L’Union Européenne aide-t-elle vraiment le développement ?

Premier pourvoyeur d’aide sur le plan mondial, l’Union européenne s’impose comme un acteur clé du « développement » du Sud. Le consensus en matière de coopération engage les Etats membres sur un socle de valeurs et de principes communs et la promotion d’un nouvel équilibre Nord-Sud. La pratique fait toutefois apparaître de profondes contradictions entre rhétorique humaniste et stratégies commerciales.

3 juin 2008

Titre original: Aide au développement de l’Union européenne : perspective critique

Le 20ème siècle s’est achevé sur un constat des plus amers, celui de l’échec, total ou partiel, des politiques d’aide au développement menées depuis quatre décennies. Constat doublé d’une critique plus ou moins vive des pratiques de coopération, et d’appels insistants à renouveler la pensée et l’action : « (…) la pauvreté ne se résorbe pas, les inégalités persistent, les injustices demeurent. La coopération, qui avait été conçue et institutionnalisée comme outil de changement social, comme engrais de bonification à long terme, se retrouve sur la sellette : elle n’a pas su se mesurer aux forces qui font le monde, elle a perdu son combat pour l’égalité » (Nouveaux Cahiers de l’IUED, 1996).

Le diagnostic qui s’impose à la fin des années 1990 est sans concession : l’aide publique au développement (APD) n’a pas su s’adapter à un environnement institutionnel, économique et politique, en rapide mutation, de plus en plus mondialisé, complexe et interdépendant. Et les experts de pointer surtout, au-delà des facteurs externes, des effets de conjoncture et de la baisse tendancielle depuis le début des années 1990 des flux à destination des pays en développement, les problèmes liés à l’organisation, la gestion et l’acheminement de l’aide. L’APD s’est montrée incapable de produire les effets globaux attendus sur la croissance économique et les grandes variables macroéconomiques et sociales des pays en développement, parce qu’elle est trop fragmentée, tient peu compte des réalités, besoins réels et spécificités locales, et manque souvent de cohérence tant dans ses objectifs que dans ses résultats (Lecomte, Naudet, 2000).

Les doubles emplois et le chevauchement des programmes sont légion. Le manque de complémentarité entre les initiatives est évident. Dépendante d’un nombre croissant d’opérateurs (donateurs bilatéraux, multilatéraux, ONG, fondations, etc.) ayant chacun leurs priorités, leurs canaux d’acheminement et leur méthodologie propre (modes de planification, procédures de suivi et de contrôle, etc.), poursuivant des objectifs parfois contradictoires et opérant de « manière irréductiblement parallèle », elle est cause d’une surcharge administrative excessive pour les Etats bénéficiaires et d’une hausse considérable des coûts de transaction (Tidjani,1996).

Confrontés à la lourdeur des procédures d’attribution et de suivi et à des exigences technocratiques croissantes, les pays récepteurs ne disposent que rarement des capacités institutionnelles pour gérer et suivre de tels flux, surtout après la cure d’amaigrissement subie durant la phase d’ajustement libéral [1] . Dispersés et peu coordonnés, les programmes d’aide se caractérisent en outre par un manque de prévisibilité, aggravé par les fréquents retards de décaissement (Gómez Lacayo, 2007).

Quant aux priorités des donateurs, elles ne sont pas toujours, voire rarement, en phase avec celles des pays bénéficiaires. Décalage entre plusieurs horizons d’attente donc, mais qui, conjugué à la forte dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure, toujours assortie de lourdes conditionnalités, se traduit par une perte d’autonomie pour les Etats récepteurs, corsetés dans leur capacité souveraine à définir des politiques publiques propres et à les maîtriser. Enfin, loin d’être toujours acheminée vers les populations censées en être les premières bénéficiaires et peu transparente, l’aide extérieure est accusée d’alimenter les phénomènes de corruption, de créer des situations de rente, de consolider des positions acquises et de pérenniser les acteurs du champ de la coopération.

Douloureux, ce bilan s’est progressivement imposé à l’ensemble des acteurs de la coopération qui ne pouvaient ignorer plus longtemps ces dysfonctionnements. Aussi a-t-il été le catalyseur d’une prise de conscience accrue de la nécessité de changer de cap et de réformer en profondeur le système de l’aide.

Nouvelles orientations internationales de l’APD

Si les réponses de la communauté internationale se sont longtemps fait attendre, son réveil n’en a pas moins été « soudain ». Au Sommet du millénaire des Nations unies à New York, en 2000, 177 chefs d’Etat et de Gouvernement adoptent solennellement les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), consacrant ainsi les stratégies officielles de lutte contre la pauvreté comme nouveau cadre mondial de référence pour les politiques de développement (Alternatives Sud, 2006). Tout en s’accordant sur des objectifs chiffrés et des indicateurs mesurables assortis de délais, les pays développés y prendront également l’engagement ferme d’accroître le volume d’aide et d’améliorer son efficacité, d’alléger la dette des pays les plus pauvres et d’offrir au Sud de nouvelles perspectives commerciales dans le cadre d’un « partenariat mondial » Nord-Sud renouvelé.

S’ensuivront un nombre impressionnant de rendez-vous internationaux majeurs destinés à traduire ces promesses en actes et les bonnes intentions en politiques concrètes : Conférence des Nations unies de Monterrey sur le financement du développement (2002), Premier Forum de haut niveau de Rome sur l’harmonisation et l’alignement des aides coorganisé par l’OCDE et la Banque mondiale (2003), Sommet mondial des Nations unies sur le développement durable de Johannesburg (2004), Sommet du G8 de Gleneagles (2005) sur la pauvreté en Afrique, et surtout deuxième Forum de haut niveau de Paris sur l’harmonisation et le renforcement de l’efficacité de l’aide (2005).

Outre la promesse d’accroître progressivement le volume d’aide, et de mettre la lutte contre la pauvreté et la réalisation des OMD au centre des priorités internationales, les donateurs finiront par s’accorder sur cinq principes directeurs communs (appropriation, alignement, harmonisation, gestion axée sur les résultats et responsabilité mutuelle) dont la mise en œuvre est supposée augmenter les effets de l’aide « sur la réduction de la pauvreté et des inégalités, la consolidation de la croissance, le renforcement des capacités et l’accélération des avancées vers les OMD ». Véritable pièce maîtresse de cette nouvelle architecture de l’aide, la Déclaration de Paris formalisera ces nouvelles orientations, les déclinera en mesures concrètes à mettre en œuvre, et leur adjoindra un cadre de suivi des engagements pris et des indicateurs de progrès.

Désormais, les donateurs, signataires de la Déclaration de Paris, sont amenés à établir des dispositifs concrets permettant une meilleure coordination et une plus grande harmonisation de leurs programmes (création d’espaces de concertation, ajustement des pratiques et des agendas, échange d’informations, homogénéisation des modalités d’intervention et de gestion de l’aide, etc.) ; à aligner leurs politiques d’aide sur les priorités et stratégies de développement définies par les pays partenaires et à utiliser les systèmes administratifs nationaux pour l’acheminement des fonds ; à privilégier l’appui sectoriel et budgétaire (approche-programme) à l’approche « projets » selon les capacités institutionnelles des Etats récepteurs ; à œuvrer, pour ce faire, au renforcement durable de ces capacités ; enfin à associer les sociétés civiles locales au processus et à en assurer la transparence.

Les objectifs sont clairement énoncés. Il s’agit de permettre aux gouvernements du Sud d’exercer le leadership dans la planification et l’exécution des programmes, d’encourager « une large participation d’acteurs nationaux très divers à la définition des priorités en matière de développement », et de favoriser ainsi une meilleure appropriation (« ownership ») locale des aides (Déclaration de Paris, art. 38).

Des obligations incombent également aux bénéficiaires de l’aide. Ils sont invités, entre autres, à définir leurs priorités et à élaborer leurs propres stratégies nationales de lutte contre la pauvreté ; à traduire ces stratégies dans des programmes opérationnels axés sur les résultats ; à assurer la « conduite et la coordination de l’aide à tous les niveaux (…), en consultation avec les donneurs », à encourager « la participation de la société civile et du secteur privé » (art. 14) via un processus de consultation ouvert et inclusif ; à entreprendre, avec l’appui et en concertation avec les donateurs, des « réformes de nature à garantir l’efficacité, la responsabilité et la transparence, des systèmes, institutions et procédures de gestion de l’aide » (art. 20) ; et à « redoubler d’efforts pour mobiliser des ressources nationales, consolider la viabilité des finances publiques et créer un environnement favorable à l’investissement public et privé » (art. 25).

Enfin, donateurs et partenaires doivent conjointement mettre sur pied des dispositifs et mécanismes (contrôle parlementaire, droit de regard de la société civile, outils de communication, etc.) qui puissent « renforcer la responsabilité mutuelle et la transparence concernant l’utilisation (…) des ressources affectées au développement », et s’engager à « unir leurs efforts dans le cadre d’une approche participative afin de renforcer les capacités des pays à instaurer une gestion axée sur les résultats » (art. 46). Vaste programme en somme, destiné à jeter les bases pour la décennie à venir d’un nouveau paradigme de la coopération au développement.

