«  Vous les adultes vous chiez sur notre avenir » – Portrait de Greta Thunberg

 La frêle adolescent suédoise Greta Thunberg est devenue l’incarnation du mouvement climatique planétaire. Elle défie les riches et les puissants de la planète et considère son syndrome d’Asperger comme un cadeau. Voici son portrait.

 

 

Un lourd verdict

 

 

Ses parents s’en sont vite rendu compte : Greta n’était pas une fillette comme d’autres enfants de son âge. Le diagnostic était grave : leur fille souffrait d’une forme lourde du syndrome d’Asperger ainsi que d’un mutisme sélectif.

 

Le syndrome d’Asperger est une forme d’autisme caractérisée par une limitation dans les interactions sociales et dans les centres d’intérêt et les activités. Les personnes atteintes ont du mal à comprendre ce que les autres pensent et ressentent ou ce que sont leurs intentions. Elles ne comprennent pas toujours les règles sociales et s’isolent facilement du monde extérieur. Elles n’apprécient pas d’être touchées et évitent souvent le contact visuel.

 

Les personnes souffrant de mutisme sélectif ne parlent donc pas dans certaines situations sociales alors que c’est ce qu’on attend d’elles, par exemple à l’école, en mouvement de jeunesse ou dans un magasin. Mais dans des situations où elles se sentent à l’aise, comme en famille ou avec des amis, elles parlent sans problème. C’est une perturbation qui accompagne souvent l’autisme. Ces perturbations ont eu un lourd impact sur Greta. A l’âge de huit ans elle a entendu parler du réchauffement climatique et des conséquences graves qui en découlaient pour la vie de la planète. Elle a été choquée de ce que les adultes ne semblaient pas prendre le problème au sérieux. Elle ne pouvait plus se sortir cette pensée de la tête.

« J’avais tant de chagrin parce que le monde allait tellement de travers, tout allait de travers, alors j’ai pensé que ça ne valait plus la peine de vivre ».  A onze ans Greta devint profondément dépressive. Elle cessa de manger et de parler et n’alla plus à l’école. Elle perdit 10 kilos et sa croissance fut affectée.

 

 

Quand la perturbation devient un atout

 

 

Cela n’avait rien d’évident pour Greta, mais elle contre-attaqua. Elle adhéra à des groupes d’action qui voulaient organiser des actions symboliques et ludiques à l’école contre le dérèglement du climat. Mais ce n’était pas payant, trouvait-elle, elle voulait affirmer nettement sa position. “J’ai essayé que les autres dans le groupe se rallient à moi, mais personne n’était vraiment intéressé. Alors j’ai décidé d’aller le faire toute seule. Et même si personne ne me rejoignait, j’irais le faire moi-même”. 

A quinze ans elle rassembla tout son courage et alla s’asseoir un jour de chaque semaine devant le parlement avec un petit panneau : “grève scolaire pour le climat”, afin d’en appeler à la responsabilité des autorités. Ses parents tentèrent de la dissuader et ses condisciples refusèrent de participer. Les passants soit avaient pitié de la fillette soit lui reprochaient de sécher les cours.

Mais Greta a continué. L’opiniâtreté liée à son syndrome devint sont meilleur atout. Son action remarquable fit s’ébranler tout un mouvement mondial qui inscrivit enfin à l’ordre du jour l’urgence du problème climatique. Aujourd’hui des dizaines de milliers de jeunes agissent dans plus de 70 pays. Ces dernières semaines il y a eu des manifestations climatiques dans plus de 700 villes. Greta s’est tenue sur le podium avec Juncker, le président de la Commission européenne, elle a été reçue par le président Macron et elle reçoit l’appui d’Angela Merkel. Le monde politique et adulte n’a pas été capable d’inscrire comme premier point de son agenda ce qui est le plus important pour l’avenir. A elle toute seule, l’adolescente de Suède y a réussi par son action obstinée.

