Belgique – Transferts Flandre-Wallonie: mythes et vérités

« Séparer le pays ? Non, mais il faut arrêter les transferts d’argent de la Flandre vers la Wallonie», entend-on souvent au Nord du pays. Enquête sur les chiffres.

http://www.solidaire.org/ mardi, 4 septembre 2007

Mythe 1 : Toute la Flandre finance toute la Wallonie

Tous les transferts vont-ils de la Flandre à la Wallonie ? La réalité est plus nuancée : certaines parties de Flandre et de Wallonie aident certaines parties de Wallonie et de Flandre.

Des transferts, c’est quoi ? De l’argent va des régions les plus riches vers les plus pauvres. Comment ? Par une certaine redistribution des impôts et des cotisations sociales.

Si une majorité des arrondissements flamands est au-dessus de la moyenne nationale, certains sont en-dessous et reçoivent aussi des transferts. Ainsi, dans le Top 5 des arrondissements les plus pauvres de Belgique (qui « reçoivent » le plus) se retrouvent aussi ceux de Dixmude (pélerinage de l’Yser) et d’Ypres (d’où provient Yves Leterme).

Et dans le Top 5 des arrondissements les plus riches du pays se retrouvent ceux du Brabant wallon et d’Arlon. Des (petites) parties de la Wallonie « envoient » ainsi de l’argent en Flandre.

La république de la Banane, d’Anvers à Arlon

Ce qui a fait dire à Rudy Aernoudt, ancien chef de cabinet du ministre régional flamand de l’Economie : « La prospérité économique ne coïncide pas avec la frontière linguistique. Les transferts vont notamment à Charleroi, Liège, Ostende et Tongres et sont notamment financés par le Brabant wallon et Anvers. En poussant plus loin ce raisonnement et en suivant les avocats de l’éclatement du pays, la scission doit s’opérer entre les régions riches d’une part (Anvers, le Brabant flamand et le Brabant wallon, Namur) et les régions pauvres (Flandre occidentale, Limbourg, Liège et Charleroi). La banane allant d’Anvers à Arlon deviendrait le pays n°1. La périphérie serait le n°2. » (Trends, 28 juin 2007)

Retrouvez sur le site www.ptb.be, le Top 5 des arrondissements les plus pauvres et les plus riches

Mythe 2 : Les transferts sont injustifiés

« Régionaliser le chômage et les soins de santé, c’est une urgence car les Wallons profitent. »

Y a-t-il des transferts ? Oui. Les Wallons en profitent ? Oui. Mais les Flamands aussi. Dans la sécurité sociale, les Wallons et les Bruxellois paient moins de cotisations qu’ils ne reçoivent en allocations familiales, de chômage, de maladie ou en remboursement de médicaments. MAIS pour les pensions, c’est l’inverse. Les Flamands paient moins que ce qu’ils versent en cotisations à cause d’une population vieillissante.

Au total, il y a des transferts nets de la Flandre vers la Wallonie. Dans chaque pays européen, de l’argent va des régions les plus riches vers les plus pauvres. A travers la sécurité sociale, une certaine redistribution des richesses permet de limiter la casse du déclin industriel de certaines régions. Chez nos voisins français, les départements du Nord (Lille) et du Pas-de-Calais (Dunkerque) reçoivent en transferts l’équivalent de 5% de la richesse produite en France (le Produit Intérieur Brut, le PIB). La Wallonie et Bruxelles « reçoivent » l’équivalent de 3,6% de la richesse produite. Pourtant personne en France ne considère les « nordistes » comme des fainéants ou des profiteurs.

Chaque Wallon doit 0,92 euro à la Flandre, l’industrie pharmaceutique 144 euros à chaque Belge

N’y a-t-il tout de même pas des abus ? Ne peut-on pas parler, par exemple, de surconsommation médicale en Wallonie ? Une récente étude des Mutualités chrétiennes (MC) montre que la part des dépenses de santé dans chacune des régions correspond à la part de leur population dans le pays.

La contribution wallonne au budget de la sécurité sociale est moins importante. Normal : la Wallonie, plus pauvre, représente un tiers de la population belge, mais ne pèse qu’un quart du PIB du pays.

Si en plus on compare les dépenses de santé en fonction des catégories sociales, l’étude démontre qu’il ne subsiste comme transfert injustifié que 3,12 millions d'euros du Nord au Sud. Chaque Wallon « abuserait » du système pour 92 eurocents par an … Faut-il régionaliser le système des soins de santé pour ça ?

Comparez alors ce chiffre à ce que l’industrie pharmaceutique engrange sur le dos de la sécurité sociale par la non-application du modèle kiwi pour des médicaments moins chers : 1 500 millions d’euros. L’équivalent de 144 euros par Belge, bébés compris.

Mythe 3 : La Wallonie se complaît dans le chômage

Pourquoi y a-t-il un tel écart de développement entre la Flandre et la Wallonie ? Le Wallon serait-il programmé à être chômeur ?

Il y a un demi-siècle, la situation était exactement inverse.

Taux de chômage

Flandre – Wallonie – Bruxelles

1949

19,5% – 5,2% – 8,3%

2007

5% – 10,7% – 18,1%

2050

?

L’avance du nord du pays en matière économique est récente. En 1949, la Wallonie transférait des milliards vers la Flandre.

Que s’est-il passé ? Durant les années soixante, l’économie flamande a rattrapé celle de la Wallonie. Puis l’a dépassée. À un certain moment, les grands groupes financiers qui possédaient les grandes entreprises en Wallonie sont arrivés à la conclusion qu’ils pouvaient faire de plus grands profits en Flandre.

Pourquoi ?

• Parce qu'en Flandre, il y avait plus de chômeurs qu'en Wallonie, les salaires y étaient plus bas.

• Parce que le minerai de fer et le charbon venaient désormais du Brésil et de l'Afrique du Sud et non plus de Lorraine ou des charbonnages wallons. Ainsi Sidmar à Zelzate (nord de Gand), située près de la mer, a ainsi beaucoup moins de frais de transport que Cockerill à Liège.

• Parce que la Flandre avait un port maritime, Anvers, facteur important pour des industries qui importent leurs matières premières comme le pétrole et la chimie et qui exportent par mer une partie importante de leur production.

Et qu’a fait l’Etat ? Il a aidé les capitalistes dans ces délocalisations. Comme il avait injecté massivement de l'argent du contribuable belge en Wallonie pendant la première moitié du siècle, il a commencé à le faire en Flandre dans la deuxième moitié. À la fin des années 50, Spinoy, bourgmestre de Malines et ministre des Affaires économiques, fait voter des lois d'expansion économique. De nombreuses firmes américaines sont encouragées à s'installer en Flandre, où se crée une industrie prospère.

Ces évolutions ont aussi eu lieu dans d'autres pays capitalistes d'Europe. On a vu le déclin du Pays de Galles en Grande-Bretagne et la montée du Sud-Est du pays (la région de Londres). On a vu le déclin de la Ruhr en Allemagne et de la Lorraine en France.

Ce qui est en cause, ce n’est pas le Wallon, qui n’est pas plus paresseux ou profiteur que le Flamand, tout comme le Gallois n'est pas plus paresseux que le Londonien. Ce qui est en cause, c’est bien le système économique capitaliste, basé sur le profit maximum. Demain, si le mouvement syndical s’affaiblit, si la politique du « diviser pour régner » marche, les grandes entreprises peuvent aussi massivement quitter la Flandre. Et la Flandre pourrait connaître la même situation que la Wallonie aujourd’hui.

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