Assistance et soutien des dirigeants étasuniens aux crimes de guerre perpétrés au Yémen

Le bombardement d’un bus transportant des enfants au Yémen est une preuve de plus de la complicité des Etats-Unis dans les crimes de guerre commis par la coalition emmenée par l’Arabie saoudite. Au regard du droit international et même de la législation étasunienne, Washington est coupable. Mais Trump et ses homologues saoudiens ont pris leurs dispositions pour contourner les lois. Explications. (IGA)


Les dirigeants U.S qui ont apporté un soutien militaire à la coalition emmenée par l’Arabie Saoudite qui a bombardé des civils au Yémen au mois d’août pourraient être accusés de complicité et d’assistance à l’exécution de crimes de guerre conformément à la législation internationale commune qui fait aussi partie intégrante de la législation U.S.

 

La bombe MK 82 de 500 livres guidée au laser que la coalition a larguée ce 9 août a tué 51 personnes dont 40 enfants. Ce bombardement constituait un crime de guerre.

 

« Ils sont arrivés à l’hôpital en voitures et en ambulances. Des douzaines d’enfants avec toutes sortes de blessures effroyables » a déclaré au Guardian Maria Rivas Blanco, infirmière du comité international de la Croix-Rouge, travaillant à l’hôpital Al Tahl. « Certains hurlaient, certains étaient terrorisés et beaucoup allaient directement à la morgue. »

 

Lockheed Martin, un des fournisseurs principaux de la défense U.S, a fabriqué cette bombe qui faisait partie d’un contrat d’armement U.S-Saoudien signé l’an dernier.

 

 

Assistance et complicité de crime de guerre

 

Conformément au droit international traditionnel, porter assistance et complicité à un crime de guerre implique trois éléments : 1) une personne ou une entité a commis un crime de guerre ; 2) un autre acteur a commis un acte qui a significativement contribué à l’exécution de ce crime de guerre ; et 3) cet autre acteur savait que l’acte en question contribuerait ou avait une forte probabilité de contribuer à la réalisation de ce crime de guerre.

Ces trois éléments étaient tous présents dans ce bombardement du 9 août.

 

Premièrement, la coalition a commis un crime de guerre. L’assassinat délibéré et le ciblage de civils constituent de graves violations du Quatrième chapitre de la Convention de Genève. Le texte U.S concernant les crimes de guerre définit d’ailleurs les violations sérieuses de cette convention de Genève comme étant en soi des crimes de guerre.

Prendre pour cible un bus chargé d’enfants sur la place animée d’un marché public est un crime de guerre. Le gouvernement saoudien a qualifié cela d’ « action militaire légitime », prétendant avoir visé des « dirigeants Houthi en charge du recrutement et de l’entraînement de jeunes enfants avant de les envoyer sur les champs de bataille ».

 

Deuxièmement, les dirigeants U.S ont fourni les moyens de commettre ce crime de guerre. L’acquisition de cette bombe faisait partie d’un accord de fourniture d’armes conclu avec l’Arabie saoudite et validé par le Département d’État U.S. En mai 2017, lors de son premier déplacement à l’étranger après son entrée en fonction, Trump a signé un accord de fournitures d’armement portant sur un montant de 110 milliards de dollars avec le monarque saoudien à Riyadh.

 

Troisièmement, l’armée américaine savait que la livraison de cette bombe à la coalition avait de fortes chances d’entraîner ce type de crime de guerre. Ce modèle de bombe avait déjà tué 155 personnes lors de funérailles en octobre 2016 au Yémen.

 

Après ce bombardement de 2016, l’administration Obama, par souci du respect des droits humains, avait proscrit la vente à l’Arabie saoudite de technologies militaires télé-guidées.

Cette interdiction avait été levée le même mois où Trump allait signer son accord à Riyadh et où le gouvernement autorisait à nouveau la livraison d’armes Paveway guidées au laser à l’Arabie saoudite.

