Philippines: le Président Duterte pour les nuls (3/4)

La couverture des Philippines par les grands médias dominants occidentaux ne se résume-t-elle pas à de la propagande ridicule et unilatérale comme lorsqu’il s’agissait de couvrir les événements à Alep et en Syrie, ou l’intervention russe dans ce pays ?

 

Duterte est-il un tueur de masse ?

 

Si vous ne lisez que la presse occidentale et la presse locale de droite, vous croirez probablement que Duterte est ‘personnellement responsable’ de plus de 5000 meurtres dans ce qui est désormais catalogué comme sa ‘guerre à la drogue’.

Mais si vous parlez directement à la population, vous aurez un tout autre son de cloche.

Les Philippines, avant Duterte, étaient submergées par un taux de criminalité inconnu partout ailleurs dans la région Asie-Pacifique. Selon le bureau de l’ONU des drogues et crimes (UNODC = United Nations Office on Drugs and Crime), en 2014, le taux d’homicides oscillait autour de 9,9 pour 100 000 habitants, à comparer avec les 2,3 en Malaisie, 3,9 aux Etats-unis, 5,9 au Kénya, 6,5 en Afghanistan, 7,5 au Zimbabwe et peu inférieur au 13,5 de la République Démocratique du Congo, un pays déchiré par la guerre.

Les gangs de la drogue contrôlaient les rues de toutes les grandes villes. Très souvent des généraux de la police et de l’armée, ou d’autres grosses légumes contrôlaient eux-mêmes les gangs.

La situation devenait clairement intenable, des communautés entières vivant dans le désespoir et la crainte. Pour beaucoup, les villes devenaient de véritables champs de bataille.

Un chauffeur me conduisant au cimetière Sud de Manille commentait : « Dans mon quartier, nous venons d’avoir un horrible assassinat : un adolescent décapité par un vendeur de drogue… »

Les professeurs Teresa et Eduardo Tadem précisent :

« A Davao, le taux de criminalité était monstrueux. En principe, dans ce pays, les gens sont tellement dégoûtés par le crime qu’ils appuieraient n’importe quelle mesure… Duterte a encouragé la police à agir. C’est un juriste, donc il s’efforce de rester dans les limites de la légalité. Il dit : ‘s’ils se rendent, arrêtez-les, s’ils résistent, tirez !’ Il y a eu, jusqu’à présent, plus de 5000 morts, mais tués par qui ? Souvent par des milices, des gangs en moto, etc. »

Le professeur Roland Simbulan aide à mieux comprendre :

« Les meurtres sont nombreux… On ne peut jamais être vraiment sûr de qui tue qui. Il peut s’agir, par exemple, de quelques seigneurs de la drogue qui tuent pour éliminer leurs rivaux. Aux Philippines, nous avons une corruption terrible, il y a même des officiers et des généraux impliqués dans le commerce de la drogue. Périodiquement, la police mène des raids, puis elle recycle la drogue saisie. Même la BBC a interviewé des gangs qui ont confirmé que la police leur avait donné la liste de qui assassiner. Ce qui rend Duterte si vulnérable, c’est son langage, ses mots à l’emporte-pièce. Ce qu’il dit est souvent mal interprété. »

Dans les bidonvilles et les cimetières où demeurent les plus pauvres des pauvres, une écrasante majorité de gens appuierait des mesures encore plus dures que celles qui sont appliquées aujourd’hui. Comme m’ont dit les habitants du cimetière Sud :

« Ici, nous détestons ceux qui enquêtent sur les dénommées exécutions extrajudiciaires. Ils ne se soucient que des droits des suspects. Mais nous, bons citoyens qui avons tant souffert durant des décennies, n’étions pas protégés du tout avant que ce président soit élu. »

A Davao, Mme Luzviminda Ilagan prend fait et cause pour son président :

« Il est tout à fait compréhensible que le président déclare la guerre à la corruption et la drogue. Et si l’opposition veut parler des exécutions extrajudiciaires, elle devrait être obligée de prouver qu’elles sont réellement commises sur ordre des autorités… Est-ce qu’on peut le prouver ? 

