éjecté par une coalition inédite en Israël. Quelques jours avant l’annonce officielle, alors que la suite des événements ne faisait pas de grands mystères, Ramzy Baroud a analysé les raisons qui ont conduit à la chute de ce roi que l’on pensait indétrônable. Et cette fin de règne doit certainement plus à la résistance palestinienne qu’aux manigances politiques israéliennes… (IGA)


Comment Benjamin Netanyahou a-t-il réussi à être le Premier ministre israélien qui a servi le plus longtemps ? Avec un total de 15 ans au pouvoir, Netanyahou a dépassé le mandat de 12 ans du père fondateur d’Israël, David Ben Gourion. La réponse à cette question sera particulièrement cruciale pour les futurs dirigeants israéliens qui espèrent imiter l’héritage de Netanyahou, maintenant que son leadership historique est susceptible de prendre fin.

Les “réalisations” de Netanyahou pour Israël ne peuvent être jugées selon les mêmes critères que celles de Ben Gourion. Tous deux étaient de fervents idéologues sionistes et des politiciens avisés. Contrairement à Ben Gourion, cependant, Netanyahou n’a pas mené une soi-disant “guerre d’indépendance”, ni fusionné des milices en une armée ni soigneusement construit un “récit national” qui a aidé Israël à justifier ses nombreux crimes contre les Palestiniens autochtones, du moins aux yeux d’Israël et de ses partisans.

L’explication clichée du succès de Netanyahou en politique est qu’il est un “survivant”, un arnaqueur, un renard ou, au mieux, un génie politique. Cependant, Netanyahou ne se contente pas de simples phrases toutes faites. Contrairement à d’autres politiciens de droite dans le monde, Netanyahou n’a pas simplement exploité ou surfé sur la vague d’un mouvement populiste existant. Au contraire, il a été le principal architecte de la version actuelle de la politique de droite israélienne. Si Ben Gourion était le père fondateur d’Israël en 1948, Netanyahou est le père fondateur du nouvel Israël en 1996. Alors que Ben Gourion et ses disciples ont eu recours au nettoyage ethnique, à la colonisation et à la construction de colonies illégales pour des raisons stratégiques et militaires, Netanyahou, tout en poursuivant les mêmes pratiques, a complètement changé le récit.

Pour Netanyahou, la version biblique d’Israël était bien plus convaincante que l’idéologie sioniste séculaire d’antan. En changeant le récit, Netanyahou a réussi à redéfinir le soutien à Israël dans le monde, en rassemblant les fanatiques religieux de droite, les partis chauvins, islamophobes, d’extrême droite et ultra-nationalistes aux États-Unis et ailleurs.

Netanyahou a réussi à redonner un caractère central à Israël dans l’esprit de ses partisans traditionnels. Et ce succès n’était pas une simple stratégie politique. Il a aussi modifié l’équilibre du pouvoir en Israël en faisant des extrémistes juifs et des colons illégaux des territoires palestiniens occupés son principal électorat. Par la suite, il a complètement réinventé la politique conservatrice israélienne.

Il a également formé toute une génération de politiciens israéliens de droite, d’extrême droite et ultranationalistes, donnant naissance à des personnages indisciplinés tels que l’ancien ministre de la Défense et leader de Yisrael Beiteinu, Avigdor Lieberman, l’ancienne ministre de la Justice, Ayelet Shaked, et l’ancien ministre de la Défense, et probable remplaçant de Netanyahou, Naftali Bennett.

En effet, toute une nouvelle génération d’Israéliens a grandi en regardant Netanyahou mener le camp de la droite d’un succès à l’autre. Pour eux, il est le sauveur. Ses rassemblements remplis de haine et sa rhétorique anti-paix au milieu des années 1990 ont galvanisé les extrémistes juifs, dont l’un a tué Yitzhak Rabin, l’ancien Premier ministre israélien qui a engagé le processus de paix avec les dirigeants palestiniens et a finalement signé les accords d’Oslo.

À la mort de Rabin en novembre 1995, la “gauche” politique d’Israël a été dévastée par le populisme de droite défendu par son nouveau leader charismatique, Netanyahou, qui, quelques mois plus tard, est devenu le plus jeune Premier ministre d’Israël.

