Avec les élections israéliennes, il devient difficile de nier qu’Israël est un État raciste

À l’occasion des élections israéliennes, Netanyahou a pointé les Arabes israéliens comme des ennemis qui saperaient le caractère juif d’Israël. Stephen Gowans imagine avec pertinence les réactions que déchaîneraient des déclarations semblables aux États-Unis ou au Canada. Il démontre ainsi avec pertinence le caractère raciste de l’État israélien et souligne comment l’antisionisme, loin de s’apparenter à l’antisémitisme, s’inscrit dans un universalisme historiquement défendu par de nombreux juifs. (IGA)


Les principaux journaux occidentaux ne traiteraient jamais Israël d’État raciste, une réalité qui en dit plus sur la nature des journaux occidentaux que sur le caractère d’Israël. Mais à l’occasion, des médias en Occident font des observations qui révèlent le caractère raciste d’Israël, si on les replace dans le contexte de la démocratie libérale et qu’on les compare à ce qui était autrefois tolérable dans des pays comme les États-Unis et le Canada.

Dans un article du 19 septembre sur les élections israéliennes, The Wall Street Journal a observé que « M. Netanyahou et d’autres politiciens ont présenté les politiciens israéliens arabes comme des ennemis qui saperaient le caractère… juif d’Israël ».  

Si la déclaration révèle peut-être clairement le racisme étroit de Netanyahou, le racisme plus large de l’État israélien peut apparaître immédiatement. Mais il devient évident s’il est analysé par le prisme des politiques étasunienne ou canadienne. Imaginez le parallèle entre des politiciens américains blancs qualifiant des politiciens noirs américains d’ennemis sapant le caractère blanc des États-Unis, ou un politicien canadien catholique romain qualifiant un politicien musulman d’ennemi minant « l’engagement du Canada envers les valeurs occidentales (c’est-à-dire chrétiennes) ».

Formellement, les États-Unis sont l’État de tous leurs citoyens, pas un État de Blancs. Formellement, le Canada est l’État de tous ses citoyens, pas un État d’Anglais ou de chrétiens. En revanche, Israël n’est pas l’État de tous ses citoyens, mais un État dans lequel les juifs ont la priorité. Netanyahou ne s’en excuse pas, et la plupart des Israéliens juifs non plus.

L’équivalent de Netanyahou aux États-Unis serait des politiciens qui identifieraient leur « blancheur » comme une catégorie politique importante, traiteraient les politiciens noirs d’ennemis et chercheraient à défendre le « caractère blanc » des États-Unis. Ils seraient dénoncés comme racistes, à juste titre. Ils seraient presque certainement des membres avoués ou clandestins du Ku Klux Klan, ou des admirateurs avoués ou cachés de ce même KKK.

De même, l’idée que le « caractère blanc » des États-Unis doit être préservé serait clairement reconnue comme un concept suprématiste blanc. Et quiconque en parlerait ou même laisserait entendre que le « caractère blanc » des États-Unis est une idée normative serait à juste titre censuré comme un raciste insupportable dont il faudrait immédiatement rejeter et corriger les opinions. Pourquoi alors le point de vue parallèle du caractère juif d’Israël comme un concept normatif, lorsqu’il est exprimé par des Israéliens ou leurs soutiens, ne serait-il pas dénoncé comme raciste ?

The New York Times a souvent rejeté comme impensable la perspective que les réfugiés palestiniens exercent, en vertu du droit international, leur droit au retour dans les foyers dont ils ont été chassés ou qu’ils ont fuis, sur un territoire aujourd’hui contrôlé par Israël. « Les réfugiés se comptent par millions et leur retour », a expliqué David M. Halbfinger dans un article de 2018, « signifierait probablement la fin d’Israël en tant qu’État juif. » Autrement dit, les Palestiniens ne peuvent pas être rapatriés, sinon le caractère ethnique d’Israël en tant qu’État juif sera affaibli.

Ce n’est pas très différent de la justification d’une politique d’immigration qui interdirait l’entrée de non-Blancs aux États-Unis au motif que l’afflux de millions de personnes à la peau sombre menacerait les États-Unis en tant qu’État blanc. Ou même une politique d’immigration qui interdirait les musulmans afin de préserver le « caractère chrétien » du pays. Une telle politique serait reconnue comme raciste dans le contexte étasunien ou canadien, donc pourquoi la politique parallèle dans le contexte israélien n’est-elle pas qualifiée aussi de raciste ?