Réforme de l’aide extérieure de l’Union européenne

L’Union européenne (UE) a été l’une des principales chevilles ouvrières de cette nouvelle architecture internationale de l’aide, jouant à bien des égards un rôle d’impulsion et d’inspiration. Il est vrai que son triple statut d’entité politique supranationale, de premier partenaire commercial des pays en développement et de premier pourvoyeur d’aide la prédisposait à tenir ce rôle (Brodin, 2006).

En effet, l’UE a progressivement fait de la coopération au développement l’un des piliers de sa politique extérieure, avec la politique commerciale et le dialogue politique. Aussi ambitionne-t-elle désormais d’atteindre dans ce domaine un poids politique qui soit proportionnel à son poids économique et au volume de son aide [2] , afin de mieux faire entendre sa voix, d’affirmer sa différence et de promouvoir sa propre conception du développement. Instrument au service d’une politique globale, l’aide est aussi considérée par l’Union, présente dans quelque 160 pays, comme un moyen de se projeter politiquement dans le monde et de gagner en visibilité, à défaut de pouvoir exercer une véritable politique de puissance (Petiteville, 2004).

Seule une aide efficace, mieux coordonnée et plus cohérente pouvait cependant servir efficacement cette ambitieuse politique extérieure globale. Or, à la fin des années 1990, la coopération au développement de l’UE apparaissait pour le moins chaotique, avec 27 Etats membres, soit autant de susceptibilités nationales, d’approches spécifiques, d’intérêts stratégiques et de chasses jalousement gardées ; un dédale de règles et de procédures peu articulées entre elles ; une juxtaposition de bases juridiques et d’instruments, géographiques et thématiques, peu homogènes et dépendants de lignes budgétaires diverses ; et une pléthore de services chargés de la gestion et de l’exécution de l’aide, cloisonnés dans des cultures et logiques institutionnelles propres.

Au manque de coordination entre les Etats membres en matière d’aide venaient ainsi s’ajouter les persistantes lourdeurs bureaucratiques, de nombreux retards dans le décaissement des aides et un manque d’efficacité dans l’exécution des programmes (Ibid.). C’est dire combien la question de l’harmonisation et de la coordination se trouvait au centre des priorités et préoccupations de l’Union. Initiée avec la signature du Traité de Rome (1957), qui prévoyait l’association de la Communauté avec les anciennes colonies des pays fondateurs, mais reconnue officiellement qu’en 1992 (Traité de Maastricht) comme politique communautaire complémentaire à celle menée par les Etats membres, la politique de développement de l’Union réclamait donc un sérieux remaniement. Une nécessité d’autant plus impérieuse que l’aide était alors la cible de toutes les critiques.

Une vaste réforme de la coopération européenne [3] est finalement lancée en 2000. Réforme organisationnelle d’abord, qui va aboutir à la création d’une entité unique, l’Office de coopération EuropAid. Chargé de l’exécution des instruments de l’aide dans le monde entier, des relations avec les autres donateurs ou encore de la simplification et de l’harmonisation des procédures, EuropAid regroupe désormais sous une seule coupole les directions géographiques historiques de la coopération européenne, à savoir la direction générale du développement pour les pays ACP (DG Dev) et la direction générale des relations extérieures (DG RELEX) en charge de toutes les autres régions du monde, à l’exception des pays candidats à l’adhésion, placés sous la responsabilité exclusive d’une direction spécifique. Réorganisées depuis peu en quatre entités distinctes, les directions géographiques sont chargées des relations politiques bilatérales, de la planification, de la cohérence et de la mise en œuvre « régionales » des aides [4] .

Pierre angulaire de la réforme, un processus de déconcentration a également été entrepris qui donne plus de responsabilités, de ressources et de moyens humains aux délégations de la Commission dans les pays tiers, afin de renforcer le dialogue avec les partenaires, d’améliorer l’exécution des programmes au niveau local et d’assurer une meilleure coordination avec les autres donateurs sur place, en lien étroit avec EuropAid [5] .

Réformes des pratiques et des modalités d’acheminement des aides ensuite. Pour répondre au besoin de cohérence et assurer une plus grande complémentarité entre les différents programmes et politiques, les directions sont invitées à travailler en étroite collaboration avec les autres directions de la Commission assumant une certaine responsabilité en matière d’aide extérieure (Commerce, Pêche, Agriculture, etc.), le Parlement ou encore les Etats membres, notamment pour ce qui est de l’élaboration des documents de stratégie nationale et régionale (« Country Strategy Paper » – CSP ; « Regional Strategy Paper »). Planifiant les actions sur cinq ans, ces documents établissent les secteurs d’intervention « prioritaires » de l’aide communautaire, définissent les modalités d’intervention, un cadre de suivi, des indicateurs de résultat et assurent théoriquement la complémentarité et la cohérence des programmes, sur le modèle des Documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP), utilisés depuis la fin des années 1990 par les IFI (Banque mondiale, FMI) comme instrument de « prise en charge locale », sur lesquels ils doivent en principe s’aligner.

Négociés officiellement avec les pays partenaires (Gouvernement, Parlement et société civile), à l’instar des DSRP, ils sont censés mettre en pratique le principe de l’appropriation, clé de voûte de la nouvelle architecture mondiale de l’aide (Brodin, 2006). Appelées enfin à devenir la modalité principale d’acheminement de l’aide de l’Union, les aides budgétaires et sectorielles connaissent actuellement une hausse constante. En renforcement des capacités budgétaires nationales, elles sont supposées elles aussi mettre en œuvre le principe de l’appropriation locale.

Vision et politique communes pour le développement : le Consensus européen

L’adoption fin 2005 par la Commission, le Conseil et le Parlement, d’un « Consensus sur le développement » a été le point culminant de la réforme européenne de l’aide. Etablie sur le modèle de la Stratégie commune de sécurité [6] , cette déclaration associe, pour la première fois, les Etats membres à la politique communautaire et les engage jusqu’en 2010, « dans un esprit de complémentarité », autour d’une « stratégie européenne de développement », qui se fonde elle-même sur une « vision commune du développement » (Ibid.).

Plus qu’un cadre politique commun, le Consensus entend en effet promouvoir une conception et un projet propres, « typiquement » européens, en matière de développement, et mettre en évidence l’originalité de l’action de l’Union européenne dans le monde, son rôle moteur dans la lutte contre la pauvreté et l’importance de sa contribution en matière d’aide.

Synthétisant l’ensemble des textes, des dispositions et engagements de l’Union, mêlant tout à la fois déclarations d’intentions, points de vue moraux et normatifs, formules autocélébratrices, justifications éthiques et argumentaires théoriques, le Consensus se présente comme un plaidoyer en faveur d’un monde « solidaire », « harmonieux » et « multipolaire », basé sur le dialogue, le multilatéralisme, la justice, l’équité, le respect du droit et des engagements internationaux, et comme une prise de position unanime pour une mondialisation mieux maîtrisée et plus équilibrée appelée à devenir « une force positive pour l’humanité toute entière » (Consensus européen, art. 39).

D’emblée le texte rappelle que la politique de développement de l’Union se trouve au « cœur des relations que l’Union européenne entretient avec l’ensemble des pays en développement » (art.1) et que l’objectif premier de cette politique – qui est censé recouvrir tous les autres – est « (…) l’éradication de la pauvreté dans le contexte du développement durable, (…)(art. 5). Un objectif qui ne doit pas seulement répondre à une « obligation morale », mais avoir en vue un autre impératif, celui d’« (…) édifier un monde plus stable, plus prospère et plus juste, témoin de l’interdépendance entre les pays riches et les pays pauvres » (art.1).

Aussi l’action de l’Union européenne ne doit-elle pas seulement se limiter à des mesures visant directement la réduction de la pauvreté, mais contribuer aussi à asseoir les conditions économiques, politiques et institutionnelles jugées indispensables au développement, et sans quoi la lutte contre la pauvreté serait vouée à l’échec. De même qu’est rappelé le caractère multidimensionnel de la pauvreté, le développement est donc conçu comme un processus global qui intègre plusieurs dimensions telles que « la gouvernance, les droits de l’homme, ainsi que des aspects politiques sociaux et environnementaux » (art. 7).

Reconnaissant que le développement est une responsabilité collective qui incombe à la communauté internationale, elle insiste également sur le fait que les pays bénéficiaires sont les « premiers responsables de leur développement » (art. 2). A eux d’en définir les priorités et d’en assurer les conditions ; aux pays développés de les y aider par le dialogue, le partenariat, la fourniture d’une aide plus importante et de meilleure qualité et une plus grande cohérence et complémentarité des politiques pour le développement.

Comme acteur international majeur, l’UE entend à ce titre jouer un rôle d’impulsion et montrer l’exemple en fondant sa politique de coopération sur un socle de valeurs (respects des droits humains et des libertés fondamentales, paix, bonne gouvernance, égalité hommes/femmes, Etat de droit, solidarité et justice) et de principes communs (appropriation et partenariat, dialogue politique approfondi, participation de la société civile, égalité des sexes et engagement continu afin de prévenir la fragilité des Etats) appelés à guider toutes ses actions et promus comme tels dans le monde.