 

 

L’assistance US facilité plus de crimes de guerre

 

Le bombardement du bus scolaire du 9 août n’était qu’une des plus de 50 attaques aériennes menées par la coalition à ce moment en 2018. Amnesty International a documenté 36 attaques aériennes dont la plupart pourraient être assimilées à des crimes de guerre.

 

Le 23 avril 2018, un avion saoudien a largué des bombes à sous-munitions produites par la firme Raytheon sur un mariage au Yémen, tuant 22 personnes, y compris des enfants. En explosant, les bombes à sous-munitions dispersent de toutes petites bombes qui n’explosent pas toutes mais le font quand quelqu’un marche accidentellement dessus ou qu’un enfant la ramasse. Ces armes sont interdites par la Convention sur les Armes à sous-munitions qui en interdit tout usage, stockage, production et transfert.

 

Selon Bruce Riedel de la Brookings Institution, la guerre de l’Arabie saoudite au Yémen ne pourrait se poursuivre sans le soutien des Etats-Unis et du Royaume Uni.

 

L’assistance militaire U.S à la coalition comporte le plein des avions saoudiens et émiratis, leur soutien logistique et le partage d’informations. Mais l’implication U.S dans cette guerre s’est amplifiée en fin d’année dernière quand une équipe de bérets verts a été infiltrée secrètement à la frontière entre le Yémen et l’Arabie Saoudite.

 

Au moins 6.385 civils ont été tués et 10.000 blessés depuis le début de cette guerre. Les attaques aériennes par la coalition emmenée par l’Arabie saoudite comptent pour plus de 60 pour cent des pertes civiles.

 

Le Yémen est confronté à une des plus graves crises humanitaires au monde. Au moins 22. 2 millions de personnes – et presque tous les enfants du Yémen – ont besoin d’aide humanitaire et on estime aussi que plus d’un million de personnes souffrent du choléra. Malgré cela, la coalition bloque l’aide et l’importation de nourriture, de médicaments et de fuel.

 

Le 15 mars 2018, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a émis une Déclaration Présidentielle appelant au libre accès de l’humanitaire et du commercial ainsi qu’au respect par toutes les parties des obligations et législations humanitaires internationales.

 

 

Le Congrès condamne le rôle étasunien au Yémen

 

La chambre des représentants U.S a voté à l’unanimité en novembre 2017 une résolution non contraignante invitant les forces militaires U.S à se retirer d’  “hostilités non autorisées » au Yémen. Elle rappelle que l’assistance militaire U.S à la coalition emmenée par l’Arabie saoudite au Yémen n’avait pas été autorisée préalablement par le Congrès. La résolution condamnait les attaques de civils et invitait toutes les parties à «  accroître leurs efforts pour prendre toutes les mesures appropriées et nécessaires pour mettre un terme aux atteintes de civils et faciliter l’aide humanitaire ».

 

Le 13 août 2018, Trump a signé l’ Acte d’Autorisation de la Défense Nationale  (NDAA) pour 2019 qui comporte un montant de 717 milliards de dollars pour le secteur militaire U.S. Dans cette disposition légale, le Congrès inclut plusieurs provisions pour financer le soutien U.S à la coalition saoudienne au Yémen.

 

La section 1274 mandate le département de la Défense pour mener une étude visant à préciser si les Etats-Unis ou les forces de la coalition saoudienne au Yémen violent ou non les lois U.S ou internationales.

 

Mais quand Trump a signé la loi, il y a joint un document contraignant stipulant que son administration traitera les réserves de de la section 1274 «  en conformité avec l’autorité constitutionnelle du président de retirer toute information dont la divulgation serait susceptible d’entraver la sécurité nationale, les relations étrangères, l’application de la loi ou l’exercice des prérogatives constitutionnelles du président ».

 

La section 1290 impose au Secrétaire d’état de certifier que l’Arabie saoudite et les émirats Arabes Unis font des efforts de bonne foi pour mettre un terme à la guerre civile au Yémen, prenant des mesures appropriées pour alléger la crise humanitaire, entreprenant des actions efficaces pour diminuer les risques d’exposition des populations civiles, respectant les lois concernant  l’acquisition d’armements aux Etats-Unis et prenant les mesures appropriées pour éviter les atteintes excessives aux populations civiles.

