Washington ou le Venezuela, le capitalisme sauvage ou le socialisme : une conversation avec Luis Britto Garcia

Luis Britto Garcia est peut-être l’intellectuel public le plus estimé du Venezuela. Ferme partisan du processus bolivarien, il a écrit de nombreux romans, pièces de théâtre, enquêtes historiques et scénarios de films, il est également un commentateur incisif de la politique dans la région. Dans cette interview exclusive, l’homme de lettres célèbre et engagé Luis Britto, parle de la défense à court et à long terme de la souveraineté du Venezuela.

 

Beaucoup de gens à gauche critiquent le gouvernement du président Nicolás Maduro, mais ces critiques n’ont rien à voir avec un désir de rejoindre les rangs de l’opposition de droite ou ses alliés étrangers. Face à l’attaque impérialiste actuelle contre le Venezuela, nous devons défendre le pays et nous opposer à toute ingérence. Êtes-vous d’accord ?

 

J’ai souvent affirmé que lorsque les forces de la réaction intérieures et extérieures lancent une double attaque contre notre pays – et utilisent toutes les ressources légales et même illégales qu’elles ont à disposition – nous devons tous nous unir dans la défense du Venezuela et dans la défense de ses autorités et de la coalition politiques qui les maintient légalement au pouvoir.

Il peut y avoir des différences et des débats internes, mais nous ne pouvons pas hésiter lorsque nous sommes confrontés à cette alternative : c’est Washington ou le Venezuela, l’invasion ou la souveraineté, le capitalisme sauvage ou le socialisme.  

 


Un dessin du collectif populaire vénézuélien de graphisme Comando Creativo. (Archive)

 

Vous avez écrit sur Simon Bolivar et vous avec souligné à quel point son exemple reste pertinent aujourd’hui. Que ferait Bolivar à notre époque ? En tant que bolivariens, que devrions-nous faire en ce moment présent ?

 

C’est vrai. J’ai soigneusement examiné les idées et les actions de Bolivar par rapport à la société et à l’économie dans mon livre The Thought of the Liberator: Economy and Society [Le pensée du libérateur : économie et société] (2010), et dans de nombreux articles et autres travaux. Si Bolivar était parmi nous aujourd’hui, il ferait la même chose que ce qu’il a fait de son vivant ; d’abord, il ferait tout son possible pour défendre (avec des armes si nécessaire) la souveraineté du Venezuela : le droit de son peuple à choisir son propre gouvernement.

Il tenterait d’organiser et d’unir les peuples d’Amérique latine et des Caraïbes contre la domination impérialiste. Dans la sphère économique également, Bolivar n’a pas hésité à procéder aux plus importantes confiscations de biens dans l’histoire vénézuélienne. Il a saisi toutes les propriétés des royalistes, sous forme de terres ou d’autres biens, et les a distribuées aux soldats patriotes, en fonction des services qu’ils avaient rendus (bien qu’ils aient aussi pu en user collectivement).

Bolivar disait que la nation a des droits de propriété sur ses minéraux souterrains, ce qui est un principe toujours valable aujourd’hui et qui doit être défendu à tout prix. En 1814, longtemps avant son voyage en Haïti, Bolivar a commencé à éradiquer l’esclavage. Il a aussi combattu la discrimination raciale dans son « Discours d’Angostura » (2010), proclamant que dans le Venezuela contemporain « personne ne devrait être maltraité à cause de la couleur de sa peau ». Si nous disons que l’esclave est quelqu’un qui vit une existence juste suffisante pour survivre, alors la lutte de Bolivar aujourd’hui serait de vaincre la pauvreté, tant extrême que relative.

