Une analyse comparative des démocraties étasunienne et cubaine

 

Le peuple cubain élit 612 membres à l’Assemblée nationale du peuple ce dimanche 11 mars. Les élections cubaines sont rarement couvertes par les médias occidentaux, tandis que les détracteurs du système économique de l’île insistent sur la nature non démocratique de son gouvernement.

 

L’an dernier, le président américain Donald Trump a durci le blocus économique contre Cuba (précédemment assoupli par l’administration Obama), déclarant que les États-Unis « ne se tairont plus face à l’oppression communiste ».

Depuis plus de cinq décennies, les gouvernements étasuniens successifs ont maintenu un blocus économique brutal sous des prétextes démocratiques. Cependant, la genèse des mesures raconte une histoire différente.

Elles ont été imposées en 1960 après la prise du pouvoir par la Révolution et le commencement d’un processus d’expropriations. Trente ans plus tard, dans les années 1990, le gouvernement étasunien a décidé de redéfinir le blocus par le biais de la Loi sur la démocratie à Cuba (Cuban Democracy Act). Elle stipule que les sanctions seraient maintenues tant que le gouvernement cubain refusait de prendre des mesures en faveur de la démocratisation.

Ce changement témoigne de la croyance sous-jacente que la « liberté du marché » équivaut à la liberté politique.

À la fin des années 1990, Amartya Sen, prix Nobel d’économie, a mis en lumière la relation entre l’auto-détermination, qui inclut la liberté politique, et la liberté de vivre à l’abri du besoin. La liberté d’agir est inévitablement limitée par les possibilités économiques et sociales. Si les restrictions des possibilités économiques et sociales réduisent la liberté d’action, les modèles économiques inéquitables doivent affaiblir la démocratie.

La démocratie, le gouvernement du peuple, est incompatible avec des modèles économiques qui concentrent la richesse sur la base du dénuement, ce qui réduit la capacité du peuple à se gouverner lui-même. Les mesures néolibérales telles que la privatisation, qui restreint l’accès aux services nécessaires à la satisfaction des droits humains (l’éducation, la santé, l’eau), et la libéralisation du marché, qui peut décimer l’industrie nationale et les emplois, empêchent la liberté de vivre à l’abri du besoin.

Cependant, dans les Amériques, il semble n’y avoir de place que pour les démocraties néolibérales.
Un gouvernement qui protège ses industries, nationalise ses ressources et prévoit davantage de dépenses sociales pour la satisfaction des droits fondamentaux est plus susceptible d’être qualifié de non démocratique.

Ainsi, nous avons aujourd’hui des démocraties brillantes où les dirigeants sociaux sont tués impunément comme en Colombie, où un criminel contre l’humanité est gracié comme Alberto Fujimori au Pérou, où la brutalité policière tue ses citoyens comme aux États-Unis.

Là encore, la liberté du marché a été confondue avec la liberté politique.

Mais la démocratie n’est pas une étiquette, c’est un processus.

À ce titre, les procédures démocratiques devraient être analysées dans le contexte historique qui les produit et il faudrait mesurer s’ils ont progressé pour permettre une participation plus directe du peuple ou s’ils ont régressé, restreignant sa participation.

Les différences entre les systèmes électoraux aux États-Unis et à Cuba révèlent que si l’un a encore restreint la participation, l’autre l’a élargie.

 

La sélection des candidats

 

Tous les États modernes sont des démocraties représentatives. Le peuple ne gouverne pas lui-même mais élit des représentants pour le faire.

Aux États-Unis, le caractère restrictif de la participation électorale est déterminé d’abord par le système bipartite, qui fait que le corps législatif de l’État est dominé par deux partis, le Parti démocrate et le Parti républicain.

Ceux qui figureront sur les bulletins de vote pour les élections présidentielles et législatives sont choisis dans des « primaires » dans lesquelles, le plus souvent, seuls les Démocrates ou les Républicains inscrits peuvent voter. Moins d’un tiers de la population américaine est enregistré comme Démocrate ou Républicain. Par conséquent, c’est une minorité de la population qui choisit pour qui voter.

À Cuba, ce n’est pas le Parti communiste mais les assemblées municipales et les organisations de la société civile (dont les Fédérations des femmes et la Fédération des travailleurs) qui désignent les candidats à l’Assemblée nationale.

Les Cubains, qu’ils soient ou non affiliés à un parti, nomment et élisent directement plus de 12 000 délégués aux Assemblées municipales dans le cadre de processus locaux très participatifs.

Le processus de désignation intervient dans des assemblées populaires lors de réunions de quartier, et contrairement à ce que voudraient nous faire croire les détracteurs de Cuba, les candidats ne sont pas nécessairement membres du Parti communiste.

L’an dernier, une coalition d’opposition, Autre18, a présenté au moins 160 candidats. Ils n’ont pas été élus, mais ils étaient libres de participer.

Le système électoral de Cuba n’est pas basé sur la participation des partis, un fait interprété par le gouvernement des États-Unis et des analystes politiques comme un signe de restriction de la liberté politique. Toutefois, toute personne peut se présenter aux Assemblées municipales puis être désignée par l’Assemblée nationale.

Les instances dirigeantes des deux principaux partis aux États-Unis, les Comités nationaux démocrate et républicain, ont des devoirs envers ceux qui leur permettent de soutenir la campagne de leurs candidats, ce qui restreint encore le nombre de participants.

