Etats-Unis, Cuba et la « la soupape de sécurité »

Je surfe sur Internet et lorsque je lis certains sites et blogs tout comme leurs porte-parole sur les réseaux sociaux, je constate qu’ils ressassent la même antienne : Obama a privé Cuba de sa traditionnelle et indispensable « soupape de sécurité ».

C’est avec cette thèse qu’ils veulent faire la démonstration que si à Cuba il n’y a pas de soulèvements populaires c’est parce que ceux qui pourraient en être les initiateurs abandonnent régulièrement le pays. Mais, dorénavant, une fois disparu ce soit disant modérateur de la pression intérieure qu’était la politique dite « pieds secs, pieds mouillés » (1), ils certifient que très vite le chaudron va exploser.

Assurément, ce n’est là que le début de leur thèse, car, ça ne rate jamais, ils enchainent en débitant le scenario appris par cœur. Archi-connu est leur discours : par exemple, jamais ils n’omettent de raconter que le socialisme est un échec ; que les gens d’ici s’enfuient parce que la famine chez nous est quasiment permanente. Peu leur chaut que, pas plus tard qu’hier, l’Organisation Panaméricaine de la Santé ait publié un rapport qui stipule que Cuba est le pays d’Amérique Latine et Caraïbes où le taux (5,3%) d’insuffisance pondérale des nouveau-nés est le plus faible et que 59% de la population cubaine souffre de surcharge pondérale, contrairement à la grande majorité des autres pays de la zone. 

Bref, les procédés, les obsessions et propos biaisés de cette fable sont ressassés à satiété. Comme à l’accoutumée, ils s’efforcent d’escamoter un petit détail : l’émigration cubaine n’a pas de caractère politique ; elle est économique.

Aux Etats-Unis vivent environ un million deux cents mille Cubains nés à Cuba et, en 2016, quatre cent mille d’entre eux ont visité Cuba en en touristes. Que voilà de bien drôles exilés politiques qui – et pas seulement une fois en passant – s’en reviennent passer des vacances dans le pays qui est censé les avoir persécutés ! Un des procédés auxquels recourt le plus souvent la propagande c’est la simplification outrancière des chiffres. La technique consiste à avancer certains chiffres et à en occulter d’autres dans le but de consolider les affirmations et confirmer les propres convictions ou hypothèses.

Par exemple, à lire ces gens-là, vous aurez bien du mal à savoir qu’en dépit de ce privilège exceptionnel, unique, accordé aux émigrants cubains par la politique « pieds secs, pieds mouillés » – sans oublier la « Loi d’ajustement cubain » (2) qui la complète – notre pays n’occupe que le huitième rang en ce qui concerne le nombre total d’immigrants aux Etats-Unis. Au premier rang on trouve le Mexique, avec environ 12 millions, puis vient El Salvador, avec trois millions ; derrière Cuba, mais très près, il y a le Guatemala et la République Dominicaine.

Je me pose la question suivante : combien d’immigrants en plus, en provenance de ces pays-là, trouverions-nous aujourd’hui, aux Etats-Unis, si leurs citoyens avaient joui, eux aussi, de ce même droit de résidence automatique dans la nation du Nord ? Deux tiers des habitants de la Bolivie qui, avant l’arrivée de Evo morales au gouvernement, affichait un taux de pauvreté de 60%, seraient probablement établis à présent aux Etats-Unis. Et Haïti ? Ce pays existerait-il encore en tant que nation ?

En ce qui concerne le nombre d’émigrés cubains de ces dernières années, ils annoncent toujours le chiffre le plus impressionnant. La technique consiste à regrouper les chiffres de plusieurs années, par exemple pour une période de cinq ou six ans, pour que le total apparaisse grand. Je prends au hasard un des médias qui ces jours-ci aborde ce sujet. Il nous dit que, selon le Département de la Sécurité Nationale des Etats-Unis, de 2012 à ce jour, « 118 000 Cubains sont arrivés aux Etats-Unis par les ports d’entrée le long de la frontière ».

A première vue, ce chiffre fait réfléchir. Mais on oublie quelques détails. Premièrement, cela représente un rythme annuel d’environ 19 000 et quelques immigrants, chiffre inférieur aux 20 000 visas que le gouvernement des Etats-Unis s’est engagé à délivrer annuellement. Et, deuxièmement, cela représente à peine 0,17% de la population de l’île.

Je n’oublie pas le proverbe selon lequel ce qui est bon pour la dinde est aussi bon pour le dindon. Je veux dire : si on assène catégoriquement que ces 19 000 Cubains qui émigrent annuellement sont supposés être des « boat-people » opposants qui fuient par le truchement de la « soupape de sécurité », alors pourquoi ne disent-ils pas que les onze millions et plus de Cubains qui restent dans l’île soutiennent la Révolution ? Ont-ils le droit d’appliquer la règle du un poids deux mesures ? Ont-ils le droit ?

Mais arrêtons donc toute cette hypocrisie : la très grande majorité de ceux qui défendent la politique « pieds secs, pieds mouillés » – tout comme sa jumelle et tout aussi criminelle ; le blocus économique, commercial et financier de Cuba – ne sont absolument pas préoccupés par la vie de ceux qui meurent en mer ou en traversant les forêts ni par le bien-être de ceux qui restons à Cuba. Leur but unique c’est mettre en avant ce machiavélique et désormais bien usé argument que nous connaissons bien.

