Une dérive médiatique sans retour : Bilan sur les événements du réveillon du Nouvel An 2016 en Allemagne

Comment on a laissé un mensonge médiatique s’imposer comme une vérité et progressivement “oublié” de le remettre en question. À l’occasion d’un reportage consternant du 20H de France 2 dont j’ai parlé ici, j’ai constaté qu’il y avait désormais un consensus sur les terribles événements du Nouvel An 2016 en Allemagne. Moi qui pensais que l’affaire n’avait pas encore été élucidée. J’avais dû rater un épisode. Qu’en étaitil finalement, après les enquêtes et les procès ?

J’ai commencé à chercher des informations définitives, une forme de bilan sur ces agressions, mais presque aucune synthèse n’est disponible en français (à l’exception d’un article de Dietmar Henning sur World Socialist Web Site de novembre 2016, longuement cité à la fin de ce bilan). Que reste-t-il ? Il reste les énoncés produits par la campagne médiatique de début 2016. Car personne n’a oublié ces événements, et moi-même quand j’y repense, ça me fait un peu froid dans le dos. Difficile d’oublier cette campagne alarmante aux accents apocalyptiques. Or, force est de constater qu’elle s’est déchaînée indépendamment de toute investigation, de toute recherche de vérité ou de toute vérification des faits qui étaient répétés à tort et à travers. Les faits ne sont pas là, ils sont absentés. Même si beaucoup avaient conscience de l’exagération médiatique, il s’agissait alors plutôt d’un débat de société, l’enjeu était plutôt de “penser”, de juger, d’expliquer les événements. En lisant divers articles, y compris très récents, sur ces événements ou sur l’Allemagne et les migrants, je constate que tout le monde ou presque continue à se référer sans ambiguïté, sans précaution, aux terribles événements du Nouvel An 2016 : ils font consensus, même si les interprétations et les attitudes adoptées en réponse sont très variées.

Mon but n’est pas de minimiser la gravité des faits qui se sont produits et encore moins de nier qu’il y a eu des agressions. Bien plutôt, j’aimerais qu’ils puissent être envisagés en dehors de l’hystérie médiatique et de la propagande qui s’est insidieusement substituée aux faits. Il faut déconstruire le mensonge qui enveloppe, qui récupère ces événements. Qu’on ne le fasse pas (à commencer par les médias), pose un certains nombres de questions.

1) L’emballement médiatique

Retard à l’allumage

L’origine du scandale, plus que les faits eux-mêmes, a été qu’on a accusé la police, les autorités et aussi les médias d’avoir caché les faits pendant 3 jours. Ou plus précisément : d’avoir caché les faits dont on soupçonnait qu’ils avaient été commis par des migrants. Ce qui s’est transformé aussitôt en : avoir caché les faits parce qu’ ils auraient été commis par des migrants. Puis : avoir caché les faits parce qu’ils ont été commis par des migrants. Le sursaut scandalisé de la presse européenne a eu lieu à partir du 4 janvier. Quelques extraits d’un article – représentatif – publié sur Géopolis (sur francetvinfo.fr) le 06/01/2016 et mis à jour le 10/01/16 :

“L’Allemagne a découvert, effarée, qu’une vague de près de deux mille hommes avait déferlé sur Cologne à l’occasion de la Saint-Sylvestre. Par groupes de 40 ou 60 personnes, ils se seraient livrés à tous les débordements, allant de vols à des agressions sexuelles, voire plusieurs viols. Le pays est sous le choc. (…)

Le 1er janvier 2016, au lendemain de ces événements, la police publiait un communiqué faisant état d’une nuit sans incident notable. Sauf qu’au fil de cette première journée de janvier, et dans les jours suivants, les dépôts de plainte se sont succédés jusqu’à atteindre plusieurs centaines, pour la plupart relatifs à des faits d’agressions sur des femmes. La police de Cologne n’en a révélé l’ampleur que lundi, soit trois jours après les faits. Mais au 10 janvier c’étaient plus de 500 plaintes qui ont été déposées, dont 40% pour agression sexuelle. Hambourg en compte, quant à elle 133. (…)

