Michel Collon: « L’information est trop importante pour la laisser aux seuls journalistes »

Pour nombre de nos collègues, Michel Collon, c’est l’horreur : hors de la bien-pensance médiatique, décryptant la manipulation de l’information organisée dans leurs journaux, télévisions ou radios pour égarer les citoyens, soulevant les lièvres sur la propagande de guerre, l’économie mondiale, les rapports de domination… Alors, c’est l’omerta.

Ce qu’il dit pourtant, notamment sur sa plateforme Investig’Action (1), est d’une pertinence redoutable.

Ouvrier en usine à Liège, en Belgique, dans les années 1970, Michel Collon fait ses premières armes de journaliste en couvrant les grèves et luttes sociales pour Solidaire, hebdomadaire du Parti du travail de Belgique. En 1990, sa rédaction lui demande d’écrire sur la première guerre du Golfe.

« Je ne connaissais rien au Moyen-Orient, ne parlais pas l’arabe, n’avais jamais été en Irak. J’ai donc essayé de me documenter. »

Il lit Le Monde, regarde TF1, Antenne 2 (ex-France 2) et leurs équivalents belges, Le Soir, la RTBF et RTL. Puis il téléphone, envoie des fax à des experts du Moyen-Orient. Et là, surprise :

« Les faits qu’on me présentait ici étaient complètement différents de ceux que j’entendais de là-bas. Je parle des faits, et non des opinions. Chacun a son opinion, mais les faits sont noirs ou blancs. »

À la fin de la guerre, en 1991, il s’entoure d’une dizaine de personnes mobilisées, « dont un certain Majed Nehmé », et procède à ce qu’il appelle un « test-médias ».

Tous les articles du Monde et du Soir de cette période sont passés par une grille de lecture : nombre de lignes, temps employé (présent ou conditionnel) et aspects de censure.

Et que vous montrait ce test-médias ?

C’était hallucinant : s’étalait devant nous le cortège de tout ce qui est interdit dans les écoles et manuels du journalisme : des informations sans source, non vérifiées, fabriquées, des victimes d’un camp attribuées à l’autre, etc. Avant le lancement des premiers missiles, on a compris qu’une autre guerre avait préparé l’intervention en Irak : celle de l’information. J’ai constaté plus tard les mêmes phénomènes en Yougoslavie et dans d’autres pays. De cela, j’ai tiré un principe : chaque guerre est précédée et accompagnée d’une propagande poussant l’opinion publique à l’approuver, ou en tout cas à ne pas la désapprouver.

Les envoyés spéciaux du Monde et du Soir produisaient exactement les mêmes infos ?

En fait, l’envoyé spécial est généralement utilisé pour valider l’opinion dominante du journal. On appelle cela le « Hilton journalisme » : le rédacteur interroge un barman ou un chauffeur de taxi pour confirmer dans son papier deux ou trois infos qui ont été décidées à Paris ou Bruxelles. Mais, de temps en temps, il arrive que l’un d’eux, spécialement courageux, donne sa propre version des faits. Il voit alors son papier déformé ou retitré par la rédaction centrale. On a des exemples frappants de titres réécrits à Paris ou Bruxelles qui disent exactement le contraire du contenu des articles. Or, sachant que la plupart des gens ne regardent que les titres… Le journaliste américain Peter Arnett a rué dans les brancards lorsqu’il s’est rendu compte qu’il était exploité par sa chaîne. Je l’ai rencontré à Bagdad en 2002 et il était très en colère sur la couverture CNN de l’Irak (2).

Les sources sont-elles toujours accessibles ?

Absolument. Nul besoin d’être Superman ou de se transformer en plombier ou en espion pour accéder à l’info, car les sources sont là, à portée de main. Et elles sont souvent données par les pays eux-mêmes. Aux États-Unis par exemple, tout est écrit noir sur blanc sur les rapports du Congrès, des think tanks, etc. Les États-Unis disent toujours ce qu’ils font, pourquoi ils le font et comment ils le feront mieux la prochaine fois. Au sein de la presse occidentale, il suffit de lire les Américains contredire les Français, lesquels les désavouent à leur tour. Ou encore les Allemands ou les Italiens, jamais bien d’accord avec les guerres qui nuisent à leurs intérêts – en Libye par exemple –, qui n’hésitent pas à balancer des infos, via leurs services secrets, contre les Français, les Britanniques ou les Américains…

Avec Internet, on trouve très facilement d’autres sources, parfois moins audibles, de l’autre camp par exemple. Dire qu’on n’a pas accès à l’info est donc un prétexte qui ne tient plus.

Mais les journalistes n’ont souvent pas les moyens d’exercer leur métier de façon indépendante et approfondie…

Je ne suis pas d’accord : les journalistes doivent justement aller chercher ce qu’on leur cache. Quand ils disent qu’ils n’ont pas eu l’info, cela veut dire qu’ils n’ont pas su ou voulu la chercher… Qu’on déforme les faits n’est pas nouveau. Lorsque Jules César écrit La Guerre des Gaules, il cache soigneusement ce qui le dérange. On ment aussi à chaque fois qu’on parle de questions économiques et sociales, parce que la politique économique et sociale est une guerre à part entière. On fait croire que des mesures prises défendent tout le monde, alors qu’elles n’avantagent que 1 % de la population.

