Chomsky et Bricmont à propos du 11/9 et du « complot »

Bush, suivi par Obama, s’est servi du 11/9 pour attaquer l’Afghanistan et l’Irak. La prétendue « guerre contre le terrorisme » a servi à diaboliser les résistances en Palestine et dans le monde arabe, en Colombie et en Amérique latine ; elle a aussi servi à attaquer les droits démocratiques aux USA et en Europe. Pour les autorités, il est bon que les gens ne débattent pas sur ces manipulations, mais se limitent à discuter sans fin sur l’effondrement des tours de New York.

Dès le départ, Investig’Action a choisi de ne pas travailler et de ne pas publier sur le 11 septembre. Pourquoi ? Parce que, pour se faire une opinion solide et valable sur tous les aspects de cette affaire, il faudrait travailler longtemps. Nos moyens étant limités, nous préférons consacrer ce temps à des questions qui nous semblent plus importantes.

Exceptionnellement, nous diffusons cet article qui permettra de comprendre notre décision. Noam Chomsky et Jean Bricmont expliquent pourquoi le mouvement anti-guerre devrait plutôt rassembler ses forces à dénoncer et éclairer des complots et des stratégies incontestables.

Bush, suivi par Obama, s’est servi du 11/9 pour attaquer l’Afghanistan et l’Irak. La prétendue « guerre contre le terrorisme » a servi à diaboliser les résistances en Palestine et dans le monde arabe, en Colombie et en Amérique latine ; elle a aussi servi à attaquer les droits démocratiques aux USA et en Europe. Pour les autorités, il est bon que les gens ne débattent pas sur ces manipulations, mais se limitent à discuter sans fin sur l’effondrement des tours de New York.

Le site investigaction.net appelle tous ceux qui le peuvent à nous soutenir pour développer la contre-information sur les causes réelles des guerres et sur les médiamensonges qui les entourent.

Michel Collon et l’équipe Investig’Action

 

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Lors d’une interview donnée il y a quelques mois à la télévision iranienne Press TV, Chomsky a déclaré que les Etats-Unis n’avaient pas de preuves de la culpabilité « des personnes qu’ils ont accusées d’être impliquées dans les actes terroristes du World Trade Center et du Pentagone » (et que c’était la raison pour laquelle ils ne les ont pas fournies aux talibans et ont déclenché la guerre en Afghanistan).

 

Cela fut souvent interprété sur la Toile comme un rejet « tardif » de sa part de la « version officielle » sur les attentats. Comme il me semblait qu’il avait toujours dit la même chose, et que je ne voyais dans ces propos aucune « admission » de quoi que ce soit, je lui ai demandé comment il fallait les comprendre. Voici sa réponse :

 

« J’ai été surpris de voir que cette remarque a été interprétée comme une « admission tardive » que le mouvement qui se proclame comme étant « pour la vérité sur le 11 septembre » avait toujours eu raison en ce qui concerne cette conspiration. Cette conclusion ne repose sur rien. Mon commentaire dans l’interview répétait simplement des propositions non controversées que j’avais écrites il y a 8-9 ans, et redites souvent depuis lors.

 

En bref, en octobre 2001, les Etats-Unis et la Grande- Bretagne ont commencé à bombarder l’Afghanistan. La raison, ouvertement avancée par le président Bush, était que les talibans avaient refusé de livrer aux Etats-Unis les gens que Washington accusait d’avoir perpétré les actes terroristes du 11 septembre. Les talibans avaient signalé qu’ils pourraient accepter une extradition ou une autre forme de jugement si les Etats-Unis fournissaient des preuves de leur culpabilité, mais Washington refusa de le faire. Huit mois plus tard, la direction du FBI déclara au Washington Post que le FBI pouvait seulement confirmer qu’il croyait que le complot avait ses origines en Afghanistan mais avait été élaboré dans les Emirats Arabes Unis et en Allemagne (et, bien sûr, aux Etats-Unis). Pour citer Robert Mueller, directeur du FBI, dans ce que le Washington Post a décrit comme étant certains de « ses commentaires publics les plus détaillés concernant l’origine des attaques » du 11 septembre 2001 :

 

“Nous estimons que les têtes pensantes derrière les attentats se trouvent en Afghanistan, en haut de la direction d’al Qaida” bien que la trace du complot et du financement remontent apparemment à l’Allemagne et aux Emirats Arabes Unis. Il s’ensuit que, au moment du bombardement, le gouvernement américain n’avait pas de preuves solides à fournir aux talibans.”

 

Pour résumer, il s’agit ici simplement d’un fait qui n’est pas contesté, qui a été rapporté il y a 8 ans dans la presse nationale, et qui est exactement ce que j’ai écrit à l’époque.

 

Et, pour réaffirmer une évidence, ces faits n’ont fourni, ni à l’époque, ni maintenant, aucune raison de douter de la conclusion du FBI en avril 2002 sur la responsabilité probable d’al Qaida. Et ils ne fournissent certainement aucune indication pour appuyer les assertions du « mouvement pour la vérité sur le 11 septembre» qui, à ma connaissance, n’a avancé aucune hypothèse crédible pour rendre compte de ce qui s’est passé le 11 septembre, en particulier le fait crucial que l’administration Bush, ainsi que les commentateurs, ont incontestablement attribué la responsabilité principale des attentats à des pirates de l’air saoudiens. »

 



Note:
la suite est de Jean Bricmont et est indépendante des opinions de Noam Chomsky.

