Une affaire judiciaire, la justice belge en question

Si notre système de santé a été fragilisé et sous-financé, qu’en est-il de notre justice ? C’est l’histoire d’une longue procédure judiciaire ayant opposé l’auteur à son architecte qu’il estimait l’avoir trompé en lui proposant un projet irréalisable, ce qui causé sa ruine. Une mésaventure qui peut arriver à n’importe lequel d’entre nous. Le procès s’est terminé au bénéfice de la compagnie d’assurances de l’architecte, dispensée d’avoir à le dédommager pour les pertes occasionnées par l’incompétence et la désinvolture de son client. L’auteur en a fait un récit très vivant en exposant les faits dans le cadre d’échanges qui n’ont jamais eu lieu. Le récit est très caustique, pour ne pas dire plus. Les magistrats en sortent quelque peu étrillés.

Extrait

Je suis en colère contre la justice de mon pays, la Belgique (dont la devise est : L’union – des gens de bien – fait la force – au service du profit), ce petit État artificiellement créé, en 1830, sur le dos des pauvres. En changeant très peu de chose à l’ordre établi (ce qu’il faudrait plutôt nommer, avec Tolstoï que je viens de citer, le désordre établi), et à ce qui sert à le maintenir, le code civil, resté le même après la défaite française de 1815 (Waterloo ! Morne plaine !), au cours de l’occupation du territoire par ses voisins du nord dont la Belgique était séparée depuis deux siècles et demi. Ce code, regroupant l’ensemble des règles de droit civil (le statut des personnes et des biens, essentiellement), avait été promulgué en 1804 par Bonaparte, deux mois à peine avant son couronnement comme empereur des Français sous le nom de « Napoléon 1er ». Il faisait de la propriété une chose sacrée, répondant ainsi aux vœux à peine dissimulés de ceux qui avaient porté le maître au pouvoir. C’était la liberté pleinement reconnue, absolue, échappant à tout contrôle, de s’enrichir sans frein (pour ceux qui en avaient les moyens, bien entendu). La propriété ne connaîtrait plus aucune limite. On en a vu le résultat au cours de l’essor industriel de la Belgique appelée à devenir le pays le plus riche d’Europe continentale, grâce à ses ressources minières, à ses industries et, bien sûr, à des pratiques salariales n’offrant à la population ouvrière que juste de quoi ne pas mourir de faim. La richesse ne profite pas à tout le monde !

L’affaire dont il va être question ici est une affaire civile. Affaire somme toute assez banale, alors, pourquoi en parler ? C’est qu’elle n’est pas si banale que ça. Je vais m’en expliquer. Mais sachez d’abord que si vous aviez assisté aux plaidoiries (cinq en tout, si je compte bien), vous n’auriez rien compris à ce charabia. Et puis c’était tellement long que vous vous seriez vite assoupi. C’est là le paradoxe. La justice est publique, je vous l’accorde : publicité des débats judiciaires, publicité du prononcé des jugements. Mais ce n’est là qu’une façade. Car l’essentiel, ce n’est pas les plaidoiries. Ce n’est pas le jugement non plus. Les plaidoiries, c’est de la mise en scène, pour rassurer le quidam sur le caractère « public » de la justice. L’essentiel, vous ne le voyez pas, vous ne l’entendez pas. Tout se passe dans les coulis- ses. La justice est avant tout écrite. Les avocats, lorsqu’ils plaident, ne font que répéter ce qu’ils ont ressassés dans leurs inter- minables « conclusions », échangées entre les parties, et adressées au tribunal. Les plaidoiries, le juge les écoute à peine. Pour- quoi se fatiguer, puisque tout est écrit ? L’essentiel du travail, il le fait dans son bureau, en compulsant les pièces du dossier. Et c’est là, bien souvent, que les choses se gâtent sans que vous puissiez rien y changer.

Les choses se gâtent, parce que le juge « juge » à partir des pièces du dossier. Hé bien, où est le mal ? Dans le fait que les débats étant définitivement clos, si une chose essentielle n’a pas été dite, c’est trop tard, il n’en sera pas tenu compte, même si le juge prend soudain conscience qu’il manque un élément important sans lequel il ne pourra faire bonne justice. La plu- part du temps, il n’en a même pas conscience. S’il le sait, c’est pire, car c’est volontairement qu’il a écarté, au cours même des débats, une pièce, un argument susceptible d’orienter la justice dans le bon sens. Ne croyez pas que j’invente, ça s’est produit bien souvent – il y a des cas célèbres et j’en citerai un plus loin – et c’est aussi ce qui m’est arrivé.

Il y a un recours, dans ce cas : l’appel. J’y suis allé deux fois, confiant la première, en désespoir de cause la seconde. Il en sera aussi question. Mais avant, je voudrais insister sur le fait que la justice, de la manière dont elle est exercée, en application des règles imposées par le code judiciaire, n’a qu’une apparence de publicité. Le jugement est « publié », soit. Vous pouvez même en obtenir une copie. Mais qui la demande ? Et surtout, qui le lit, ce jugement ? Les parties intéressées, le gagnant et le perdant (quand ils ne sont que deux) et leurs conseils, qui le reçoivent par la poste. Il est rare qu’un arrêt soit publié dans les journaux. Ce n’est le cas que sur décision du juge, et aux frais de la partie perdante. Cela peut arriver dans le cas d’une faillite. C’est donc l’exception, les jugements n’étant connus de personne. Qui s’en soucierait, d’ailleurs ? On a bien d’autres choses à faire. Oui, sauf que vous pouvez, vous aussi, être embarqué dans une affaire semblable. Sans savoir de quoi il retourne. Ce que vous risquez, c’est de faire les frais de votre ignorance. Car il vous faut être sur vos gardes et vous méfier de tout le monde, juge, greffier, avocat, expert, à commencer bien sûr par votre adversaire (et son conseil !). Sachant que si l’on vous trompe, ou si vous commettez une gaffe, cela ne vous sera pas pardonné (une aubaine pour votre ennemi !), aucun retour en arrière n’étant possible. La justice est une marche en avant (lente !) qui au fur et à mesure ferme toutes les portes derrière vous.

Alors, que faire ? Ben, lisez mon bouquin !

 

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.