Que pensez-vous des journalistes qui renoncent à consulter des sources au motif qu’elles pourraient nuire à la ligne de leur journal ?

Je fais une distinction entre médias et journalistes, car les journalistes n’ont pas de pouvoir dans leur média. Cela étant dit, les journalistes se divisent en trois catégories : 5 à 10 % représentent le haut du gratin, vivent très bien, mentent et le savent ; 5 à 10 % travaillent courageusement et difficilement, cherchent à donner la parole aux deux camps, respectent une déontologie. Et le reste : 80 ou 90 % de journalistes qui font leur boulot mais ont aussi une famille à nourrir. Ils ne sont pas forcément malhonnêtes, mais sont placés dans une situation de prolétaires de l’info. On ne leur demande plus d’aller sur le terrain, de faire des enquêtes, de vérifier leur information. Pis : on les en empêche.

Parce qu’avec la commercialisation de plus en plus forte des médias, jouer Tintin n’est pas rentable : il faut vendre de la pub. Rappelez-vous la fameuse citation de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1 : « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » Le journaliste est juste bon à recopier les dépêches des gouvernements, administrations, entreprises, lobbys, armée. Lorsqu’il arrive au bureau, les informations qu’il doit transmettre sont déjà sur sa table. Il transforme une matière première – la dépêche, le communiqué – en un produit fini – une brève, un papier – qui permet d’engranger de la pub. Il est devenu un prolétaire non seulement mal payé, mais sciemment précarisé. La raison est toute simple : il doit impérativement rester dépendant de son média.

Pas mal de journalistes prétendent que je les critique. C’est un réflexe purement corporatiste. Ce que je dénonce, ce n’est pas eux, mais le système des médias, c’est-à-dire les patrons, généralement bien placés et très riches. Regardez les grands médias en France. Ceux qui sont à la tête du Figaro, du Monde, de Libé ou de TF1 sont des milliardaires, la plupart liés à l’armement, à Israël et profitant généreusement des guerres menées par la France. Ce sont eux qui décident de ce que vous allez lire, qui désignent « les gentils » et les « méchants », etc.

Mais il existe des médias du service public qui ne dépendent pas principalement de la publicité…

Le service public subit aussi le filtre de la publicité. Comment pourrait-il dénoncer les crimes de Total alors que Total paie grassement ses passages à l’écran ? Comment peut-il appeler à une révolution des transports quand Renault et Peugeot assurent une partie du budget des médias ? Et il y a d’autres filtres. Par exemple les liens entre les dirigeants – ou les journalistes vedettes – des médias et les responsables des affaires et politiques. Ces gens viennent du même monde, et les vases communiquant entre eux biaisent tout accès à l’information. Enfin, il ne faut pas négliger une chose : l’idéologie dominante touche toute la société, et l’individu doit faire un très gros travail sur lui-même pour trier le vrai du faux… Les médias ne sont donc pas libres. La presse est dominée par le 1 % qui nous vend son point de vue.

Y compris en censurant les faits et opinions divergents ?

La censure de l’information est logique dans un système de propagande. Dans leur ouvrage La Fabrication du consentement, Herman et Chomsky expliquent que le but des médias n’est pas d’informer le citoyen, mais de lui faire approuver la politique de son gouvernement. Lorsqu’on est dans un système de propagande, on écarte complètement les principes de base enseignés dans les écoles de journalisme : écouter les deux parties, vérifier les faits, permettre aux lecteurs de se faire une opinion. Aujourd’hui, Le Monde est la voix du CAC 40, Libération celle de ses patrons… On assiste à un phénomène qui se développe de plus en plus : l’achat de médias par des patrons de multinationales. Ces opérations ne leur rapportent pas forcément de l’argent, mais elles leur permettent de contrôler l’opinion et de promouvoir leurs intérêts ainsi que leur guerre. Toutes les guerres sont économiques, je l’ai toujours affirmé. Le rôle des médias est de faire le service promotion de ces guerres.

Durant la guerre du Kosovo, des dizaines de journalistes grecs étaient sur place, mais la presse occidentale n’en a pas tenu compte : leurs dépêches ne correspondaient pas au scénario officiel. Le Monde a titré « 100 000 morts au Kosovo », ce qui était totalement faux… Le reportage à Pristina de Régis Debray a été donné à lire à Bernard-Henri Lévy avant même sa publication dans Le Monde (3), ce qui a permis à ce dernier d’aussitôt activer la propagande… Cette censure appelle deux commentaires. L’arrogance coloniale d’abord : l’idée de se référer à des journalistes grecs, mais aussi russes, chinois, palestiniens est impensable, car ils sont forcément suspectés de servir un camp… Contrairement à leurs confrères de Paris, Londres et Bruxelles qui, eux, ne font jamais de propagande ! L’ethnocentrisme des médias est terrible. Régis Debray avait écrit : « Ils ont enlevé le casque, mais dessous la tête est restée coloniale. » On en est exactement là.