L’argument est renforcé si nous reconnaissons que le parallèle est imparfait. Contrairement aux migrants potentiels aux États-Unis, les Palestiniens sont originaires du territoire dans lequel ils cherchent à entrer, et non des étrangers. Ils ont le droit d’y être, et beaucoup d’entre eux n’y sont pas parce que les fondateurs de l’État juif ont organisé un programme d’ingénierie démographique afin de créer une majorité juive artificielle (c’est-à-dire pour créer un État au caractère juif) en purifiant ethniquement une grande partie du territoire palestinien. Les gardiens actuels de l’État préservent le résultat de l’agression démographique des fondateurs en niant aux Palestiniens leur droit au rapatriement pourtant mandaté et ordonné par l’ONU.

Par conséquent, la politique israélienne visant à refuser aux autochtones leur rapatriement sur leur propre terre afin de préserver le caractère ethnique d’Israël comme État juif est indéfendable pour de multiples raisons.

  • Elle définit les autochtones (les Palestiniens) comme des étrangers et les étrangers (les immigrants juifs qui ont pratiqué le nettoyage ethnique et leurs descendants) comme les autochtones.
  • Elle viole le droit international.
  • Elle préserve le résultat d’un programme de nettoyage ethnique.
  • Elle est raciste.

 

Traiter Israël d’État raciste est combattu par Israël et ses partisans par le lancement d’accusations d’antisémitisme contre quiconque ose proclamer l’évidence. En effet, dans certains milieux, qualifier de raciste l’idée qu’Israël devrait avoir un caractère juif est défini comme antisémite. Cet exercice de casuistique repose sur l’erreur logique qui pose comme équivalents le sionisme et le judaïsme, ce qui fait que critiquer le sionisme devient une critique du judaïsme et des juifs.

Mais selon cette logique, quiconque a dénoncé le racisme de l’Afrique du Sud de l’apartheid ou la Rhodésie suprématiste blanche, ou dénonce le KKK en tant que suprématiste blanc, est anti-blanc. Et selon la logique qui sous-tend l’affirmation que le sionisme égale le judaïsme, tous les Blancs sont des partisans du KKK et de l’Afrique du Sud de l’apartheid, si bien que quiconque dénonce le KKK ou l’Afrique du Sud raciste dénonce les Blancs en tant que catégorie.

Imaginez une définition du racisme anti-blanc comme un déni du droit des Afrikaners à un État de colons blancs en Afrique australe sur les terres volées aux habitants d’origine. Si vous pouvez imaginer cela, alors vous avez imaginé la pratique croissante consistant à définir formellement l’antisionisme comme un élément de l’antisémitisme. Nier le droit des Afrikaners à un État de colons blancs en Afrique australe sur les terres volées des habitants d’origine c’est également nier le droit de l’Afrique du Sud de l’apartheid d’exister, et c’est l’équivalent au déni du droit d’Israël d’exister comme État juif sur les territoires volés aux Palestiniens. Déplorer le racisme tout en proclamant en même temps le droit d’Israël à l’existence en tant qu’État juif équivaut à déplorer le racisme excepté quand il est pratiqué par des sionistes. Au nom de quelle logique seul le racisme du sionisme est exempté comme un exemple de racisme ? Sans logique aucune, mais par :

  • L’absence de logique qui soutient que parce que les juifs ont été les victimes d’un crime énorme, perpétré non seulement par les nazis, mais par leurs collaborateurs européens, les actes d’un État affirmant parler au nom des juifs sont irréprochables.
  • La politique de puissance par laquelle les États-Unis défendent Israël et lui laissent les mains libres parce qu’il collabore à la défense et à la promotion des intérêts économiques et stratégiques US dans le Moyen-Orient riche en pétrole.
  • La calomnie traitant d’antisémite quiconque insiste sur le fait que le sionisme est une forme de racisme.

 

Souligner qu’Israël est un État raciste qui n’a pas le droit d’exister comme État ethnique pour les juifs ni comme État colonial dont la majorité juive est le produit de l’ingénierie démographique, ce n’est pas du racisme antijuif. Au contraire, la dénonciation de tout type de privilège ethnique n’est pas par nature hostile aux communautés ethniques qui le cherchent. Elle est, au contraire, intrinsèquement hostile à l’attribution de droits, d’obligations et de privilèges sur la base de hiérarchies ethniques ; c’est-à-dire qu’elle soutient l’égalité universelle et l’absence d’oppression raciste.

Le sionisme politique, base idéologique de l’État israélien, trouve son origine dans une tentative de trouver une solution au racisme antijuif par la séparation. Le problème est qu’il l’a fait en imitant le nationalisme européen du XIXe siècle, avec tous ses soubassements racistes et en rejetant le mouvement grandissant en faveur de l’égalité universelle qui voyait la solution au racisme, y compris antijuif, dans la construction d’États non ethniques assurant l’égalité pour tous, indépendamment de la race, de la religion, de la langue et de l’ethnie, ainsi que du sexe ou de la propriété. Les juifs ont joué un rôle important dans le mouvement en faveur de l’égalité universelle, et c’est encore le cas aujourd’hui.

