Marine Le Pen et l’affaire Audin : quand la haine le dispute à l’ignorance crasse

Quand a été rendue publique, le 13 septembre 2018, la déclaration du président Macron sur l’assassinat par des militaires français en 1957 de Maurice Audin, une personnalité politique d’extrême droite s’est distinguée par son déni de réalité et ses contre-vérités. La dirigeante du Rassemblement national, Marine Le Pen, a cru bon de dire que « Maurice Audin a caché des terroristes du FLN qui ont commis des attentats ». L’historien Alain Ruscio fait un sort à cette inexactitude et précise l’engagement politique de Maurice Audin.

 

Dans les heures qui ont suivi la déclaration du président Macron, reconnaissant — enfin ! — la responsabilité des plus hautes autorités de l’État dans l’assassinat de Maurice Audin, les prises de position sont arrivées en avalanche, la plupart plutôt favorables à cet acte de courage.

D’autres, venant le plus souvent de la nébuleuse d’extrême droite, l’ont condamnée. Sans grande importance. Il en est une, cependant, qu’il est catégoriquement hors de question de laisser passer. Mme Le Pen, dirigeante du Rassemblement national, a laissé tomber cette phrase : « Maurice Audin a caché des terroristes du FLN qui ont commis des attentats ».

Sans revenir sur toute l’affaire, il est nécessaire de rappeler qui était Maurice Audin, quel était son rôle au sein du Parti communiste algérien.

Membre du Parti communiste algérien depuis 1950 — il avait alors 18 ans —, mathématicien brillant, assistant à la Faculté d’Alger, il s’apprêtait à soutenir une Thèse et à devenir ainsi un des plus jeunes Docteurs ès Sciences de France. Son directeur, René de Postel, témoigna de la qualité exceptionnelle des travaux de celui qui était un des espoirs de la recherche française [1].

En novembre 1954, la guerre d’indépendance éclate. Le PC Algérien, sans comprendre immédiatement la portée historique du pas qui vient d’être franchi, dénonce la répression et les actes de guerre qui commencent. Il est dissous en septembre 1955. La direction du PCA répartit alors ses militants en deux catégories : ceux qui plongent dans la clandestinité, voire qui rejoignent les maquis, et ceux qui, non chargés de responsabilités importantes, et donc considérés comme peu surveillés, restent dans la vie active, effectuant un travail discret. Rien là que de très classique : tous les mouvements politiques frappés d’interdit procèdent de la sorte.

Quelles furent, entre la dissolution de septembre 1955 et l’arrestation de juin 1957, les activités politiques de Maurice Audin ? Son appartement servit de « planque » à des militants politiques recherchés, lui-même stocka et transporta de la documentation, du matériel de propagande, etc. Il participa également à des activités dangereuses, comme par exemple l’exfiltration vers les pays socialistes du Secrétaire général Larbi Bouhali (septembre 1956) : ce fut en quelque sorte une affaire de famille, Maurice Audin ayant assuré la logistique avec sa sœur Charlie et son beau-frère Christian Buono.

L’engrenage se mit en place le 9 juin 1957. Le Dr Hadjadj, membre du PCA, fut arrêté. Torturé, il résista durant trois jours, mais craqua devant la menace de voir sa propre femme torturée. Il finit, le 11 dans la soirée, par dire qu’il avait soigné Paul Caballero, un dirigeant communiste de premier plan, au domicile de la famille Audin. Les paras s’y précipitèrent. C’est là, à 23 heures, en présence de sa femme Josette et de ses enfants, que Maurice Audin fut arrêté. Son épouse protesta, sa fille aînée Michèle — trois ans — donna même des coups de pieds aux paras [2]. Le prisonnier fut transporté à El Biar, dans un immeuble réservé, où, déjà, Ali Boumendjel avait été assassiné, puis immédiatement torturé.

La triste suite est connue.

Aucun terroriste poseur de bombes hébergé. Aucun lien avec un quelconque attentat. La pure figure de Maurice Audin ne méritait pas cette ignominie supplémentaire. Le père « travaillait » dans les caves durant la bataille d’Alger. La fille vient d’y ajouter l’ignorance crasse. Faut-il en rire ou en pleurer ? Non : il faut crier sa honte, sa répulsion.

 

Alain Ruscio, historien

 

Notes :

[1« Mon assistant, Maurice Audin », Les Lettres françaises, 19 décembre 1957.

[2Michèle Audin, Une vie brève, Paris, L’Arbalète / Gallimard, 2013.

 

Source : Histoire coloniale et postcoloniale

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