Deuxième remarque : les médias censurent en effet tout ce qui ne correspond pas à la ligne qu’ils défendent. Rappelez-vous Timisoara en 1989, au moment du renversement de Ceausescu. Un charnier de 4 630 cadavres – un chiffre dont la précision peut déjà étonner – est découvert. On affirme alors que ces victimes ont été éventrées à la baïonnette par la police politique du président roumain. À l’époque, quelques cadavres sont montrés à la presse, parmi lesquels une femme avec un bébé posé sur son ventre dont la photo fera le tour du monde… Le rédacteur en chef de Solidaire, qui était médecin (nous n’étions pas des professionnels du journalisme), a tout de suite vu l’erreur : primo, les corps étaient recousus bien droit du pubis jusqu’à la gorge. « Très fort quand on éventre à la baïonnette ! », m’a-t-il dit. Secundo : le cadavre de la femme était blanc alors que celui de son bébé avait noirci, marque d’une décomposition avancée du corps. Pour mon rédacteur en chef-médecin, ces morts avaient donc non seulement subi une autopsie, mais n’étaient pas morts à la même date.

Nous avons décidé de titrer en une de notre hebdomadaire « Timisoara : les images, c’est bidon », en communiquant l’article à toute la presse. Bien sûr, il y a eu un silence total. Trois semaines plus tard, un journal allemand titrait « Timisoara, c’est bidon » et publiait les mêmes analyses. En fait, Timisoara était une vaste mise en scène à laquelle ont adhéré les journalistes. Pas tous, heureusement. Colette Braeckman, envoyée spéciale du Soir, avait écrit qu’elle n’y avait rien vu. Ses patrons lui ont répondu qu’elle se trompait. Ils ont titré : « Charnier à Timisoara »…

Que peuvent faire les journalistes contre les détournements de leur direction ?

Colette Braeckman a eu le courage de dénoncer cette grande manipulation. Le fait est assez exceptionnel pour être rapporté, car les médias occidentaux ne font jamais leur autocritique ni ne procèdent à l’analyse de leurs erreurs. Il y a là un vrai syndrome du journaliste qui se prend pour Dieu, sait tout et ne s’excuse jamais. S’il commençait par se dire : « Je ne sais pas, je vais vérifier », s’il admettait après coup s’être trompé ou avoir été manipulé, il aiderait les citoyens à mieux appréhender l’information et à ne pas l’avaler comme une pizza. Mais cette posture est interdite par l’audimat, la concurrence, la rivalité. Aujourd’hui, il faut être les premiers, les meilleurs, ne pas subir d’autocritique… et surtout ne jamais admettre que de « petits » journalistes sur Internet ou dans un « petit » magazine font mieux qu’eux. Sinon ils perdraient totalement leur raison d’être. La loi du silence les protège.

Quand un média affirme qu’il existe des armes de destruction massive en Irak, ses journalistes sont-ils manipulés ou non ? Savent-ils ou ne savent-ils pas ?

L’existence d’armes de destruction massive a été immédiatement mise en doute, arguments à l’appui. Cela méritait au moins un débat. Pour favoriser l’entrée en guerre contre l’Irak, y compris lors de la première guerre du Golfe, les « médiamensonges » se sont multipliés. Rappelez-vous en 1990 le faux témoignage faisant état d’atrocités commises contre des nouveau-nés koweïtiens, ou des télévisions affirmant qu’une gigantesque marée noire avait été provoquée par Saddam Hussein dans le Golfe, mais qui montraient des images des côtes bretonnes. Les journalistes ne pouvaient pas dire qu’ils ne savaient pas. Tout le monde y allait d’ailleurs de son petit ouvrage pour expliquer les bavures commises.

La guerre du Golfe a provoqué plus de livres sur les médias que sur la guerre elle-même !

Absolument. Le discours de l’époque était unanime : « On s’est fait avoir, c’est la faute aux Américains, etc. » Les journalistes se présentaient comme des victimes. Le problème, c’est que les mêmes se sont encore fait avoir en Yougoslavie en avalisant le « massacre de Markale » à Sarajevo (4), les charniers et les viols en Bosnie, le fameux plan Fer à cheval (5) au Kosovo. Puis ils ont avalé des couleuvres en Libye, en Syrie. On peut leur accorder le bénéfice du doute une fois, mais pas à chaque fois. Ce n’est pas admissible. Pour préserver leur crédibilité et admettre qu’ils se sont trompés sur « certaines choses », les médias publient de temps en temps un petit dissident dans un courrier des lecteurs ou une tribune libre. C’est leur soupape de sûreté.

En même temps, de plus en plus de médias semblent être sensibles à la critique de manipulation et créent des rubriques du genre « décryptage de l’info ».

C’est ce que j’appelle la tactique du coupe-feu : ils font semblant de décrypter l’info, mais ne la décryptent pas en réalité. Si ces médias appellent les gens à débattre, c’est toujours dans un cadre soigneusement délimité. Par exemple, ils discuteront de la manière de faire la guerre, mais jamais des raisons de cette guerre. Celui qui sort de la ligne est éjecté. Aujourd’hui, Le Monde ou Libération peuvent publier des calomnies sur moi ou me faire dire choses que je n’ai jamais dites, mais ils refusent tous les droits de réponse, censurent tous les courriers des lecteurs qui protestent… Paradoxalement, c’est cette censure de plus en plus forte qui nous éclaire sur leur point faible : l’opinion. Quand les lecteurs ne voient jamais leurs courriers publiés, cela doit les inciter à écrire davantage, faire circuler leurs idées dans le public ! Les gens doivent devenir actifs, il faut organiser une pression citoyenne pour une information de véritable confrontation.