La situation est compliquée. C’est vrai que des gens sont tués, mais voyez les chiffres : ils sont bien plus bas qu’à l’époque de Benigno Aquino. Durant son gouvernement, paysans, indigènes et pauvres des villes étaient assassinés régulièrement – des gens qui luttaient pour leurs droits élémentaires… et à l’époque de Gloria, les compagnies minières avaient carrément l’autorisation d’entrer dans le pays et de tuer ceux qui leur faisaient obstacle… sous les gouvernements précédents, les choses étaient encore pire : les militaires avaient l’autorisation exceptionnelle de rendre des ‘services de sécurité’ aux compagnies minières. Tout cela change, à présent ! »

Même les critiques les plus acerbes du président Duterte, qui prétendent que ‘sa guerre à la drogue’ a tué plus de 5000 personnes, doivent à présent reconnaître que le décompte des meurtres est ‘légèrement’ plus compliqué. Comme l’a rapporté Al-Jazeera le 13 décembre 2016 :

« Les pointages de la police montrent que 5 882 personnes ont été tuées dans le pays depuis que le président des Philippines Rodrigo Duterte a pris ses fonctions le 30 juin. Sur ce nombre total, 2 041 suspects de trafic de drogue ont été tués lors d’opérations policières entre le premier juillet et le 6 décembre, tandis que 3 841 autres ont été victimes de tireurs inconnus du premier juillet au 30 novembre. »

Ce sont donc quelques 2000 personnes qui ont perdu la vie au cours d’affrontements entre la police et des gangs de la drogue, qui sont les plus meurtriers et les plus lourdement armés de toute la région Asie-Pacifique. C’est acceptable. Qui sont ces ‘tireurs inconnus’ et pourquoi la presse dominante montre-t-elle immédiatement du doigt le président, en se basant uniquement sur les déclarations de ses archi-ennemis, comme la sénatrice de Lima ?

La couverture des Philippines par les grands médias dominants occidentaux ne se résume-t-elle pas à de la propagande ridicule et unilatérale comme lorsqu’il s’agissait de couvrir les événements à Alep et en Syrie, ou l’intervention russe dans ce pays ?

De même, est-ce que les narco-trafiquants philippins sont simplement abattus sans pitié ou bien tout n’a-t-il pas été dit ? N’y a-t-il pas quelque chose de systématiquement occulté, dans toute cette histoire ?

Peter Lee écrit à propos de la ‘réhabilitation’ des toxico-dépendants et de l’aide apportée par la Chine :

« Un autre domaine potentiel de coopération entre les Philippines et la RPC (République Populaire de Chine) est l’assistance chinoise dans un programme de crise visant à réhabiliter les usagers de drogues philippins qui se sont livrés à la police pour éviter d’être abattus par les escadrons de la mort.

Bien que virtuellement inexistants dans les reportages occidentaux des grands médias, plus de 700 000 toxico-dépendants se sont livrés à la police.

Laissez-moi répéter ceci : 700 000 drogués se sont constitués prisonniers.

Et je présume qu’il leur faut une fiche de ‘réhab’ impeccable pour vivre en sécurité dans leur communauté, ce qui représente un grand défi pour établir une infrastructure de désintoxication. Duterte a demandé à l’armée de rendre disponibles certaines zones militaires pour héberger de nouveaux camps de désintoxication et le premier sera apparemment au Camp Ramon Magsaysay.

Duterte s’est tourné vers la RPC pour lui demander de financer la construction d’installations pour traiter les victimes de la drogue et la RPC a accepté. Selon Duterte et son porte-parole, les travaux préparatoires pour les installations de Magsaysay ont déjà commencé.

Il y a d’ailleurs là un imprévu amusant.