La dernière remarque de Chomsky soulève le problème de la plausibilité des scénarios conspirationnistes. En effet, si tout a été manigancé de l’intérieur (un « inside job »), pas d’avion dans le Pentagone, démolition contrôlée des tours etc., alors pourquoi diable avoir inventé des pirates de nationalité saoudienne plutôt qu’irakienne ou afghane? Après tout, l’administration Bush a tenté d’établir un lien entre le gouvernement irakien et les attentats du 11 septembre. Cela n’aurait-il pas été bien plus facile si les pirates (imaginaires) avaient été irakiens?

 

Tout le problème des conspirations est celui de leur plausibilité a priori. Imaginer que tout a été manigancé de l’intérieur et qu’on a inventé des terroristes saoudiens n’est simplement pas crédible. Mais les conspirations rencontrent d’autres problèmes du même genre: si tout a été fabriqué, cette conspiration implique-t-elle un grand nombre de personnes (la Maison Blanche, le FBI, le Pentagone, la plupart des experts ayant étudié les attentats etc.) ou un petit nombre (quelques individus félons mais haut placés)?

 

Dans le premier cas, comment se fait-il qu’il n’y a eu aucune fuite depuis lors, dans un pays où il y a eu les papiers du Pentagone, le Watergate, l’Iran-Contragate, Philip Agee1, Wikileaks et les mémos de Downing Street2? Aucune confession, même sur un lit de mort? De plus, il faut une certaine bonne volonté pour imaginer que, dans un pays où il y a tant de fuites, un dirigeant quelconque serait assez fou pour mettre sur pied une gigantesque conspiration en espérant garder le tout secret.

 

Dans le deuxième cas (une conspiration due à un petit nombre d’individus félons), on doit supposer une incompétence inouïe du reste de l’appareil d’Etat. Or, l’un des principaux arguments conspirationnistes est que, a moins qu’il y ait eu conspiration, l’appareil d’Etat ne peut pas avoir été incompétent au point de laisser passer les avions sans les intercepter etc. Mais si une conspiration due à un petit nombre d’individus félons avait eu lieu et n’avait pas été découverte, alors l’appareil d’Etat aurait fait preuve d’une incompétence bien plus grande encore que celle dont il a fait preuve le 11 septembre. De plus, comment imaginer que des milliers de conspirationnistes découvrent les ficelles du complot, tout en étant assis derrière leur ordinateur, mais que le FBI en soit incapable (à moins de revenir à l’idée d’une méga-conspiration impliquant aussi l’essentiel du FBI)?

 

Pour établir la réalité d’événements historiques, les seuls moyens vraiment fiables sont les preuves matérielles, tels des documents (authentiques). Les témoignages ou les arguments du style « il est impossible que cela se soit passé autrement (que selon le scénario avancé)» sont toujours de bien moindre qualité que les preuves matérielles. Or il n’y a aucune preuve de ce type dans les discours conspirationnistes.

 

Tout le mouvement « pour la vérité sur le 11 septembre » se concentre sur les « impossibilités techniques » soi-disant liées aux attentats: la forme du trou dans le Pentagone, la rapidité de la chute des tours etc. Mais ces problèmes techniques sont en fait très compliqués- on ne devient pas expert et aéronautique et en résistance des matériaux en quelques heures. De plus, le moins qu’on puisse dire, c’est que des expériences comme le 11 septembre ne sont pas faites tous les jours (heureusement). Or comment savoir ce qui se passe dans des phénomènes compliqués impliquant des centaines de variables sans faire d’expériences? Il ne faut pas imaginer que « La Science » a une réponse a priori à toutes ces questions, et en tout cas pas une réponse évidente pour le profane (même si des explications a posteriori peuvent être avancées). Il existe d’ailleurs des sites consacrés à la réfutation des arguments techniques des conspirationnistes (par exemple http://www.debunking911.com/ ou, en français, http://www.bastison.net/), mais ces contre-arguments sont toujours jugés comme n’étant pas « suffisamment scientifiques » par les adeptes des conspirations; étant moi-même scientifique, je trouve souvent ces contre-arguments assez techniques et compliqués. Mais je me demande toujours comment des non scientifiques peuvent être si sûrs de leur caractère insatisfaisant; c’est pourquoi je préfère m’en tenir aux arguments simples de plausibilité.