Si l’on rajoute à cela que les agresseurs étaient décrits comme d’apparence « nord-africaine ou arabe », il n’en a pas fallu plus à tous les opposants à l’accueil massif de réfugiés et migrants pour crier au complot. Accusant, au passage, les médias de collusion, en taisant les faits dans leurs journaux. Les autorités ont beau objecter que rien n’indiquait, dans un premier temps, que des réfugiés étaient impliqués, la brèche était néanmoins ouverte. Ultérieurement, force a été de constater que beaucoup de réfugiés, syriens ou autres, et des immigrés en situation illégale, étaient impliqués. (…)

Le site spécialisé Meedia a ainsi révélé qu’il a fallu quatre jours pour que les faits soient « relatés de façon exhaustive au niveau national ».

Donc au 6 janvier, voici ce qu’on savait : il y a eu des agressions nombreuses contre des femmes, notamment à Cologne, on soupçonne des immigrés “arabes”, les informations ont mis 3 jours à sortir.

L’article est intéressant par son titre et son chapeau racoleur : “silence assourdissant”, “une vague de près de deux mille hommes avait déferlé”. Or, le 6 janvier, aucun fait ne venait étayer cette “vague”, sinon l’imagination xénophobo-maritime du journaliste. À moins qu’il ne s’agisse – déjà – d’un élément de langage, un des clichés contagieux qui allaient proliférer dans le traitement de cette affaire. De plus, on note le mélange de faits précis “dont 40% pour agression sexuelle” et d’approximations “plusieurs centaines, pour la plupart relatifs à … ” : justement, cette part est importante ; il importe de la préciser. Notons que le 6 janvier (date où l’article a été publié) les informations sont vagues et que la statistique précise n’est publiée que le 10 janvier (elle était donc absente de la première version de l’article… ce qui ne l’empêchait pas d’affirmer dès le 6 janvier qu’une vague de 2000 criminels avait déferlé sur l’Allemagne). Enfin, la remarque sur les autorités attire notre attention car, même si l’extrême droite et les tenants du complot y voient un mensonge, elle rappelle une vérité basique : à cette date, à ce stade de l’enquête, les éléments ayant été vérifiés étaient probablement peu nombreux. D’autant moins nombreux que la police a été débordée par l’afflux de plaintes et par une forte agitation interne. Bref, la police a dit qu’elle ne savait pas encore grand chose. Vrai ou pas, cela n’a semble-t-il pas empêché TOUS les autres de savoir beaucoup de choses, jusqu’au nombre de “migrants” qui ont “déferlé”…

Faux débat

Des éléments de langage tels que “hordes”, “bandes”, “vagues”, “groupes organisés”, “Afrique du Nord”, “maghrébins”, “réfugiés”, “ne parlant pas allemand”, etc., se sont imposés. Dès lors, l’impératif pour la presse, les politiques, les commentateurs et autres a été : ne pas se voiler la face au nom du politiquement correct ! oser dénoncer les immigrés ! (Der Spiegel, le 9/01/16 : « Cologne, c’est le début de la fin du politiquement correct » ; ou, en France, dans le Figaro : «Agressions de Cologne, ou le politiquement correct devenu fou » le 19 janvier). Et la parole raciste s’est libérée, ainsi que les amalgames typiques de l’extrême-droite : ce fait-divers valant remise en cause de la politique migratoire… En effet, le corollaire de cette lecture des événements est aussitôt devenu : ceci s’est produit en Allemagne, alors que (=parce que) l’Allemagne a accueilli un million de réfugiés.

« Une actualité qui réveille le débat sur les réfugiés. (…) Mais cette crise est bien plus profonde outre-Rhin alors qu’une véritable vague de contestation s’est élevée dans tout le pays pour dénoncer la politique du gouvernement allemand mais aussi les moyens de la police locale et la position assumée dans la crise migratoire. En 2015, pas moins d’un million de réfugiés ont franchi les frontières de l’Allemagne. Un chiffre bien supérieur à ses voisins européens qui est aujourd’hui pointé du doigt alors que certains migrants sont mis en cause dans cette affaire». (article de Claire Gaveau et AFP paru sur RTL.com le 11/01/2016).

