3 questions à Robert Charvin sur la montée de l’extrême droite

Le Vlaams Belang en Belgique ou le Rassemblement national en France… Les dernières élections ont été marquées par une poussée de l’extrême droite. Comment ce phénomène doit-il être interprété ? Qui sont les responsables ? Que pouvons-nous faire ? Auteur du dernier livre édité par Investig’Action, “La Peur, arme politique“, Robert Charvin nous explique comment l’extrême droite est utilisée comme un repoussoir pour détourner les luttes sociales.

 

En Europe, les partis d’extrême droite, ouvertement liés au fascisme ou plus « présentables » augmentent très fort leurs voix. En Belgique, le Vlaams Belang, parti ouvertement raciste et dont des ténors se réfèrent au nazisme a triplé ses voix, devenant le second parti de Flandre. Tandis que le premier, la NVA, n’a cessé au gouvernement d’attiser le racisme, la peur des immigrés et envisage une alliance avec ces fascistes. Est-ce que votre livre « La Peur, arme politique », peut nous aider à comprendre ce phénomène ?

Le confusionnisme, fortement stimulé par les médias TV-radios dominants, est l'”idéologie” dominante du moment. Il reflète le ressenti de chacun vis-à-vis d’un vieux monde qui se meurt, alors que le neuf, encore incertain, ne fait que se profiler à l’horizon.

Règne, comme souvent dans l’Histoire, la peur entretenue par les pouvoirs. Les migrants, les Arabes, les Russes remplacent les juifs, les communistes et les francs-maçons, bouc-émissaires d’hier. Les institutions “présidentielles” style Ve République favorisent un culte de la personnalité tout aussi malsain que le culte du “chef” dans les années 30-40. Le creusement des inégalités sociales et l’implosion des classes sociales ouvrent la voie à des mécontentements corporatistes contradictoires et à l’émiettement des choix politiques. La bêtise et l’inculture en voie de développement font le reste : le climat général est favorable au néofascisme, habillement qualifié de “populisme” pour mieux l’assimiler à la radicalité progressiste.

Ces redites de l’Histoire ne sont pas vécues comme telles, souvent parce qu’on ignore l’Histoire ; souvent aussi parce que l'”enveloppe” des phénomènes se renouvelle et que, du coup, on n’en reconnaît pas le contenu ! Le nazisme est le seul fascisme qui ne soit pas trop méconnu, mais sa connaissance est descriptive et non explicative. Les horreurs du national-socialisme allemand conduisent à ne pas percevoir la réalité diverse des néofascismes, travestis à la mode du jour dans le sillage de l’évolution du capitalisme et des traditions nationales. Cependant, l’essentiel est commun : pas de remise en cause du mode de production, même s’il y a “flirt” avec un anticapitalisme très modéré et racoleur ; racisme sélectif ; mépris ou indifférence pour la culture avec conjugaison de mythologies délirantes et de prétentions managériales et “modernistes” ; culte d’une police et d’une armée “protectrices” du petit peuple menacé.

Comme les fascismes des années 30-40, le “populisme” autoritaire d’aujourd’hui séduit par un programme social pouvant s’intégrer au système économique traditionnel et crée les conditions de succès électoraux. Mussolini avait sensibilisé le peuple italien sans faire peur à l’aristocratie et à la bourgeoisie d’affaires. Le nazisme a éliminé ses S.A trop révolutionnaires et a collaboré activement avec les milieux industriels. Les néofascistes de l’Europe d’aujourd’hui ne menacent pas plus le système que la social-démocratie : ils sont “utilisables” par les petits Machiavel de style Macron, soit en servant de repoussoir, soit, si nécessaire, pour continuer une alliance contre-révolutionnaire. Pour l’heure, l’anti-populisme des “droites classiques” (en France, les Républicains) et “modérées” (les “Macroniens”) est une efficace diversion : il détourne des luttes sociales coûteuses pour le monde des affaires.

La droite macronienne n’a pas peur de l’ex-FN : elle ne craint que le mouvement social et les affrontements de classe. Tout est concevable pour détruire ceux qui veulent un autre système économique, une authentique démocratie sociale ! Tout est permis à ceux qui n’ont que mépris pour le peuple qui revendique et qui cherchent à ramener les citoyens au rang de sujet ! Le seul “programme” de l’Europe des affaires est d’offrir des jeux, des miettes sociales, et de faire peur, tout en se prétendant “protectrice” !