Tout en affirmant que les objectifs de la politique de coopération « seront poursuivis dans tous les pays en développement et appliqués à la composante aide au développement de toutes les stratégies communautaires de coopération avec les pays tiers » (art. 42), l’UE promeut cependant une approche différenciée. La politique de coopération doit être « conçue sur mesure pour chaque pays ou région partenaire, fondée sur les besoins, les stratégies, les priorités et les atouts propres aux pays (art. 57) [7] .

De même, pour éviter « de disperser ses efforts dans de trop nombreux secteurs » (art. 67), l’UE entend circonscrire son action à

un nombre strictement limité de domaines. En particulier ceux où la « taille et la masse critique sont particulièrement importants » (art. 52) et pour lesquels elle estime avoir un « avantage comparatif » et apporter une réelle « valeur ajoutée » [8], compte tenu de son poids économique et la qualité de son expertise. « Complémentaires entre eux et aux secteurs d’activité des Etats membres », les domaines de concentration choisis doivent également intégrer certaines questions dites « transversales » [9].

Sont repris enfin et clairement réaffirmés les engagements internationaux de l’UE en matière d’aide et de coopération internationale : poursuite du processus de Paris sur l’harmonisation et l’efficacité des aides ; promotion du multilatéralisme et du droit international ; renforcement des synergies avec les différentes institutions internationales (OMC, FMI, Banque mondiale, ONU, OIT, etc.) ; amélioration de la cohérence et de la complémentarité entre les politiques communautaires et celles des Etats membres ; suppression des aides liées ; acheminement de plus de la moitié de l’aide sous forme d’appui budgétaire et sectoriel ; poursuite des annulations de dette dans le cadre de l’Initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) ; accroissement collectif du volume d’aide [10], etc.

L’ensemble de ces engagements et la spécificité de la politique de coopération de l’UE doivent pouvoir, insiste la Déclaration, « optimiser les bienfaits du processus de mondialisation » et « répartir les charges qu’il impose d’une manière plus équitable pour les pays en développement dans une perspective de paix et de stabilité globale et sur la réduction des inégalités qui sont à l’origine d’un grand nombre des principaux défis auxquels le monde actuel est confronté » (art. 39).

Reste maintenant à confronter la théorie et la pratique, la rhétorique du discours de l’UE et la réalité de sa mise en œuvre sur le terrain. Qu’en est-il de la portée réelle des promesses et engagements de l’Union ? Son souci marqué de promouvoir l’appropriation de l’aide se traduit-il par un réel transfert de responsabilité vers l’Etat bénéficiaire et un élargissement du pouvoir de décision des acteurs locaux dans le choix des priorités nationales de développement ? Les priorités établies dans les programmes d’aide de l’UE rejoignent-elles celles des bénéficiaires, en particulier celles des catégories les plus pauvres. Ces priorités correspondent-elles aux grands objectifs, valeurs et principes censés guider les politiques de l’UE ? Comment cette dernière gère-t-elle les paradoxes et les effets pervers inhérents à toute relation d’aide ? Vue du Sud, l’Europe est-elle réellement l’acteur « vertueux » et « désintéressé » qu’elle prétend être dans le domaine de l’aide extérieure ?

Processus d’appropriation paradoxal

Dans l’esprit de la Déclaration de Paris, l’« appropriation » est conçue comme le sommet d’une pyramide conceptuelle dont l’harmonisation des politiques d’aide (arrangements communs, simplification des procédures, partage de l’information) forme la base, c’est-à-dire l’étape ou la condition première d’un transfert progressif de responsabilité vers l’Etat récepteur, et l’alignement (alignement sur les priorités locales et utilisation des systèmes nationaux) la strate intermédiaire. De la base au sommet, les paliers sont considérés comme autant de passages obligés vers une plus grande « prise en charge » par le pays, avec au final la possibilité pour le pays récepteur de prendre le leadership et d’exercer une réelle maîtrise sur les programmes de développement. Belle armature théorique en somme, mais qui à y regarder de plus près comporte de lourdes ambiguïtés (Ibon, 2007).

Le renforcement de la coordination entre les bailleurs de fonds et l’harmonisation de leurs politiques, auxquels s’emploie notamment l’UE, ne sont par exemple pas sans conséquence sur le processus d’appropriation. Car si la coordination et l’harmonisation sont supposées améliorer l’efficacité de l’aide, en diminuant notamment les coûts de transaction liés à la présence de nombreux acteurs dans le champ de l’aide, elles ont aussi pour effet de renforcer considérablement la position des « donateurs » dans la négociation au risque de limiter l’autonomie des Etat bénéficiaires. Une situation paradoxale considérant l’objectif de prise en charge locale. Réunis dans « une configuration en cartel » et motivés par des objectifs communs, les donateurs pourront en effet plus facilement imposer un rapport de force, peser sur les politiques théoriquement définies par le partenaire local, faire primer leurs intérêts et leurs priorités et, surtout, garantir le respect des conditionnalités qui restent attachées au décaissement de l’aide (Bigsten, 2006 ; Cling 2006).

Conditionnalités qui sont d’abord de nature politique. Pour rester cohérente avec sa vision du développement, l’UE n’accorde en principe son aide qu’aux Etats qui manifestent une réelle volonté de garantir le respect de la démocratie, des droits humains, de l’égalité homme-femme, qui amorcent le dialogue avec les acteurs de la société civile ou encore qui s’engagent dans des réformes de « bonne gouvernance ». Ceci dit, dans la pratique, et selon les pays et les régions considérés, ces conditionnalités sont malléables. Leur portée est à géométrie variable. Les comportements attendus peu précisés, sauf peut-être en matière de « bonne gouvernance » pour laquelle l’UE dispose d’un code de conduite précis et d’indicateurs.

Aussi, le non respect des conditionnalités en matière de démocratie ou encore de droits de l’homme par les gouvernements partenaires n’aboutit pas systématiquement, voire qu’en de rares occasions, au retrait de l’aide (Petiteville, 2004). Realpolitik sans doute oblige ! En revanche, les efforts consentis pour présenter le bon « profil de gouvernance » attendu de l’UE permettent éventuellement à un pays de bénéficier de « montants incitatifs complémentaires » (Padilla, 2008).

Conditionnalités de nature économique ensuite. Malgré la volonté affichée par l’UE de réduire leur influence, suite aux vives critiques dont elles ont fait l’objet durant la période d’ajustement, ces conditionnalités pèsent encore lourdement bien que sous une forme plus indirecte que par le passé. Il en va ainsi des mesures préconisées en matière de « bonne gouvernance » et de réformes institutionnelles qui, derrière un jargon technique et administratif, indiquent aussi les comportements économiques attendus des pays bénéficiaires (libéralisation, transparence des marchés, soutien au secteur privé, etc.). Aux anciennes prescriptions en termes de politique économique s’est substituée une approche centrée sur l’évaluation des progrès accomplis. D’une « logique de contrôle a priori » on est ainsi passé « à une logique de contrôle a posteriori sur base d’une évaluation globale de leurs efforts plutôt que le respect de toute une série de conditions spécifiques » (Totté, 2003).

Et que dire alors des plans nationaux de développement et autres cadres stratégiques sur lesquels les donateurs sont maintenant invités à aligner leurs politiques d’aide ? Bien que leur élaboration et donc le choix des priorités de développement sont en principe laissés à l’initiative des pays récepteurs de l’aide, leur mise en œuvre reste soumise à l’approbation des institutions financières internationales, en particulier en ce qui concerne le volet budgétaire et les questions d’ordre macroéconomique. Garants de l’orthodoxie libérale, FMI et Banque mondiale se réservent donc encore le droit de refuser un programme de développement national s’il ne correspond pas à leurs attentes.

De la même manière, l’octroi des « Facilités pour la réduction de la pauvreté et la croissance » (initiative largement soutenue par l’UE) qui permet aux pays de bénéficier d’un allègement de leur dette ou de crédits complémentaires à des conditions avantageuses, reste lié à des critères de performance économique et à certaines avancées accomplies en matière de libéralisation et de réforme de marché. Ici encore, d’un type de conditionnalités ex ante – comme ce fut le cas durant la période précédente avec les prescriptions de l’ajustement structurel – on est passé à un type de conditionnalité ex post (Ibon, 2007).

C’est dire que si appropriation il y a, encore faut-il bien voir qu’il s’agit là d’une forme d’appropriation étroitement balisée, en contradiction avec le discours officiel sur la « prise en charge locale ». Or, l’UE continue à lier ses aides au respect des engagements pris par les Etats récepteurs vis-à-vis des IFI (CIDSE, 2007). Comment s’étonner dès lors qu’une majorité de gouvernements nationaux choisissent de s’adapter aux exigences requises afin d’obtenir l’aide plutôt que de proposer des stratégies de développement autonomes plus en phase avec les attentes, les besoins et réalités de leurs sociétés ? Ou encore que les Etats bénéficiaires se montrent bien plus soucieux de rendre des comptes aux donateurs et institutions financières plutôt qu’aux populations locales ?