Soyons clairs jusqu’au bout : aujourd’hui, on abroge ladite politique pour cette simple raison qu’elle n’était plus moralement soutenable. Depuis bien longtemps sa méprisable finalité est apparue crument aux yeux de l’opinion publique internationale. Avec l’impitoyable blocus économique et la politique « pieds secs, pieds mouillés » ils voulaient, tout simplement, déstabiliser la société cubaine, discréditer son modèle économique, drainer son capital humain et créer les conditions pour que puissent naître, à Cuba, des mouvements contre-révolutionnaires chargés de réaliser des actes de terrorisme et des agressions contre la population. Par-dessus le marché, en encourageant l’émigration illégale, on mettait en danger des vies humaines et par conséquent on justifiait l’intervention de la Commission en charge de condamner les atteintes aux personnes et de lutter contre la traite d’êtres humains.

Un seul exemple suffira pour montrer le cynisme et l’intention manipulatrice de cette politique-là. En 2011, le Département d’Etat des Etats Unis a présenté un rapport qui désignait Cuba comme contrevenant totalement au respect du Protocole des Nations Unies pour la Prévention, la Répression et la Condamnation de la Traite des Etres Humains. Cela démontre que le but recherché a toujours été de faire de la victime le coupable. Dès le lendemain du triomphe de la Révolution, les Etats Unis ont exploité le thème de l’émigration comme arme pour déstabiliser le gouvernement de Cuba.

Souvenons-nous de la dénommée « Opération Peter Pan » (3), perverse manipulation opérée par la CIA, en 1960, qui entraina la sortie de Cuba de quelques 14 000 jeunes enfants qui furent transportés aux Etats Unis et dont un très grand nombre plus jamais ne revirent leurs vrais parents. De façon totalement perfide, ils avaient rédigé une fausse Loi de Patria Potestad (loi sur une prétendue mainmise de l’Etat sur les enfants mineurs) qui fut ensuite largement diffusée par divers canaux de propagande pour faire croire que le gouvernement cubain se préparait à arracher les enfants à leurs parents pour les envoyer se faire endoctriner en URSS.

Une preuve du fait que les soit disant boat people n’ont été que des pions sur l’échiquier politique nord-américain nous est fournie par un document officiel, déclassifié en 1997, qui contient des détails de la dénommée Opération Northwoods. Ce plan, mis au point en 1962 par le Ministère de la Défense des Etats Unis, envisageait de mener à bien plusieurs actions terroristes qui devaient permettre la mise en accusation du gouvernement révolutionnaire cubain et justifier par conséquent une invasion de l’île. Une de ces actions terroristes consistait à provoquer le naufrage « réel ou simulé » des embarcations de migrants cubains en route vers La Floride. Si bien que le slogan aujourd’hui à la mode, la soit disant « soupape de sécurité », est uniquement et exclusivement leur propre soupape de sécurité face à leur frustration après 58 années à attendre en vain de vaincre la Révolution cubaine.

Ils ont tout essayé : le blocus économique ; des invasions, la menace de guerre nucléaire, la tentative d’isoler la Révolution au plan international ; la guerre bactériologique et psychologique ; le terrorisme d’Etat, des centaines de plans pour assassiner Fidel Castro… mais rien n’a marché. Rien de tout ce qu’ils ont tenté contre Cuba ne leur a apporté les fruits escomptés. Par conséquent, nous comprenons parfaitement leurs piaffements présents et qu’il ne leur reste désormais d’autre solution que de ressasser encore et encore cette rengaine apprise par cœur de la « soupape de sécurité ».

 

Notes du traducteur:

  1. Barack Obama a annoncé, jeudi 12 janvier, la fin d’un dispositif en place depuis des décennies accordant automatiquement un permis de séjour aux Etats-Unis, aux immigrants clandestins cubains arrivés sur le territoire américain, autrement dit la fin à la politique connue sous le nom de « pieds secs, pieds mouillés ».

  1. La loi d’ajustement cubain (Cuban Adjustment Act en anglais, ou CAA) est une loi fédérale américaine entrée en vigueur le 2 novembre 1966 qui accorde la résidence permanente à tout réfugié cubain présent sur le sol américain depuis plus d’un an.

  1. L’opération Peter Pan (Operación Peter Pan ou Operación Pedro Pan) est une opération coordonnée entre 1960 et 1962 par les États-Unis (notamment par le département d’État des États-Unis et la CIA), l’archidiocèse de Miami, et certains cubains qui consistait à amener à Miami des enfants cubains dont les parents étaient opposés au gouvernement castriste. Plus de 14 000 enfants ont été envoyés depuis Cuba. Avec l’aide de l’archidiocèse de Miami et le père Bryan O. Walsh, les enfants furent placés dans 35 États. Les agents de la CIA à Cuba ont répandu la rumeur dans les classes professionnelles et possédantes en se servant d’un faux texte de la fausse loi que « … les parents allaient perdre le contrôle de leurs enfants au profit de l’état.”…

Cf. : La CIA, Cuba et l’Opération Peter Pan, Saul LANDAU, Nelson P. VALDES

 

Traduit de l’espagnol par Manuel Colinas Balbona

Source : La pupila insomne

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