De plus, l’emballement médiatique, en produisant un afflux soudain de dépêches, articles et reportages, alors même que les faits étaient raréfiés, a donné lieu à des exagérations non seulement sur les chiffres, les circonstances (le tout au conditionnel) mais tout simplement par la répétition de faits vagues et peu déterminés. La répétition ad nauseam des mêmes faits vagues, par exemple les agressions en groupe (les victimes encerclées subissent des attouchements qui servent de diversion pendant qu’on leur dérobe leurs portables, portefeuilles, etc. ) : cette “technique” criminelle, tout à fait haïssable, a été constatée mais ce qui n’est jamais dit c’est combien de fois elle a été observée, ni par combien de groupes elle aurait été utilisée. Ce flou n’est pas innocent, il permet de développer (sans la fonder sur des enquêtes, sinon des chiffres ou des faits seraient avancés) la thèse fantasmatique des hordes organisées, des réseaux criminels, d’une uber-délinquance. Cette perspective terrorisante a joué à plein. Or, ce n’est que le produit de l’emballement médiatique. À force de lire des allusions, des informations générales, on ne sait plus si le même fait est répété mille fois ou s’il s’agit de mille faits différents… Il aurait été simple de lever cette angoissante ambiguïté en précisant où et à quelle heure des faits de ce type avaient été signalés.

La confusion règne

C’est dans ce climat d’hystérie médiatique, que se sont accélérés les dépôts de plainte. Le 2 janvier, on comptait 30 plaintes et la police a décidé de mettre en place une équipe d’enquête pour examiner les incidents – on parle alors de 40 auteurs possibles. Le nombre de plaintes ne dépasse pas les 100 dans les 10 premiers jours de l’année 2016. Mais à partir de la conférence de presse de la maire de Cologne et du chef de la police (le 6 janvier), ce nombre se met à augmenter, jusqu’à 121 (trois quarts des plaintes pour harcèlement sexuel, 50 pour vol. On parle aussi de 2 cas de viols). Pour toute l’Allemagne, le nombre de plaintes ne cesse de croître du 4 au 21 janvier; en tout, à Cologne on sera passé de 30 plaintes début janvier à 1088 au 17 février.

Pendant cette période, les hommes politiques d’abord mis en cause par les tenants d’un complot (thèse populaire parmi les militants d’extrême droite, de Pegida et autres), se reprennent eux aussi et participent alors activement à la récupération politique des événements. D’abord, dès le 3 janvier, à Cologne, l’extrême droite dénonce l’attitude des autorités et organise une manifestation avec 1700 personnes qui aboutit à des affrontements avec les forces de l’ordre. Le 8 janvier, le chef de la police locale, Wolfgang Albers, est limogé. Le gouvernement reprend les choses en main, c’est le gouvernement fédéral et le ministère de l’intérieur qui communiquent et insistent sur le fait que “sur 32 individus interpelés, 22 sont demandeurs d’asile originaires notamment du Maghreb, de Syrie ou encore d’Irak”, source RTL (article de Nicolas Ledain et AFP du 09/01/16), “des vérifications sont toutefois en cours sur ces personnes” précise l’article. La façon dont le journaliste relaie l’AFP qui relaie le communiqué officiel du ministère de l’intérieur sans aucun questionnement est révélatrice. En effet, dans toute l’enquête, quatre Irakiens seront arrêtés et un seul condamné, par exemple. La confusion vient du fait qu’il s’agit ici du chiffre des personnes interpelées ; or il y aura beaucoup d’interpellations “pour rien” dans cette affaire. Communiquer sur la nationalité des personnes interpelées – ce qui ne dit pas grand chose – plutôt que sur celles des mis en examen par exemple – devient un glissement récurrent.

Dans la foulée, après de nouvelles confrontations entre Pegida et les forces de l’ordre, le 9 janvier (article de Blandine Milcent et Ludovic Galtier sur RTL.com), le gouvernement d’abord mis en cause par l’extrême droite pour sa politique migratoire, tente de retourner l’argument en sa faveur en mettant en scène sa réactivité. Plutôt qu’enquêter, il faut légiférer !