Participation des acteurs de la société civile en question

Venons-en justement à la place réservée aux acteurs locaux, l’appropriation ne concernant pas seulement l’appropriation par le gouvernement, mais renvoyant également à l’« ancrage des décisions importantes dans les institutions démocratiques du pays aussi bien que dans sa société civile pour les influencer » (Ibid.). En principe, ces acteurs sont donc eux aussi invités à débattre des priorités nationales et régionales en matière de développement. Car, si l’UE concède que les gouvernements nationaux sont ses interlocuteurs privilégiés, elle reconnaît en même temps aux acteurs non étatiques (acteurs économiques et sociaux, organisations d’employeurs, secteur privé, ONG, etc.) un « rôle essentiel en tant que promoteurs de la démocratie, de la justice sociale et des droits de l’homme ».

C’est pourquoi elle entend encourager leur participation via la promotion d’un dialogue « politique, social et économique » qui se veut ouvert et inclusif sur les priorités et stratégies de développement, et apporter « son soutien au développement » de leurs capacités (Consensus européen, art. 18). Entant donné « le rôle essentiel de surveillance joué par les représentants des citoyens élus démocratiquement » (Ibid., art. 16), les assemblées nationales et les autorités locales sont elles aussi invitées à prendre une part active au processus.

Entre les déclarations de principes et leur traduction sur le terrain, il faut cependant bien admettre que la distance est grande. Tant dans la formulation des stratégies par pays que dans le suivi et l’évaluation a posteriori des programmes nationaux et régionaux, le rôle des acteurs non étatiques apparaît pour le moins marginal. Certes, des mécanismes et des dispositifs ont été créés qui visent à les inclure. Des canaux existent désormais qui permettent de faire remonter les propositions de la base au sommet. Des efforts ont été réalisés pour renforcer la transparence et accroître la responsabilisation du gouvernement ou des donateurs vis-à-vis des citoyens par une meilleure diffusion de l’information.

Mais, comme l’ont montré les rapports de la CIDSE et d’Eurostep, basés sur des études de terrain (en Ethiopie, au Cameroun, en Tanzanie, au Guatemala, au Bangladesh, au Bénin, etc.), le dialogue politique avec les acteurs non étatiques reste faible. La concertation n’est pas systématique, rarement institutionnalisée, plus formelle que réelle. Le plus souvent ponctuelles, mal préparées, orientées par un ordre du jour imposé d’avance, et pas toujours représentatives de l’ensemble des acteurs locaux, les réunions conjointes se limitent dans la plupart des cas à des consultations générales, voire à de simples informations (CIDSE, Eurostep, 2007). Parfois, il s’agit juste de susciter l’adhésion des acteurs à des objectifs prédéfinis.

Et quand des espaces plus larges de dialogue sont mis en place, ils ne concernent souvent que les domaines étroits de la « lutte contre la pauvreté » (santé, éducation, soutien alimentaire, etc.). En revanche, les sujets jugés politiquement plus sensibles (politiques macroéconomiques, intégration commerciale, migrations, etc.) sont pratiquement soustraits au champ de la participation. Et leur discussion, comme l’a montré notamment une étude approfondie du processus d’élaboration du CSLP au Mali, scrupuleusement encommissionnée, laissée à des comités d’experts à l’abri du regard de la société civile et parfois hors de portée du contrôle parlementaire (Cissoko, Touré, 2005) [11] .

L’exemple du Nicaragua est éclairant. Bien que l’UE prétende dans ses documents soutenir l’implication de l’ensemble des acteurs nationaux dans les processus budgétaires, l’établissement des modalités de l’appui budgétaire – forme principale de délivrance de l’aide communautaire au Nicaragua qui devrait représenter près de 80% des montants alloués dans le cadre du programme 2007-2013 – y a été confié à une commission spécialement créée à cet effet qui ne réunit que des représentants du gouvernement et ceux des donateurs. Pas même la commission économique du Parlement n’a été conviée officiellement aux réunions de ce groupe d’appui budgétaire (CIDSE, 2007).

Le cas du Nicaragua est loin d’être isolé. Il témoigne, comme d’autres, du manque d’intégration et de participation des acteurs de la société civile au processus, mais aussi du caractère paradoxal des nouvelles modalités d’attribution de l’aide. En effet, alors que l’appui budgétaire est théoriquement supposé mettre en œuvre le principe de l’appropriation, il tend aussi, dans la pratique, à éloigner les acteurs des sociétés civiles locales des centres de décisions stratégiques et renforce la position des donateurs, et parfois même celle de gouvernements nationaux pas toujours redevables vis-à-vis de leur population.

Ainsi, note le rapport de la CIDSE, « (…) la base des négociations sur le budget entre les gouvernements et les donateurs excluent (sic) souvent les sociétés civiles et le public en général ». Et de poursuivre : « Jusqu’ici, l’aide budgétaire a renforcé les décisions politiques à huis clos » (Ibid.). Un cloisonnement qui tranche singulièrement avec la volonté de l’UE de promouvoir un processus ouvert et inclusif.

Au bout du compte, le problème qui est posé concerne tout autant le processus d’appropriation au sens large que le processus de démocratisation des structures de pouvoir au niveau national. Dans l’un comme dans l’autre, il faut bien admettre qu’on est loin du compte. Malgré les promesses et engagements de l’UE d’accroître le rôle de la société civile, de renforcer ses capacités, d’améliorer la transparence et de mieux ancrer dans la réalité le principe de « responsabilité mutuelle », le chemin à parcourir semble encore long.

Dans son rapport au titre évocateur, « Nous décidons, vous vous l’appropriez », Eurostep fait ainsi remarquer qu’entre les négociations du 9e (2001-2006) et du 10e Fed (2007-2013), les progrès réalisés en termes de participation de la société civile et d’appropriation réelle du processus par les acteurs locaux ont été insuffisants, voire nuls. De même, les avancées accomplies pour accroître la transparence du processus de décision et rendre les autorités comptables vis-à-vis des populations paraissent dérisoires, ce qui n’a pas été sans effet sur le manque d’implication et de motivation des acteurs locaux (2007).

Hiérarchisation orientée des priorités

L’indicateur le plus important du manque d’appropriation locale et de l’asymétrie qui caractérise encore les rapports entre l’UE et ses partenaires est sans doute le choix des priorités de financement et des domaines de concentration de l’aide. Il suggère en effet que, en dépit de ses déclarations de principes sur la prise en charge locale, l’Union tend encore à faire primer ses propres priorités sur celles des pays récepteurs de son aide.

Cela semble évident par rapport aux questions de « bonne gouvernance » définies comme prioritaires dans la plupart des programmes nationaux et régionaux 2007-2013. Lors de rencontres avec les représentants des pays ACP, note Eurostep, « la CE a en effet clairement indiqué qu’une part substantielle des financements serait allouée au renforcement de la Gouvernance, quelles que soient les priorités nationales identifiées » (2007). En dépit des réticences des acteurs locaux et parfois même des délégations de la Commission, elle a aussi demandé expressément, dans certains cas, aux pays de repenser la hiérarchie des priorités pour satisfaire à ses critères de bonne gouvernance (Ibid.). Ce qui n’a pas manqué de susciter de vives critiques tant de la part des acteurs des sociétés civiles du Sud et du Nord qui dénoncent l’instrumentalisation du concept par l’Union pour imposer ses propres options, que de la part de nombreux gouvernements nationaux qui y voient une atteinte à leur souveraineté.

Il faut dire que ces critères renvoient aussi bien aux domaines traditionnels de la bonne gouvernance (transparence, lutte contre la corruption, responsabilité, droits humains) qu’à des questions de politiques sécuritaires et migratoires, de lutte contre le terrorisme, de mesures favorables au secteur privé, etc. Bref, autant de problématiques qui semblent davantage répondre « aux propres intérêts prioritaires de l’Europe » qu’aux préoccupations et aspirations des populations concernées, et donnent l’impression aux pays ACP que « l’aide de la CE pourrait financer leurs écoles s’ils privatisaient leur économie ou combattaient activement le terrorisme et les migrations illégales » (Ibid.). Notons aussi que, parmi les critères de bonne gouvernance définis par l’UE, seul un est directement en lien avec les OMD et aucun n’inclut la problématique de la participation. Etrange pour un donateur qui déclare faire de la lutte contre la pauvreté sa priorité et œuvrer activement au renforcement de la société civile !

Les autres priorités d’investissement établies pour la période 2007-2013 soulèvent elles aussi des interrogations sur la réalité du processus d’appropriation, les objectifs poursuivis par l’UE et son engagement plusieurs fois répété en faveur de la lutte contre la pauvreté. MirjamVan Reisen et Simon Stoker montrent par exemple combien la priorité absolue donnée, dans nombre de documents de stratégies de l’UE, à des secteurs tels le transport, le commerce et l’intégration régionale, contraste avec la faiblesse des engagements financiers pour des volets assurément plus en phase avec les thèmes de la lutte contre la pauvreté et du développement social.

