Le ministre belge des Affaires étrangères, Karel De Gucht, fait des critiques virulentes contre les dirigeants actuels. «Il n'y a pas d'Etat au Congo. Il y a un manque de bonne gouvernance et même de gouvernance tout court». Qu'en pensez-vous?D'où vient le désordre au Congo?
Où va le mouvement nationaliste?
Comment vivent les Congolais aujourd'hui?
Que va-t-il se passer le 30 juin?
C'est vrai que l'Etat congolais n'existe plus dans beaucoup de domaines. Mais ici nous voyons l'hypocrisie des dirigeants occidentaux. Ce sont eux qui ont imposé le gouvernement actuel dans le but de fragiliser complètement un Etat déjà affaibli par la terrible agression et occupation rwando-ougandaise, qui a duré d'août 1998 jusqu'en août 2003 et qui était commandée par les Américains. Rappelons que ces agresseurs ont commis un génocide de quatre millions de Congolais.
Au lieu de reconnaître que le Congo était agressé, les puissances occidentales ont prétendu qu'il s'agissait d'une «guerre civile interne au Congo», ils ont imposé des négociations entre le gouvernement congolais, les anciens mobutistes, coupables du désastre congolais et des criminels de la «rébellion», c'est-à-dire des Congolais qui ont fonctionné comme paravent devant les armées d'agression rwandaise et ougandaise.
Depuis l'été 2003, tout ce beau monde est mis au pouvoir dans un état avec un président et quatre vice-présidents (on parle aussi de la formule 1+4). Joseph Kabila et les siens qui défendaient le pays contre l'agression sont minoritaires dans ce nouveau gouvernement. En Europe, en 1944, les grands collaborateurs des nazis ont été fusillés. Au Congo, les Etats-Unis ont exigé que les collaborateurs deviennent vice-présidents et ministres La plupart de ces gens volent et magouillent, parce qu'ils savent qu'ils seront chassés s'il y a des élections.
Il n'y a plus d'Etat unifié au Congo: l'Etat est en fait «éclaté» et différentes fractions gèrent «leur» partie de l'Etat selon leurs propres intérêts. Mais De Gucht ferait mieux de pointer du doigt les puissances occidentales qui ont imposé ce désordre.
Quels étaient les objectifs de ces puissances occidentales avec la fomule 1+4 (un Président et quatre vice-présidents) qu'ils ont imposée à la tête de l'Etat congolais?
La formule a été imposée dans le seul but de briser le pouvoir nationaliste et d'obtenir un gouvernement congolais faible et divisé, dominé par des forces qui servent les intérêts de l'Occident Le vieux Kabila (au pouvoir de 1997 à 2001) avait une vision pour son peuple, pour le Congo et pour l'Afrique. La première année de son pouvoir, il a réalisé des miracles et cela sans aide extérieure. Entre 1990 et 1997, le dictateur Mobutu, avait organisé une «transition vers la démocratie». Durant cette période, il y a eu une année avec 8.300 % d'inflation ! Le revenu annuel par habitant a chuté de 195 à 135 dollars par personne !
Or, arrivé au pouvoir en 1997, Kabila a stabilisé en quelques mois la monnaie. Quand il est arrivé, Kinshasa était pleine de bandits et d'anciens militaires mobutistes armés. Chaque soir et nuit, on entendait des tirs. En trois mois, Kabila a rétabli l'ordre.
Les experts nationalistes ont élaboré un Plan Triennal qui permettait de faire redémarrer le Congo en toute indépendance. Kabila ne demandait que 950 millions de dollars par an durant trois ans. Et le Congo allait redémarrer. L'Occident, la Belgique y compris, a refusé.
Mais cet Occident a dépensé 2,5 milliards de dollars en 94-96 pour «garder» les génocidaires Hutu rwandais au Kivu Aujourd'hui, l'Occident dépense un milliard de dollars par an pour les troupes de l'ONU basées au Congo Et ça ne construit rien.
En plus, les Occidentaux ont fait assassiner Kabila et ils ont imposé depuis l'été 2003 cette fameuse formule 1 + 4.
Où va le mouvement nationaliste?
Joseph Kabila n'a-t-il pas capitulé devant la pression des grandes
puissances, là où son père défendait quand même l'indépendance du Congo?
Dans les quartiers populaires, beaucoup de gens sont toujours inspirés par
les enseignements du Vieux Kabila sur la nécessité de s'appuyer sur
eux-mêmes et de prendre leur sort en main. Sur la photo: dans un quartier
populaire, le «comité déchets» organise l'assainissement de la rue.