Internet est un bon moyen, non ?

En effet. Il y a quelques années, les grands médias pouvaient mentir en toute tranquillité. Même un livre qui dénonçait leurs bêtises ne les dérangeait pas, dans la mesure où il était édité plusieurs mois après… Aujourd’hui, sur la Toile, nous sommes capables de nous faire entendre très rapidement. Dans les 24 heures qui suivent un événement, nous pouvons dire s’il y a eu manipulation ou, en tout cas, prévenir les gens, leur demander de ne pas se précipiter, de se méfier. Les médias se sentent d’autant plus en danger que la jeune génération s’informe davantage sur Internet que sur le papier ou à la télé. Ils sont pris entre deux feux : celui de la propagande qu’ils doivent servir à leurs clients, et celui de la contre-propagande qui devient très accessible.

Le problème, c’est qu’on trouve à boire et à manger sur Internet…

Le meilleur, c’est qu’Internet est un support presque gratuit où on est capable de produire une information de meilleure qualité que celle des grands médias.

Le pire : il est aussi une vitrine pour tous les fantasmes et autres théories du complot. Il faut condamner cela : les guerres ne sont pas l’œuvre d’un complot quelconque, mais la continuation normale de la politique des multinationales qui veulent sortir de la crise économique qu’elles ont elles-mêmes provoquée en puisant les matières premières, les mains-d’œuvre et les marchés des pays qu’elles envahissent.

Le complotisme est l’enfant non reconnu des médias. Quand des gens contestent les versions des médias, ils sont aussitôt traités de complotistes. En réalité, ce sont les médias qui, en n’apportant pas une information correcte, poussent les gens dans le complotisme. Chaque guerre peut s’expliquer de façon rationnelle et logique. On peut montrer qui la provoque, comment elle est préparée et pourquoi elle est menée. Le complotisme non seulement ne permet pas de comprendre la société et donc de la transformer, mais il est défaitiste car il fait croire à l’opinion qu’elle ne peut pas agir. Il est important que les journalistes, mais aussi les citoyens, fassent l’effort de se documenter. Car l’Histoire, y compris l’Histoire récente, montre que la résistance est parfaitement possible. Certains médiamensonges ont été révélés par la pression populaire, et c’est grâce à elle qu’on a pu arrêter des guerres, empêcher des coups d’État, libérer des pays.

Vous avez des exemples ?

Lorsque le 11 mars 2004, à trois jours des élections espagnoles, des bombes explosent à Madrid, Aznar, qui veut être réélu, accuse l’ETA. L’information est reprise en chœur par les médias, mais l’opinion réagit immédiatement : par SMS, elle affirme que le premier ministre ment, que c’est Al-Qaïda et non l’ETA qui est à l’origine des attentats. À l’époque, l’engagement de l’Espagne en Irak était très critiqué. Aznar perdra les élections.

Un autre exemple : en 2002 au Venezuela, des snipers de la CIA tirent sur la foule pour justifier un coup d’État contre Chavez. Des médias répandent l’information d’une démission du président pour accélérer l’installation de la dictature. Là encore, l’opinion réagit rapidement : des motards vont porter la contre-info de la non-démission de Chavez dans tous les quartiers de Caracas. Des dizaines de milliers de gens se ruent vers le palais présidentiel où sont réfugiés les putschistes. Le coup d’État échoue en moins de 48 heures ! La pression populaire est l’arme décisive contre les médiamensonges.

En France, le taux de crédibilité des médias est de 12 %, autrement dit rien. À quoi bon imprimer des vérités quand le journal sert surtout à envelopper les épluchures de pommes de terre ?

Dans les sondages d’opinion, le journaliste se situe entre la prostituée et le politicien, c’est dire… Sauf que, pendant différents conflits, les vidéos-trottoir que nous avons faits ont révélé une réalité contradictoire : les gens se méfient très fort des médias, mais ils avalent quand même leurs informations ! Tout le monde savait que l’intervention en Irak était fondée sur des bobards, pourtant cela n’a pas empêché ces mêmes bobards de fonctionner en Libye et en Syrie.

Le problème est là. Il nous faut réfléchir aux moyens de produire et diffuser les bonnes informations au plus grand nombre, peut-être par la mise en place d’une sorte d’alliance des médias indépendants au niveau d’Internet. Un point fort de notre plateforme Investig’Action est d’organiser ce que j’appelle un « activisme citoyen de l’information ». Nous accueillons des bénévoles qui, quelques heures par semaine, portent l’information et la contestation.

L’information est trop importante pour la laisser aux seuls journalistes, il faut vraiment que tout le monde s’en empare. Je vais régulièrement dans les écoles pour sensibiliser les élèves aux médiamensonges. Ces jeunes éprouvent beaucoup de méfiance à l’égard de l’information, mais aussi une grande curiosité et une envie de vérité. Ils ont un sentiment de révolte et la volonté de lutter contre l’injustice. Je crois qu’ils représentent l’avenir du travail que nous menons. Nous devons mobiliser les jeunes pour qu’ils soient actifs et jouent leur rôle…

Aujourd’hui, dans nos médias « Nescafé » – ou instantanés –, il pleut des « experts » de tout et de n’importe quoi. Est-ce le signe d’un manque de compétence des journalistes ?