« Concernant plus spécialement le cas africain, écrivent-ils, la Commission européenne a de manière préoccupante cessé de prioriser l’appui aux secteurs sociaux (…) depuis 2001, l’UE a intégré à son budget des objectifs pour l’assignation de son aide à la santé ou l’éducation de base. Or aucun de ces objectifs n’a été atteint. Dans le cas de l’éducation de base, la proportion de l’aide allouée est tombée de 3,99% en 2000 à 2,73% en 2005. Et l’analyse des programmes nationaux pour la période 2007-2013 suggère que les objectifs de l’Europe ne seront toujours pas réalisés (…). Sur 61 programmes analysés, seuls cinq situent l’éducation comme priorité et seulement 10 accordent une priorité à la santé. Aucune action en matière de lutte contre le sida n’a été identifiée (…). Et dans un pays seulement, l’égalité de genre a été identifiée comme secteur prioritaire. (…) Deux rapports indépendants publiés sur la politique de la Commission européenne en matière de santé aboutissent à la conclusion que les montants attribués au secteur de la santé ont diminué de 7 à 5% entre 1996 et 2005 » (2007).

Certains secteurs, en revanche, ont reçu une attention toute particulière. C’est notamment le cas du secteur du transport, cité souvent par l’UE comme exemple d’appropriation locale, et pour lequel un accroissement substantiel de l’aide est prévu [12]. Pour les auteurs, la conclusion est sans appel : dans son agenda en matière de coopération, les intérêts en matière d’investissement et de compétitivité de l’UE priment sur les intérêts locaux.

L’UE se défend de telles accusations. Aussi insiste-t-elle sur le fait que les appuis budgétaires compensent la baisse de ses investissements directs dans le domaine de la santé et de l’éducation, en renforçant les capacités de l’Etat à prendre lui-même en charge ces secteurs. Elle rétorque aux critiques qui soulignent son manque d’intérêt pour certains thèmes (égalité de genre, sida) qu’existent des programmes transversaux destinés à traiter ces matières et que celles-ci sont en principe intégrées aux initiatives prévues dans le cadre des domaines de concentration retenus. Quant à la priorité donnée au secteur des transports, communications et infrastructures, en Afrique en particulier, elle souligne qu’il s’agit là d’une réelle préoccupation locale, car partant d’une demande de nombreux gouvernements. Elle estime en outre fondamental le financement de ces secteurs pour stimuler la croissance et le développement économique.

Tel est aussi le rôle assigné aux aides économiques et à l’intégration régionale, dont les retombées sur le plan général du développement ne font pour elle guère de doute. Les objectifs de croissance et la lutte contre la pauvreté sont pour l’UE étroitement complémentaires. Son aide doit aussi pouvoir stimuler, explique-t-elle, « une croissance équitable et écologiquement viable, une intégration en douceur et progressive dans l’économie mondiale, (…) » (Consensus européen, art. 72).

Reste que le lien entre ces domaines de concentration de l’aide européenne et l’objectif global de lutte contre la pauvreté apparaît pour le moins ténu. Comme l’indique la CIDSE, « (…) les allocations ainsi que les déboursements réels montrent une priorité qui fait naître des doutes sur l’orientation des aides de la CE en matière de réduction de la pauvreté » (2007). Dénonçant le manque d’alignement des politiques de l’UE sur les priorités et besoins réels, nombreux sont ceux aussi qui s’étonnent du peu d’attention que la Commission porte au développement rural en Afrique, alors que cette priorité y fait l’objet d’un large consensus, en particulier au sein des sociétés civiles, et qu’a souvent été soulignée l’importance fondamentale de ce secteur dans la lutte contre la pauvreté [13].

De leurs côtés, les acteurs sociaux latino-américains s’alarment de la quasi absence de débat sur les questions de politiques redistributives, alors que la problématique de la cohésion sociale a été définie comme secteur prioritaire dans les accords régionaux entre l’Amérique latine et l’Europe, et que l’on sait l’étroite corrélation qu’il y a entre pauvreté et inégalité ! Selon eux, dans le dialogue intercontinental, l’UE tendrait de plus en plus à préférer aux ambitieux objectifs politiques et sociaux de départ, des actions destinées à assurer la survie économique (Morales López, 2007).

Constat identique pour certaines questions dites « transversales » (égalité des sexes, sida, démocratie), pour lesquelles aucune intervention spécifique n’est prévue. Enfin, il n’est toujours pas prouvé que l’appui budgétaire permette de lutter plus efficacement contre la pauvreté. Des fonctionnaires de l’Union européenne reconnaissent d’ailleurs qu’il sera difficile de faire un suivi des montants accordés à titre d’aide budgétaire, qui seront effectivement alloués aux écoles ou encore aux hôpitaux (Van Reisen, Stocker, 2007).

Au-delà du seul champ de la lutte contre la pauvreté, c’est aussi l’orientation générale dans laquelle s’inscrit la politique de développement de l’UE qui est remise en cause. La « croissance économique, note le rapport de la CIDSE, est toujours vue par la CE comme une machine à développer et à réduire la pauvreté – en dépit du fait que l’on n’atteindra pas les OMD par la seule croissance économique, aussi longtemps que cette croissance ne touche pas les pauvres. Les priorités de l’aide exprimées sur ce fondement économique – telles que la construction d’axes routiers servant de routes commerciales ou le soutien à l’intégration régionale au moyen de l’aide peuvent alors être discutées : la réduction de la pauvreté est-elle vraiment l’objectif primordial de ces approches (…) ? » (2007). La question mérite d’être posée au vu des nouveaux Accords de partenariat économiques (APE) que l’UE tentent actuellement de conclure avec les régions ACP.

Politique de développement subordonnée ?

Dans ses déclarations de politique extérieure, l’UE ne cesse d’insister sur l’importance et la nécessité d’une plus grande cohérence et d’une articulation plus étroite entre les différentes politiques (commerce, pêche, agriculture, politique migratoire, etc.) et stratégies communes, objectif qui est également clairement énoncé dans le Consensus européen : « Nous réaffirmons notre engagement à promouvoir la cohérence des politiques pour le développement, en garantissant à cette fin que l’UE tient compte des objectifs pour la coopération au développement dans toutes les politiques qu’elle met œuvre et qui sont susceptibles d’affecter les pays en développement, et que ces politiques soutiennent des objectifs en matière de développement » (2006, art. 9).

Et de préciser plus loin que la coopération au développement « est un élément essentiel d’un ensemble plus vaste d’actions extérieures, qui sont toutes importantes et devraient (…) se soutenir mutuellement et ne pas être subordonnées les unes aux autres » (art. 58). En principe donc, la recherche de cohérence devrait aussi guider les autres volets de la politique extérieure de l’UE, dialogue politique et surtout politique commerciale. Or, c’est certainement dans leur articulation que se donnent à voir toutes les contradictions du discours et de l’action de l’UE, qui semble être passée maître dans l’art d’allier rhétorique humaniste et stratégies commerciales opportunistes.

En témoignent les nouveaux Accords de partenariat économiques (APE) que l’Union cherche à conclure avec les pays ACP et qui visent à faire aboutir le volet commercial des Accords de Cotonou (2000). Officiellement motivés par la lutte contre la pauvreté, les Accords de Cotonou [14] ont marqué la fin d’une relation historique privilégiée avec les ACP, fondée depuis plusieurs décennies sur un régime commercial préférentiel [15] , en programmant la suppression progressive des préférences, l’instauration d’une régime de réciprocité commerciale et la création de zones de libre-échange via un soutien à l’intégration régionale.

Laissée à l’initiative des acteurs locaux, l’intégration régionale est considérée par l’Union comme une étape indispensable à une meilleure insertion de ces pays dans l’économie mondiale. Avec les APE, la priorité est donc désormais donnée à une libéralisation progressive et réciproque des marchés, processus lui-même supposé créer une dynamique de croissance et stimuler le développement. La logique sur laquelle repose les APE est simple. Elle n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle qui sous-tendait la politique d’ajustement structurel des IFI. Plus poussée sera l’insertion des ACP dans l’économie internationale, plus grande sera leur chance de profiter des « bienfaits » de la mondialisation. Plus ouverts seront leurs marchés, plus nombreux seront les investissements et les gains en termes d’exportation et de productivité. Et plus compétitives seront leurs économies, plus vite seront atteints les objectifs du développement. Mais le credo de l’Union est quelque peu différent de celui des IFI, dans la mesure où le processus d’ouverture et de désarmement tarifaire doit être encadré et s’accompagner de mesures qui limitent les risques potentiels d’une telle insertion pour les catégories les plus pauvres. C’est là une des fonctions explicitement assignées aux politiques de coopération au développement.

Reste que, comme le note l’éditorial de la revue Passerelles, si les dangers potentiels d’une libéralisation réciproque sont largement prouvés, les bienfaits supposés sont grandement incertains pour les ACP (2007). Nombreuses sont en effet les études qui montrent que les retombées économiques pourraient se révéler essentiellement négatives pour les économies des pays ACP. Bien que structurellement fragiles, celles-ci auront à supporter pratiquement seules l’ensemble des coûts d’ajustement liés aux mesures prévues par ces accords au risque de remettre en question les objectifs de lutte contre la pauvreté eux-mêmes [16].

« Le plupart des gouvernements ACP, note Oxfam, sont fortement dépendants des rentrées douanières pour augmenter leurs recettes publiques. La Banque mondiale estime qu’en Afrique subsaharienne les recettes douanières représentent en moyenne 7 à 10% des revenus fiscaux de l’Etat. Les gouvernements de Gambie et du Cap Vert tirent par exemple jusqu’à 20% de leurs recettes des droits de douane. Les produits de l’UE représentant 40% des importations totales de l’Afrique subsaharienne, éliminer les droits de douane sur les produits européens réduirait considérablement les recettes douanières de ces pays. (…).

