Baisse du pétrole au temps du Covid-19

Une tragédie. Les cours du pétrole ont chuté de 30% lors de l’ouverture des marchés asiatiques, après qu’une vraie guerre des prix a été déclarée parmi les plus grands producteurs. Le Brent – qui avait déjà perdu plus de 9% vendredi [6 mars], après l’échec de la conférence de l’OPEP Plus (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) – s’est effondré, en passant en quelques secondes de 45 à 31,52 dollars le baril, son niveau le plus bas depuis 4 ans.

 

L’article en première page du quotidien italien ʺ Il Sole 24 Oreʺ du 9 mars mérite d’être cité entièrement. La guerre des prix du pétrole, qui a commencée avec l’échec du sommet de l’OPEP le week-end dernier avant cette réouverture des marchés, semble avoir eu des effets immédiats.

Pourquoi parler de ʺguerre des prixʺ ? La stratégie des Russes est dans l’immédiat d’enlever des parts de marché à d’autres producteurs, stratégie reprise aussi par les Saoudiens – qui n’ont pas renoncé à la réduction de la production, même dans une période de récession globale au niveau de la production, causée par l’épidémie du Coronavirus et provoquant une diminution de la production et de la demande mondiale.

Il y a une deuxième stratégie, plus secrète : éliminer les concurrents des marchés. Le seuil de rentabilité, celui qui permet de faire correspondre les coûts de production et les recettes de la vente, est différent selon chaque producteur, en fonction de la qualité et de la facilité d’extraction du pétrole, de l’amortissement des installations, de leur saturation et du rendement ainsi que du niveau technologique et d’entretien général. Il s’ensuit que les divers producteurs ont des capacités différentes de faire face aux pertes, surtout en fonction du poids que l’exportation des hydrocarbures a sur les budgets des Etats. Si une source de JP Morgan estimait une moyenne mondiale de 50 dollars le baril comme seuil de rentabilité d’ici la fin de 2020, ce chiffre n’est pas valable pour tous: en 2019 la Russie avait besoin d’un prix moyen par baril autour de 40 dollars, au contraire de l’Arabie saoudite qui était stable sur les 80-85.

On doit considérer qu’au-delà des tentatives des Pays de l’OPEP ou de ceux qui dialoguent avec l’OPEP (la Fédération de Russie) de mettre hors jeu les producteurs de pétrole américains qui ne sont pas ʺconventionnelsʺ (ceux qui s’occupent de pétrole de schiste), ceux-ci ont amélioré constamment leur efficacité et leur capacité à faire face à des seuils de rentabilité toujours plus bas. (Même si les calculs sont différents, si l’on considère la difficulté -compréhensible- à obtenir des données sûres sur l’état de ce marché, on peut toutefois envisager des prix inférieurs à 55 dollars le baril et en tout cas en baisse).

Les producteurs américains sont encore présents sur le marché; la Russie résiste mieux que les autres aux prix bas, même en considérant qu’elle n’exporte pas uniquement de pétrole, mais aussi de grosses quantités de gaz et d’autres matières premières. Les Saoudiens et tous les pays avec une économie centrée exclusivement sur les hydrocarbures sont les plus touchés par ce problème, à moins d’une stratégie ʺthéâtraleʺ convenue entre Moscou et Riyadh pour ruiner les producteurs américains (une stratégie à ne pas exclure, mais dont l’efficacité est incertaine).

Le timing parfait de la stratégie russe est significatif, étant donné la crise généralisée des hydrocarbures (à la fois ceux vendus au comptant et ceux avec des contrats à long terme), la crise de la production actuelle et  l’arrivée de l’été. Le coup est plus douloureux pour l’Arabie saoudite, laquelle a dû faire face aux émeutes de la cour dans le dos du Prince Salman et a subi  le résultat négatif du  « placement du siècle » : celui de la compagnie de pétrole Saudi Aramco, qui a dû se contenter de négocier ses actions sur la bourse de Riyadh et non sur les principaux marchés internationaux, un État dont la stabilité productive a été compromise par l’attaque contre ses installations de production le 14 septembre 2019. (Il n’est toutefois pas à exclure que les conséquences négatives de l’ʺopération Aramcoʺ aient pesé sur la vengeance américaine-saoudite-israélienne qui a mené au meurtre du Général iranien Soleimani).