Magsaysay est le plus grand domaine militaire des Philippines. C’est aussi le joyau de la couronne, l’élue parmi les cinq bases philippines envisagées pour l’usage étazunien dans le cadre de l’accord EDCA (Enhanced Defence Cooperation Agreement) qui ramène officiellement les soldats US dans les bases philippines. L’armée US pourrait donc devoir partager Magsaysay avec des milliers de drogués… et de travailleurs du bâtiment de la RPC. »

 

Duterte et Marcos

 

Ce qui a choqué beaucoup de monde, récemment, c’est la décision de transférer la dépouille de l’ancien dictateur Ferdinand Marcos au ‘Cimetière des Héros’.

« Le président est-il devenu fou ? » ont demandé les uns. «  A-t-il rejoint quelque secte de droite ? » se sont exclamés les autres.

Rien de tout cela ! Le président Duterte est de gauche, mais il est aussi parfaitement conscient que, dans une société amorale, contrôlée par des clans politiques crapuleux et des officiers supérieurs de l’armée et de la police corrompus, il faut être un bon joueur d’échec si on veut survivre tout en appliquant des réformes essentielles.

« La décision n’avait rien d’idéologique », éclaircit le professeur Rolan Simbulan :

« C’était clairement une décision pragmatique. Il a gagné de l’argent, et il a ouvertement admis qu’il avait accepté de l’argent pour sa campagne électorale … Puis, en échange de quelques votes, il a promis une sépulture pour Ferdinand Marcos au ‘Cimetière des Héros’. Marcos Junior voulait être son vice-président mais c’est Leni qui a eu le poste… »

Dr. Reynaldo Ileto, un historien en vue, ajoute : « le cimetière s’appelle bayani (héros) mais c’est surtout là que sont enterrés presque tous les anciens présidents du pays … Si l’opposition se focalise sur l’enterrement de Marcos, c’est pour discréditer Duterte tout en évitant de parler des questions réelles et importantes. »

« Duterte est têtu », m’ont dit Eduardo et Teresa Tadem :

«  Il a fait une promesse à la famille Marcos et il l’a tenue … Est-ce qu’il admire Marcos ? S’il l’admire pour quelque chose, c’est uniquement pour avoir été fort et intransigeant. Marcos a ruiné le pays, mais après lui, les choses ne se sont jamais améliorées, et donc il est jugé de façon positive par certains secteurs de la société. Mais quoi qu’il en soit : la décision de Duterte de l’enterrer au cimetière Bayani a été une grosse erreur de calcul. »

« Quelle est cette obsession sans fin, chez tant de Philippins à propos de Marcos ? » ai-je demandé au penseur et journaliste de gauche Benjie oliveros. « Pourrait-on le comparer à Perón en Argentine ? »

« Tout à fait » répondit-il. « Cela semble une bonne comparaison. »

« Duterte, un admirateur de Marcos ?! » demande Luz Llagan en roulant des yeux :

« Durant la loi martiale, il était procureur à Davao. Il a toujours protégé les militants, ici. ‘Confiez-les moi !’ ordonnait-il souvent. Il a sauvé des vies. Son père a dirigé un ministère mineur dans le gouvernement de Marcos, avant la loi martiale, mais sa mère a joué un rôle très important dans le mouvement de protestation. C’était une femme qui parlait fort et sans peur… elle a beaucoup influencé son fils. »

 

Duterte méprise-t-il vraiment les femmes ?

 

Une fois encore, n’oublions pas que c’est un Visaya. Il est franc, haut en couleurs et absolument pas ‘politiquement correct’.

Duterte a commenté l’aspect attirant des genoux et jambes de sa vice-présidente Leni Robredo, et il a accusé la sénatrice Leila de Lima (qui le critique souvent) de coucher avec son chauffeur (la liaison a été avérée, plus tard).

Dans ce pays catégoriquement catholique, Duterte a annulé le mariage avec sa première femme (séparation à l’amiable), il a eu plusieurs liaisons et vit aujourd’hui maritalement avec sa compagne.

Tout cela est excessif pour certains mais, de façon surprenante, il est en fait admiré par la plupart des femmes.