 

Simon Bolivar a signé le décret « Guerre à la mort » le 15 juin 1813. Le document déclarait que tous les Espagnols mourraient s’ils ne se joignaient pas à la lutte pour l’indépendance, alors que ceux nés dans les colonies seraient pardonnés même s’ils s’étaient rangés dans le camp des puissances coloniales. (Archive)

 

Pour mettre en œuvre ces principes, Bolivar n’a pas hésité à prendre des mesures radicales et extrêmes (et un bolivarien ne devrait pas hésiter à le faire aujourd’hui). Souvenons-nous de sa déclaration « Guerre à la mort ». Aujourd’hui, Bolivar poursuivrait le projet d’intégration latino-américaine et caribéenne, comme il l’a fait avec son Congrès amphictyonique de Panama auquel les États-Unis n’ont pu participer que grâce à l’influence de Francisco de Paula Santander. Quiconque se dit bolivarien aujourd’hui doit suivre et si possible étendre la pratique et la pensée de Bolivar. Si nous ne le faisons pas, nous redeviendrons une colonie.

 

Comment évaluez-vous la réponse mondiale à l’offensive impérialiste que nous vivons ces jours ? Pouvons-nous voir des ruptures dans l’hégémonie des États-Unis et une preuve de l’avènement d’un monde nouveau et multipolaire ?

 

Pour moi, il y a une rupture évidente dans l’hégémonie nord-américaine. Les États-Unis ont déplacé leurs industries à l’étranger pour profiter d’une main-d’œuvre bon marché. En le faisant, ils ont désindustrialisé le pays et plongé leurs propres travailleurs dans la misère. Aujourd’hui, la Chine est la puissance économique mondiale dominante ; la Russie a réémergé comme une grande puissance après le déclin provoqué par la dissolution de l’Union soviétique, L’Europe essaie de devenir indépendante, bien qu’elle soit occupée depuis la moitié du siècle dernier par un réseau de bases de l’OTAN. Le Moyen-Orient échappe au contrôle étasunien ; après des décennies d’ingérences, les États-Unis n’ont réussi qu’à semer le chaos.

J’ai fait remarquer qu’historiquement, les révolutions ont toujours surgi dans les fissures créées par l’affrontement des puissances hégémoniques du moment. Les États-Unis ont émergé en profitant de l’affrontement entre l’Angleterre, la France et l’Espagne. L’Union soviétique a profité de l’affrontement des puissances européennes pendant la Première Guerre mondiale. C’est la même chose pour la République populaire de Chine, qui a bénéficié des combats de la Seconde Guerre mondiale. Plus tard, Cuba a utilisé la confrontation entre les États-Unis et l’Union soviétique. Aujourd’hui, la lutte pour l’hégémonie entre les États-Unis, la Russie et la Chine nous offre une chance de consolider la souveraineté du Venezuela.

 

Après la confrontation à cette attaque impérialiste et la tentative de coup d’État, quel est notre problème le plus immédiat, que devrait faire le gouvernement Maduro à moyen et long terme ?  

 

Je pense qu’il n’y a pas moyen de sortir de notre crise immédiate sans progresser dans la Révolution, et c’est aussi la clé pour aller de l’avant une fois que nous nous serons relevés. C’est-à-dire que nous ne pouvons faire face à l’impérialisme qu’une fois que nous avons dominé l’oligopole local formé par une douzaine de grandes entreprises qui monopolisent l’importation et la distribution de biens de première nécessité [dans notre pays]. Et nous devons soumettre la poignée d’acteurs qui dirigent la contrebande de pétrole et sont impliqués dans l’infiltration paramilitaire.

Nous serons en mesure de faire face aux menaces extérieures une fois que nous aurons nettoyé la scène intérieure avec un contrôle de toute l’administration – à tous les niveaux de son fonctionnement à et aurons installé un contrôle informatisé intégral, en temps réel, des prix et des coûts des opérations économiques. Nous devons sanctionner les nombreux actes de corruption et nettoyer les entreprises et les institutions où ce genre d’activité est répandu. Avec ces mesures, le soutien populaire au projet socialiste deviendra inébranlable. D’autre part, si ces mesures ne sont pas prises, il est à craindre que la guerre économique n’érode ce soutien, qui ne se maintient aujourd’hui que par de grands sacrifices.

 

 

Photo : Prensa Presidencial/John Zerpa

Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour le Journal Notre Amérique

 

Source : Venezuelanalysis

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