En Allemagne, Angela Merkel change de ton. Neuf jours après les violences de Cologne contre des femmes notamment dans la nuit de la Saint-Sylvestre, la chancelière s’est prononcée en faveur d’un très net durcissement des règles d’expulsion concernant les demandeurs d’asile condamnés par la justice.(…) Angela Merkel demande par exemple à ce que l’on puisse expulser un réfugié délinquant même s’il n’est condamné qu’à une peine avec sursis. Ce qui impliquerait de changer la loi. Le patron du SPD, le social-démocrate Sigmar Gabriel, a déclaré qu’il fallait renvoyer les réfugiés condamnés dans leur pays d’origine parce qu’il n’y avait pas de raison que les contribuables allemands payent pour leur séjour en prison en Allemagne.

Ou encore, sur Géopolis (précédemment cité) : L’émoi national est très grand et tous les partis politiques demandent que des décisions soient prises à l’encontre de ceux qui contreviennent aux lois allemandes, réfugiés, demandeurs d’asile ou pas. Angela Merkel s’était elle-même dite prête à examiner « si tout ce qui est nécessaire a été fait en matière de modalités d’expulsion pour envoyer un signal clair à tous ceux qui ne veulent pas respecter nos règles de droit ».

On ne parle déjà plus des faits. Désormais, on parle des “suspects” sans distinction : ceci semble inclure non seulement les personnes qui font l’objet de soupçons précis, mais toutes celles qui sont interpelées. Or, de l’aveu même de la police, l’enquête est difficile car dans la foule, les victimes n’ont pas toujours pu bien voir ou identifier leur agresseur. L’enquête se fonde sur des caractéristiques aussi générales que l’apparence (étranger, arabe, maghrébin), la langue (pas de l’allemand), des vêtements, etc. Il va de soi qu’un certain nombre de migrants, réfugiés ou tout simplement Allemands d’origine étrangère ont été arrêtés sans fondement ou sur la base d’une ressemblance fortuite, etc. Ce qui ne les empêchera pas d’entrer dans les statistiques. Ainsi, dans les jours suivants, la police a fait un raid dans le quartier de Kalk à Cologne donnant lieu à 120 contrôles d’identité et 16 interpellations sans suite.

Enfin, plus sournois encore, la confusion est accentuée par l’utilisation de termes génériques comme “les suspects” (le sens d’ “agresseurs” n’est pas clair non plus) et “les agressions” (ou “les exactions”). La confusion a été volontairement entretenue car elle n’a jamais été levée, et ces données mixtes et hétérogènes ont été assimilées et répétées sans le moindre scrupule intellectuel. Par ce tour de passe-passe, tous les faits deviennent équivalents, tous les “suspects” sont logés à la même enseigne. Par exemple dans un article de 20 minutes : “sur 153 personnes suspectées d’avoir commis les agressions, 103 sont de nationalité algérienne ou marocaine. 4 Allemands. Pour 47 suspects on ne sait pas. 68 ont le statut de demandeurs d’asile”. Que faire d’une telle série de données ? Les suspects ont-ils été mis en examen ? Et surtout de quoi sont-ils suspectés ? De vol ? Ou d’agression sexuelle ? Ou des deux ? Il y a une confusion extrêmement dangereuse qui aboutit à l’amalgame VOL = VIOL (…dès lors que c’est commis par un Arabe). Ce genre de manipulations dépasse la maladresse ou la déformation (parfois inévitables dans le traitement médiatique). Ce sont des précautions déontologiques basiques qui ont été négligées ici par les journalistes.