 

 

Un cadeau

 

 

Greta est fière de son syndrome d’Asperger. Elle le voit comme un « cadeau ». Les gens normaux s’autorisent une certaine dose d’inconséquence dans leur vie. Quelquefois ils se plaignent de la gravité du problème climatique qu’on n’attaque pas, après quoi ils retombent simplement dans la routine, ils prennent la voiture pour partir en week-end ou se paient une bonne tranche de viande. Cela ne vaut pas pour Greta. « Je suis un peu différente. Je n’aime pas participer au jeu social. Je ne mens pas. Je ne peux pas dire une chose et puis faire une autre chose. Si j’avais été comme tout le monde, j’aurais continué comme tout le monde. Jamais je n’aurais entamé cette grève ».

« Certaines personnes peuvent simplement laisser aller les choses, moi je ne peux pas, surtout quand c’est quelque chose qui me préoccupe ou me chagrine. Je me souviens quand j’étais jeune, et à l’école, nos enseignants nous montraient des films de plastique dans l’océan, des ours affamés, etc. Je pleurais pendant tous ces films. Mes camarades de classe se faisaient du souci en regardant le film, mais juste après ils se mettaient à penser à autre chose. Je ne pouvais pas faire ça. Ces images étaient imprimées dans ma tête ».

Les nuances ne sont pas le point fort de Greta. “Comme j’étais différente, je vois le monde d’une autre perspective, je vois très fort les choses en noir et blanc.” 

Son père lui demande souvent de modérer le ton de ses discours, qu’elle écrit elle-même. “Il s’inquiète quand il les lit, du genre ‘tu ne dois pas dire ça, c’est trop provocateur’” dit-elle crânement. Greta parle très doucement et parfois elle se contente de hocher la tête. Cela n’empêche que ses propos sont souvent très carrés.

Quelques exemples : “Nous allons dégager votre bordel. Nous n’arrêterons pas avant d’en avoir terminé” … “J’en ai assez de vous autres les adultes parce que vous chiez sur mon avenir” . Si vous pensez qu’au lieu de mener des actions nous devrions être à l’école, nous suggérons que vous preniez notre place dans les rues, et que vous fassiez la grève de votre boulot”. 

Aux milliardaires de Davos elle a dit : “Je ne veux pas que vous soyez optimistes. Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez l’angoisse que je ressens chaque jour. Et ensuite je veux que vous agissiez.” 

 

 

Un message clair

 

 

Greta veut nous secouer pour nous réveiller avant qu’il ne soit trop tard. « Les gens ne se rendent même pas compte de ce qui est en train d’arriver. Quand je parle avec des gens, ils connaissent la base, ils savent que la planète se réchauffe à cause des gaz de serre, mais ils ne savent pas quelles en sont les véritables conséquences. » 

Pour limiter le réchauffement à +1,5°C, nous tous sur cette planète ne pouvons plus émettre que 420 gigatonnes de CO2. Au rythme actuel, ce quota sera déjà épuisé en dix ans ! Si nous dépassons +1,5°, nous franchissons un point de basculement et le réchauffement de la terre risque de s’emballer et de devenir irréversible.

Manifestement nous avons besoin de personnes comme Greta pour nous tirer de notre zone de confort et faire ce que nous devons faire. “Si vous avez un enfant planté au milieu de la route avec les voitures qui arrivent à toute allure, vous ne détournez pas le regard parce que c’est pénible à voir, vous courez et vous retirez l’enfant. L’abondance de faux discours encourageants finit par faire partie du problème.” 

Dans cette optique, étudier et colorier à l’intérieur des contours n’a pas de sens pour Greta. “Pourquoi étudierais-je pour un avenir qui bientôt ne sera plus là, alors que personne ne fait des efforts pour sauver l’avenir ?” 

Combien de temps pourra-t-elle encore persévérer ? Sa réponse est claire : “Je continuerai jusqu’à ce que la Suède respecte les Accords de Paris. Et j’espère que partout dans le monde des gens feront la même chose pour leur pays. Mais la question n’est pas de savoir quand nous allons arrêter. La question, c’est : quand vont-ils s’y mettre ?”

En effet : quand allons-nous nous y mettre ?

 

 

Sources :

– Financial Times, 23/24 Life & Arts, february 2019, p. 3
– Financial Times, 16/7 maart 2019, p. 4
– The Guardian
– VRT NWS
– Dewereldmorgen
– Parnassiagroep
– Wikipedia

 

Traduction du néerlandais : Anne Meert pour Investig’Action

Source : Investig’Action

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