C’est encore plus pervers que cela. L’expert est la voix du journaliste puisqu’il est généralement choisi par lui. Son rôle est de donner un vernis de neutralité et de scientificité aux opinions du journaliste lui-même. Le mécanisme est largement répandu : le journaliste développe les faits qui l’arrangent et invite « son » expert pour corroborer son discours. Les « experts » ne sont pas tous ignorants du sujet, bien sûr. Mais pour comprendre leur place dans le système actuel, il faut analyser le camp pour lequel ils travaillent, leur idéologie, leurs intérêts.

Il y a une vraie opacité autour de ces « spécialistes ». Un tueur des forces libanaises de Sabra et Chatila peut se retrouver expert du Liban sur une télévision française et avoir à se prononcer sur la guerre et les massacres…

Absolument ! Dans les médias audiovisuels et de la presse écrite, les experts de prétendus ONG, think tanks ou centres de ceci ou cela sont toujours présentés de façon vague et neutre. Et on les retrouve tous dans les titres, Le Monde, Libé ou L’Obs… Soyons sérieux : ces gens ne font pas dans l’humanisme ; ils sont payés, ou plutôt achetés, par de grosses multinationales et sont là pour nous embobiner. Vous remarquerez d’ailleurs que les médias n’organisent jamais de vrais débats contradictoires entre leurs « experts ». Je ne demande qu’à ce qu’on m’invite pour discuter avec des gens du Pentagone, du lobby sioniste ou des grandes multinationales. Mais ils refusent. Lorsque je passais à l’émission française Ce soir ou jamais, certains invités se décommandaient quand ils apprenaient que j’allais venir.

On ne vous invite plus à Ce soir ou jamais ?

Il y avait un très petit nombre de lieux à la télévision où – tard le soir, bien entendu – on pouvait encore entendre des opinions résistantes. Pour le moment, ce n’est plus possible. Il faut dire que, depuis les attentats, un climat d’hystérie est entretenu pour bloquer les vrais débats. Quand Nathalie Saint-Cricq, responsable du service politique de France 2, appelle à « repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie », quand Najat Vallaud-Belkacem, ministre française de l’Éducation nationale, déclare qu’il est intolérable que des élèves posent des questions parce que l’école est là pour transmettre des valeurs (6), on est en pleine police de la pensée.

N’êtes-vous pas utilisé par cette police de la pensée ? On vous laisse parler pour attester qu’on accepte le débat, mais lorsque vous en dites trop, on ne vous invite plus.

Mais je suis totalement boycotté par les médias ! Ma dernière intervention remonte à 2011. On ne me donne même pas cinq minutes comme alibi. Cette tactique dont vous parlez existe certainement, mais je la prends comme un compliment. En fait, si les médias ne me donnent pas ces cinq minutes, c’est parce qu’ils savent que je peux être dangereux en moins de cinq minutes !

Les médias ont tenté de diaboliser Bachar, sans succès, contrairement à Saddam ou Kadhafi. Comment l’expliquez-vous ?

À mon avis, cet échec en Syrie n’est pas lié aux médias, mais au changement du rapport de force politique dans le monde. Nous basculons vers un monde multipolaire, ce que les États-Unis, superpuissance en déclin, cherchent désespérément à empêcher. Pour plonger la Libye dans le chaos – pardon, dans la démocratie occidentale ! –, ils ont réussi à manipuler Moscou et Pékin avec la promesse d’une zone d’exclusion aérienne, alors qu’en réalité le but était clair dès le début : renverser Kadhafi et neutraliser un pays riche en pétrole qui prenait trop de place dans la région et sur le continent africain.

Cette tromperie a marqué un véritable tournant. Quand les États-Unis ont voulu refaire le coup en Syrie, ils ont pensé que le régime allait tomber rapidement. Erreur ! En mentant sur les armes chimiques, ils ont cru que la pression médiatique internationale allait obliger la Russie et la Chine à accepter une intervention. Nouvelle erreur ! Le rapport de force a changé à Damas et les États-Unis ont été forcés de revoir leurs calculs : ils ont réalisé que Bachar al-Assad ne quitterait pas le pouvoir – ou pas aussi vite –, et ils ont pactisé avec l’Iran alors qu’ils voulaient le briser…

Comment l’opinion publique peut-elle s’y retrouver quand l’information est aussi faussée ?

Bachar al-Assad n’est pas un ange loin de là, mais tout le battage médiatique de 2011 disant qu’il ne méritait pas d’être sur terre, etc. a laissé une trace. Aujourd’hui, les gens n’ont pas les moyens de se former une image claire du conflit, encore moins de prendre position. Mais ils sont demandeurs et ouverts.