Historiquement, la politique israélienne est définie par sa dynamique en constante évolution. Pourtant, Netanyahou a aidé la droite à prolonger sa domination, éclipsant complètement le parti travailliste autrefois hégémonique. C’est pourquoi la droite aime Netanyahou. Sous son règne, les colonies juives illégales ont connu une expansion sans précédent. Et toute possibilité, aussi minime soit-elle, d’une solution à deux États a été enterrée à jamais.

En outre, Netanyahou a modifié la relation entre Washington et Tel-Aviv. Israël n’est plus perçu comme un “régime client” – ce qu’il n’a jamais été dans la définition stricte du terme – mais plutôt comme un régime qui exerce une grande influence sur le Congrès US et la Maison-Blanche.

Toutes les tentatives des élites politiques israéliennes pour déloger Netanyahou du pouvoir avaient échoué. Aucune coalition n’était assez puissante, aucun résultat électoral n’était assez décisif et personne n’avait réussi à convaincre la société israélienne qu’il pouvait faire plus pour elle que Netanyahou. Même lorsque Gideon Sa’ar, du parti Likoud de Netanyahou, a tenté d’organiser son propre coup d’État contre Netanyahou, il a perdu le vote et le soutien des Likoudistes, avant d’être complètement ostracisé.

Sa’ar a ensuite fondé son propre parti, New Hope, poursuivant sa tentative désespérée d’évincer Netanyahou, qui semblait invincible. Quatre élections générales en l’espace de deux ans seulement n’ont toujours pas réussi à évincer Netanyahou. Toutes les équations mathématiques possibles pour unifier les diverses coalitions, toutes unies par le seul objectif de vaincre Netanyahou, avaient également échoué. À chaque fois, Netanyahou est revenu, avec une plus grande détermination à s’accrocher à son siège, défiant les prétendants au sein de son propre parti ainsi que ses ennemis de l’extérieur. Même le système judiciaire israélien, qui juge actuellement Netanyahou pour corruption, n’a pas été assez puissant pour contraindre Netanyahou, tombé en disgrâce, à démissionner.

Jusqu’en mai de cette année, les Palestiniens semblaient marginaux, si tant est qu’ils soient concernés par ces affaires. Les Palestiniens vivant sous l’occupation militaire israélienne semblaient être amollis par la violence israélienne et la complaisance de l’Autorité palestinienne. Les Palestiniens de Gaza, malgré des manifestations occasionnelles de défi, se battent contre un siège israélien qui dure depuis 15 ans. Les communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël semblaient quant à elles étrangères à toute conversation politique relative à la lutte et aux aspirations du peuple palestinien.

Toutes ces illusions ont été dissipées lorsque Gaza s’est soulevée en solidarité avec une petite communauté palestinienne de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est occupée. Leur résistance a déclenché un torrent d’événements qui, en quelques jours, a unifié tous les Palestiniens, partout. En conséquence, la révolte populaire palestinienne a fait évoluer le discours en faveur des Palestiniens et contre l’occupation israélienne.

Décrivant parfaitement la signification de ce moment, le Financial Times a écrit : “La férocité de la colère palestinienne a pris Israël par surprise.” Netanyahou, dont les hommes de main extrémistes se sont déchaînés contre les Palestiniens partout, comme son armée s’est déchaînée contre Gaza assiégée, s’est retrouvé dans une situation qui n’avait jamais été aussi désavantageuse. Il n’a fallu que 11 jours de guerre pour ébranler le sentiment de “sécurité” d’Israël, exposer son simulacre de démocratie et gâcher son image dans le monde.

Netanyahou, autrefois intouchable, est devenu la risée de la politique israélienne. Sa conduite à Gaza a été décrite par des politiciens israéliens de premier plan comme “embarrassante”, une défaite et une “reddition”.

Netanyahou a lutté pour redorer son image. Il était trop tard. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce ne sont pas Bennett ou Lieberman qui ont finalement détrôné le “roi d’Israël”, mais les Palestiniens eux-mêmes.

 

Source originale: Le blog de Ramzy Baroud

Traduit de l’anglais par Investig’Action

 

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