« Quand il fait des plaisanteries sur les femmes, à Manille, ça leur reste en travers du gosier » s’amuse Luz Ilagan, qui est l’une des féministes les plus connues du pays :

« Mais nous, gardons toujours à l’esprit ce qu’il dit ET ce qu’il fait, ce qu’il a fait pour nos femmes, en particulier. Il a toujours aidé, il nous a toujours protégées. Sa ville Davao a reçu une récompense en tant que ville oeuvrant pour les femmes. Il a créé le ‘bureau de développement pour intégrer les genres’, le premier dans tout le pays et d’autres villes ont ensuite adopté le concept. Chaque année, avant la ‘journée de la femme’, les femmes évaluent l’efficacité du bureau et elles proposent un nouveau programme. Tout est parfaitement transparent. »

Dans un hôtel international à Sharjah, aux Emirats arabes unis, j’ai parlé à un groupe de travailleuses immigrées philippines. Que pensent-elles de leur nouveau président ?

Tandis qu’elles me répondaient (et elles n’ont pas hésité une seconde à répondre), je réalisais que deux d’entre elles avaient les larmes aux yeux :

« Pour la première fois de notre vie, nous sommes fières d’appartenir à notre pays. Duterte nous a rendu notre dignité. Il nous a donné de l’espoir. Dire que nous le soutenons serait dire trop peu. Nous l’aimons ; nous éprouvons une énorme gratitude. Il nous libère ; il libère notre pays ! »

 

Duterte et le passé des Philippines

 

Le président Duterte n’est pas seulement outragé par le présent, il est aussi furieux à cause du passé de son pays.

« Les bourses d’études étazuniennes aux Philippines – ont créé toute une mentalité », m’a expliqué le Dr. Reynaldo Ileto, à Manille. «  La guerre USA-Philippines est un non-événement ; les gens n’en savent rien. Tout a été ‘aseptisé’. »

« Nous ne nous sommes toujours pas remis de la ‘gueule de bois’ causée par le colonialisme US », soupire le romancier Sionil José.

Le colonialisme étazunien n’a été rien de moins qu’un génocide.

Alfonso Velazquez a écrit :

« Entre 1899 et 1913, les USA ont écrit les pages les plus sombres de leur histoire. L’invasion des Philippines, motivée uniquement par l’acquisition impérialiste de nouveaux territoires, a provoqué chez le peuple philippin une réaction farouche. 126 000 soldats étazuniens débarquèrent pour mater la résistance. Le résultat fut la mort de 400 000 ‘insurgés’ philippins, tombés sous le feu des soldats étazunien et d’un million de civils, dont la mort fut causée par les mauvais traitements, les tueries de masse et la tactique de la terre brûlée appliquée par les envahisseurs. Au total, la guerre étazunienne contre un peuple pacifique qui ignorait l’existence des étazuniens jusqu’à ce que leur arrivée anéantisse 1/6 de la population du pays. Cent ans ont passé. Ne serait-il pas grand temps que l’armée des USA, leur congrès et leur gouvernement demandent pardon pour leurs crimes horribles et les souffrances monstrueuses infligées au peuple des Philippines ? »

Gore Vidal a confirmé :

« La comparaison de cette opération largement couronnée de succès avec notre aventure bien moins réussie au Vietnam, a été faite, entre autres, par Bernard Fall, qui a caractérisé notre conquête des Philippines comme ‘la guerre coloniale la plus sanglante (en proportion de la population) jamais menée par une nation blanche en Asie ; elle a coûté la vie à 3 000 000 de Philippins.’ (cf. E. Ahmed’s “The Theory and Fallacies of Counter-Insurgency,” The Nation, August 2, 1971.) Le général Bell lui-même, le vieux cœur tendre, a estimé que nous avions tué un sixième de la population de Luzon, l’île principale – quelques 600 000 personnes.

Cependant, Mr. Creamer cite un certain Mr. Hill (qui a grandi à Manille, et a peut-être eu le temps de compter les crânes ?) qui suggère que le nombre des victimes pour l’ensemble des îles est de 300 000, soit la moitié du nombre admis par le Général Bell.