Ces pertes auraient probablement des conséquences sérieuses sur le budget de l’Etat (…). Cela pourrait mettre en danger les programmes sociaux et aboutir à des coupes dans les investissements en matière de santé et d’éducation. Ainsi au Congo la perte de recettes douanières due aux APE est à peu près équivalente à l’ensemble des dépenses publiques en matières d’éducation » (2006).

De même, ces accords de libéralisation pourraient avoir des conséquences catastrophiques pour les petits producteurs ruraux qui seront directement mis en concurrence avec des agents économiques européens, plus compétitifs et largement subventionnés. En définitive, il est à craindre que ces accords renforcent la dépendance des pays ACP aux importations européennes, les confortent dans un position d’exportateurs nets de produits primaires, conduisent à l’effondrement des quelques secteurs industriels existants et minent les capacités des gouvernements locaux à soutenir des politiques de développement économiques durables.

L’Union a beau insister sur l’idée de processus progressif et négocié, de « partenariat d’égal à égal » et de « bénéfices mutuels », elle semble ignorer superbement qu’elle négocie en position de force, dans une relation objectivement déséquilibrée. Il n’est en effet pas difficile de voir où se situe le pouvoir avec « (…) d’un côté les 27 pays membres de l’UE, qui ont un PNB combiné de plus de 14 000 milliards de dollars et de l’autre, six groupes de pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifiques, dont 39 font partie des 50 pays les moins avancés (PMA) au monde. (…). Même le groupe le plus grand, la région d’Afrique de l’Ouest, a un PNB plus de 80 fois inférieur à celui de l’UE (Passerelles, 2007). Un pouvoir qui permet à l’Union comme le montre clairement le déroulement des négociations, de faire primer ses intérêts et d’imposer ses thèmes, ses critères et son propre calendrier.

Pour justifier la stratégie APE, l’UE fait souvent référence à l’échec du régime préférentiel et surtout à l’impérieuse nécessité d’une mise en conformité avec les règles de l’OMC, avec lesquelles les préférences étaient devenues incompatibles. Mais l’argument ne convainc guère. D’abord parce que le cycle de Doha est au point mort du fait du refus de l’UE et des Etats-Unis de corriger, à la demande de groupes de pays du Sud, le système de deux poids deux mesures dont ils bénéficient en matière de subvention agricole notamment. Ensuite, parce qu’il est manifeste que l’UE utilise les APE pour remettre sur la table des négociations certaines questions pour lesquelles aucun compromis n’a été trouvé à l’OMC, telles les questions dites de Singapour, relatives à la politique de concurrence, à la facilitation des échanges et à la transparence des marchés publics.

En réalité, les APE et les autres accords d’association économique (avec le Mercosur, l’Amérique centrale, le Mexique, l’ASEAN, etc.) traduisent bien plus une restructuration des relations entre l’Europe et le Sud, sinon une véritable rupture par rapport aux approches privilégiées par l’UE au cours des décennies précédentes. Certains y voient une politique reposant désormais sur « une conception mercantiliste du développement, par le commerce et le marché, dans un contexte de concurrence accrue entre superpuissances économiques » (Collectif de signataires, 2007).

D’une « logique de coopération au développement abritée des turbulences de la compétition mondiale », estime Fanck Petiteville, on est passé à une « logique d’exposition des ACP à la concurrence internationale comme moyen de les arrimer à la mondialisation ». La doctrine sur laquelle repose aujourd’hui la coopération de l’UE est pour l’auteur celle d’un « co-régionalisme libre-échangiste » où le libre-échange serait en réalité la « fin dont le co-régionalisme ne constituerait qu’un moyen, de surcroît non indispensable ». Il s’agirait d’« un régionalisme ouvert (…) susceptible de procurer gains de compétitivité, économies d’échelle et réductions des coût de transaction, bref un régionalisme très proche de celui qu’accepte l’OMC comme « tremplin » vers le libre-échange multilatéral (et, du coup très en retrait par rapport au modèle « politique » et intégré sur lequel l’Europe communautaire s’est elle-même constituée) »(2004).

La Commission elle-même ne fait pas mystère de ses intentions dans une communication intitulée Global Europe : Competing in the World, où sont définis les grands axes de la politique commerciale de l’UE, qui contredisent à bien des égards son engagement pour le développement et sa volonté de mieux encadrer la mondialisation : « en termes de contenu, les nouveaux accords de libre-échange devront être ambitieux, avoir une portée plus générale et aboutir au degré de libéralisation le plus élevé possible, ce y compris une libéralisation beaucoup plus poussée des services et des investissements (…). Les restrictions sur les quotas d’importation et toute forme de droits de douane, taxes, charges et autres limitations devront être éliminées » (2006). Et d’ajouter que les accords de partenariat doivent profiter avant tout à la croissance, aux investissements, à l’emploi et aux multinationales européennes. S’éclaire ainsi d’un jour nouveau la fonction de certaines aides (transport, aide à l’intégration régionale et commerciale, bonne gouvernance, etc.). L’amélioration des cadres juridiques et institutionnels, partie intégrante des programmes de bonne gouvernance, et l’uniformisation régionale des règles en matière d’investissement et de concurrence doivent aussi servir à faciliter la pénétration des multinationales européennes, en particulier sur les marchés émergents d’Asie et d’Amérique latine, qui reçoivent d’ailleurs pour l’essentiel des aides économiques (Petiteville, 2004).

C’est dire que tout en cherchant à se démarquer d’autres acteurs globaux (des Etats-Unis en particulier) en proposant des accords qui vont au-delà de la dimension commerciale, pour y inclure une dimension de « développement régional » via le dialogue politique et l’aide au développement, elle n’en poursuit pas moins des objectifs similaires : conserver ou asseoir une présence stratégique dans le Sud, sécuriser l’accès aux marchés, faire face à la concurrence de nouveaux acteurs (Chine en Afrique par exemple) et offrir de nouvelles perspectives pour son commerce et ses investissements.

Que de tels accords puissent bénéficier équitablement à l’ensemble des parties ; que les intérêts économiques européens puissent être compatibles avec les objectifs de lutte contre la pauvreté, il est permis d’en douter. L’UE elle-même ne semble qu’à moitié y croire, quand elle souligne que ses politiques de développement doivent limiter les effets négatifs d’une mondialisation dont elle s’avère être elle-même l’un des principaux architectes. Attitude au mieux schizophrénique par rapport à son discours sur le développement, au pire cynique. Dans tous les cas, contradictoire. En dépit des discours, tout porte à croire que l’UE ferait passer ses intérêts commerciaux avant les besoins du développement. Pire, selon M’bah Abogo, l’UE subordonnerait clairement sa politique de développement à ses intérêts géostratégiques et économiques : « bien que la lutte contre la pauvreté et le développement durable se profilent comme le but ultime de la politique de coopération de l’Union européenne, estime-t-il, le renforcement de la politique extérieure de l’UE tend à subordonner l’aide à des intérêts politiques extérieurs qui n’ont que très peu de lien, voire aucun, avec les Objectifs du Millénaire. (…) d’une part sont poursuivis des objectifs de développement et de lutte contre la pauvreté, mais en même temps, à mesure que se l’UE se consolide comme « acteur international », l’aide se révèle être l’instrument de sa politique extérieure (…). La coopération au développement doit avant tout servir à semer les germes du développement humain. Or, en subordonnant l’aide à ses intérêt, l’Europe risque plutôt de semer les germes de la tempête » (2006). Le report de la signature des APE, suite à la résistance remarquée, au sommet Afrique-Europe de Lisbonne en décembre 2007, de plusieurs pays ACP, et au feu nourri de critiques dénonçant la nature des accords et les méthodes utilisées par l’UE (mode de négociation au forcing, pressions, stratégies de division, voire chantage à l’aide), en est peut-être le signe avant-coureur !

Penser le développement en dehors de l’aide

L’aide est réellement efficace lorsqu’elle contribue à libérer de l’aide. Autrement dit, lorsqu’elle prend la forme d’un soutien qui permet aux Etats et aux populations de s’affranchir du rapport de dépendance que crée la relation d’aide, pour gagner réellement en autonomie, définie au sens large de capacité à orienter son devenir selon ses priorités et ses besoins.

Une fois accepté ce postulat, alors il est possible de dépasser le débat stérile entre ce que David Booth (2005) appelle l’« approche cynique » – celle qui considère les nouvelles expériences menées en termes d’appropriation comme un moyen pour les principaux bailleurs de renforcer leur position d’acteurs dominants toute en soignant leur image – et l’ « approche naïve » – celle qui prend pour argent comptant le discours officiel sur la prise en charge locale et l’alignement des politiques d’aide sur les priorités locales –, pour envisager l’aide publique au développement comme un rapport par nature complexe et impliquant de multiples dimensions, sans préjugé ni excès de bonne conscience. Sur la question de la prise en charge locale, il ne fait guère de doute que les nouvelles modalités d’attribution de l’aide de l’UE constituent un réel progrès. Les aides budgétaires et sectorielles, par exemple, donnent une responsabilité plus grande aux gouvernements dans le choix, l’exécution et la gestion des programmes ; accroissent leur poids dans les décisions relatives à l’affectation des fonds selon les secteurs jugés prioritaires ; limitent l’érosion budgétaire ; renforcent les capacités institutionnelles de l’Etat et le rendent plus à même d’exécuter, d’encadrer et de suivre les projets, évitant du coup la multiplication de structures de gestion parallèles.

