Le ministre-président flamand, Jan Jambon. (Photo by ATTILA KISBENEDEK / AFP)

Lode Vanoost : « En Flandre, la N-VA veut intimider ceux qui dénoncent les crimes israéliens »

Média indépendant néerlandophone partageant les mêmes combats qu’Investig’Action au nord du pays, De Wereld Morgen est inquiété par les autorités flamandes. Interpelé au parlement, le ministre-président Jan Jambon a en effet indiqué qu’il allait demander une inspection de l’association dont dépend le journal en ligne. Objectif ? Couper les subsides dont bénéficie De Wereld Morgen. La cause ? La criminalisation du soutien aux droits légitimes du peuple palestinien. Journaliste à De Wereld Morgen, Lode Vanoost nous explique les enjeux de cette campagne d’intimidation.

Une fois n’est pas coutume, De Wereld Morgen a animé les discussions du parlement flamand la semaine dernière. Que s’est-il passé ?

Un député des nationalistes flamands de la N-VA, Marius Meremans, a interpelé le ministre-président Jan Jambon au sujet de deux articles que nous avons publiés. Il se trouve que Jan Jambon compte la culture dans son portefeuille ministériel. Et qu’il est lui aussi membre de la N-VA. Tout ça était donc téléphoné, les nationalistes s’étaient mis d’accord pour aborder ce sujet au parlement ; tous les partis font ce genre de choses. Notons enfin qu’habituellement, ce n’est pas Meremans qui interroge Jambon sur ces questions-là. Mais c’est un fervent soutien d’Israël.

Que vous reproche-t-on exactement ?

Le premier article incriminé est une traduction en néerlandais d’une vidéo de Saïd Bouamama qui dénonce l’hypocrisie occidentale dans le conflit au Proche-Orient. Le texte relèverait de l’apologie du terrorisme selon la N-VA, ce qui est faux évidemment. Le second article est signé de ma plume. J’y considère, sur base de nombreux éléments factuels, qu’Israël est responsable du bombardement de l’hôpital Al Ahli à Gaza. La N-VA se demande de manière assez floue si tout cela respecte les normes de la démocratie, car cela contredit la version propagée par la BBC et d’autres médias mainstream. Sur base de ces éléments, Jan Jambon a demandé une inspection de notre ASBL[1] pour voir s’il ne faut pas supprimer les subsides que nous touchons du ministère de la Culture.

En tant que média indépendant, ces subsides sont-ils importants pour vous ?

De Wereld Morgen a été créé en 2010. Notre objectif est de lutter contre la désinformation des grands médias. Nous sommes constitués en ASBL. Nous sommes financés par les dons de notre public, d’associations de la société civile, mais aussi en partie par des subsides du ministère de la Culture. Ces subsides nous amènent à organiser des formations d’éducation aux médias. Nous organisons par exemple des ateliers pour apprendre à écrire des articles ou réaliser des vidéos. Nous touchons 210.000 euros par an pour mener cette activité. Pour nous, c’est beaucoup. Mais ce n’est pas grand-chose par rapport à d’autres associations et c’est une goutte d’eau dans le budget de la Culture en Flandre.

En tant que média indépendant, nous comptons sur ces subsides, car notre public est restreint. La langue néerlandaise ne nous permet pas de toucher autant de monde que la langue française ou anglaise. D’autant plus que les Hollandais ne suivent pas beaucoup les médias flamands. Près de 10% de nos lecteurs viennent tout de même des Pays-Bas. Par ailleurs, la presse traditionnelle étant subventionnée, nous ne voyons pas pourquoi nous n’aurions pas droit à une aide publique nous aussi.

Mais Jan Jambon veut vous couper les vivres…

Jan Jambon a déclaré qu’il allait envoyer une inspection. Mais notre association fait déjà l’objet d’une inspection chaque année pour l’octroi des subsides ! À court terme, nous ne sommes pas inquiets. Comme les précédentes, la nouvelle inspection pourra constater que nous remplissons tous les critères et que notre dossier est en ordre.

Le problème est ailleurs, alors ?

L’inspection ne va rien changer au niveau administratif. Mais elle a un but politique, c’est une forme d’intimidation à long terme. Le message est clair : on vous tient à l’œil ! Cela intervient dans un contexte particulier. Jan Jambon veut modifier le décret sur les subventions dans le secteur socio-culturel. Actuellement, le ministre doit suivre l’avis de son administration pour l’octroi de subsides quand tous les critères sont remplis. À l’avenir, Jan Jambon voudrait se réserver le dernier mot et refuser des dossiers pour des raisons politiques, même si tous les critères sont objectivement remplis.

Ça ouvrirait la porte à l’arbitraire !

