Carlos Perez: “Il faut aussi penser au développement durable de l’être humain”

Y aurait-il un lien entre la fatigue au boulot, les mauvaises notes du fiston à l’école et les blessures à répétition de certains sportifs ? Carlos Perez en est convaincu et le démontre dans son nouveau livre à paraître. Préparateur physique de renom, il a dirigé un centre sportif à Bruxelles pendant 30 ans. Durant cette période, il a vu défiler des adultes souffrant du dos, des enfants diagnostiqués hyperactifs ou encore des sportifs victimes de troubles musculaires. Pour Carlos Perez, ce sont les symptômes d’une société qui a sacrifié le bien-être corporel sur l’autel du rendement. Comme pour les grandes campagnes internationales qui visent à protéger l’environnement, Carlos Perez prône le développement durable de l’être humain. Ce combat nécessite une prise de conscience collective et vous pouvez y prendre part dès maintenant en participant à la campagne de financement pour la sortie du livre Au-delà du geste aux Editions Aden.

 

 

L’écomotricité, c’est quoi ?

C’est un concept qui fait le lien entre le corps et son environnement. Aujourd’hui, on parle beaucoup d’écologie et de développement durable. Il y a des campagnes internationales avec des objectifs ambitieux. Mais on ne parle pas de l’impact que cela peut avoir sur le corps humain. Ce qui est paradoxal. Remettre en cause des objectifs de croissance infinie dans un monde fini et dénoncer la pression que notre modèle économique exerce sur l’environnement, c’est très bien. Mais parallèlement, on demande toujours plus aux travailleurs, on cherche par tous les moyens à augmenter le rendement des êtres humains. Et cela a un impact sur notre corps et notre santé. Je me suis donc penché sur ce processus pour mettre en lumière les liens qui existent entre l’exploitation de notre environnement et celle de notre corps. Comme l’écologie, l’écomotricité devrait être au cœur des discussions.

 

Vous parlez d’écomotricité mutilée. Pourquoi ?

Je suis préparateur physique de formation. Pendant 35 ans, j’ai dirigé un centre sportif. J’ai notamment été chargé de cours en haltérophilie et j’ai accompagné des sportifs de haut niveau dans leur préparation physique. Dans mon centre, j’ai côtoyé des enfants, des travailleurs du monde de l’entreprise et des compétiteurs professionnels. Dans ces trois secteurs, j’ai vu des personnes qui souffraient de diverses douleurs. Et ce ne sont pas des douleurs anodines. Notre corps est le reflet somatique des douleurs environnementales et sociétales. Ces douleurs s’expriment à travers notre corps qui est un réceptacle. Tant les travailleurs, les enfants que les sportifs souffrent de l’environnement dans lequel ils évoluent.

 

L’environnement des enfants, c’est en grande partie l’école. Êtes-vous en train de nous dire que l’école est mauvaise pour la santé ?

En tout cas, notre système éducatif l’est. En effet, un enfant s’exprime prioritairement par la motricité. Ensuite par le verbe et l’écrit. Or, dans les écoles, on utilise principalement l’écrit, un peu le verbe et pratiquement pas la motricité. De plus, le rythme scolaire est contraire au rythme biologique de l’enfant. Dans les écoles, il y a environ deux heures de sport par semaine. Ce n’est pas grand-chose et ça ne répond pas aux besoins du fonctionnement du corps. Nous avons une horloge biologique. Nous avons des hormones dynamiques qui sont secrétées le matin. L’enfant devrait, pour sa croissance et son bon développement, bouger le matin quand il a son pic d’hyperactivité. Mais le matin, on l’assied sur un banc. Le soir, notre corps sécrète des hormones sédatives. Notre cycle entre en repos, le corps se prépare pour la réparation des cellules et développer des hormones de croissance. Or, c’est à ce moment précis, quand il a besoin de repos, que l’enfant va pouvoir pratiquer une activité sportive dans un club. Ce rythme est donc totalement contraire aux besoins de l’enfant. Il ne faut pas s’étonner si on découvre aujourd’hui toute une série de troubles.   

 

On dit toujours que le sport, c’est la santé. Mais vous nous dites que dans ce secteur, vous constatez aussi des souffrances liées à l’environnement…

Dans les clubs sportifs, la question du bien-être n’est pas prioritaire. Tout est axé autour du calendrier sportif et des compétitions. Plutôt que de développer la motricité globale de l’enfant, on va se focaliser sur l’apprentissage du geste technique. Dans les clubs de foot, de basket ou de gym par exemple, ça peut commencer très tôt et créer des déséquilibres. On se retrouve avec des surcharges de motricité qui sont motivées par le rendement et la compétition.

 

Avoir l’esprit de compétition, n’est-ce pas une façon saine d’apprendre à se dépasser ?

Albert Jacquard disait qu’il fallait distinguer la compétition de l’émulation. La compétition se fait en opposition à l’autre. Tandis qu’avec l’émulation, on cherche avant tout à être meilleur que soi-même et on peut s’aider les uns les autres pour progresser. Non seulement, historiquement, la compétition n’est pas constitutive du sport. Mais la science a également démontré que nous étions naturellement conçus pour collaborer. L’idée que l’homme est un loup pour l’homme n’est pas une loi naturelle.