Je trouve amusant d’apprendre que je me suis égaré ‘si loin de faits aisément vérifiables’. Il n’y a pas de fait aisément vérifiable à propos de cette expérience particulière de génocide. A l’époque, quand j’ai d’abord fait référence à 3 000 000 (NYR, 18 octobre 1973), une Philippine m’a écrit, disant qu’elle écrivait sa thèse de master sur ce sujet. Elle avait tendance à accepter les chiffres de Fall, tout en disant que puisque presque rien n’avait été consigné et que des villages entiers avaient été totalement détruits, il n’y avait aucun moyen de découvrir ces ‘faits’ que les historiens aiment ‘vérifier’. Quoi qu’il en soit, rien de tout cela n’est supposé avoir existé et donc, si l’on s’en tient à ces livres d’histoire que nous utilisons pour endoctriner les jeunes générations, il ne s’est rien passé. »

Il a été rapporté qu’en septembre 2016, au sommet de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations), où participait aussi le président Obama, Duterte a produit une photo des tueries imputables aux soldats étazuniens dans le passé, en disant : « Ce sont mes ancêtres qu’ils ont tués. »

J’ai visité plusieurs librairies à Manille, y compris National et Solidaridad. Dans tous ces commerces, le personnel a paru interloqué quand j’ai demandé des livres relatifs aux massacres commis par les troupes étazuniennes sur le territoire des Philippines.

Tout cela pourrait bien changer à présent, et rapidement. Duterte parle ouvertement des guerres colonialistes et des invasions étazuniennes. Il parle des massacres sur les îles de Luzon et Mindanao.

Des décennies durant, les USA se présentaient comme les ‘libérateurs’ des Philippines. A présent, Duterte les dépeint comme un pays de tueurs de masse, de violeurs et de voleurs. Selon lui, les pays de l’Ouest n’ont aucun mandat moral pour critiquer qui que ce soit pour violation des droits humains. Il dit du président Obama que c’est un fils de chienne. Il a crié à l’Union européenne « Allez vous faire foutre ! ». Il en a assez, de l’hypocrisie.

Dans cette partie du monde, de tels éclats émotionnels peuvent amorcer la rébellion. J’ai travaillé de nombreuses années en Asie du Sud-Est et je sais qu’un épais manteau de mensonges recouvre l’histoire de la région.

En Asie du Sud-Est des dizaines de millions de personnes ont perdu la vie à cause du colonialisme européen, outrageant et brutal. Des millions sont morts en Indochine (Vietnam, Cambodge et Laos) durant la dite ‘guerre du Vietnam’ (appelée au Vietnam ‘guerre américaine’). Entre un et trois millions d’Indonésiens ont disparu au cours du coup d’état commandité par les USA en 1965/66, et le génocide aux Philippines a décimé presque un million et demi de patriotes combattants et encore plus de civils. Le Timor oriental a perdu environ un tiers de sa population après l’invasion indonésienne épaulée par les USA, le Royaume-uni et l’Australie.

Une telle Histoire est explosive comme de la dynamite. J’ai parlé à des centaines de personnes dans cette région du monde. Ils se tiennent tranquilles mais ils n’oublient pas. Ils savent qui sont les vrais assassins, qui sont leurs réels ennemis.

Le président Duterte ne joue pas seulement avec le feu. Il est aussi en train de re-écrire l’Histoire et de changer totalement la narration distordue de l’Occident. Toute la région observe, retenant son souffle. A la fois l’horreur et l’espérance sont détectables dans l’air, de même que les odeurs fortes du sang et de la dynamite.

 

Les Philippines ne sont pas un état vassal : Duterte

 

« Je suis anti-Occident. Je n’aime pas les étazuniens. C’est tout simplement une question de principe pour moi. » C’est ainsi que le président Duterte voit le monde : simple et réduit à son essence. Il clarifie ensuite :

« Les Philippines ne sont pas un état vassal, nous ne sommes plus, depuis longtemps, une colonie des Etats-unis. Alam mo, marami diyang mga columnista (vous savez, de nombreux chroniqueurs) regardent Obama et les USA comme si nous étions les toutous de ce pays. Je n’ai à répondre à personne excepté le peuple de la république des Philippines. Wala akong pakialam sa kanya (je n’ai aucune considération pour lui). Qui est-il pour me demander des comptes ? En réalité ce sont les USA qui devraient répondre de leurs mauvaises actions dans ce pays. »