De manière générale aussi, les études montrent que l’aide européenne tend à mieux s’aligner sur les priorités définies dans les plans nationaux de développement, ce qui indiquerait que l’appropriation locale est de plus en plus effective, du moins dans certains pays et en particulier par rapport à certains thèmes souvent pris en exemple par l’UE (CIDSE, 2007). Une question doit cependant être posée : les priorités formalisées dans les documents stratégiques de l’UE reflètent-elles au plus près les choix, les aspirations et les besoins des populations locales, en particulier ceux des groupes sociaux les plus fragiles auxquels sont censées justement s’adresser les politiques de coopération au développement ?

Soulignons d’abord la contradiction qu’il y a entre la volonté de promouvoir l’appropriation et le maintien des conditionnalités auxquelles le décaissement de l’aide reste suspendu. Ces conditionnalités limitent d’emblée la gamme des possibles et rétrécissent l’espace des décisions politiques pour les acteurs de la société civile, au risque d’avoir des conséquences négatives sur les processus de démocratisation et la mobilisation des ressources nécessaires à la réalisation du projet national de développement.

C’est pourquoi elles sont aussi souvent combattues par les acteurs de la société civile. Ceux-ci dénoncent une forme d’appropriation « tronquée », « biaisée » ou encore « fictive », qui permettrait à l’UE de continuer à imposer une vision et des priorités qui ne correspondent pas toujours aux demandes et besoins locaux. Un processus d’appropriation réellement effectif exigerait que toutes les questions relatives aux politiques publiques (y compris la bonne gouvernance et les politiques macroéconomiques) puissent être débattues par l’ensemble des acteurs concernés.

Ensuite, il faut admettre que la participation et l’intégration des acteurs non étatiques sont des processus longs et complexes, qui revêtent des aspects tout autant qualitatifs que quantitatifs, et s’inscrivent dans des structures nationales et des contextes très variés. Il est illusoire de croire qu’il existe une même communauté d’intérêts entre tous les acteurs impliqués dans le processus (entre l’UE et le gouvernement récepteur, entre celui-ci et les assemblées élues, entre l’Etat et les représentants des sociétés civiles locales, entre les organisations sociales et syndicales et le secteur privé, entre les ONG internationales et les ONG locales, etc.), tout comme il est illusoire de penser que tous les contextes se valent et se ressemblent.

Les espaces nationaux tout comme les lieux où sont pensées et définies les priorités et les politiques de développement ne sont pas des espaces lisses et neutres comme le laisserait penser le langage utilisé par l’UE. Celle-ci tend en effet à réduire la participation à la simple existence de lieux matériels d’expression (salles de conférence, rencontres dans des hôtels de luxe, réunions de sensibilisation, ateliers de capacitation, tables de travail destinées à « socialiser » certains types d’informations ou d’idées, sites internet, etc.), à envisager le partenariat comme une relation d’égal à égal, sans considérer les inégalités objectives qui sous-tendent cette relation, à traiter la question de la bonne gouvernance uniquement sous un angle technique, procédurier, formel, ou encore à voir dans la société civile une entité non problématique expurgée de toute tension et tout conflit social (Boltadaño, 2006).

Le cadre national tout comme ces espaces de rencontres et de débats sont au contraire des champs de lutte, où une multitude d’acteurs, distincts tant par leur statut et leur position que par les ressources qu’ils peuvent mobiliser, entrent en concurrence pour imposer des visions et des priorités en fonction d’intérêts bien situés et souvent inconciliables. Aussi, les priorités et les options politiques qui se dégagent de ces espaces – dans lesquels la distribution du pouvoir est foncièrement inégalitaire – sont-elles essentiellement le produit de rapports de force qui permettent aux acteurs dominants d’imposer leur vue, leur agenda, de cadrer le débat et de définir les limites du possible, voire du dicible. Dans ces conditions, et en particulier dans les pays où la société civile est faiblement organisée, étroitement contrôlée par le pouvoir ou soumise à des logiques clientélistes, rarement la voix des plus pauvres et des exclus est entendue, quand bien même existent des espaces de dialogue.

Démocratiser ces espaces exigerait donc une distribution plus équitable du pouvoir entre les participants et un renforcement des capacités d’action et d’expression des acteurs les plus faibles. L’Union européenne ne peut se retrancher derrière l’argument de la « souveraineté nationale » pour éviter d’intervenir dans les arènes politiques nationales, sous prétexte qu’il est de la responsabilité des autorités locales d’organiser la participation et de susciter le dialogue avec les acteurs sociaux. Rappelons que dans de nombreux régimes, ces acteurs ne sont pas dans les bonnes grâces des gouvernements concernés. Or, comme l’indique la CIDSE, « la CE n’est pas un financier neutre et a de nombreuses politiques claires sur les normes et les comportements qu’elle attend des gouvernements » (2007). Elle devrait aussi mettre ces questions à l’agenda de ses politiques de coopération. Après tout, son devoir n’est-il pas de veiller à ce que les valeurs et les principes (liberté fondamentale, démocratie, droits humains, participation, égalité homme-femme, etc.) qui sous-tendent sa vision du développement soient effectivement mis en œuvre au niveau national.

Une contribution positive de l’UE pourrait notamment consister à s’assurer que les gouvernements nationaux amorcent un dialogue approfondi avec les sociétés civiles et exercent une réelle responsabilité démocratique vis-à-vis des populations par rapport aux stratégies menées et ressources qui sont affectées à la lutte contre la pauvreté. Certaines conditionnalités politiques pourraient à ce titre s’avérer utiles, pour autant qu’elles soient négociées avec l’ensemble des acteurs nationaux, sans exclusive aucune. Assurément, l’appui marqué aux acteurs sociaux et le renforcement de leurs capacités sont l’une des clés d’une démocratisation plus poussée des structures de pouvoir au niveau local et la garantie d’un processus d’appropriation plus effectif.

Les nouvelles orientations de l’aide européenne ont-elles un impact sur l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres ? Il faut bien admettre que les chiffres ne sont guère encourageants. Selon la CIDSE, des 7 pays étudiés, « un seul – le Bangladesh – a vu la réduction de la pauvreté progresser alors que celle-ci a stagné ou même régressé dans les autres pays » (Ibid.). Pour expliquer cette quasi absence de progrès, d’aucuns soulignent le non-respect des engagements de l’Union européenne en matière d’accroissement de son aide.

Selon l’OCDE, le volume fourni par l’Union aurait ainsi diminué de 1,7 milliard d’euros en 2007, passant de 0,41 à 0,38% du revenu national brut moyen : « 17 des 27 Etats membres européens n’ont pas augmenté leur aide officielle au développement et parmi eux 11 l’ont même diminuée ». En outre, les annulations de dette auraient été comptabilisées dans le montant total de l’aide, ce qui fait dire à Olivier Consolo, directeur de Concord, confédération européenne des ONG d’urgence et de développement que l’ « Europe aime se présenter comme le leader mondial en matière d’aide au développement, mais les chiffres prouvent que les gouvernements européens ont fait un pas en arrière » (Communiqué de presse, 4 avril 2008).

Ceci dit, l’objectif d’éradication de la pauvreté n’est pas seulement un problème d’ordre quantitatif. De même, le développement, dynamique complexe, ne peut se réduire à une analyse des problèmes de gestion de l’aide et aux remèdes pratiques préconisés pour les résoudre (Comeliau, 1996). Les flux d’aide, quand bien même ils s’élèverait à 0,7% des revenus des pays développés – comme le préconisent les Nations unies depuis de nombreuses années –, resteront quantité négligeable par rapport à l’ensemble des flux internationaux et surtout aux montants des transferts Sud-Nord.

C’est pourquoi, au-delà l’efficacité proprement dite des programmes d’aide, comme l’indique Bonnie Camptbell et Gabiel Goyette, « il est crucial de reconnaître que les structures commerciales et financières au niveau international sont très inégalitaires. L’insertion des pays récipiendaires de l’aide dans ces structures économiques asymétriques contribue à produire et à reproduire le « sous-développement » (2006). De ce point de vue, il est tout aussi pertinent de s’interroger sur la qualité de la relation que l’UE entretient avec ses partenaires du Sud que sur la compatibilité entre une politique de développement qui se veut humaniste et ambitieuse et des stratégies commerciales résolument intéressées qui contribuent à produire et reproduire ces inégalités. Bien plus qu’une augmentation de l’aide et qu’une amélioration de son efficacité, c’est à un rééquilibrage du système des relations internationales auquel aspirent les acteurs sociaux du Sud, pour lesquels l’annulation de la dette, la fin des subventions agricoles, l’arrêt des politiques de libéralisation et le rapatriement des fonds illégalement déposés à l’étranger contribueraient certainement bien plus à briser le cercle vicieux du sous-développement et de la dépendance (Dembele, 2006).