D’où notre grande responsabilité. Nous devons aider l’opinion à se faire son avis sur les grands conflits internationaux. Ces guerres qui paraissent lointaines ne sont pas du tout exotiques, elles sont menées par les multinationales pour renforcer leur puissance et mieux exploiter les gens d’ici. Quand Angela Merkel ouvre les portes aux Syriens, ce n’est pas par bonté d’âme, mais parce que l’Allemagne souffre d’une chute de sa natalité et a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée à même de baisser les coûts, c’est-à-dire les salaires des cadres, travailleurs et techniciens allemands…

N’y a-t-il pas aussi tout un battage médiatique autour des migrants en Europe ?

Les belles démocraties occidentales font preuve d’une hypocrisie absolue sur le thème « Il faut les aider, mais nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde. » Il faudrait leur répondre ceci : « Vous ne seriez pas obligés d’accueillir toute la misère du monde si vous ne l’aviez pas provoquée, en détruisant l’économie de ces pays et en appauvrissant leur population. » Les migrants ne viennent pas en Europe pour la beauté de la météo, mais parce qu’on ne les laisse pas vivre chez eux !

Qu’est-ce que l’Occident a à gagner en provoquant le chaos en Libye et ailleurs ?

Je ne pense pas que Clinton et Sarkozy aient voulu la Libye d’aujourd’hui. Le problème, c’est que la seule force qui pouvait aider à renverser Kadhafi était Al-Qaïda. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les rapports de West Point et de la CIA. Les villes de Tobrouk et Benghazi concentraient à elles seules la plus grande masse de terroristes de tout le Moyen-Orient. Al-Qaïda n’aurait pas pris cette ampleur si l’Otan n’avait pas conclu une alliance avec cette organisation.

Ce faisant, elle n’a pas saisi que les terroristes avaient leur propre agenda, qu’ils ne se gêneraient pas de passer à autre chose lorsqu’elle ne leur servira plus à rien. Comme dans Frankenstein, la créature a échappé à ses créateurs. Idem avec Daech.

..c’est ce que vous appelez « la stratégie du chaos » ? (7)

On part de l’idée que les États-Unis ne peuvent plus envahir un pays comme ils le faisaient autrefois : trop dangereux, trop impopulaire et trop cher. Ils font donc ce qu’on appelle la « guerre proxy », la guerre par procuration. Autrement dit, ils font se battre les gens entre eux.

Ils ont tenté cette stratégie au Vietnam, mais elle a échoué… Si le pays a su contrer cette guerre proxy, c’est parce que les Vietnamiens avaient un leadership remarquable, tant du point de vue de la morale et du dévouement que des programmes économiques et sociaux engagés. Le pays a donc été capable de présenter un front large et uni, constitué de bouddhistes, catholiques, petits patrons, anticommunistes…

Pour en revenir à la stratégie du chaos, elle concrétise ce proverbe africain : « Ce que tu ne peux contrôler, détruis-le. » C’est exactement ce qui a été fait contre la Somalie, l’Irak ou la Libye : ne pouvant contrôler ces pays, on les a rendus inutilisables par d’autres, particulièrement les Chinois. Condoleezza Rice parlait de « chaos constructif ». Le problème survient lorsque ce chaos échappe à ceux qui l’ont mis en place.

Après les attentats du 13 novembre à Paris, Éric Zemmour a appelé à bombarder Molenbeek, une commune de Bruxelles, où ont habité certains terroristes. C’était du second degré, mais, connaissant le personnage, cela ne révèle-t-il pas plus ?

Derrière le second degré, il y a une manière faiblarde de culpabiliser les jeunes immigrés. Mon bureau est à Molenbeek, commune pauvre, victime du démantèlement des politiques sociales par nos gouvernements depuis une vingtaine d’années. Les jeunes sont jetés à la rue, sans perspective de boulot, avec des contrôles policiers au faciès, de la discrimination dans les écoles…

Comment voulez-vous qu’ils finissent ? Quand, depuis des années, on considère que l’Arabie saoudite – régime le plus abominable de la planète et la plus grande source de terrorisme avec Israël – est fréquentable parce qu’elle finance nos économies avec l’argent qu’elle vole aux Arabes, quand on l’invite à prêcher ses discours de haine, obscurantistes et fanatiques, comment s’étonner qu’une petite partie de ces jeunes, à Molenbeek mais aussi partout en Europe, tombe dans les griffes de prédicateurs parfaitement organisés et experts dans la manipulation des adolescents ? Comment s’étonner de ça ?

Il a fallu attendre les attentats pour que nos politiciens prennent une décision. Et quelle décision ? Celle de protéger les citoyens et de déradicaliser les islamistes. Évidemment, personne ne pose les questions des responsabilités : pourquoi ces jeunes sont-ils allés en Syrie, qui les a armés, financés, motivés ? Pourquoi s’allie-t-on avec l’Arabie saoudite et le Qatar, promoteurs de ce terrorisme ?

Les médias ont également joué un grand rôle dans les révolutions tranquilles, en Tunisie et en Égypte.

Les États-Unis appliquent leur stratégie du coupe-feu. Contrairement à ce que certains prétendent, ils ne sont pas idiots et apprennent de chaque événement. Ils ont modernisé leur politique de contrôle des révoltes populaires, en changeant un peu pour que rien ne change, en donnant l’illusion d’une révolution. Autrefois, ils faisaient porter par la CIA des valises de dollars pour acheter les politiciens, syndicalistes, académiciens, médias, etc.