Il a dit à des officiels chinois, durant sa visite, le 20 octobre 2016 :

« J’annonce ma séparation d’avec les Etats-Unis, à la fois militairement et économiquement. Les USA ont perdu, maintenant. Je me suis réaligné sur votre courant idéologique. Et peut-être que j’irai aussi en Russie pour parler avec Poutine et lui dire que nous sommes trois contre le reste du monde : La Chine, les Philippines et la Russie. C’est la seule voie. »

Ce qui fut salué par des applaudissements assourdissants.

Duterte a effectivement parlé au président Poutine, en marge de la rencontre des dirigeants de la coopération économique Asie-Pacifique, à Lima au Pérou, en novembre 2016.

Une nouvelle ère a vu le jour, pour les Philippines : celle de la coopération avec la Chine, la Russie, Cuba et le Vietnam. Celle également de l’éloignement entre cet archipel d’importance et l’Occident.

Il traite les étazuniens de « fils de chiennes » et « hypocrites » et dit, sans détour, à la superpuissance :

« Nous pouvons survivre sans l’argent étazunien. Mais vous savez, les USA, vous pourriez vous aussi avoir des surprises. Préparez-vous à laisser les Philippines, préparez-vous à un éventuel rejet ou même l’abrogation de l’accord sur les forces étrangères. Vous savez, du tac au tac.. Ce n’est pas à sens unique. Bye-bye les USA. »

 

Qu’en est-il de Trump ?

 

De nos jours, c’est une terrible responsabilité d’être un ami de l’Occident. Le dirigeant d’un pays colonisé pourrait être facilement discrédité par une simple phrase amicale, un geste amical en direction de quelque officiel des USA ou du Royaume uni, en direction du régime occidental, ou de sa société.

Les mass médias de l’Ouest le savent parfaitement.

C’est pourquoi, quand le président Duterte a parlé au téléphone avec le président élu Donald Trump, les médias ont tout de suite commencé à présenter les deux hommes comme étant sur la même longueur d’ondes.

Loin s’en faut. Une fois que Mr. Trump aura commencé son règne, les liens étroits du Président Duterte avec la Chine, Cuba et d’autres pays socialistes, auront tôt fait de remettre son nom sur la longue liste des cibles de l’empire. Il y est déjà, sous le gouvernement Obama (des tentatives de coup d’états manigancés par les USA ont même déjà été dénoncées et stoppées). Ce serait un miracle si Donald Trump, raciste, anti-Chinois et anti-Asiatique, décidait réellement d’épargner un dirigeant anti-impérialiste de l’Asie du Sud-Est.

Duterte et Trump en sont encore à se parler poliment. Duterte a même fait un compliment à son homologue : « J’aime votre façon de parler. Elle est comme la mienne. » C’est loin d’être une preuve du réchauffement dans les relations entre les deux pays.

Mes collègues Philippins me mettent en garde constamment : « S’il vous plait, ne lisez pas les commentaires des médias pro-occidentaux. Si vous voulez vous faire une idée juste, demandez la transcription complète de la conversation … Y a-t-il vraiment une transcription disponible ? »

Pendant cette période, Washington enrobe de miel l’évidente amertume des relations entre les USA et les Philippines. Le nouvel envoyé étazunien, l’ambassadeur Sung Kim, un Coréen-étazunien, n’est que sourire et ‘considération’ :

« Pour moi, le plus significatif, le plus fondamental, c’est la profondeur et l’extraordinaire chaleur de la relation entre les peuples des deux pays… »

Que pouvait répondre à cela le président Duterte ? Certainement pas, « Allez vous faire foutre, fils de chienne ! » En Asie, la courtoisie répond à la courtoisie. Cependant, et en tout état de cause, chaque semaine les Philippines s’éloignent un peu plus de l’Occident, comme prévu et annoncé.

 

 

Traduit de l’anglais par Chris pour Revoluciole

Source : Counterpunch

 

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