 

Trump a également joint un document contraignant à ces réserves, stipulant que toute attestation que la section 1290 souhaiterait obtenir « devrait être en conformité avec les prérogatives constitutionnelles du président en tant que Commandant en chef des armées et représentant exclusif de la nation en matière d’affaires étrangères. »

 

 

Appels pour une enquête indépendante

 

Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres a condamné le bombardement du 8 août et a demandé une enquête indépendante. L’Arabie saoudite a répondu qu’elle mènerait sa propre enquête. Et le secrétaire U.S de la Défense, James Mattis, a promis d’envoyer un général trois étoiles à Riyadh pour appuyer les Saoudiens dans leurs efforts.

 

« C’est d’une commission d’investigation totalement indépendante dont les Yéménites ont réellement besoin, ce que les Nations Unies ont déjà demandé deux fois et que la coalition emmenée par l’Arabie saoudite a rejeté avec l’aval des Etats-Unis aux Nations Unies » ce que Shireen al-Adeimi, activiste chercheur yéménite et professeur assistant à la Michigan State University, a déclaré à Amy Goodman sur Democracy Now !

 

Suite au bombardement du 9 août, trois lettres de membres du Congrès, de la Chambre et du Sénat ont demandé des enquêtes, des explications et des compte rendus à propos du soutien U.S à la coalition saoudienne au Yémen.

 

Trente membres Démocrates de la chambre ont signé une lettre au Secrétaire de la Défense James Mattis , au Secrétaire d’Etat Mike Pompeo et au directeur de la CIA Dan Coats, pour faire part « de leurs graves préoccupations concernant la crise humanitaire au Yémen » et demander une séance d’information pour tous les membres des chambres au cours de la première séance de septembre «  au sujet des objectifs politiques des Etats-Unis concernant le Yémen. »

Dans leur lettre, les membres du Congrès ont fait référence aux sections 1274 et 1290 de la NDAA.

 

En outre, le représentant Ted Lieu ( Démocrate-Californie) a adressé une lettre demandant à l’inspecteur général de la Défense d’entamer une enquête pour préciser si les opérations de la coalition au Yémen violaient les lois U.S ou Internationales. Lieu se disait « gravement préoccupé par le fait que le réapprovisionnement en vol, les fonctions de soutien opérationnel et les transferts d’armements pourraient être qualifiés comme aide et soutien à de possibles crimes de guerre. »

 

Lieu faisait référence aux conclusions d’un groupe d’experts des Nations-Unies au Yémen qui déclarait que toutes les parties au conflit, « y compris la coalition soutenue par les Etats-Unis, étaient impliquées dans des violations de toutes sortes des lois internationales et que les mesures susceptibles de réduire les pertes civiles restaient largement inefficaces ».

 

La sénatrice Elizabeth Warren (Démocrate-Massachusetts) a écrit au général Joseph Votel, chef du U.S Central Command (Centcom) lui demandant de préciser sa déclaration selon laquelle le Centcom ne pouvait établir si l’assistance apportée par les Etats-Unis aux offensives de la coalition pouvait entraîner des pertes civiles.

Dans cette lettre, Warren cite un article de The Intercept évoquant des commentaires d’un analyste des renseignemens US qui aurait supervisé une attaque de mai 2018 à partir d’un centre de commandement de la coalition à Riyadh, suggérant ainsi que des observateurs militaires américains disposent d’informations détaillées sur la manière dont les attaques sont menées.

 

La dernière ligne de la lettre conclut que le Congrès doit immédiatement mettre un terme à toute implication U.S dans la guerre au Yémen et s’opposer à tout financement de ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Etats Arabes Unis (EAU) aussi longtemps qu’ils bombardent et détruisent le Yémen.

 

Source originale: Truthout

Traduit de l’anglais par Oscar Grosjean pour Investig’Action

Source: Investig’Action

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