Lorsque le pot aux roses a été dévoilé, ils ont recouru à d’autres intermédiaires, plus discrets, comme le National Endowment for Democracy, l’United States Agency for international Development, etc. Ils ont copié la militance populaire d’après mai 1968 qui mobilisait ONG humanitaires, mouvements associatifs solidaires avec le Tiers-Monde, etc., mais à leur manière : en plaçant leurs pions, des cyberactivistes, dans certains pays comme la Tunisie et l’Égypte. Comme l’a remarquablement montré Ahmed Bensaada dans son livre Arabesque$ (8), ces cyberactivistes sont financés et formés pour canaliser la révolte populaire et empêcher que des vraies forces populaires de gauche et anti-impérialistes prennent le pouvoir. C’est une stratégie très intelligente – il faut le reconnaître – et beaucoup moins coûteuse que la solution militaire.

Le New York Times a traité ce sujet en toute transparence : quand elle était militaire, une intervention était évaluée à 5 milliards de dollars ; lorsqu’elle était prise en main par les pseudo-ONG américaines, elle ne coûtait plus que 400 millions…

Les États-Unis s’en sont rendu compte avec la Yougoslavie : le bombardement de ce pays en 1999 non seulement échouait, mais avait pour effet de ressouder le peuple serbe derrière Milosevic. En soutenant l’organisation Otpor [une structure politique aidée par le National Endowment for Democracy et financée par le milliardaire George Soros, ndlr], qui était un vrai générateur de révoltes, ils ont réussi à faire chuter Milosevic. Otpor a été exporté dans d’autres pays dans le même but.

Vous avez tout à fait raison de dire « en toute transparence ». Comme nous l’évoquions au début de cet entretien, tout est écrit aux États-Unis. Des documents existent, qui prouvent même que ce qui a été raconté à l’opinion européenne, et notamment française, est bidon. Mais ces informations tout à fait accessibles sont censurées par Le Monde, Libération, TF1, etc.

Lorsqu’un journaliste donne la parole aux méchants, il est immédiatement déclassé, humilié ou banni par ses confrères. Aujourd’hui, dire une vérité revient à choisir le camp du diable.

Nous vivons cette diabolisation, elle est pénible et malhonnête. Elle vient de journalistes de France Inter et d’ailleurs qui savent parfaitement qu’ils mentent et utilisent nos vérités pour nous discréditer. Quand nous critiquons une guerre des États-Unis ou une politique d’Israël, ils nous traitent de complotistes, déforment nos citations, nous prêtent des amitiés que nous n’avons pas, etc.

Ces journalistes sont dangereux, mais d’autres le sont davantage : ceux qui ne mentent pas, mais refusent de se remettre en question, n’osent pas imaginer que tout ce qu’ils disent est faux, et nous voient comme des concurrents.

Cette manière de nous discréditer fait aussi partie de la propagande de guerre. Anne Morelli a écrit un livre, Principes élémentaires de propagande de guerre : utilisables en cas de guerre, chaude ou tiède, en se basant sur les mémoires de Lord Ponsonby, diplomate britannique qui a écrit un pamphlet anti-guerre juste après 1918. L’un de ces principes était : « Tous ceux qui ne pensent pas comme nous sont des traîtres. » Ainsi, si vous critiquiez la propagande ou les motivations britanniques, vous deveniez aussitôt un agent du Kaiser.

Les médias monopolisent l’info et empêchent le débat. Non seulement ils censurent, mais ils diabolisent celui qui parle autrement. Donner la parole aux méchants est l’honneur des vrais journalistes.

Les médias censurent, mais, parfois, surmédiatisent aussi l’événement, un attentat par exemple. Dans quel intérêt ?

Première motivation : il suffit de regarder la cote de popularité de François Hollande avant et après l’attentat de Charlie. Même si l’effet est limité, il est toujours bon à prendre. Deuxième intérêt, la peur. Pourquoi ? Parce qu’elle est un ressort fondamental de la manipulation de l’opinion. Dans son film Bowling for Columbine, Michael Moore explique très bien que, pour attaquer l’Irak, George Bush avait besoin que les Américains aient peur.

Après le 11-Septembre, les slogans hollywoodiens du genre « Guerre contre la terreur », « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous » ont parfaitement fonctionné. Ils ont fait admettre de sévères restrictions des libertés. Flanquer la trouille des Arabes et des musulmans, cela permet de justifier les guerres contre les pays arabes et musulmans, mais aussi autorise le racisme, la discrimination, l’islamophobie et les mesures répressives qui finissent par frapper tout le monde.

Lorsqu’on promulgue des lois contre le terrorisme, on interdit tout débat avec des gens comme nous. Des syndicalistes et des altermondialistes ont été mis en garde à vue parce qu’ils ont organisé une manifestation contre l’Europe. Quand un pouvoir politique a perdu sa légitimité, quand il mène une politique antipopulaire, quand il est discrédité, semer la trouille est la seule condition de sa survie.

Que peut-on faire pour contrer efficacement les discours des médias dominants ?