Il faut savoir que le vieux Kabila était un homme exceptionnel, unique au
Congo et en Afrique. Il a commencé à lutter à 19 ans, aux côtés des
adhérents de Patrice Lumumba, qui voulaient la fin de la colonisation et
l'indépendance. Lumumba a été élu Premier ministre, mais la Belgique et les
Etats-Unis l'ont fait assassiner en janvier 1961. Quand, deux années plus
tard, Pierre Mulele, ancien ministre de l'éducation dans le gouvernement
Lumumba, lance la guerre de libération nationale pour récupérer
l'indépendance, Kabila avait 23 ans et il était un dirigeant national de la
révolution muleliste. Il est toujours resté fidèle à la révolution
populaire, même dans les conditions les plus difficiles pendant les 37
années de dictature de Mobutu, installé et gardé au pouvoir par les
Etats-Unis, la Belgique et la France.
Devenu président en mai 1997, Kabila constituait vraiment le noyau dirigeant
de la cause congolaise. Son assassinat en janvier 2001 a été une tragédie
pour le Congo et l'Afrique, une tragédie ayant de plus grandes conséquences
que l'élimination de Lumumba en 1961.
Le «noyau dur» éliminé, les nationalistes devaient nécessairement faire des
concessions. Joseph Kabila était alors un jeune officier supérieur de
l'armée nationaliste. Il a dû assumer le pouvoir politique suprême sans
grande préparation politique.
Mais beaucoup de cadres autour de Laurent Kabila et ensuite autour du
président Joseph Kabila, n'avaient pas du tout la conviction révolutionnaire
solide du Vieux.
Certains étaient même des mobutistes non convertis Et ces gens ont poussé à
faire des concessions nuisibles qui revenaient à pousser le Congo à nouveau
sur la voie du néocolonialisme.
Il faut aussi dire un mot sur les faiblesses mortelles du Parti du Peuple
pour la Reconstruction et le Développement (PPRD), considéré comme le parti
politique du Président Joseph Kabila. On constate à la tête de ce parti un
vide idéologique et politique. Beaucoup de cadres s'intéressent plus aux
postes et à l'argent qu'à l'idéologie nationaliste. Mais la base du PPRD,
les membres et cadres sont toujours inspirés par les enseignements du Vieux
Kabila et ils ont des critiques acerbes contre leur direction. Le
redressement reste donc possible. Récemment, un certain nombre de militants
nationalistes ont critiqué la politique de Vital Kamerhe, qui dirige le
Parti du Président, en l'accusant de rejeter en grande partie la doctrine et
de l'action du père Kabila.1 Ce serait une bonne chose, que le débat sur
l'orientation et sur l'avenir du mouvement nationaliste soit ouvert.
1 Ceux qui s'y intéressent peuvent consulter leur déclaration du 7 juin 2005
titré: «Kamerhe dénigre l'uvre de Mzee Laurent-Désiré Kabila" sur le site
www.deboutcongolais.info
Comment vivent les Congolais aujourd'hui?
On prédit des émeutes pour ce 30 juin, date du 45e anniversaire de
l'indépendance. N'est-ce pas un échec du mouvement nationaliste qui voit sa
grande journée du 30 juin «détournée» par les forces réactionnaires ?
Il est indiscutable que la situation est mauvaise. La misère continue à
s'aggraver, le peuple vit une situation sans issue. Le gouvernement publie
des statistiques qui montrent que le budget de l'Etat était de 300 millions
de dollars en 2001 et qu'il l'a monté en 2005 à 1,7 milliard de dollars. La
population s'indigne: «Mais où va cet argent, nous n'en voyons rien!»
Certains observateurs estiment que des forces dans l'ombre poussent
délibérément la population à la révolte. La plupart des politiciens volent
et magouillent au maximum, étant peu sûrs de revenir un jour au pouvoir.
Mzee Laurent-Désiré Kabila, même lorsque la situation était dure, à cause de
la guerre d'agression dévastatrice, savait convaincre et galvaniser le
peuple. Maintenant les ennemis du peuple sont au pouvoir, les nationalistes
sont minoritaires et Joseph Kabila «dirige» un gouvernement qui lui est en
majorité hostile.
Mais on a effectivement le sentiment qu'une majorité du mouvement
nationaliste a capitulé devant les réactionnaires (notamment les anciens
mobutistes), et qu'il y a même des nationalistes qui se sont rapprochés
politiquement des réactionnaires. Le discours capable de galvaniser les
énergies a disparu, comme la mobilisation populaire et l'espoir.