Apprendre à ne plus avoir peur est décisif. La recette ? Elle se trouve dans trois priorités, comme le réclamait un grand révolutionnaire du début du XXe siècle : “Premièrement, s’éduquer, deuxièmement s’éduquer, troisièmement s’éduquer !” Sans pouvoir compter sur les pouvoirs publics et privés ni sur leurs médias.

 

Les partis dits « traditionnels » (familles chrétienne, libérale, socialiste) ont-ils une responsabilité dans cette montée inquiétante ?

Sont responsables les partis “traditionnels” évidemment, les citoyens trop facilement manipulés, mais surtout les milieux d’affaires et la soi-disant “élite” exclusivement mobilisés pour la promotion de leurs privilèges.

Le réformisme et un esprit de compromission, discréditant le politique, ont contaminé toute la gauche, dans les couches populaires. Les néofascistes bénéficiant de leur “virginité” relative, apparaissent à certains comme un recours possible. Ceux qui soutiennent l’ex FN en France, par exemple, sont exaspérés par les effets sur eux d’un capitalisme méprisant : c’est un début de lucidité. Mais cette lucidité est pervertie par les tares traditionnelles de l’extrême droite, proche de celle des années 30-40, jouant à la fois sur les spécificités nationales les plus racoleuses et sur un fond communs primaire et brutal. Les programmes social (avancé, comparé à celui de la droite classique) n’est pas inédit : il ne bouleverse pas les intérêts majeurs du système socio-économique en place. Le fascisme italien avait sensibilisé le peuple italien sans avoir fait peur à l’aristocratie et à la bourgeoisie d’affaires ! Le nazisme lui-même a utilisé puis éliminé ses S.A (c’est-à-dire son aile “gauche”) tout en collaborant activement avec les milieux industriels. La mémoire historique a des lacunes : l’extrême droite a toujours prétendu être “ni à droite, ni à gauche” et Macron n’a rien inventé, puisant son “inspiration” partout, par pur opportunisme.

Dans l’Histoire, l’extrême droite ne s’est avérée dangereuse que lorsque le monde de l’argent lui a ouvert des portes. Aujourd’hui, le monde de l’argent n’en a pas encore besoin, sauf pour se fabriquer son “meilleur ennemi” ! Mais on peut aussi faire l’hypothèse que ces stratégies sont risquées : les forces intermédiaires peuvent se mettre à leur compte, au moins dans le domaine sociétal et répressif, et c’est le peuple et non l'”élite” qui en paiera les frais.

 

Comment les progressistes peuvent-ils contrer la montée du fascisme dans les esprits ?

Face au néofascisme, les acquis démocratiques ne sont pas une faiblesse mais une force. C’est la démocratie qu’il convient de renforcer pour le combattre et non des mesures autoritaires qui ne joueront qu’à l’encontre de la gauche sociale et radicale ! C’est la confiscation par une petite minorité privilégiée (bureaucratique et financière) du pouvoir de décision, indifférente à la souffrance sociale de la majorité, qu’il faut combattre pour être efficace contre l’extrême droite.

La soi-disant lutte contre tous les “extrémismes” qu’il faudrait mener selon les droites libérales et la social-démocratie ne vise en fait qu’à rassembler contre la gauche radicale exclusivement. Celle-ci ne peut se défendre qu’en attaquant ! En popularisant de nouveaux droits (comme le référendum d’initiative citoyenne, le RIC), en associant dans des comités de base les citoyens sans partis, qui n’ont plus confiance dans les états-majors, en récusant le “patriotisme d’organisation” et les petites guerres de clan et de chefs, en plaçant le social, c’est-à-dire l’essentiel, au cœur de tous les combats !

Les pièges sur cette voie sont multiples. Celui qui est d’actualité est paradoxalement, l’écologie. Les pouvoirs publics et privés vont tout faire pour faire de l’écologie un instrument de consensus, par-delà les clivages de classes. Effacer le social grâce à l’écologie, telle est l’opération en cours. Il convient donc d’être écologistes de manière authentique (contre les pratiques des grandes firmes, par exemple) : il n’y pas de “capitalisme vert” !

“Pacifier” au maximum les relations sociales (perturbées, par exemple, par les gilets jaunes) afin de continuer à réaliser une accumulation paisible du profit, tel est le seul objectif de la caste dirigeante. Aussi, chaque combat social, en particulier dans les entreprises, est précieux. La droite et l’extrême droite sont parties liées : rien ne doit faire négliger que les vrais “décideurs” appartiennent au monde de l’argent et à leurs complices.

 

Source: Investig’Action

 

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