Plutôt que de s’évertuer à trouver une cohérence entre des politiques aux objectifs irrémédiablement incompatibles, l’UE devrait plutôt poser des choix. Les pressions politiques pour un rééquilibrage du système international et des politiques économiques axées sur le développement social auraient sans doute plus d’impact sur la lutte contre la pauvreté qu’une refonte du système de l’aide, bien que celle-ci soit importante et indispensable. L’Union européenne a parfaitement les moyens d’une telle ambition. Lors des discussions à l’OMC sur les préférences, explique Franck Petiteville, elle aurait par exemple pu négocier des règles plus avantageuses pour les pays ACP, sachant qu’elle était en position de force, les Etats membres de l’Union et les pays ACP représentant à eux seuls plus de la moitié des membres de l’institution. Mais comme souvent le « Business as Usual » a primé.

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Notes:

[1] Durant cette période, on a vu se multiplier les projets de coopération satellites disposant de moyens et d’un budget parfois beaucoup plus importants que les administrations publiques. C’est là tout le paradoxe d’une politique qui avait d’un côté réduit le rôle de l’Etat à sa plus simple expression et favorisé, de l’autre côté, la multiplication de coûteuses structures parallèles, financées exclusivement sur le budget de la coopération internationale, pour répondre au retrait de l’Etat dans le champ des politiques publiques (Gómez Lacayo, 2007).

[2] L’Union européenne – c’est-à-dire la Commission plus les Etats membres – fournit actuellement plus de 56,67% de l’ensemble de l’aide publique au développement des pays de l’OCDE, soit au total 46,9 millions d’euros. L’aide gérée par la Commission correspondait à 12,4 milliards d’euros de nouveaux engagements en 2006, ce qui en faisait le troisième plus important donateur des pays de l’OCDE (Commission européenne, 2007).

[3] Les termes « coopération au développement » et « aide au développement » seront ici employés indistinctement. Si cette absence de distinction est critiquable, elle n’en est pas moins justifiée par l’usage : « Du point de vue de la pratique quotidienne, expliquent deux hauts fonctionnaires européens, au sein des services de la Commission européenne, les termes « coopération » et « aide extérieure » sont interchangeables » (Rouquayrol Leda, Herrero Villa ,2006).

[4] Les quatre directions géographiques sont A) Europe, Sud de la Méditerranée et pays participants à la politique de voisinage ; B) Amérique latine ; C) Afrique subsaharienne, Caraïbes et Pacifique (ACP) ; D) Asie et Asie centrale. A ces directions « géographiques » s’ajoutent une direction (E) chargée des opérations de supervision de l’ensemble des programmes (droits de l’homme, protection de l’environnement, santé, genre, sécurité alimentaire, sûreté nucléaire et instrument pour la sécurité), une direction (F) chargée de superviser la qualité des programmes de coopération et d’en améliorer l’efficacité et l’impact, et une direction (G) qui gère les moyens humains, financiers et techniques requis par la Direction générale. Les instruments de la coopération européenne sont financés par le budget communautaire et par le Fonds européen de développement (FED) alimenté par les Etats membres mais séparé du budget de la Commission (http://eu.europa.eu/europaid/).

[5] EuropAid tend désormais à évoluer vers un rôle d’assistance, de soutien, et de plateforme d’échange d’expériences, contribuant par là « au mécanisme dit de la fertilisation croisée et à l’extension des meilleures pratiques, de sorte que les connaissances accumulées dans une région quelconque puissent être utilisées, si nécessaire, dans toute autre région du monde » (Leda Rouquayol, Herrero Villa, 2006).

[6] Adoptée par le Conseil européen en décembre 2003, la stratégie européenne de sécurité élaborée par Javier Solana précise les objectifs concrets assignés à la PESC (Politique étrangère et de sécurité commune) et rassemble pour la première fois les Etats membres de l’Union européenne autour d’une vision commune des défis et menaces : guerre, terrorisme, pauvreté, dépendance énergétique, déliquescence des Etats, criminalité organisée, etc.

[7] Cette différenciation concerne d’abord le type d’aide et le mode d’acheminement (aide liée à des projets déterminés, appui sectoriel ou budgétaire, aide humanitaire, aide à la prévention des crises, soutien à la société civile, renforcement institutionnel, etc.), selon « ce qui fonctionnera le mieux dans chaque pays » (art. 59) ; ensuite les politiques générales qui seront appliquées selon le niveau de développement des pays bénéficiaires, avec deux approches bien distinctes : pour les pays les moins avancés (PMA) ou pays à faible revenu (PFR), la priorité est donnée à l’éradication de la pauvreté, la sécurité alimentaire, l’amélioration de la gouvernance, la diversification économique, la disponibilité et l’accès aux service de base, alors que pour les pays à revenu intermédiaire (PRI) ou ayant un fort potentiel de croissance, sont privilégiées les aides au renforcement économique et institutionnel, couplées à des mesures spécifiques de lutte contre la pauvreté.

[8] Les domaines de concentration choisis par l’UE sont le commerce et l’intégration régionale ; l’environnement et la gestion durable des ressources ; l’infrastructure, les communications et le transport ; le développement rural, l’aménagement du territoire et l’agriculture ; la sécurité alimentaire ; la prévention des conflits et la fragilité des Etats ; le développement humain ; la cohésion sociale et l’emploi.

[9] Les questions dites transversales sont la démocratie, la bonne gouvernance, les droits de l’homme, les droits de l’enfant et des peuples indigènes ; l’égalité des sexes ; la durabilité environnementale ; et la question du sida.

[10] Pour ce faire, l’Union européenne a élaboré en 2005 un calendrier précis pour l’augmentation de son aide : atteindre collectivement 0,56% du PIB d’ici 2010 et 0,7% d’ici 2015. Il est prévu aussi que la moitié de ces augmentations soit allouée à l’Afrique (Brodin, 2006).

[11] Dans certains cas, même les ministres en charge des secteurs clés de la lutte contre la pauvreté (santé, éducation, etc.) ne sont pas conviés au dialogue, ni même parfois consultés (Padilla, 2008).

[12] Sur 61 stratégies nationales de l’UE, 17 donnent au transport une priorité absolue au transport. Dans le cas du Cameroun par exemple, plus de 60% de l’aide européenne seront attribués à la construction de routes (CIDSE, 2007 ; Reisen et Stoker, 2007).

[13] Révélateur du manque d’intérêt pour ces questions, lors d’une conférence de presse, à la 12e Conférence de la Cnuced qui s’est tenue au Ghana en avril 2008, Supachai Panitchpakdi, le secrétaire général de l’organisation, a ainsi pointé la responsabilité des donateurs dans la crise alimentaire actuelle, les accusant d’avoir délaissé le développement rural au profit du financement de projets de bonne gouvernance. Selon lui, entre 2000 et 2005, 1,3 milliard de dollars d’aide aurait servi à appuyer des programmes de bonne gouvernance contre à peine 12 millions pour les programmes de développement agricole. Et de réclamer ensuite, outre la suppression des subsides agricoles, une augmentation de l’aide au secteur rural pour faire face à la crise (Le Point, 19 avril 2008).

[14] Les Accords de Cotonou servent également de cadre légal à la coopération de l’Union avec ces pays. Les trois objectifs assignés officiellement aux Accords de Cotonou sont la réduction de la pauvreté, la promotion du développement durable et l’intégration progressive des ACP dans l’économie mondiale.

[15] Ce régime est effectif depuis la Convention de Yaoundé (1963), remplacée ensuite par les accords successifs de Lomé (1975, 1979, 1984 et 1989). Ce système de préférences non réciproques permettait aux pays ACP d’exporter 99% de leurs produits sans droits de douanes sur le marché communautaire tout en maintenant leurs droits sur les importations en provenance de la Communauté (Petiteville, 2004).

[16] L’accord prévoit notamment la suppression des droits de douane sur 100% des exportations des ACP vers l’Europe contre 80% des exportations européennes vers les pays ACP, ce qui limiterait à 20% la marge de protection des produits locaux face à la concurrence des biens et services européens.

Auteur: Laurent Delcourt

Sociologue et historien, chercheur au Centre tricontinental – CETRI (Louvain-la-Neuve).

Source: Alternatives Sud

Les opinions exprimées et les arguments avancés dans cet article demeurent l'entière responsabilité de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux du CETRI.

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Sommaire

Éditorial

Aide au développement de l’Union européenne : perspective critique,

Laurent Delcourt

Points de vue du Sud

-Réforme du système d’aide au développement et sociétés civiles

du Sud, Alina Rocha Menocal et Andrew Rogerson

-Préalables économiques et commerciaux à une vraie politique d’aide

européenne, Aileen Kwa

-« Conditionnalité » et « appropriation » de l’aide : quelles

contradictions ?, Antonio Tujan Jr. et Wim De Ceukelaire

-« Responsabilité » et efficacité de l’aide publique au développement,

Charles Mutasa

-Fonds européen de développement en Zambie : sans la société

civile ?, Emmanuel Mali

-Aide européenne en Amérique latine : quelle efficacité contre

l’exclusion sociale ?, Mariano Valderrama León

-Aide européenne au Guatemala et en Amérique centrale : évolutions

et perspectives, Henry Morales

-Index

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