Ambroise Kom, l’universitaire qui réhabilite la littérature africaine

Vendredi 9 juin dernier, il a replongé le public camerounais dans l’œuvre multidimensionnelle du Sénégalais de regrettée mémoire, Sembène Ousmane à la Librairie des Peuples Noirs à Yaoundé. Pendant plusieurs décennies, Ambroise Kom s’échine à vulgariser la littérature du continent.

 

Qui sont les intellectuels africains ? L’interrogation parait rhétorique si elle n’exprime pas une impardonnable ignorance dans ce monde où le mot « intellectuel » désigne celui qui est invité presque tous les week-ends sur les plateaux de télévision pour faire étalage de son docte savoir sur des sujets sans frontières. Qui prend le risque de la poser s’entendra citer des noms auxquels l’on s’empressera d’ajouter la mimique propre à chacun de ces professionnels du discours.

 

Carnet rose

 

En effet, chaque pays à son « carnet rose » sur lequel sont gravés les noms des « intellectuels » à médiatiser, à enseigner et donc à canoniser. Victime assumé de sa rigueur intellectuelle et morale, Ambroise Kom n’en fait pas partie, du moins dans le Cameroun d’aujourd’hui. Ostracisé à l’université de Yaoundé où il a enseigné, traqué par le pouvoir de Yaoundé qui l’embastilla en 1987 après une conférence sur la littérature politique camerounaise, il est aujourd’hui marginalisé au sein de l’Association pour l’Education et le Développement (AED) à l’origine de l’Université des Montagnes (UDM) de Banganté à l’Ouest du Cameroun. Une Association dont il est pourtant l’un des Founding fathers.

 

Mais, le spécialiste des littératures africaines sait ériger un succès sur chaque coup reçu. Il ne se laisse pas affecter. La preuve, malgré ses combats littéraires (théoriques) et sociaux (pratiques), il ne fait pas ses 71 ans. Vous lui en donnerez 50, avant de vous raviser devant ses cheveux poivre et sel. Et même jusque-là, sa voix de stentor et son débit rapide en rajouteront à votre confusion.

Ambroise Kom est né en 1946 sur les Hautes terres de l’Ouest Cameroun. Rien ne le prédestinait pourtant aux hautes études, lui le fils du paysan. Grâce à un oncle maternel, il est inscrit à l’école coloniale. Après les cycles primaire et secondaire, il s’inscrit à l’Université fédérale du Cameroun, actuelle université de Yaoundé I. C’est ici qu’il est initié aux études africaines par Thomas Melone.

A côté des « classiques » de la littérature métropolitaine, le jeune étudiant doit découvrir et étudier les écrivains négro-africains tels qu’Aimé Césaire, Frantz Fanon, Léopold Sédar Senghor, Ferdinand Léopold Oyono, Mongo Béti et les autres. Comme il est de tradition à cette époque, Ambroise Kom s’envole pour l’Occident pour poursuivre ses études.

Suivant une taxinomie nkrumahènne (Le Consciencisme), Ambroise Kom fait partie de la troisième catégorie d’Africains qui vont étudier en Occident pour rentrer libérer l’Afrique, chacun avec ses armes et sa stratégie.

Diplômes en poche et malgré les opportunités d’une carrière avenante en terre européenne, Ambroise Kom, lecteur d’Aimé Césaire décide de retourner au pays natal. Il devient enseignant chercheur au Département de littératures africaines de l’université de Yaoundé I.

 

 

 

Résistance et dissidence

 

L’ancien étudiant devenu enseignant doit très vite recourir à la résistance et à  dissidence pour que ses enseignements au département de littératures africaines ne s’assimilent pas à la littérature française et anglaise enseignées par un Africain. Autrement dit, il faut chercher des auteurs africains qui, quoiqu’écrivant en français et/ou en anglais, s’inspire des réalités africaines ou d’Africains et s’adressent prioritairement aux Africains. Il faut également s’affranchir des canons établis. En d’autres termes donner un objet d’étude et une méthode à une « science » qui  elle-même peine à être acceptée par les tenants d’une conception européocentriste des savoirs. La tâche n’est pas aisée.