2) « Les premières condamnations »

Fin février, les premières condamnations tombent, annonce-t-on dans tous les journaux, ce qui à ne pas y regarder de trop près nous donne le sentiment rassurant que la justice suit son cours. Dans le Parisien, le 24 février :

“Trois hommes ont été condamnés ce mercredi à Cologne, dans l’Ouest de l’Allemagne. Ils étaient les premiers à comparaître pour des exactions commises durant la nuit de la St Sylvestre où des centaines de femmes ont été agressées près de la gare qui jouxte la cathédrale de la cité rhénane, par des hommes présentés comme des migrants ou des personnes originaires du Maghreb. C’était le premier procès concernant cette sombre soirée qui avait provoqué un immense choc en Allemagne où plus d’un million de réfugiés ont été accueillis l’an passé. Mais aucun des trois suspect n’était poursuivi pour attouchement sexuel ou viol”.

Outre les exagérations qui donnent un peu l’impression que les trois hommes étaient poursuivis pour avoir mis l’Allemagne en état de choc, l’article n’esquive pas l’information centrale : il ne s’agissait pas de condamnations dans des affaires d’agressions sexuelles.

Mais, par exemple, Ouest France en propose une version un peu plus tordue le lendemain dans un article intitulé “Allemagne. Premières condamnations après les incidents de Cologne” dont le chapeau tait l’information principale : “Plusieurs décisions de justices ont été prononcées mercredi après les agressions commises lors de la soirée du Nouvel An à Cologne en Allemagne.” Puis, l’article commence :

“Un Marocain et un Tunisien ont été condamnés mercredi à Cologne (ouest) à des peines de prison avec sursis pour vol. Il s’agit des premières décisions de la justice après les agressions notamment sexuelles commises lors du Nouvel An, e t attribuées à des migrants” avec des liens hypertextes renvoyant aux articles publiés en janvier pour se rafraîchir la mémoire.

L’article entre alors dans le vif du sujet : “Le tribunal a infligé au premier, âgé de 23 ans, six mois de prison avec sursis. Le jeune homme, qui a reconnu les faits lors de l’audience et s’en est excusé, devra en outre payer une amende de 100 euros. (…) Le tribunal a également condamné un deuxième homme, un Tunisien âgé de 22 ans, à trois mois de prison avec sursis pour le vol d’un appareil photo. Un troisième prévenu, Marocain de 18 ans jugé en tant que mineur pour le même vol d’appareil photo, a été condamné à une mise à l’épreuve de deux ans pendant laquelle il ne devra commettre aucun autre délit, sous peine de sanction aggravée”.

C’est seulement à partir de là que l’article explicite enfin que : “Aucune de ces affaires ne concerne les délits sexuels commis lors de cette nuit cauchemardesque où des centaines de femmes ont été agressées par des hommes souvent éméchés et présentés par les autorités comme étant des migrants majoritairement originaires d’Afrique du Nord.”

Ainsi l’information principale est reléguée en milieu d’article et elle est comme noyée dans le rappel des faits. Il y a eu des présentations plus honnêtes de la même source d’information, par exemple d a n s 20 minutes, où on trouve le même jour sous le titre ambigu “Cologne : premières condamnations après les agressions” le sous-titre suivant : “Aucune de ces affaires ne concerne les délits sexuels…”. C’est plus honnête bien que l’auteur de l’article semble déçu par ce résultat :

“Mais aucune de ces affaires ne concerne les délits sexuels commis lors de cette nuit cauchemardesque où des centaines de femmes ont été agressées par des hommes souvent éméchés et présentés par les autorités comme étant des migrants majoritairement originaires d’Afrique du Nord.”

Cette phrase qui réalise le tour de force de rappeler le crime pour lequel précisément ces hommes n’ont pas été condamnés – car eût-ce été pour un vol de portable, on n’aurait jamais parlé de toute cette affaire – bref, cette phrase est exactement la même que dans l’article d’Ouest-France… La puissance des agences de presse pour la diffusion des éléments de langage est inégalable.

Puis : “Le dirigeant de la police de Cologne, Jürgen Mathies, a précisé à la BBC que la plupart des agresseurs sexuels ne seraient sans doute jamais interpellés étant donné la piètre qualité des images de vidéo-surveillance prises ce soir-là. Le manque de témoignages fiables de témoins rend également le travail d’identification particulièrement laborieux. “Nous pouvons voir certains vols mais c’est tout”, a-t-il expliqué. “Nous nous en remettons à des récits de témoins et de victimes identifiant leurs assaillants”.