En effet, Michael Oren, ancien ambassadeur d’Israël aux États-Unis, identifie la communauté juive dans ce pays comme appartenant à cette dernière tradition d’égalité universelle, contrairement aux juifs israéliens, qui ont adopté la première, la solution nationaliste juive au racisme antijuif. La solution nationaliste juive est une solution raciste anti-arabe au racisme antijuif d’origine européenne. Autrement dit, elle est la sortie de son oppression en opprimant quelqu’un d’autre. L’idée est par nature suprématiste en ce sens qu’elle définit le bien-être des juifs comme supérieur à celui des Palestiniens, si bien que le bien-être des Palestiniens peut être sacrifié au profit du bien-être des juifs. De ce point de vue, juifs et Palestiniens ne sont pas égaux ; au contraire, les droits des juifs l’emportent sur les droits des Palestiniens.

« La vision juive américaine est fondamentalement différente de la vision juive sioniste », a déclaré Oren dans The Wall Street Journal. « L’idée juive américaine est que le judaïsme est une religion universelle, que nous ne sommes pas une nation ou un peuple, que notre devoir est envers toute l’humanité, que l’Amérique est la Terre Promise et que la terre d’Israël n’est pas la terre promise », a-t-il dit.

« Ce fossé fondamental, a-t-il ajouté, a incité de nombreux politiciens israéliens de droite à abandonner pour l’essentiel les juifs américains libéraux et à se concentrer sur un électorat plus amical comme les évangéliques. » Fait significatif, les évangéliques américains, dont le secrétaire d’État Mike Pompeo, adhèrent au sionisme chrétien et à l’idée que le rassemblement des juifs en Israël réalisera une prophétie biblique. De leur point de vue, en soutenant Israël en tant qu’État à caractère juif — c’est-à-dire en s’associant au racisme — ils respectent la volonté de leur divinité.

Le sionisme est faussement compris comme une idéologie exclusivement juive, alors qu’il a toujours aussi été une idéologie chrétienne, dont les principaux partisans ont été des responsables des États impériaux qui lisaient leurs Bibles. C’était aussi vrai au début du XXe siècle lorsque des hommes d’État comme Arthur Balfour en Angleterre et Woodrow Wilson aux États-Unis ont trouvé du soutien pour le mouvement politique sioniste naissant dans leur lecture de la Bible. Et c’est toujours le cas aujourd’hui. L’an dernier, Pompeo a dit à un journaliste du New York Times Magazine que la Bible « façonne tout ce que je fais ». Le journaliste a remarqué une Bible ouverte dans son bureau, avec un couteau de l’armée suisse marquant la page à la fin du livre d’Esther. Dans le récit biblique, la reine Esther a sauvé les juifs d’un massacre par la Perse (le précurseur de l’Iran).

En même temps, historiquement, le mouvement en faveur de l’égalité universelle a attiré les juifs dans une proportion bien supérieure à leur nombre dans la population. Comme Benjamin Beit-Hallahmi l’a écrit, les juifs qui combattaient aux côtés de non-juifs dans la lutte contre le racisme et pour l’égalité universelle « refusaient de limiter leurs préoccupations à leur propre tribu. Leur rêve était plus grand, plus pur. Le salut non seulement pour les juifs mais pour l’humanité tout entière, et cela éliminerait une fois pour toutes les maux de la condition juive ».

D’un côté une pure et grande vision, datant de la Révolution française, celle de Liberté, Égalité, Fraternité, et l’idée universaliste d’un État de tous ses citoyens ; de l’autre, l’idée particulariste d’un État ethnique pour les juifs, rendu possible par l’ingénierie démographique d’une majorité juive, obtenue par l’expulsion des habitants d’origine et le refus de leur rapatriement, et l’exercice d’un régime raciste sur les autochtones qui avaient été dépossédés ; bref, l’idée de l’égalité universelle contre la tradition conservatrice de la hiérarchie, du racisme, du colonialisme et de l’intolérance religieuse. Critiquer Israël et le sionisme n’est pas haïr les juifs mais déplorer la tradition conservatrice de privilège ethnique, de racisme et de colonialisme dont Israël est issu et dont il continue d’être un exemple.

 

Source originale: Le blog de Stephen Gowans

Traduit par Diane Gilliard pour Investig’Action

Source: Investig’Action

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