 

Au fil des recherches, comme un archéologue, Ambroise Kom « découvrira » et/ou mettre sur orbite plusieurs perles enfouies de la littérature africaine : Chester Himes, René Philombe, George Lamming, Chamoisson…… Les travaux engagés dans cette logique permettent d’écrire des anthologies de la littérature africaine. Un véritable panthéon où on n’entre plus selon les critères arrêtés par un colonisateur parti pour mieux rester.

 

A l’université, Ambroise Kom devient une curiosité intellectuelle qui bouscule les normes de la littérature, ne se soumet pas à l’autorité autoritaire de la hiérarchie. Les pouvoirs publics le redoutent et l’épie. A cette belle époque de la poste, son courrier est minutieusement examiné par les hommes de la police politique. 

 

La réalité rattrape la fiction

 

Homme de lettres, Ambroise Kom ne se limite pas à un recensement des auteurs négro-africains et à une exégèse de leurs écrits. Il lie les actes à la parole. En 1987, les étudiants du Club Unesco de l’université de Yaoundé, la seule à l’époque, organisent un débat sur le thème : « La littérature politique » au Cameroun. Ambroise Kom y est invité. D’autres intellectuels sont également de la partie : le philosophe Hubert Mono Ndjana, le cinéaste Basseck Ba Kobhio,  le journaliste David Dachi Tagne. La conférence tourne à un véritable pugilat verbal. C’est ce jour-là que le philosophe Mono Ndjana forgera le néologisme « ethnofascisme » pour désigner la propension pour les ressortissants d’une certaine région du Cameroun à s’accaparer du pouvoir politique. Après cette conférence, Ambroise Kom passera de longues heures de captivité à la Brigade mobile mixte (BMM). Il faut lui briser le moral. Mais, il en faut plus pour décourager cet intrépide.

Le voilà engagé dans un autre projet quelques années après. Il s’agit de faire le bilan des 30 ans d’indépendance du pays au sein du Collectif changeons-le Cameroun. Les membres du Collectif ne chôment pas. Bien au contraire, ils font un diagnostic tatillon des différents secteurs de la vie sociale et consignent le résultat de ce lourd travail dans des livres qui vont être publiés par la suite. Trop sûr de lui, le pouvoir ignore leur labeur et l’engeance au pouvoir continue de conduire le pays dans le précipice. 

Face à un pouvoir inapte mais orgueilleux, Ambroise Kom et quelques universitaires optent pour la voie de contournement. Ils créent l’Association pour l’Education et le Développement qui doit leur permettre d’agir, au lieu de critiquer un régime visiblement autiste. Etant des enseignants et ayant assisté à la fragmentation de l’université de Yaoundé et à la création d’autres universités qui sont au mieux de grands lycées, Ambroise Kom et sa bande optent pour la création d’une université qu’ils s’engagent à se battre pour en faire une référence au niveau national et au-delà. C’est ainsi que l’Université des Montagnes voit le jour à Banganté. Le succès est au rendez-vous. Le nombre d’étudiants ne cesse de croitre d’année en année.

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Le professeur Kom est auteur d’ouvrages sur Chester Himes,  George Lamming, Mongo Béti, ainsi que sur les enjeux culturels de la condition postcoloniale en Afrique. Il a été professeur dans les universités aux USA, au Canada, au Maroc et au Cameroun.

Depuis sa création, il a ses habitudes à la Librairie des Peuples Noirs à Yaoundé. C’est d’ailleurs dans cette maison incontournable pour  les Hommes de culture qu’il a modéré le 9 juin dernier, une conférence organisée par la Société des amis de Mongo Béti. L’événement de Yaoundé commémorait les 10 ans  du décès de l’écrivain et réalisateur sénégalais Sembène Ousmane.

 

Source : Investig’Action

 

 

 

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