Un prix du pétrole trop bas met à rude épreuve les producteurs moins performants, ainsi que toutes les entreprises européennes et américaines qui offrent des services et des technologies pétroliers. En plus il remet en question la stratégie américaine de remplacer son gaz liquéfié par celui des gazoducs russes; l’opération n’était logique ni hier en raison des coûts trop élevés ni aujourd’hui à cause des difficultés que les producteurs d’outre-Atlantique trouveront avec des prix si bas, indépendamment de leur propre seuil de rentabilité. Les raisons de la stratégie russe doivent être cherchées dans la géopolitique; en fait en ce moment les actions de Moscou pourraient avoir des répercussions sur le prix du gaz naturel liquéfié acheté ʺau comptantʺ.

En outre, une forte baisse du prix de l’or noir risque de provoquer des spirales déflationnistes néfastes pour l’économie mondiale dans son ensemble. Que tout cela, avec la crise de l’offre et de la demande causée par le Coronavirus, ait quelques répercussions sur les élections américaines n’est pour l’instant qu’une hypothèse: à coup sûr la Russie revient sur le devant de la scène et, maintenant que les économies mondiales retiennent leur souffle, elle éloigne pour le moins le spectre d’une crise énergétique. Ceci se produit à un moment historique où l’Europe et la Chine semblent s’orienter vers une phase de baisse de la production et de la consommation, et surtout de détérioration à l’égard de ces chaînes de valeur et de distribution mondiales qui ont caractérisé la globalisation néolibérale dans les dernières décennies de l’histoire économique mondiale. Les banques centrales ne peuvent pas utiliser de politiques monétaires trop expansives pour gérer un double choc – pour l’offre et la demande – (en bref: mettre de l’argent dans les poches des familles pour qu’elle puissent consommer et des entreprises pour investir), et cela en premier lieu parce que la crise sera l’effet d’une moindre consommation mais surtout d’une production plus faible (à cause de la fermeture des installations et l’absence des composants), et ensuite parque que la crise touche une planète très endettée et une République Populaire Chinoise qui pourrait perdre son rôle de grand investisseur car, elle aussi, pleine de dettes. En particulier, des experts consultés par l’auteur de cet article estiment une baisse du PIB d’environ deux points de pourcentage en 2020 uniquement pour l’Italie.

Il est peut être nécessaire de dépasser l’idée de mondialisation néolibérale et de confiance dans les capacités du marché. L’enseignement des modèles reconnus par la science économique contemporaine démontre que le marché fonctionne si les prix donnent des informations (le délai et l’efficacité avec lesquelles ils le font, faits l’objet de différents débats parmi les économistes) sur la demande d’un produit, sur la capacité de l’offre, sur la productivité des acteurs qui offrent et sur la capacité de ceux qui demandent. Ce système éclaterait dans le cas où une crise exogène (externe au système économique) détruisît le marché en obligeant l’arrêt par exemple de la production car les travailleurs risquent de tomber malades, en causant un manque de produits et potentiellement des problèmes d’amortissement des installations fixes. Par conséquent mêmes des observateurs connus pour leur orientation libérale commencent à considérer l’idée d’une participation de l’État dans les plans de sauvetage: une action solide d’un État qui règle et gère est le seul moyen pour éviter une chaîne d’échecs dans un système où les prix ont cessé d’opérer pour des raisons exogènes.

 

Source originale: Sinistrainrete

Traduit de l’italien par Investig’Action

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