Évidemment. Dans notre cas, nous pourrions remplir toutes les conditions pour obtenir un subside, mais le ministre pourrait bloquer notre dossier en prétextant que nous sommes antisémites parce que nous soutenons les droits des Palestiniens. Il y a d’ailleurs en Flandre une tentative de délégitimer la campagne BDS. [Cette campagne pacifique vient de la société civile palestinienne et appelle au boycott des produits issus des colonies illégales d’Israël.] Les détracteurs de cette campagne prétendent qu’elle est liée au Hamas et qu’elle est antisémite.

Vous pensez que la répression politique va s’intensifier en Flandre ?

La Flandre n’est pas encore devenue la Hongrie de Orban. Mais c’est un avertissement. Nous pensons qu’il faut réagir, car cela dépasse les limites de la démocratie. La N-VA tâte le terrain, elle essaie de voir jusqu’où elle peut aller. Nous savons bien qu’à court terme, nous ne risquons pas grand-chose. Nous avons la conscience tranquille. Néanmoins, nous impliquer dans une question parlementaire, commander une nouvelle inspection et nous soumettre à un tas de démarches fait partie de la campagne d’intimidation.

Cela aura-t-il un impact sur vos activités ?

Il est tout à fait clair que nous n’allons pas céder. Nous avons déjà répondu dans un premier billet : « Chère N-Va, nous sommes désolés, mais nous n’allons pas cesser d’informer sur les crimes de guerre israéliens. Malheureusement, nous ne pouvons pas compter sur vous pour les condamner. Mais de notre côté, nous continuerons à le faire. »

Nous retirons par ailleurs du positif de cette campagne. D’une certaine manière, l’attaque de la N-VA nous a fait un joli coup de pub. Nous sommes apparus dans tous les journaux et à la télévision. Certaines personnes qui ne nous connaissent pas vont penser que nous sommes louches. Mais beaucoup d’autres, plus nombreux et curieux, vont découvrir notre travail. Nous avons déjà vu notre nombre d’abonnés augmenter considérablement en une journée. Et nous recevons aussi beaucoup de messages de soutien.

Comment les médias flamands ont-ils traité cette affaire ?

De Standard par exemple y a consacré un long article et a été relativement ouvert à nos arguments. Pas parce que ce journal partage nos positions. Mais parce qu’il a manifestement compris que le tournant pris en Flandre pourrait se révéler dangereux aussi pour les grands médias. Si la N-VA ne rencontre pas de résistance en s’attaquant aux petits, elle pourrait s’attaquer aux autres ensuite.

Lode Vanoost en compagnie de l’historien israélien Ilan Pappé

Un message à faire passer aux francophones ?

Quand les événements sont survenus à Gaza, nous savions que nos positions allaient entraîner des critiques malhonnêtes. Et c’est pareil ailleurs. Nous nous attendions surtout à des critiques sur les réseaux sociaux – et il y en a eu- avec des phrases sorties de leur contexte ou des propos déformés et destinés à nous faire passer pour des antisémites ou des soutiens du terrorisme. Certains jouent sur la duplicité des mots pour essayer de coller des étiquettes infamantes à leurs adversaires. Ça se fait toujours.

L’initiative de Jan Jambon en revanche, c’est nouveau. Cette campagne d’intimidation prépare au nouveau décret sur les subsides aux associations, mais aussi aux élections de 2024. C’est le début de l’ « orbanisation » de la Flandre. Condamner les opinions des autres ne suffit plus. Il faut à présent créer un climat dans lequel ces opinions ne s’expriment plus. Est-ce cela, une démocratie ? Je ne pense pas.

Il faut effectivement lutter contre ce virage qui ne concerne pas seulement le nord du pays. En France, les autorités ont voulu interdire les manifestations de soutien à la Palestine. Et des députés de la gauche radicale sont poursuivis pour ne pas s’être montrés assez solidaires d’Israël. En Belgique francophone, la répression est moins violente. Une manifestation pour la Palestine a rassemblé entre 12.000 et 40.000 personnes à Bruxelles dimanche dernier. Qu’en est-il en Flandre ?  

Quelques petites manifestations ont rassemblé des centaines de personnes. Les autorisations ont toujours été accordées et ça s’est bien passé. À ce niveau-là, les règles démocratiques sont respectées. Et les policiers ne harcèlent pas les manifestants comme en France.

Néanmoins, les médias flamands ont une approche unilatérale et pro-israélienne des événements. Par exemple, les journaux rapportent que des civils israéliens sont « massacrés par les terroristes ». Tandis qu’à Gaza, les gens « meurent » au cours d’une crise humanitaire. On laisse s’exprimer des Palestiniens. Mais jamais pour expliquer le contexte. Or, nous affirmons que ce conflit n’a pas commencé le 7 octobre 2023. Il y a tout un contexte historique dont la N-VA et tous ceux qui soutiennent Israël ne veulent pas entendre parler. Ils réclament juste une condamnation du Hamas. Mais on ne peut pas ignorer le contexte historique si on veut trouver des solutions pour la paix. C’est ce que De Wereld Morgen défend.  

Source: Investig’Action


[1] Association sans but lucratif, équivalent des associations 1901 en France.

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