Dans de nombreux pays et dans différentes langues, bon nombre de gens font de belles choses sans pour autant disposer de gros moyens. En se fédérant un peu, les médias indépendants pourraient mieux avancer. Il faut réfléchir à grouper les contenus afin de mieux les diffuser. Tout le monde rêve évidemment d’une télé populaire, un JT qui proposerait un autre type d’information. Le problème est que nous affrontons des médias qui ont énormément d’argent, des experts pour rendre pertinents leurs discours, le soutien des multinationales, etc. Mais ils ont un point faible : ils vivent de la publicité. Perdre ne serait-ce que 5 % de leur clientèle serait pour eux une catastrophe économique.

Il y a 30 ans, les gens cultivaient l’espoir – même vain – d’un avenir meilleur. Aujourd’hui, ils semblent ne plus rien attendre…

L’histoire est constituée de hauts et de bas. Pour accomplir leur révolution et leur libération, nos parents et grands-parents ont dû se battre contre le poids de l’Église, l’absence d’éducation, le colonialisme, la terreur. Tout l’enjeu aujourd’hui est d’inventer une alternative. Je crois à ce mot d’ordre d’un monde meilleur, mais c’est à nous de l’inventer. Il est clair cependant que ce monde meilleur est incompatible avec les multinationales. Tant que celles-ci seront au pouvoir, les gens ne pourront jamais bien vivre, manger, accéder à l’éducation, la santé et la paix. Il est fondamental d’organiser l’économie, la production et la vie sociale autrement, avec de nouvelles relations non plus centrées sur l’argent, mais sur l’échange, la vie sociale et la coopération.

Ne trouvez-vous pas absurde qu’une partie des gens travaillent comme des fous et n’ont même pas le temps de s’occuper de leurs enfants pendant que l’autre partie prend des antidépresseurs parce qu’elle ne trouve pas de boulot ? !

Nous devons tous travailler, mais seulement pour ce qui est utile : échanger, partager, recycler, cesser de gaspiller et de consommer ce qui ne sert à rien. Je ne critique pas le progrès, mais c’est à nous, citoyens, de redéfinir la façon dont nous voulons vivre et dans quel monde nous voulons que nos enfants vivent.

Ce qui me paraît très positif est que beaucoup de gens n’acceptent plus ce qu’on veut leur imposer et inventent d’autres modes de vie et de pensée. Pour le moment, cela se fait localement et à petite échelle : des potagers partagés, des liens avec les fermiers, une solidarité directe entre le producteur et le consommateur, des initiatives citoyennes vers la Palestine qui poussent à plus de démocratie et de justice. Je n’ai pas de réponse miracle, mais je me concentre sur mon travail, c’est-à-dire l’info : nous avons une réflexion à mener sur la stratégie à conduire pour alerter les couches les plus larges de la population sur les médiamensonges et les rendre surtout actives dans la contre-information. C’est ainsi qu’on réussira à relancer les grandes luttes de libération et à redonner espoir.

Connaissez-vous l’histoire du colibri ? Il y a un incendie dans une forêt. Tous les animaux sont terrifiés, mais ce petit oiseau insignifiant continue de balancer des gouttes d’eau dans le feu. « Mais à quoi ça sert ? » lui demande-t-on. Et l’oiseau répond : « Je fais ma part. »

C’est exactement cela : chacun doit faire sa part.

 

Propos recueillis par Samy Abtroun, Jacques-Marie Bourget, Majed Nehmé, Corinne Moncel et Hassen Zenati

Notes :

(1) http://www.investigaction.net/

(2) Peter Arnett sera licencié par CNN en 1998 pour avoir mis en cause le comportement de l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam, puis en 2003 par la chaîne NBC pour avoir critiqué la stratégie américaine en Irak.

(3) Dans sa « Lettre d’un voyageur au président de la République », datée du 13 mai 1999, l’anti-guerre Régis Debray écrit notamment : « À Pristina, où vivent encore des dizaines de milliers de Kosovars, on peut déjeuner dans des pizzerias albanaises, en compagnie d’Albanais. » Le lendemain, l’interventionniste Bernard-Henri Lévy critiquera en une du Monde « l’hallucinante naïveté de ce maître médiologue, expert en soupçon et en pensée critique, que l’on voit gober sous nos yeux les plus énormes bobards de la propagande serbe ».

(4) Le « massacre de Markale » à Sarajevo a permis à l’Otan d’intervenir contre les Serbes. Or tout indique que ce sont les Bosniaques qui ont tiré.

(5) Le plan Fer à cheval, aurait été préparé par Milosevic pour massacrer les Albanais du Kosovo. En vérité, cette campagne d’intoxication qui a utilisé de faux témoins fut orchestrée par le gouvernement allemand pour justifier l’intervention de l’Otan.

(6) « Il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves, et nous avons tous entendu les “oui je soutiens Charlie, mais…”, les “deux poids deux mesures”, “Pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?” Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école qui est chargée de transmettre des valeurs. » Réponse de Najat Vallaud-Belkacem à Claude Goasguen, député de Paris, janvier 2015.

7) La stratégie du chaos : impérialisme et islam, de Grégoire Lalieu et Michel Collon.

(8) Arabesque$. Enquête sur le rôle des États-Unis dans les révoltes arabes, d’Ahmed Bensaada.

 

Source : Interview parue dans le dossier “Les Faussaires de l’info”, extrait de la revue Afrique Asie, mars 2016

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