Bachir Ben Barka : “on trompe l’opinion en laissant croire qu’un geste significatif a été fait dans la recherche de la vérité”

Le collectif « Secret défense – un enjeu démocratique » a été créé à Paris en septembre dernier. Ses objectifs ? Alerter l’opinion publique à propos du secret défense, dont le fonctionnement actuel se fait « au détriment de la vérité historique et de la justice due aux victimes », et œuvrer en faveur d’une juridiction indépendante, « pour que l’État ne soit plus à la fois juge et partie ». Le collectif rassemble les victimes, familles, historiens, chercheurs et associations « qui sont confrontées aux abus et dérives du secret défense ». Suite à la promesse du président Emmanuel Macron de déclassifier « tous les documents produits par des administrations françaises pendant le régime de Sankara et après son assassinat… couvertes par le secret national », nous avons interviewé l’un des porte-paroles du collectif, Bachir Ben Barka.

 

Quand et comment est né votre collectif ?

 

Bachir Ben Barka : Le 4 mars 2017, dans le cadre de « la semaine anticoloniale et antiraciste » organisée par le réseau « Sortir du colonialisme », s’était tenue une table ronde sur le secret-défense. Huit affaires criminelles non résolues y ont été évoquées : l’assassinat de Thomas Sankara (1987), les massacres de Sétif (mai 1945) et à Paris (15/10/1961), la « disparition » de l’universitaire Maurice Audin en Algérie (1957), le massacre des tirailleurs sénégalais (1/12/1944), le génocide Tutsi au Rwanda (1994), l’enlèvement et l’assassinat de Medhi Ben Barka à Paris (29/10/1965), l’assassinat du magistrat Bernard Borrel à Djibouti (18/10/1995) et l’enlèvement et l’assassinat au Mali des journalistes à RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon (2/11/2013).

Ensuite, lors d’une réunion à Paris le 13 septembre 2017, il a été convenu de nous constituer en Collectif « Secret défense – un enjeu démocratique ».

 

Dans votre récent communiqué, vous dénoncez des obstructions à la vérité dans des affaires d’assassinat où la promesse de levée du secret-défense n’a pas été respectée. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?

 

Dans toutes les affaires citées dans le communiqué, le secret défense constitue d’une manière ou une autre un obstacle à l’action de la justice ou la recherche des historiens. Même quand il arrive qu’il y ait déclassification, le contenu des documents concernés est soit inintéressant, n’apportant rien de nouveau, soit « caviardé », c’est-à-dire comportant de larges zones noircies.

Le dernier exemple en date dans le cadre de l’instruction sur l’enlèvement et l’assassinat de mon père est très significatif de la manière dont le pouvoir politique joue de cette notion de secret défense. Durant tout le quinquennat de François Hollande, aucune déclassification ne fut faite, malgré les rencontres avec ses conseillers et ceux du ministre de la Défense qui nous ont pourtant assurés qu’ils étudieraient avec attention les demandes du juge d’instruction.

Ces demandes portaient sur des documents saisis dans les locaux de la DGSE et dont les trois-quarts sont restés couverts par le secret défense.

 

Pourtant, le suspense a été maintenu jusqu’au bout…

 

Oui. Quelques jours seulement avant la fin du mandat du Président François Hollande, avec une couverture médiatique certaine, la Commission consultative du secret de la défense nationale a annoncé avoir donné un avis favorable pour la déclassification de 89 documents issus du SDECE adressés par le ministère de la Défense.

Après avoir analysé ces documents, on a dû constater que, en fait, le ministère s’est moqué du juge d’instruction et de la partie civile. En effet, les « fameux » 89 documents n’avaient aucun rapport avec la requête du juge d’instruction qui concernait des documents saisis au siège de la DGSE en 2010 et toujours soumis au secret-défense. Il s’agit, en fait, de 89 documents qui, depuis des années sont TOUS au dossier ! On trouve même parmi ces documents des procès-verbaux de l’instruction de M. le juge Zollinger, datant de 1965 ou 1966…

Voilà comment dans la confusion des derniers jours d’un quinquennat – qui n’a en aucune façon aidé la justice à progresser – on trompe l’opinion en laissant croire qu’un geste significatif a été fait dans la recherche de la vérité.

 

Votre collectif a la particularité d’être formé par des membres qui témoignent sur des affaires qui ont eu lieu à l’échelle internationale. Dans les pays concernés, quelle a été l’attitude des autorités par rapport à vos revendications ?

 

Notre revendication de levée de secret-défense s’adresse aux autorités françaises, même si les affaires citées sont relatives à des crimes commis en territoire étranger ou impliquant des autorités étrangères. Les plaintes sont déposées en France et instruites par un juge français. Le problème soulevé par votre question est jusqu’à quelle mesure la coopération de ces autorités étrangères est concrète et efficace.

Dans « le dossier Ben Barka », c’est loin d’être le cas de la part des autorités marocaines. Les commissions rogatoires internationales sont exécutées à minima, les témoins prétendument introuvables, même s’ils sont de hauts responsables sécuritaires en activité.

 

Comment jugez-vous la juridiction française dans ce domaine ?

 

Aucun contrôle judiciaire ne s’effectue dans le cadre de l’usage du secret-défense. L’arbitraire et le bon vouloir de l’autorité administrative ou politique sont la règle. Depuis 1998, une Commission consultative du secret de défense nationale est saisie uniquement par un juge d’instruction. Son avis n’est que consultatif mais l’expérience a montré que l’autorité administrative ou politique suit cet avis systématiquement, se dessaisissant ainsi de sa prérogative politique.

Le Collectif souhaite ouvrir un large débat avec des juristes, des politiques, des chercheurs, etc… pour arriver à une réforme de ce système et arriver à ce qu’une juridiction indépendante puisse intervenir dans le processus. Le débat que nous souhaitons permettra d’avoir une vision plus complète de la situation des autres pays.

 

Source : Investig’Action

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