Ce paragraphe réalise la double prouesse d’une part de justifier la piètre qualité de l’enquête par un expédient technique qui peut prêter à sourire (la mauvaise qualité de la vidéo-surveillance à cause de la faible luminosité… il y aurait 80 caméras autour de la gare de Cologne, et ce soir-là plus que jamais, la ville était remarquablement illuminée…) ; et d’autre part de réactiver un cliché sexiste de base : la faible valeur des paroles de victimes, peu fiables, peu précises, etc. Si ce n’est de la faute des caméras, ce sera de la faute des femmes agressées ! (La parole des victimes est sans doute d’autant moins fiable que les interrogatoires procèdent par insinuations, tentatives pour influencer les témoins voire fabrication de preuves… voir ci-dessous).

3) Et l’affaire se dégonfle …

Quant au bilan global des procédures judiciaires, un article de Dietmar Henning publié sur World Socialist Web Site le 5 novembre 2016 donne un tout autre éclairage sur certaines des procédures judiciaires qui ont découlé de cette affaire :

(…) La décision du tribunal de Hambourg vient maintenant confirmer que les accusations et les preuves avancées avaient été trafiquées par la police. En plus du petit nombre de ceux condamnés pour agression, la décision du tribunal laisse entendre que les “événements survenus la nuit de la Saint-Sylvestre” ont été en grande partie une invention des médias. Le tribunal de Hambourg a acquitté les trois derniers auteurs présumés de la nuit de la Saint-Sylvestre. La juge Anne Meier-Göring a décidé qu’il avait été prouvé qu’Alireza N., Abidi A. et Aydub B. n’avaient pas commis les délits dont ils étaient accusés. Le ministère public avait lui aussi préconisé l’acquittement.

La juge a porté de graves accusations contre l’enquête menée par la police et le ministère public pour avoir maintenu les trois hommes en détention pendant près de six mois durant le temps de l’enquête. Les prévenus furent accusés d’avoir commis ensemble des attouchements sur des femmes dans la rue Große Freiheit dans le quartier de St Pauli à Hambourg. Ils auraient commis des attouchements sur l’étudiante Merle N. (…) La jeune femme avait dit par téléphone au policier ne pouvoir décrire aucun des auteurs. La seule chose dont elle se souvenait était une veste noire et une bague. Au tribunal, elle relata l’interrogatoire de la police. Elle eut d’abord l’occasion d’examiner toute seule et en toute tranquillité des photos prises par un photographe lors de la soirée du Nouvel An. La commissaire en charge de l’enquête était alors assise dans une autre pièce. Zeit Online a indiqué que cette procédure allait à l’encontre des règles du code de déontologie des enquêteurs. (…) Au tribunal, la commissaire a admis après coup que son comportement “manquait de professionnalisme”.

La juge a reproché à une autre femme policier d’avoir posé des questions pendant l’interrogatoire de façon suggestive en fournissant des “prétextes fallacieux”, communément appelés mensonges. C’est ainsi qu’elle avait par exemple demandé à une jeune femme ce que les hommes qui se trouvaient sur la photo avaient fait. Elle n’a pas demandé si, ils avaient vraiment fait quelque chose. Elle avait aussi omis de dire à la jeune femme que les photos n’avaient pas été prises au moment où se seraient déroulés les faits. Durant l’interrogatoire, elle a trompé l’accusé par de “fausses preuves”. Selon les documents, la policière a prétendu savoir durant l’interrogatoire que l’accusé avait fait des attouchements aux femmes dans la rue Große Freiheit. C’était un mensonge. (…) Le seul “crime” commis par les trois accusés a été de célébrer le réveillon du Nouvel An à St Pauli. Ils ont pourtant passé, avec seulement une brève interruption, près de six mois en garde à vue en raison de soupçons. Un avocat a qualifié cet état de fait de privation de liberté.