Dans sa misère effroyable, ne voyant plus d'issue, le peuple s'accroche à
des mythes, et cela dans tous les domaines. Le peuple appauvri à l'extrême
s'accroche à des «pasteurs» qui guérissent le sida, il s'accroche à des
apôtres et des évangélistes capables de «découvrir» les enfants-sorciers qui
«bouffent» les âmes A Kimbanseke, une commune de Kinshasa, il y a eu un cas
pathétique d'une fillette de 12 ans, accusée par le pasteur Kimpata d'avoir
«bouffé» l'âme de sa mère, décédée récemment. Le père a enfermé la fille
pendant quatre mois dans une chambre dont elle ne pouvait sortir, elle y
faisait ses besoins. On jetait de temps en temps une croûte à la fillette.
Elle n'avait plus que des os et ne pouvait plus marcher. Un jour, son père
oublia de fermer la porte et la petite a rampé jusqu'à la sortie. Les
voisins l'ont sauvée
Dans la politique aussi, c'est le retour des mythes. Le peuple affamé et
désespéré a renoué avec Etienne Tshisekedi, un ancien Premier ministre de
Mobutu qui dans les années 90 était devenu un leader charismatique se
présentant comme le Moïse qui allait mener «son» peuple vers le pays promis
La formule 1 + 4, un Président et quatre vice-présidents a été cautionnée
par une alliance entre l'UDPS, le parti de Tshisekedi, et les rebelles
pro-rwandais. Tshisekedi a déclaré à l'époque que 1 + 4 était une victoire
commune de l'opposition armée (les rebelles) et non armée (l'UDPS).
Mais depuis un an, il a fait un de ces revirements dont il a le secret. Il
dit maintenant: «Un plus quatre égale zéro». Il affirme que, selon les
Accords de Pretoria, la Transition devait prendre fin ce 30 juin 2005.
Ce n'est pas vrai. L'accord fixe la fin pour le 30 juin 2005 avec
possibilité de deux prolongations de 6 mois. Cela veut clairement dire que
la «Communauté internationale» a voulu maintenir la pression. Si elle avait
fixé la Transition jusque juin 2006, il n'y aurait plus de pression sur les
politiciens et la Transition aurait duré bien au-delà de 2007
Mais maintenant Tshisekedi fait croire que la misère du peuple est due au
gouvernement «1 + 4» qui «doit se terminer obligatoirement le 30 juin».
Après le 30 juin, Thsisekedi se présente comme le dirigeant d'un «Leadership
de sauvetage», c'est-à-dire l'alternative pour le gouvernement actuel.
Que va-t-il se passer le 30 juin?
Qui est derrière les appels à l'émeute pour le 30 juin? Cela peut-il
dégénérer en guerre civile? Doit-on s'attendre à un bain de sang?
Cette préparation au «grand 30 juin» se situe déjà dans un climat
d'insécurité généralisée à Kinshasa, surtout dans les communes pauvres
Presque chaque nuit, il y a des coups de feu et des assassinats. C'est dans
ce climat que l'on a lancé depuis plusieurs semaines des appels pour que le
peuple descende dans la rue, armé de machettes, «l'arme des pauvres contre
les chars». Mais il y a aussi des preuves que des armes sont placées dans
des caches pour le 30 juin
Cette agitation autour de la date «magique» du 30 juin 2005 est l'oeuvre de
l'UDPS et ses alliés mobutistes et rebelles pro-rwandais. Or, il y a des
bruits persistants que le RCD (les rebelles pro-rwandais) et le Rwanda ont
des soldats «dormants» à Kinshasa, qui peuvent entrer en opération le jour
J.
L'armée congolaise elle-même est composée de différentes factions, d'anciens
rebelles pro-rwandais et pro-ougandais, d'anciennes troupes de Mobutu En
plus, les militaires, comme d'ailleurs les fonctionnairesn'ont pas été payés
depuis trois mois. Certains y voient un complot pour pousser les militaires
et fonctionnaires à la révolte, le 30 juin
Il y a donc une crainte qu'en cas de grand désordre, l'armée elle-même
pourrait éclater. Ce serait la guerre civile Mais comme les émeutes ont été
annoncées depuis des semaines, tous les services de renseignements sont
là-dessus. Les chefs des réseaux clandestins auraient des difficultés à
lancer leurs «combattants» à l'assaut.
Mais surtout, au niveau de la fameuse Communauté internationale, personne ne
veut voir le désordre et la guerre civile en RDC. Les armées angolaise,
zimbabwéenne, sud-africaine sont au Congo, prêtes à toutes les éventualités
La Monuc (troupes de l'Onu) non plus ne peut laisser Kinshasa plonger dans
la guerre civile.