 

Rendement et compétition… Des valeurs qui marquent aussi le monde de l’entreprise. Tout est lié ?

Absolument. C’est ce que j’essaie de mettre en lumière dans mon livre. À l’école déjà, on évalue les élèves, on les trie et on les met en compétition sans se soucier réellement de leur bien-être. Dans les clubs sportifs, on poursuit les mêmes objectifs. Ces valeurs nous viennent du monde de l’entreprise, de notre modèle économique en fait. Tout est basé sur le rendement et la course au profit maximum. Et ces valeurs ont percolé à travers les différents secteurs de la société. Nous avons vu tous les dégâts que ce modèle pouvait causer à l’environnement, si bien que l’on cherche aujourd’hui des solutions de développement durable. Mais cela vaut pour notre corps aussi. On diagnostique toute une série de nouveaux troubles chez les enfants. De plus en plus de sportifs souffrent de douleurs musculaires et deviennent fragiles. Les travailleurs développent des maladies professionnelles et les cas de burn-out ont explosé. Comme pour l’environnement, il faut penser à des solutions de développement durable et prendre soin de notre écomotricité.

 

Y a-t-il des pistes de solution ?

Au-delà du geste technique, il faut commencer par réfléchir sur ce qui nous met en mouvement. Le geste n’est pas neutre. Il est cadré par les besoins de la structure dans laquelle nous évoluons, il s’inscrit dans les limites d’un système dominant : l’école, l’entreprise, le club sportif et finalement, notre modèle économique qui influence le tout. Ce système dominant carbure à l’idéologie dominante qui n’est autre que l’idéologie de la classe dominante. Si le rendement, la compétition et la sélection sont des maitres mots, c’est parce qu’ils répondent à un modèle basé sur l’exploitation.

Il faut donc commencer par se poser les bonnes questions. Notre corps peut être une armure protectrice ou une prison. Il peut nous servir ou nous faire très mal.

 

Comme pour l’environnement, il faut donc penser à un autre modèle de société pour protéger notre corps et celui de nos enfants ? Ce n’est pas pour demain…

C’est un vaste chantier effectivement. Mais il existe déjà des solutions intermédiaires. Par exemple, en pensant le sport dans un rapport biologique, psychologique et social, nous pouvons l’inscrire dans une tendance non compétitive. C’est le cas notamment de la culture physique pour le sport, du statut du fonctionnaire et de la fonction publique pour le monde du travail ou des écoles sans notes sélectives comme les pédagogies Decroly ou Freinet. Toutes ces initiatives formidables ne sont pas subordonnées à un patron ou à la compétition, c’est-à-dire à l’exploitation. Nous pouvons généraliser ce qui existe déjà.

Et puis, nous ne partons pas de rien. Je pense notamment à ce formidable courant hygiéniste qui a pris naissance à la fin du 18e siècle. Il était défendu par les classes populaires et ouvrières. Ce courant a permis des avancées concrètes, décisives et démocratiques comme la naissance de la sécurité sociale. Ce courant de pensée défend l’idée qu’une amélioration des conditions de vie des hommes entraîne une amélioration de leur santé. Cela, pour toutes les catégories sociales confondues. L’hygiénisme a ainsi permis des avancées remarquables comme le développement des égouts, le ramassage des déchets, la lutte contre la tuberculose ou encore la promotion de la pratique du sport. Aujourd’hui, il nous faut à nouveau prendre conscience que la santé est très importante pour l’ensemble de la société. Il n’y a pas que la production. Et l’homme ne doit pas être considéré comme une machine.

 

Finalement, cette histoire d’écomotricité, ça touche tout le monde…

Tout à fait. Mon livre s’adresse aux travailleurs qui sont épuisés au boulot. Aux parents qui ont du mal avec leur enfant à l’école. Aux sportifs, aux entraîneurs… L’écomotricité concerne tout le monde. Socrate expliquait que pour être épanoui, il faut se connaître. J’invite les gens à mieux se connaître, à réfléchir sur ce qu’ils font dans leur quotidien et pourquoi, leur manière de travailler, comment ils peuvent répondre aux problèmes qu’ils rencontrent… Nous avons tendance à penser que nous sommes seuls face à la fatigue, aux problèmes de scolarité ou aux douleurs musculaires. Ce n’est pas le cas, et il faut pouvoir s’organiser collectivement pour se battre contre ce travail intensif, cette surcharge et cette exploitation. L’écomotricité est un outil concret pour donner du sens, réfléchir et reprendre le flambeau des avancées démocratiques léguées par nos anciens pour améliorer individuellement mais surtout collectivement notre bien-être et notre santé. Nous devons donc reprendre le chemin de nos anciens et renforcer ce qui existe déjà. Pourquoi pas en renforçant ce formidable outil qu’ils nous ont laissé, qui a permis de rendre la qualité de vie meilleure pour tous et qu’il faut encore faire progresser: la sécurité sociale et tous les outils démocratiques qui y sont associés. Cela aura un effet bénéfique et vertueux sur tous les secteurs et peut-être même confinera l’exploitation dans le but de la faire disparaître.

 

Vous pouvez soutenir le travail de Carlos Perez en participant à la campagne de financement pour l’édition du livre Au-delà du geste. Toutes les infos pratiques se trouvent ici.

 

Source: Investig’Action

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.