Au bout d’environ trois mois, le tribunal régional de Hambourg leva les mandats d’arrêt émis contre les trois jeunes gens faute de preuves suffisantes contre eux. Le tribunal régional supérieur de Hambourg les renouvela pour trois mois après une plainte formulée par le ministère public. La juge Meier-Göring qualifie à présent cette décision de “bizarre” et de “faute flagrante”. “Cela a coûté aux accusés trois mois [additionnels] de leur vie et à Hambourg beaucoup d’argent”. Les trois personnes mises en cause furent indemnisées pour le temps passé en prison en recevant chacun 4500 euros (25 euros par jour). Outre les trois jeunes gens maintenant acquittés, d’autres innocents furent placés en détention préventive, dont certains pendant plusieurs mois. (…)

À l’origine, il avait été allégué que 400 femmes avaient subi des attouchements le soir de la Saint Sylvestre à Hambourg. Il y eut 243 plaintes pénales et 21 suspects mis en examen. Dans l’affaire qui vient maintenant d’être tranchée, l’on peut voir comment une suspicion de crime a été créée : au moyen de mensonges et de manipulation par la police et les autorités chargées de l’enquête. À Hambourg, un seul accusé fut reconnu coupable de délit de nature sexuelle et condamné.

À Cologne, où la campagne contre les réfugiés et les étrangers avait débuté après le soir du Nouvel An, le parquet recensa près de 1300 victimes supposées. 1182 plaintes pénales furent déposées, dont 497 pour agressions sexuelles et cinq pour viols. Sur un total de 183 prévenus, seuls 22 furent accusés, le plus souvent de délits de vol. Un seul procès seulement se solda par une condamnation pour insulte sexuelle.

On peut légitimement conclure que les résultats des procédures judiciaires contredisent la version dominante partout relayée et qui fait pourtant consensus aujourd’hui encore.

4) … ou pas

Or, quand cet article paraît en novembre 2016, ou après, les médias dominants ne semblent plus s’intéresser aux terribles événements de Cologne et bien peu ont jugé utile de faire leur examen de conscience ou simplement de transmettre des informations (cette fois vérifiées) au public.

Heureusement, dans des médias indépendants, sur des blogs, des voix se sont fait entendre, pour permettre une prise de recul, notamment pour rappeler cette évidence que la culture du viol appartient tout aussi bien aux traditions européennes… Les comparaisons avec la Fête de la bière, ou encore les fêtes de Bayonne ou Pampelune remettent les choses en perspective. Je renvoie par exemple au texte de Patric Jean sur son blog Mediapart (“Agressions sexuelles de Cologne, un renversement révélateur”) qui dès février 2016 soulignait les imprécisions et les exagérations des médias, tout en développant un argumentaire vraiment féministe. Il le fait à travers la comparaison avec la criminalité sexuelle tout aussi effrayante lors des fêtes de Bayonne (ou de Pampelune) et conclut : “les événements de Cologne démontrent que, loin d’un fait divers lié à la présence de réfugiés particulièrement misogynes, les agressions sexuelles et les viols font partie d’une culture largement partagée et où l’alcool sert parfois de catalyseur. C’est donc à la domination masculine dans son ensemble qu’il faut s’en prendre. Pas seulement à la culture des autres”. (Voir aussi l’article d’Annabelle Georgen publié sur Slate le 19 janvier 2016 : “À la fête de la bière à Munich, on boit, on chante, on viole”).

Pour avoir une idée vraiment précise, il faudrait aussi comparer les statistiques du 31 décembre 2015 avec celles des réveillons précédents. Bien sûr, les plaintes seraient moins nombreuses qu’en 2015. D’autre part, sur la comparaison avec les Ferias ou l’Oktoberfest, il faut tout de même rappeler que l’ampleur de l’événement est sans doute incomparable – mais de fait, l’organisation et le dispositif de sécurité le sont aussi. Par exemple pour la fête de la bière en Bavière on parle de 6 millions de visiteurs sur plusieurs journées. Les situations sont donc un peu différentes. En revanche, d’après les associations de défense des victimes de violences sexuelles, lors de ces événements le nombre de plaintes ne donne en aucun cas une idée fidèle du nombre réel d’agressions et il faudrait probablement multiplier les plaintes par 10 ou 20 pour s’en faire une idée correcte. Alors qu’à Cologne, le nombre de plaintes avait été exponentiel. C’est qu’il n’y a pas toujours les mêmes campagnes d’incitations à porter plainte. Malheureusement, de ce point de vue, l’exagération des événements par les médias n’aura vraisemblablement pas arrangé les choses.