L’idée selon laquelle la concentration de la richesse et un important financement privé des campagnes politiques sont incompatibles avec une large participation n’est ni radicale ni socialiste. C’est, comme dit l’universitaire, diplomate et ancien président de la Fondation MacArthur Robert Gallucci, du « bon sens ».

« Un siège au Sénat, en moyenne, coûte 10.5 millions de dollars et un siège à la Chambre des représentants coûte 1.7 million. Il existe de puissantes incitations pour que les politiciens accordent de l’attention aux donateurs riches – la survie électorale, pour commencer… Il ne semble pas exagéré intellectuellement de conclure que lorsque les vainqueurs politiques et économiques s’entendent pour dominer la politique, les préoccupations des gens ordinaires ne sont pas le premier point à leur ordre du jour », explique Gallucci.

Cette réalité a été aggravée par la décision de la Cour suprême américaine de 2010, qui autorise des dépenses illimitées de la part des entreprises et d’autres acteurs privés pour les campagnes politiques.

À Cuba, en revanche, il n’y a pas de campagnes de millionnaires. Faire campagne pour les membres des Assemblées municipales se réduit à l’essentiel : la présentation du profil individuel du candidat mettant en évidence ses qualités et ses capacités de représenter ses électeurs. Tous les portraits des candidats sont affichés publiquement afin que les électeurs puissent s’informer.

 

L’élection du président

 

À Cuba et aux États-Unis, le président est élu au suffrage indirect.

L’année dernière, Donald Trump a été élu à la présidence après avoir perdu le vote populaire de plus de deux millions de suffrages. Ce n’est pas le peuple des États-Unis qui choisit son représentant suprême, mais un groupe de « représentants » ou d’électeurs de chaque État. C’est à peu près la même chose à Cuba, où le président n’est pas élu par le peuple, mais par le Conseil d’État, qui est formé par l’Assemblée nationale.

La différence est que si les bases mêmes du processus démocratique à Cuba sont des élections locales directes, aux États-Unis ce processus est dominé par deux partis avec leurs propres intérêts économiques et leurs dynamiques de pouvoir.

Aux États-Unis, le système du collège électoral détermine que les États les plus peuplés ont plus de votes, mais beaucoup d’États pratiquent la politique « le vainqueur prend tout », ce qui veut dire que si un candidat remporte la majorité du vote populaire, dans un État comme l’Ohio, ceux qui ont voté pour l’autre candidat perdent leur voix dans l’élection.

Cela aboutit à réduire au silence des millions de gens qui ont voté. Cela ne pourrait se produire à Cuba parce que 200 à 2000 habitants forment un district et que chaque district obtient au moins un délégué aux Assemblées municipales.

Selon un sondage Gallup, au moins 49% de la population américaine est favorable à ce que la Constitution soit amendée pour abolir le collège électoral.

Certes, à Cuba, il y a des gens qui s’opposent au système électoral existant mais jusqu’à présent ils semblent peu nombreux étant donné le taux de participation élevé dans l’île.

 

Le droit de vote

 

Dans de nombreux États, les gens qui ne sont pas enregistrés comme Démocrates ou Républicains ne peuvent pas voter aux primaires.

Aux élections générales, les citoyens américains de 18 ans révolus doivent s’inscrire pour pouvoir voter.

Selon des sources officielles, les délais d’enregistrement pourraient être d’un mois avant une élection.

Cette exigence n’existe pas à Cuba, où tous les citoyens et les résidents permanents de plus de 16 ans sont automatiquement inscrits pour voter.

Dans les deux pays, les droits politiques des personnes reconnues coupables de crimes sont entravés. À Cuba, les criminels condamnés ne peuvent pas voter, tandis qu’aux États-Unis, dans deux États seulement, les criminels ne perdent pas leur droit de vote.

Pour les élections présidentielles américaines de 2016, le Centre Brennan pour la justice de l’université de New York a recensé 15 États imposant des restrictions de vote « faisant partie d’un mouvement plus large visant à restreindre les droits de vote, qui a commencé après l’élection de 2010 lorsque des membres des législatifs de tout le pays ont commencé à introduire des centaines de mesures sévères rendant le vote plus difficile ».

Parmi les restrictions, mentionnons l’exigence d’un document d’identité avec photo et d’une preuve documentée de citoyenneté au moment de l’inscription électorale.

Les lois sur le vote imposant une pièce d’identité avec photo ont été contestées par une Haute Cour dans au moins quatre États américains et dans au moins deux, elles ont été contestées pour viser de manière disproportionnée les électeurs latinos et afro-américains. En outre, la plupart des personnes vivant dans la pauvreté n’ont ni passeport ni permis de conduire, les deux seules pièces d’identité comportant une photo.

Dans les deux pays, le vote n’est pas obligatoire. Cependant, alors que les États-Unis ont un taux de participation très faible tournant autour de 50%, à Cuba, ce taux reste supérieur à 90%.

Si on examine la participation au processus électoral, on voit que tandis que les États-Unis ont progressivement limité qui peut être élu et qui peut élire ses représentants, Cuba a différents mécanismes pour garantir la participation populaire tant comme électeur que comme candidat.

Les États-Unis, qui se considèrent comme la plus grande démocratie au monde, ont une démocratie plutôt dysfonctionnelle et restreinte qui devrait inciter leurs représentants à y regarder à deux fois lorsqu’ils qualifient d’antidémocratiques d’autres systèmes politiques.

 

Traduit de l’anglais par Diane Gillard pour Investig’Action

Source : TeleSUR

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