 

Le même problème s’est posé dans le passé en ce qui concerne la croyance aux miracles. Celle-ci a diminué, non pas parce que la science aurait expliqué chaque guérison supposée miraculeuse, mais parce qu’on a cessé de trouver plausible qu’un dieu, supposé tout puissant et infiniment bon, intervienne au petit bonheur la chance, guérissant l’un et laissant mourir l’autre dans d’atroces souffrances, le second étant aussi vertueux que le premier, et n’accomplissant jamais aucun miracle indiscutable, par exemple faire repousser des membres amputés. C’est la question de la plausibilité a priori qu’il faut se poser en premier lieu, à la fois pour les conspirations et pour les miracles. Tant qu’il n’y a pas de réponse à cette question, on peut laisser de côté les questions techniques auxquelles il n’y a (soi-disant) pas de réponse, parce que dans tous les phénomènes compliqués, tels que la santé ou l’effondrement de tours, il y a toujours des choses apparemment étonnantes qui se produisent.

 

Il existe aussi une version faible des conspirations, qui ne prétend pas que tout a été manigancé de l’intérieur, mais qu’on a « laissé faire ». Dans un sens banal, c’est vrai, vu que les attentats ont bien eu lieu, ce qui rend cette version plus difficile à discuter. Mais elle sous-entend qu’on a laissé faire les attentats volontairement. Qui est le « on »? Si c’est l’ensemble de l’appareil d’Etat américain, la question de la plausibilité se pose de nouveau. Idem s’il s’agit d’un complot organisé par des individus félons et bloquant systématiquement les mécanismes de défense. Le problème est qu’il est difficile de prouver quoi que ce soit lorsqu’il s’agit des intentions des êtres humains. Il est toujours possible que certaines personnes, membres de services secrets non américains par exemple, aient été au courant de plus de choses que ce dont ils ont avertis leurs « alliés »3. Mais comment le prouver?

 

Tout cela ne veut évidemment pas dire que le rapport sur le 11 septembre dise toute la vérité. Comme on peut le voir dans la vidéo http://www.youtube.com/watch?v=J1bm2GPoFfg, un point crucial de l’enquête qui a été mis de côté, est que la motivation des attaquants du 11 septembre était la haine provoquée par le soutien américain pour Israël. Mais cela n’a rien à voir avec les conspirations habituelles et celles-ci ont plutôt tendance à occulter ce point crucial qui, s’il était mieux connu, amènerait peut-être les Etats-Unis à se poser des questions sur l’utilité de leur soutien à Israël, de leur point de vue.

 

Admettre la réalité des attentats ne signifie évidemment pas que la guerre était légale, ni en Afghanistan (comme l’explique Chomsky) ni en Irak. Cela ne revient pas non plus à nier qu’il y ait eu une véritable « conspiration » (si on tient à utiliser cet terme) de la part des Etats-Unis et de leurs alliés: utiliser ces attentats pour justifier la guerre4. Mais, contrairement aux conspirations des adeptes de la « vérité sur le 11 septembre », celle-ci est visible aux yeux de tous.

 

Il est regrettable que beaucoup de gens sincères et courageux passent leur temps à spéculer sur ces attentats, considèrent le fait de « mettre en doute la version officielle » comme étant le summum de la subversion et de la « résistance au système », et tendent à voir ceux qui exercent leur esprit critique tous azimuts, non seulement face à la propagande américaine, otanienne et sioniste, mais aussi face aux différentes théories de la conspiration, comme des « gardiens du système », alors qu’il y a tant d’autres choses plus utiles à faire pour la défense de la paix. En effet, il n’y aura pas de nouvelle enquête et si, par impossible, il y en avait une, elle n’aboutirait pas aux conclusions que les conspirationnistes souhaitent, vu qu’elle serait nécessairement faite par le même groupe dominant que celui qui a fait les premières enquêtes.

 

Par contre, il serait possible de créer un mouvement en faveur du retrait des troupes étrangères d’Afghanistan (où la guerre est clairement perdue), contre l’extension de l’Otan, ou pour l’arrêt du soutien à Israël. Sur ces toutes questions, il existe un consensus latent dans la population, indépendamment ce que chaque individu pense des attentats du 11 septembre. Le problème est d’arriver à ce que ce consensus ait une expression politique.

 

S’adonner à ce travail patient et ingrat est peut-être la véritable forme de « résistance au système ».

 

 

1Ex agent de la CIA et auteur du remarquable Journal d’un agent secret : Dix ans dans la CIA, éd. Seuil (1976). http://fr.wikipedia.org/wiki/Philip_Agee.

2Mémos internes au gouvernement britannique qui révèlent l’ampleur du complot contre la paix organisé par les gouvernements américains et britanniques avant la guerre contre l’Irak. http://questionscritiques.free.fr/edito/memo_secret_de_Downing_Street.htm . Curieusement, les adeptes des conspirations n’insistent jamais sur ces documents, pourtant publiquement disponibles, et qui en disent long sur le cynisme absolu de la politique américano-britannique.

3Voir Justin Raimundo, The Terror Enigma, 9/11 and the Israeli Connection, Iuniverse, Inc. Lincoln, NE, 2003 pour une discussion de cette question.

4Voir Stephen J. Sniegoski, The Transparent Cabal: The Neoconservative Agenda, War in the Middle East, and the National Interest of Israel, Ihs Press 2008, pour une remarquable analyse de la façon dont les néo-conservateurs ont entraîné les Etats-Unis dans la guerre. Mais, comme l’indique le titre, la « cabale » ici est tout-à-fait transparente.

Source: investigaction.net

 

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