Malgré les nouveaux faits, malgré quelques voix qui les répercutent, malgré le recul, rien n’y fait, la bulle « Cologne » n’éclate pas. Ainsi, lemonde.fr, le 2 janvier 2017 a cru bon de nous rassurer avec l’article suivant : « Allemagne : à Cologne, un réveillon sous contrôle pour ne pas revivre le cauchemar de 2015 ». La présence policière a été multipliée par 10 par rapport à 2015 et il y a eu seulement 10 plaintes pour agression sexuelle, aucune pour viol. Tout est sous contrôle.

5) Conclusion

Une des caractéristiques de cette affaire – des faits mal élucidés, une récupération politique et médiatique, le discrédit d’une partie du système judiciaire, l’hostilité déchaînée contre les migrants, et finalement l’absence de rectification et la persistance d’un version mensongère et manipulée – c’est d’abord d’avoir utilisé des agressions sexuelles sans aucun souci de justice pour les victimes. Bien au contraire, elles se voient reléguées au statut de témoin douteux et on leur a signifié avec désinvolture que la plupart des agresseurs ne seraient jamais arrêtés (à cause des caméras…). Commentant l’agression sexuelle en direct à la télévision d’une journaliste par des hommes blancs ivres en plein carnaval, c’est-à-dire un mois après les événements, Nabila Ramdani souligne fort justement cette récupération par l’extrême droite et le peu de cas qui est fait en réalité des victimes : “dans leur monde (de Pegida et autres), des victimes blanches et blondes comme Labye (la journaliste agressée) ne signifient rien si elles ne sont pas prêtes à pointer du doigt des bouc-émissaires et mentir pour la cause de la protection de la « civilisation » européenne contre les sinistres envahisseurs.”

Le deuxième effet de cette affaire en effet est que toute la responsabilité des violences sexistes s’est vue opportunément reportée du côté des hommes arabes. Si la version produite dans cet emballement médiatique a si bien pris, c’est parce qu’il existe une figure fantasmatique de l’Arabe pervers, sous éduqué, libidineux, dans l’imaginaire colonial raciste. Si ça n’avait pas été des « Arabes », cette histoire n’aurait jamais pris une telle dimension. Comme l’a bien rappelé Nabila Ramdani, “la construction de l’image du réfugié-violeur est le type même d’image qui a été utilisée pour diaboliser des populations à travers l’histoire”. La défense pseudo-féministe des victimes a servi de caution aux pires amalgames : “Mêler le racisme à une discussion plus large sur la loi et l’ordre, le féminisme et même l’avenir du projet européen, ne le rend pas moins inacceptable.” Cette figure de bouc-émissaire préexistait bien évidemment aux événements et malheureusement il est à craindre qu’elle ait été renforcée par cette séquence sordide. Un bon exemple, cité par le blog Big Browser hébergé par lemonde.fr (qui présente la polémique sur des dessins racistes mais n’interroge pas pour autant le lien présenté comme évident avec les événements de Cologne et Hambourg – ce symbole de la criminalité des migrants…) en est le guide dessiné destiné aux nouveaux arrivants et mis en ligne par la radio et télévision publique bavaroise dès octobre 2015. Intitulé “L’Allemagne et ses habitants”, c’est “un ensemble de 14 dessins” qui “met en scène de moments de la vie courante, mais aussi des comportements violents, barrés d’une croix orange”, “plusieurs planches notamment ont suscité de nombreux commentaires ironiques” recense Big Browser : sur twitter, on “se demande s’il faut rire ou pleurer devant des dessins, simplifiés à l’extrême, défendant d’agresser les femmes, de discriminer les homosexuels ou encore de battre ses enfants”.

Source : lHistoireestànous

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